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Quelque 80 % des centenaires sont des femmes. Le taux de prévalence de troubles tels que l’hyperactivité, le daltonisme ou l’autisme est beaucoup plus élevé chez les hommes que chez les femmes. Les hommes ont 20% de risques de plus de développer un cancer (et 40 % de plus d’en mourir), et ils sont beaucoup plus vulnérables aux maladies infectieuses. Selon le neurogénéticien américain ­Sharon ­Moalem, cela s’explique par le fait que les femmes possèdent deux chromosomes X (les hommes ont un X et un Y), ce qui leur procurerait un sérieux avantage génétique. Lorsqu’un de leurs deux chromosomes X présente des anomalies, elles peuvent s’en remettre au ­second, explique le chercheur dans The Better Half.

Et, surtout, leurs défenses natu­relles leur permettent de résister beaucoup mieux aux infections. Le chromosome X contient de très nombreux gènes qui interviennent dans le fonctionnement du système immunitaire. Avec deux exemplaires de ce chromosome, leur « boîte à outils immunitaire » se trouve ainsi mieux fournie. « L’idée de Moalem, c’est qu’on a longtemps négligé l’importance du second chromosome X. Encore aujourd’hui, les essais cliniques sont menés en grande majorité sur des sujets masculins, ce qui pénalise les femmes auxquelles on propose des traitements ou des dosages inappropriés », rappelle Gaia Vince dans le quotidien britannique The Guardian. Certains reprochent à Moalem de minimiser le rôle joué par les facteurs environnementaux et d’insister plus que de raison sur les différences biologiques entre les sexes. « Le problème, c’est que Sharon Moalem ne réfute pas l’existence d’un “sexe faible”: il inverse simplement le stigmate. C’est un peu décourageant que le débat soit si souvent posé en termes d’opposition et de compétition : faut-il vraiment qu’un sexe soit plus fort que l’autre ? » regrette Stuart Ritchie dans le quotidien Evening Standard

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Jules César, on l’a un peu oublié, était un véritable surhomme. Si le prix ­Nobel avait existé au Ier siècle avant notre ère, il en aurait obtenu plus d’un, à commencer par celui de littérature. Le général romain écrivait beaucoup, et sa production propre (dont ne subsistent quasiment que les Commentaires sur la guerre des Gaules, appelés aussi La Guerre des Gaules) comprenait des discours, des pièces de théâtre, des poèmes, des maximes et même un livre de grammaire. Il écrivait très vite, dictant à deux ou trois secrétaires en même temps (comme Churchill). À peine descendu de cheval, alors que ses légions prenaient leurs quartiers, il rédigeait la chronique de la campagne tout juste achevée. Il écrivait aussi très bien – même Cicéron dut en convenir –, évitant les mots « compliqués et insolites comme le timonier les récifs », et avait porté la concision latine à son summum de « luminosité et de pureté ».

César n’était pas de ces hommes politiques qui pensent devoir ajouter la plume littéraire à leur chapeau ; il écrivait parce qu’il avait quelque chose à dire : en l’occurrence, présenter, ou défendre, son action. Était-il honnête et sincère ? Suffisamment, quoi qu’en dise Napoléon, pour que ses détracteurs puissent utiliser ses propres textes contre lui. La clarté et la précision de ses notes lui auraient accessoirement valu le Nobel de géographie ou ce qui en tient lieu, le prix international Vautrin-Lud. Beaucoup de ce que l’on sait de la Gaule et des Gaulois, on le trouve dans La Guerre des Gaules, qui regorge d’informations ethnographiques collectées sur le terrain à des fins militaires mais surtout politico-­diplomatiques.

César aurait sans doute ­aussi mérité le Nobel de la paix. Quid, diront certains, du bilan de plus de 1 million de morts (selon Pline l’Ancien) qu’il a fait en une douzaine de campagnes ? Oui, mais il s’agissait, en Gaule du moins, de campagnes de pacification (le verbe pacare, « pacifier », revenant avec insistance dans Les Commentaires), voire de guerres défen­sives. Par exemple, lorsque, en 58 av. J.-C., il était allé défendre les Éduens et les Séquanes, alliés de Rome, contre les Helvètes qui, trop à l’étroit dans leurs montagnes, lorgnaient sur les terres fertiles et peu peuplées de la côte Atlantique. Le sang de César n’avait fait qu’un tour et il avait réexpédié les intrus chez eux, puis, une chose en appelant une autre, s’était retourné contre les Germains et contre les Belges.

La défense des tribus fidèles à Rome (du moins tant qu’elles le demeuraient, c’est-à-dire jusqu’à la grande rébellion menée par Vercingétorix en 52 av. J.-C.) entraîna certes quelques fameux dérapages et carnages, mais ­César préférait la négociation directe avec les chefs de tribu, souvent d’ailleurs assortie d’une clémence présageant celle d’Auguste. En une génération, la Pax romana allait s’étendre à toute la Gaule, qui deviendrait quasi romaine et s’en trouverait plutôt bien. La langue, les institutions, les mœurs et surtout le confort latins remplaceraient leurs équivalents celtiques, tandis que beaucoup d’aristocrates gaulois trouveraient à s’employer dans la haute fonction publique romaine.

Pourtant, César était avant tout un chef militaire hors pair, un stratège d’une rapidité de décision et de déplacement légendaires (il parcourait parfois plus de 150 kilo­mètres par jour), doublé d’un formidable logisticien et d’un meneur d’hommes qui s’entourait des meilleurs offi­ciers, dont il attirait les talents et verrouillait la loyauté à coups de largesses. C’est à ses guerriers qu’il accordait le plus d’attention (notamment aux frustes mais essentiels centurions, l’équivalent des ­sous-officiers d’aujourd’hui) : ils étaient choyés, complimentés, décorés et rémunérés au mieux. César allait à pied avec ses soldats et partageait leurs conditions de vie malgré une santé médiocre. Ses quelque 50 batailles, il ne les mena pas de l’arrière comme les généraux de 1914, mais de la deuxième ou troisième ligne face à l’ennemi, sachant qu’« une armée c’est comme un spaghetti : on peut la tirer mais pas la pousser », comme dirait bien plus tard le général Patton. Mieux encore, il lui arriva de combattre au corps-à-corps, où il était, dit-on, très habile et courageux, qualités qui lui valurent à 19 ans la corona civica, l’une des plus hautes déco­rations militaires. Ce n’est pas pour rien que Napoléon voulait que ses officiers étudient en détail ses campagnes.

Les talents de gestionnaire de César sont en revanche moins spectaculaires. C’était avant tout un joueur, qui s’endettait pour acquérir notoriété et votes, avant de se payer sur la bête pour pouvoir mieux recommencer. Il n’aurait en tout cas pas mérité le Nobel d’économie, mais Rome s’enrichit cependant sous son règne, principalement grâce aux gains procurés par les expéditions militaires (butin, esclaves ou tributs des peuples assujettis), auxquels s’ajouteraient plus tard les revenus de la prospère Égypte.

Politiquement, César avait, ou prétendait avoir, le cœur à gauche. Il venait d’une famille aristocratique mais pas particulièrement riche et avait longtemps habité aux confins du quartier malfamé de Suburre. À Rome, argent et politique allaient main dans la main et se faisaient la courte échelle, mais César était pour sa part plus enclin à redistribuer qu’à thésauriser, à accumuler du capital social plutôt que financier. Car son vrai sujet, c’était le pouvoir, dont la quête lui fit gravir, lentement mais implacablement, tous les échelons militaires, politiques et même religieux du cursus honorum. Mais, malgré un travail acharné, qu’il n’interrompait même pas aux arènes pendant les combats de gladiateurs (ce qui était assez mal vu), sa prestation, une fois au sommet, fut décevante, surtout comparée à la frénésie législatrice et à la vision sociétale d’un Napoléon.

Jules César semble avoir ­voulu corriger quelques injustices criantes (d’où ses lois agraires) et surtout réformer le système politique inefficace et corrompu, ce qui n’était déjà pas si mal mais lui valut une fin précoce. Sans doute par souci d’efficacité, il dériva vers une pratique du pouvoir de plus en plus personnelle et même – horreur ! – potentiellement monarchique. Souhaitait-il poursuivre dans cette voie ? Sans doute pas – il était même prévu qu’il quitte Rome pour trois ans après les Ides de Mars de l’an 44 avant notre ère. Mais de jeunes ambitieux, Marcus Junius Brutus en tête, inquiets de voir leurs ambitions politiques réduites à néant, prirent les devants et ­l’assassinèrent.

Son talent pour l’autopromotion et son immodestie colossale propulsèrent César là où il voulait aller de son vivant. Ses conquêtes militaires et féminines (ces dernières venant corriger une erreur de jeunesse – s’être probablement laissé séduire par le roi de Bithynie Nicomède IV, alors que l’homo­sexualité « passive » était jugée indigne d’un aristocrate) fascinèrent les générations suivantes. Son impact sur les ­futurs romanciers, dramaturges et ­cinéastes fut en revanche étrangement limité, exception faite d’une apparition comme tyran évanescent chez Shakespeare ou comme victime récurrente de la malice d’Astérix. Serait-ce que la réalité du personnage dépasse à ce point la fiction qu’elle décourage ceux qui la produisent ?

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Avez-vous déjà entendu parler d’un certain António Guterres ? C’est le secrétaire général des Nations unies. Dans un discours prononcé en janvier dernier pour le 75e anniversaire de cette institution (dont on ne sait plus bien quoi penser), il mettait en garde contre « quatre cavaliers » (il n’a pas ajouté « de l’Apocalypse », mais c’était implicite).

Le premier ? Ce sont « les plus fortes tensions géostratégiques que nous ayons connues ­depuis des années ». Décrivant les conflits qui sèment la misère un peu partout et les attentats terroristes, il précisait : « Depuis la Seconde Guerre mondiale, jamais autant de personnes n’ont été chassées de leur foyer par la guerre et les persécutions. » Et la menace nucléaire s’accroît. De fait, pour sa secrétaire générale adjointe chargée du désarmement, Izumi Nakamitsu, il est clair que la menace d’une déflagration nucléaire est « à son plus ­niveau depuis la Guerre froide ». Dans la popu­lation générale, bien peu de gens ont en tête ce genre de risque.

Son deuxième « cavalier », c’est le climat. Un sujet au contraire très populaire, au moins dans les démocraties occidentales (la grosse exception est le Parti républicain aux États-Unis). M. Guterres fait sonner les cymbales : « Les scientifiques nous disent que la hausse de la température de nos océans équivaut à cinq bombes d’Hiroshima par seconde. » Allons, du calme !

Son troisième cavalier est plus intéressant : il s’agit de « la méfiance profonde et croissante qui pèse sur le monde ». Il voit l’inquiétude et le mécontentement agiter « les sociétés du Nord comme celles du Sud ». « De plus en plus de gens sont convaincus que la mondialisation est contraire à leurs intérêts. […] La confiance dans les institutions politiques s’érode. Les jeunes se rebellent […] L’hostilité à l’égard des réfugiés et des migrants se renforce et la haine s’accroît. »

Le quatrième cavalier est un classique : « la face obscure du monde numérique ». En cause, les nouvelles armes, les réseaux sociaux, l’intelligence artificielle, l’automatisation. « Les progrès technologiques vont plus vite que notre capacité à y répondre, voire à les comprendre. »

Voilà donc selon M. Guterres les quatre principales « menaces » qui pèsent sur le XXIe siècle. « Ces quatre cavaliers peuvent mettre en péril tous les aspects de notre avenir commun. » On était en janvier. Il avait oublié les épidémies, les 32 millions de morts du sida, par exemple (encore près de 700 000 en 2019). À sa liste il aurait pu ajouter la montée des autocraties, les erreurs des collectifs d’experts, le risque que suppose pour la planète l’arrivée au pouvoir d’un leader aberrant, le fait inattendu que le progrès de l’instruction ne diminue pas la prévalence de la sottise et, plus généralement, le rôle souvent décisif d’événements totalement imprévus et imprévisibles, ces « cygnes noirs » dont les attentats du 11-Septembre sont l’exemple paradigmatique.

Toutes les époques ont charrié leurs inquiétudes mais aussi leurs espoirs, et on ­aurait pu imaginer que M. António Guterres, se fondant sur les analyses de divers économistes, technologues ou historiens, prenne au contraire à rebours le discours dominant sur les apocalypses qui nous guettent et dresse la liste des raisons de penser, sinon que tout ira mieux dans le meilleur des mondes, du moins que l’humanité continuera cahin-caha de faire la preuve de son extraordinaire faculté d’adaptation. Il aurait risqué le ­ridicule.

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J'ai été initiée au complotisme lors de mon année de troisième par un prof qui avait consacré un cours aux ­Illuminati. Un groupe malveillant composé de représentants des élites mondiales tirait les ficelles de la politique et de l’économie, nous raconta-t-il. Les Illu­minati se réunissaient en secret et communiquaient par des symboles. Parmi leurs membres figuraient des présidents des États-Unis, des grands patrons et des célébrités. Ils étaient partout.

Notre prof nous expliqua tout cela sobrement, de la même manière que d’autres nous avaient expliqué ce qu’était le Fonds monétaire international ou certaines règles mathématiques : comme s’il s’agissait d’éléments immuables de l’infrastructure de l’Univers que toute personne sensée se devait de connaître. Je ne me souviens pas qu’il ait employé le mot « théorie » ni indiqué qu’il s’agissait d’une idée controversée. Le fait qu’il ait donné pour preuve une séquence du film Matrix aurait peut-être dû me mettre la puce à l’oreille. Quoi qu’il en soit, j’étais complètement captivée.

Cela se passait à Berkeley, en Californie, au cours de cette période d’anxiété entre les attentats du 11-Septembre et le début de la guerre en Irak. Le monde grouillait d’ennemis invisibles et de ­motifs inavoués. « Exigeons la ­vérité sur le 11-septembre ! » «Non aux chemtrails ! 1 »clamaient des graffitis sur les trottoirs. Des animateurs de ­radio et les parents de mes amis évoquaient vague­ment, mais d’un air entendu, les intérêts financiers du vice-président Dick Cheney ou les vraies raisons pour lesquelles nous partions faire la guerre en Irak. Bien avant qu’on parle des « bulles filtrantes » 2, je vivais dans l’une d’elles : le gouvernement mentait ; les élites renforçaient leur mainmise ; le jeu était truqué ; la paranoïa était justifiée. Je savais que les choses allaient mal, et je savais qu’on n’imaginait pas à quel point. L’idée que tout ce qui était déroutant, injuste ou suspect pouvait être le résultat d’un vrai complot, et non de quelque chose de plus abstrait ou de plus complexe, me semblait séduisante et tout aussi plausible que beaucoup de choses impensables que je savais pourtant vraies. Je suis rentrée à pied du lycée, j’ai grignoté des biscuits apéritifs en regardant l’émission d’Oprah Winfrey et, au cours du dîner, j’ai parlé incidemment à ma famille du nouvel ordre mondial.

Lorsque j’ai téléphoné récemment à mes parents pour les questionner sur mon éveil conspirationniste, ma mère s’est souvenue avoir réagi avec une « tolérance perplexe ». Nous étions en 2002 : les forums 4chan, QAnon, Reddit et d’autres recoins sombres du Net n’existaient pas encore – Facebook et Twitter non plus, d’ailleurs, ni rien qui s’apparenterait aux réseaux sociaux d’aujourd’hui –, si bien que les parents d’adolescents n’avaient pas ce genre de soucis à se faire. J’allais sur Internet essentiellement pour télécharger des chansons du groupe Blink-182 et écrire sur mon blog. « Je n’étais pas paniquée, me raconte ma mère au téléphone. Je me suis dit : “Voilà, elle est en train de comprendre qu’il y a des gens qui croient à toutes sortes de fadaises.” »

C’est le propre des parents de surestimer leur enfant. La vérité, c’est que, à 14 ans, je n’envisageais pas vraiment que les profs puissent se tromper et je ne savais pas faire le tri dans les informations. Là où ma mère voyait une leçon détournée sur la bizarrerie de l’esprit humain, j’en voyais une bien plus directe sur des réunions secrètes et des triangles cachés.

J’ai récemment été soulagée d’apprendre que tout cela est assez classique, du moins d’un point de vue développemental. « Les enfants ont tendance à tout prendre au pied de la lettre », m’explique Valerie Reyna, spécialiste de la psychologie des adolescents à l’université Cornell. Quiconque a déjà engagé la conversation avec un enfant de 4 ans le sait bien, mais cela reste vrai jusqu’à un âge bien plus avancé qu’on l’imagine. À l’adolescence, souligne Reyna, nous pouvons répéter bêtement des choses – parfois même des choses complexes, parfois même de ­façon très élaborée –, mais nous n’avons pas ­encore les clés ou l’expérience nécessaires pour comprendre ce qu’elles signifient au bout du compte.

C’est la différence entre l’apprentissage par cœur et la véritable compréhension. C’est la différence, aussi, entre prendre pour argent comptant l’existence des Illuminati et comprendre que cela impliquerait un très grand nombre de choses invraisemblables, à commencer par le fait que des milliers ou des millions de personnes aient réussi à garder un si grand secret pendant des siècles. « Quand on a une connaissance approfondie du fonctionnement du monde, on peut se laisser guider par l’intuition », note ­Reyna. C’est pour cela que « les adultes sont en général et en moyenne plus en mesure de savoir que quelque chose est invraisemblable ». À supposer que mon milieu ne m’ait pas déjà prédisposée à adhérer aux théories du complot, les filtres imparfaits de mon cerveau d’adolescente ne m’ont apparemment pas rendu service. « Ce n’est pas un hasard, souligne Reyna, si les sectes recrutent chez les jeunes. »

Il s’avère que c’est assez plaisant d’être complotiste. Je garde très peu de souvenirs de mes cours de lycée, mais je me souviens parfaitement du jour où j’ai découvert les Illuminati. Il y a bien une raison. Et c’est précisément pour cette raison que les théories du complot prospèrent depuis aussi longtemps que la rationalité, et que, tout au long de l’histoire, elles ont réussi à convaincre des indi­vidus de remettre toute leur existence en question : la théorie du complot peut être ­incroyablement convaincante. Elle offre des réponses à des problèmes aussi minimes que l’obsolescence programmée des ampoules et aussi énormes que notre solitude abso­lue dans l’Univers. Elle a une logique étanche et des effets apaisants : elle suppose l’existence d’un monde où rien ne se produit par hasard, où la ­morale est simple, où chaque information est porteuse d’un sens divin et où chacun est en capacité d’agir. Elle transforme le ­complot en puzzle et le complotiste en héros d’une fiction bien ficelée. « [Le porte-parole paranoïaque] s’érige toujours en barricade de la civilisation », écrivait l’historien Richard Hofstadter dans Le Style paranoïaque. Théories du complot et droite radicale en Amérique 3, son livre pionnier de 1964. Ce qui échappe à l’analyse de Hofstadter, c’est ce sentiment enivrant d’avoir des informations privilégiées sur le sort de la planète ou, du moins, de le penser. « Je pense que tu étais emballée – comme nous tous – par l’idée que quelque chose de secret se tramait en coulisse, se souvient ma mère. Qu’il y avait une vérité à découvrir, et que, une fois celle-ci découverte, tout ferait sens. »

Elle avait raison à mon propos, et sur nous tous. Le complotisme s’inscrit dans certaines de nos fonctions cérébrales les plus élémentaires. « Notre esprit fonctionne d’une manière qui nous rend réceptifs aux théories du complot », explique le psychologue Rob ­Brotherton, auteur de Suspicious Minds. « Quand quelque chose de difficile à cerner se produit dans le monde, nous avons tendance à penser : “Quelqu’un a-t-il intérêt à ce que cela se produise ?” Cette tendance à réfléchir aux intentions, à déceler des motifs ou des biais de confirmation – tout cela influe non seulement sur notre ­manière de concevoir les théories du complot, mais aussi, plus fondamentalement et plus prosaïquement, sur notre façon d’appréhender le monde au quotidien. » La tentation est grande, dit-il, de voir dans les théories du complot « des aberrations de l’esprit, des phénomènes bizarres et marginaux, alors qu’en réalité elles sont le produit du fonctionnement de notre cerveau ».

Au cours de la dernière décennie, le champ de la psychologie du conspirationnisme a connu un essor fulgurant, parallèle à l’attrait qu’exercent les théories du complot sur l’opinion publique. On ne sait pas encore très bien comment le complotisme s’enracine dans notre cerveau ou pourquoi certaines personnes semblent y être plus réceptives que d’autres. Ce que l’on sait, en revanche, souligne ­Brotherton, c’est que tout le monde ou presque est susceptible de verser dans le complotisme, sans distinction d’âge, de sexe, de niveau de revenu ou d’opinions politiques.

Certains traits de personnalité – une tendance à la paranoïa, à la pensée binaire ou à la méfiance – peuvent faire basculer dans le complotisme. Les circonstances de la vie peuvent également jouer. « On se tourne vers les théories du complot pour satisfaire des besoins psychologiques bien précis », ­estime Karen Douglas, professeure de psychologie sociale à l’Université du Kent, au Royaume-Uni. Ses travaux mettent en évidence trois types de ­besoins susceptibles d’être comblés par le complotisme.

Le premier est le besoin de connaissance et de certitude, « un besoin épistémique », m’explique-t-elle. « Vous cherchez des ­réponses. Vous voulez comprendre ce qui se passe, et une théorie du complot vous permet d’acquérir ces connaissances et de ne pas rester dans l’incertitude. »

Le deuxième est existentiel : c’est ce besoin humain de se sentir en sécurité et maître de la situation. Les théories du complot offrent une sorte de savoir, bien que limité, et savoir, c’est pouvoir. Quand on adhère à une théorie du complot, ­observe Douglas, « on comprend les tenants et les aboutissants de la situa­tion dans laquelle on se trouve ». En 2008, Jennifer Whitson et Adam Galinsky ont mené une ­série d’expériences à petite échelle sur des étudiants. Les résultats montrent que les participants à qui on avait demandé de se remémorer une situation où ils sentaient qu’ils n’avaient pas prise sur les événements avaient plus tendance à discerner des « configurations illusoires » – c’est-à-dire à trouver de la cohérence et du sens au hasard, à voir des formes là où il n’y a que des points épars, à établir des liens entre des phénomènes sans rapport, à se créer des superstitions, à croire à des complots. Quelques années plus tard, en 2013, une étude polonaise menée auprès de 200 étudiants a montré que, lorsqu’ils se sentaient très anxieux – avant un examen, par exemple –, ils avaient davantage tendance à adhérer à des propos complotistes fondés sur des préjugés racistes sur les juifs, les Allemands et les Arabes.

Le troisième besoin relevé par ­Douglas est d’ordre social. « Penser qu’on détient des connaissances que les autres n’ont pas peut induire un sentiment de supériorité », note-t-elle. C’est la raison pour laquelle les théories du complot sont le plus souvent organisées selon un principe d’opposition entre initiés et non-initiés : elles sont un moyen commode de rejeter sur les autres les maux de la planète et ont, en outre, l’avantage de donner au complotiste le sentiment d’être ­intelligent.

Ces trois besoins conjugués – épistémique, existentiel et social – constituent le terreau idéal du complotisme. Et ils décrivent accessoirement ce qu’est l’adolescence. « Les adolescents sont particulièrement enclins » à voir des motifs là où il n’y en a pas, affirme Galinsky, « parce que tant de changements biologiques et sociaux se produisent chez eux simultanément qu’ils ont l’impression de moins maîtriser les choses ». Ils sont submergés de stimuli et prisonniers de leurs hormones. L’influence qu’avaient leurs parents sur leur vie, ils entreprennent labo­rieusement de la transférer vers leurs pairs. Ils sont obsé­dés par les ­hiérarchies sociales et terriblement conscients du gouffre existant entre la capa­cité d’action qu’ils voudraient avoir et celle qu’ils ont.

À 14 ans, j’étais suffisamment mûre pour avoir une idée de ce qu’est la vie d’adulte, mais je devais deman­der la permission à mes parents pour partir en sortie scolaire et glisser quelques pièces dans une cabine téléphonique pour qu’on vienne me chercher à la sortie du cinéma – où j’allais systématiquement voir des films déconseillés aux moins de 13 ans. Je ressentais des émotions intenses en permanence, mais je n’avais aucune prise sur elles. « Les théories du complot ­séduisent les perdants » 4, aime à dire le politologue Joseph Uscinski, de l’Université de ­Miami. C’est une façon pour les plus désarmés d’arracher quelque chose à ceux qui le sont moins. J’étais une adolescente blanche de la classe moyenne supérieure, qui vivait dans une ville universitaire verdoyante ; par rapport au reste du monde, j’étais plutôt bien lotie. Mais j’étais aussi une gamine de 14 ans. Ma situation objec­tive n’avait aucune importance ; tout ce que je ressentais était assez puissant pour éclipser le Soleil.

Je ne me souviens pas combien de temps j’ai cru dur comme fer aux Illuminati, ni pourquoi j’ai cessé d’y croire. Personne ne m’a fait asseoir, genre « conseil de famille », pour m’expliquer que je faisais erreur. (De toute façon, ça n’aurait probablement pas marché : les théories sur les Illuminati, comme tant d’autres, intègrent à leur mythologie l’idée que des forces obscures ont tout intérêt à nier l’existence dudit complot et qu’il faut donc se méfier des sceptiques.) Au fil du temps, l’idée m’a simplement paru de moins en moins crédible. Tout comme le fait que personne n’ait été au courant, à part ce fameux prof. Ma ­période ­Illuminati s’est achevée un peu comme ma période Spice Girls quelques années plus tôt : une obsession autour de laquelle toute ma vie tournait s’est progressivement évanouie, sans que je m’en rende compte.

Mais je n’ai pas complètement laissé tomber les Illuminati lorsque mes idées se sont éclaircies. J’ai transformé ça en sketch. Je suis partie faire mes études sur la côte Est, et je me suis retrouvée entourée de gens qui lisaient Slavoj Žižek pour le plaisir et qui, à 19 ans, ne juraient que par tel ou tel fromage à pâte molle. Je me sentais peu sûre de moi, j’avais le mal du pays et j’étais terriblement malheureuse ; pratiquer un complotisme tiède était ma façon de me rendre intéressante aux yeux d’un groupe d’étudiants qui étaient à tous égards semblables à moi mais qui m’intimidaient au point de me paralyser. C’était une façon d’afficher mon identité californienne, un peu comme ces jeunes de Floride qui mettent un point d’honneur à se balader en short toute l’année, une tentative maladroite de me montrer plus marrante que les autres, à défaut d’être aussi intelligente ou aussi calée qu’eux.

À cette époque-là, Reddit, YouTube et Facebook existaient déjà. La succession de pages statiques et pas très engageantes qu’avait été Internet était devenue un dédale où l’on pouvait se perdre. C’était facile – et même franchement excitant – de passer une heure, ou deux, ou six, rivée à un écran d’ordinateur, à naviguer d’une page à une autre sur les forums de discussion, qui existaient désormais sur tous les sujets possibles et imaginables. Je passais des heures sur des forums où l’on discutait des prétendues incohérences du rapport d’enquête sur les attentats du ­11-Septembre ou d’une race de reptiles humanoïdes qui gouvernait la planète de façon occulte.

À ce stade, le complotisme n’avait pas encore fait de victimes. Ces théories me semblaient être un divertissement inoffensif, et elles participaient de l’identité que j’étais en train de me forger. Lorsque j’organisais des projections du documentaire Loose Change 5 dans les résidences universitaires ou que je débitais, dans les soirées, des inepties glanées sur les forums de discussion, j’avais moins le sentiment d’évangéliser mes camarades que de leur raconter une histoire de fantômes autour d’un feu de camp, appréciant d’avoir tous les regards braqués sur moi. Le complotisme était mon numéro de cirque, ma façon de jouer les trublions.

Ces théories étaient ­aussi séduisantes qu’elles étaient fausses et, de fait, c’est même parce qu’elles étaient fausses qu’elles étaient séduisantes. Elles permettaient d’attirer l’attention : j’ai pu constater comment elles tenaient l’auditoire en haleine et j’ai adoré me sentir détentrice d’un tel pouvoir.

J'étais idiote, bien sûr. Et même pas très originale, visiblement. « Les théories du complot peuvent avoir des conséquences, mais, le plus souvent, c’est le fait d’un ado dans sa chambre. Genre quelqu’un qui balance des trucs absurdes sur Reddit ou 4chan juste pour rigoler ou faire réagir », estime Brotherton. « C’est tentant de simplifier en disant que 4 % des Américains pensent que les États-Unis sont dirigés par des reptiles humanoïdes, poursuit le psychologue. Mais le pensent-ils vraiment ? N’y a-t-il pas parmi eux des gens qui disent cela pour se moquer des sondeurs, parce que cela les fait marrer ou qu’ils pensent que les politiques sont tous pourris ? Il y a une foule de raisons pour lesquelles les gens relaient des théories du complot, mais ils ne les prennent pas forcément au pied de la lettre. Cela peut être tout bonnement une manière d’exprimer sa vision du monde. »

Avec la théorie selon laquelle Barack Obama n’est pas né aux États-Unis et était donc inéligible, il ne s’agissait pas tant d’examiner le fond de l’affaire que de signifier qu’un Noir n’avait pas sa place à la Maison-Blanche. Et, derrière toutes ses discussions sur la température de fusion de l’acier, le Mouvement pour la vérité sur le 11-Septembre exprimait en réalité sa méfiance à l’égard du gouvernement. L’idée que les tueries de masse sont des mises en scène qui font intervenir des acteurs recrutés pour l’occasion est une façon alambiquée de ­défendre la possession d’armes à feu et de s’en prendre aux médias, jugés tendancieux. C’est pourquoi il importe peu que bon nombre de ces théories, dont celle des Illuminati, ne résistent pas à l’examen : c’est une certaine vision du monde qui en dicte les détails et non l’inverse.

À la fin de mon adolescence, les Illuminati étaient devenus, à mes yeux, une allégorie de la façon dont le pouvoir et la richesse sont répartis dans le monde. Je n’y croyais plus au sens littéral, mais je continuais à y croire au sens métaphorique : des gens riches et influents agissent de concert et en toute discrétion pour infléchir l’existence du reste du monde. Je regrette sincèrement d’avoir répété des choses que je savais fausses, mais je ne regrette pas d’avoir eu une obsession qui a déclenché une réflexion approfondie sur les inégalités systémiques. Pourquoi le regretterais-je ? J’avais raison ! Il serait naïf de penser que le pouvoir agit toujours en toute transparence, de façon honnête et désintéressée. Même des théories du complot manifestement fausses contiennent parfois une part de vérité. Et il arrive que ce qui ressemble de prime abord à une affabulation soit vrai.

« Certaines théories du complot sont avérées, même si elles peuvent sembler abracadabrantes, suspectes ou déli­rantes. Il y a des précédents », observe ­Brotherton. Dans le lycée où l’on m’a parlé des ­Illuminati, on m’a aussi parlé du Watergate, d’autres affaires d’espionnage ou projets secrets du gouvernement américain. J’ai fait mon mémoire de fin de premier cycle universitaire sur Cointelpro, un programme secret de contre-­espionnage ciblant les mouvements radicaux et révolutionnaires, dont le FBI a reconnu l’existence après coup. De nombreux phénomènes politiques actuels – argent sale, charcutage électoral, ignorance ou malveillance des dirigeants –, que l’on prenait autrefois pour de sombres conspirations, sont à présent des faits avérés.

« Si nous pouvions simplement empêcher les gens de croire aux théories du complot, nous nous priverions de quelque chose d’important », estime Bortherton. Vouloir questionner le pouvoir, comprendre les causes de la souffrance, lever le voile sur l’exploitation et la supercherie : rien de tout cela n’est foncièrement mauvais. C’est même compréhensible, dans un contexte où le pouvoir est opaque et souvent insensible, où la richesse et l’influence convergent comme jamais et où l’environnement de l’information est éclaté. Bien que leur rapport à la vérité soit très différent, la pensée complotiste et la pensée critique sont deux points d’un même continuum.

L'un de mes penseurs préférés sur la question est Joseph Uscinski, le politologue qui a proposé l’idée que les théories du complot séduisent les perdants. « On peut considérer les adeptes des théories du complot comme des empêcheurs de tourner en rond, des chiens de garde, des lanceurs d’alerte, écrit-il dans un article de 2017. Mais ils s’apparentent surtout à des avocats de la défense dans un combat où l’establishment représente le ministère public. »

Au pire, les théories du complot favorisent la paranoïa, le racisme, la violence et une vision du monde particulièrement cynique et individualiste. Au mieux, elles rappellent à la fois à ceux qui ont du pouvoir et à ceux qui n’en ont pas que quelqu’un monte la garde. Elles incitent à plus de transparence, de communication et d’équité. Elles sont comme un détecteur de fumée extrêmement sensible : il se déclenche parfois sans raison, mais, quand il y en a une, on est bien contents d’avoir été alertés.

Un dimanche, j’ai téléphoné à mon ami Jake, qui était assis pas loin de moi lors de ce cours où j’ai entendu parler pour la première fois des Illuminati. Je voulais combler les lacunes de ma mémoire, mais ­aussi avoir son avis sur certaines questions qui me travaillent. Au cours des quinze ans qui se sont écoulés ­depuis, les enjeux du complotisme sont devenus considérables. Des personnes sont mortes. Des familles ont été brisées. De grandes institutions ont été menacées. Un complotiste a tué 77 personnes en Norvège, un jour de juillet 2011, dans le but d’alerter sur un supposé complot visant à islamiser l’Europe. Un autre a débar­qué armé d’un fusil d’assaut dans une petite pizzeria de Washington, persuadé qu’elle abritait un réseau de pédophilie. Un autre ­encore a été arrêté pour avoir harcelé les parents d’enfants morts dans la tuerie de l’école primaire de Sandy Hook, dans le Connecticut. Je voulais savoir si Jake était furieux qu’on nous ait parlé des Illuminati à l’école, et si j’avais des raisons de l’être encore plus. Fallait-il voir dans cet épisode une excentricité typique de Berkeley ou quelque chose de plus grave, de l’ordre de l’empoisonnement de jeunes esprits par une figure d’autorité ?

De l’avis de Jake, cela n’avait rien de grave, mais ce n’était pas non plus anodin. Jake est avocat mais, avant cela, il a enseigné dans un lycée public difficile, un peu comme celui où nous étions élèves. « Ce que je ne parviens pas à comprendre, dit-il, c’est que, quand j’étais prof, je manquais toujours de temps pour aborder les questions au programme avec mes élèves. En y repensant, je trouve ça fou d’avoir gâché ne serait-ce qu’une heure de cours pour parler de ces trucs. »

Il est tentant et fréquent de considérer le complotisme comme un problème d’information ou de réflexion, un mal dont sont affligés ceux qui ne sont pas très bien renseignés. Mais, si c’était le cas, nous l’aurions éradiqué depuis belle lurette. En outre, pour être un complotiste fervent, il faut une bonne dose de matière grise : collecter les indices et les mettre en récit, même de façon erronée, « demande un grand effort mental », soulignent Whitson et Galinsky dans leur article.

Le drame du complotisme, ce n’est pas tant l’absence de réflexion que le mauvais usage qu’on en fait. C’est une heure de cours gâchée alors que le temps passé en classe est limité. Je suis contente d’avoir commencé à élaborer une réflexion critique sur le pouvoir et la richesse relativement jeune, mais j’aurais préféré emprunter un chemin moins tortueux.

Quand je pense à ma jeunesse conspirationniste, c’est un sentiment de gâchis qui m’étreint : toutes ces minutes où l’on m’a parlé des Illuminati alors qu’on ­aurait pu m’apprendre autre chose, toutes ces heures passées à parler de kérosène et de poutres en acier quand j’aurais pu m’informer sur quelque chose de tout aussi intéressant mais de réel. Tous ces gens, partout dans le monde, qui passent leur temps à établir des liens entre les événements et à leur chercher un schéma explicatif alors qu’il n’y en a pas. Tout ce brouhaha, tous ces dédales sans fin, tous ces questionnements dévoyés. Toute cette imagination pour rien.

En 1971, l’informaticien et futur Prix Nobel d’économie Herbert Simon a ­publié un article intitulé « Concevoir des organisations pour une société d’abondance informationnelle »6. Sa réflexion est visionnaire, et pas seulement parce que notre monde est devenu incroyablement plus riche en informations au cours des cinquante dernières années.

L’article de Simon est bien antérieur aux forums de discussion et au fil ­infini de Twitter, mais il met déjà le doigt sur un phénomène bien connu de quiconque a passé du temps sur ce genre de réseaux pour y trouver des réponses. « L’abondance d’information, explique-t-il, s’accompagne d’un déficit d’autre chose, d’une pénurie de ce que l’information consomme. » L’information « consomme l’attention de ses destinataires. En conséquence, une abondance d’information crée une pénurie d’attention, ainsi que le besoin de répartir au mieux cette ­attention dans la surabondance de sources d’information susceptibles de la consommer ».

L’attention est la grande ressource ­limitée de notre économie intellectuelle. Il ne faut pas la gaspiller. Or le complotisme, comme je l’ai appris adolescente, est un monstre dévoreur d’attention.

— Ellen Cushing est responsable des projets spéciaux au magazine américain The Atlantic.


— Cet article est paru dans The Atlantic le 13 mai 2020. Il a été traduit par Pauline Toulet.

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Dans une société qui valorise l’hyperacti­vité et glorifie la performance à tout prix, la paresse mérite-t-elle qu’on l’accuse d’être la « mère de tous les vices » ? Professeur de sémiotique à l’Université de Palerme, Gianfranco Marrone publie un petit ouvrage où il propose de voir dans ce défaut, consi­déré comme un des sept péchés capitaux, une fille légitime de la liberté, voire un droit de l’homme fondamental.

« À travers une reconstruction détaillée du concept de paresse, de ses constantes et de ses variations culturelles, à partir d’extraits littéraires et philosophiques, d’histoires, de mythes, de proverbes et de traditions, Marrone nous offre un très savoureux essai qui montre la difficulté d’être une cigale dans un monde qui change et exige de nous un activisme hypocritement euphorique », écrit Rossana Sisti dans le quotidien Avvenire.

Car la paresse n’est pas analysée, ici, en tant que simple trait de caractère individuel mais comme une forme de résistance collective à un système de valeurs qui rejette l’inactivité. Le paresseux, explique Marrone, « fait tout pour ne rien faire, et surtout ne pas faire ce que les autres attendent de lui, reniant son être social : voilà pourquoi il est stigmatisé ».

Longtemps considérée comme une vertu – dans l’Antiquité, s’opposant au négoce, l’otium permettait de se cultiver et d’élever son âme –, l’oisiveté change de statut au cours du XVIIIsiècle, au moment où la bourgeoisie de la révolution industrielle naissante se met à critiquer l’inactivité des ­aristocrates.

L’éthique calviniste ayant érigé le travail en devoir puis en droit, la paresse devient un ressort narratif fécond, que Marrone analyse à travers le pamphlet de Paul Lafargue sur le « droit à la paresse », les écrits de Barthes, les personnages d’Oblomov et de Bartleby. Il convoque même Donald, le canard malchanceux de Disney, en qui il voit un « pares­seux rebelle et révolutionnaire qui déteste les valeurs de l’American way of life et dont les aventures ne sont qu’une parenthèse désastreuse et fatigante entre deux siestes », souligne l’auteur dans un entre­tien accordé au quotidien ­Gazzetta del Mezzogiorno. Pour résumer, s’amuse ­Matteo Sacchi dans Il Giornale, « la plus grande qualité de la ­paresse est d’être une forme de pensée divergente et créative. Et chaque canapé est une tranchée que chacun de nous doit défendre. Jusqu’au bout. »

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Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le philosophe allemand Karl Jaspers publia un petit livre, Origine et sens de l’histoire. Il reprenait, en la modifiant, une idée formulée pour la première fois à la fin du XVIIIe siècle par un orientaliste français : les grands courants de pensée et les grandes religions qui continuent d’irriguer le monde actuel ont pris naissance plus ou moins simultanément quelques siècles avant notre ère.

Jaspers parle d’une « période axiale », qu’il situe de 800 à 200 avant notre ère. C’est en ­effet à cette époque que vécu­rent Confucius, Bouddha, les prophètes ­d’Israël, Socrate et Platon. ­Jaspers y ajoute Zara­thoustra, dont nous savons aujourd’hui qu’il était anté­rieur. « Pour la première fois, il y eut des philosophes », écrit-il. C’est l’apparition de « l’homme tel que nous le connaissons aujourd’hui ».

Cette idée a rencontré un franc succès et continue de faire l’objet de travaux et d’analyses. Elle a donné naissance aux thèses les plus diverses concernant la réalité de cette « période axiale», les moyens de la définir, sa durée, son extension géographique et ses causes. La dernière entreprise en date repose sur l’exploitation du big data.

Le projet Seshat, lancé en 2011, consiste à mettre dans une grande base de données historique tous les éléments jugés susceptibles d’éclairer le débat dans pas moins de 450 sociétés du monde entier, dont certaines remontent à 4000 avant notre ère. Les résultats, présentés dans un ouvrage de 500 pages, font littéralement exploser le sujet.

« Impossible d’identifier une période axiale qui soit circonscrite aux cinq sociétés » désignées par Jaspers, dit à la revue Nature l’anthropologue Jenny Reddish, qui a codirigé l’ouvrage. Pourquoi l’Égypte serait-elle exclue de la période axiale ? Vers 1200 avant notre ère, elle s’est engagée dans une révision profonde de sa reli­gion, désormais centrée sur ce qu’on appelle « l’ère de la piété personnelle », observe l’historien Joe Manning, qui a contribué à l’ouvrage. Et les Hittites ont instauré un droit à caractère universel au second millénaire.

D’autre part, Jaspers s’émerveillait de ce que ces cinq « îles de lumière », selon son expression, avaient émergé simultanément mais aussi indépendamment les unes des autres. Or il semble établi qu’il y avait des échanges culturels intenses entre ces socié­tés, soutient Daniel Hoyer, qui a piloté le projet Seshat : « La tradition rabbinique et même les écrits de Platon ne sont guère concevables sans l’apport des idéaux moraux du zoroastrisme et de l’Égypte ainsi que du légalisme des Hittites. »

« Le désaccord porte moins sur l’époque et sur les lieux que sur les causes », estime de son côté le philosophe français Nicolas Baumard. Lui se concentre sur une période encore plus courte que Jaspers – en gros de 500 à 300 avant notre ère –, qui a vu l’émergence quasi simultanée de traditions religieuses à ses yeux très comparables dans trois ­régions du monde : les vallées du Yangzi et du fleuve Jaune, la Médi­terranée orientale et la vallée du Gange. Il y voit le produit de sociétés devenues suffisamment riches pour s’affranchir de la lutte pour le pain quotidien et passer à des considérations à plus long terme, fondées sur « l’idée que l’existence humaine a un but autre que la réussite matérielle », justifiant la recherche d’une morale universelle. Pour ce qui des causes de cette émergence, plusieurs théories s’affrontent : l’avènement de l’écriture, de sociétés beaucoup plus complexes, voire une innovation fondatrice, comme la monnaie ou la cavalerie d’archers. C’est dire que le mystère demeure. Le big data aidera-t-il à le percer ? Peut-être faudrait-il se concentrer sur un aspect de la thèse de Jaspers qui semble être passée au second plan : le sujet serait moins l’évolution des religions et des idéologies collectives que l’apparition soudaine de très grands penseurs, d’une envergure telle que le monde actuel, malgré l’explosion démographique et le progrès technique et matériel de nos sociétés, n’en produit plus. 

[post_title] => Y a-t-il eu un « âge axial » ? [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => y-a-t-il-eu-un-%e2%80%89age-axial%e2%80%89%e2%80%89 [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2020-08-24 15:47:19 [post_modified_gmt] => 2020-08-24 15:47:19 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=92769 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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Pour une romancière à succès, Dolores Reyes présente un profil atypique. Mère célibataire de sept enfants, cette quadragénaire a été enseignante et occupe à présent un poste administratif dans une école primaire de Pablo Podestá, une petite commune de la banlieue de Buenos Aires. Tout en travaillant et en élevant ses enfants, cette passionnée de tragédie grecque – et qui, confie-t-elle au quotidien argen­tin Clarín, a « toujours aimé viscéralement la littérature » – a réussi à dégager quelques heures, de-ci de-là, pour fréquenter un atelier d’écriture. Avec profit : son premier roman, Mangeterre, publié en septembre 2019, a fait mouche. Dolores Reyes, qui se dit « prolétaire de banlieue » dans un entretien accordé au journal alternatif espagnol El Salto, a été portée aux nues par la critique. Son roman en est déjà à sa 6e édition en Argentine, et des traductions sont en préparation dans une dizaine de pays.

Dolores Reyes aborde en effet un sujet d’une actualité brûlante : les féminicides, un mal qu’elle qualifie d’« endémique » en Argentine. L’écriture du livre a coïncidé avec l’essor du mouvement Ni Una Menos (« Pas une de moins »), né à Buenos Aires en 2015 pour dénoncer les crimes sexistes. En 2017, ce réseau féministe avait déjà pris l’initiative de publier une anthologie de textes sur les meurtres de femmes pour « se réapproprier l’imagination et changer l’histoire » 1. Reyes ne figurait pas parmi les auteurs du recueil, mais son roman « implicitement politique », selon le magazine espagnol El Cultural, offre aujourd’hui à cette mobilisation un puissant relais littéraire.

« Dès les premières lignes, Mangeterre plonge le lecteur dans un univers sombre, fascinant, qui nous frappe parce qu’il résonne avec l’époque actuelle », apprécie Ivana Romero dans le quotidien argentin Página 12.
L’héroïne, adolescente, vit avec son frère Walter dans un quartier de la périphérie de Buenos Aires. Leur père est aux abonnés absents, leur mère est morte. Au décès de celle-ci, la fillette, alors âgée de 6 ans, a découvert au cimetière qu’elle possédait un pouvoir surnaturel. Ayant mangé un peu de la terre qui avait été au contact du corps, elle a vu ce qui était arrivé à sa mère : elle a été battue à mort par son père.

Très vite, le secret de l’enfant extralucide s’ébruite ; dans le voisinage, on la surnomme Come­tierra (« Mange­terre »). Devant sa porte viennent s’amonceler des bouteilles contenant un peu de terre et un numéro de téléphone, déposées là par des personnes qui cherchent désespérément à comprendre ce qui est arrivé à leur mère ou à leur fille. Parce que les disparus sont presque toujours des femmes battues ou violées puis assassinées.

Dolores Reyes a dédié son roman à Melina ­Romero et Araceli Ramos, des adolescentes de Pablo Podestá, assassinées toutes les deux. Melina et Araceli auraient pu fréquenter l’école où travaille la romancière, elles sont d’ailleurs « enterrées à 150 mètres de là », indique-t-elle dans El Salto.
Mais attention à ne pas voir dans Mangeterre un roman des marges, prévient-elle : « Là où se déroule l’histoire, 55 % des jeunes vivent sous le seuil de pauvreté, ce n’est pas une marge. » Empathique, sensible à la « langue » des jeunes et à la « colère des garçons », à l’environnement « très hostile » dans lequel ils évoluent, « Reyes connaît le monde dans lequel vivent les jeunes de son quartier, leurs peurs et leurs rêves : dans son livre, ce sont eux, ces ados au sang chaud, qui portent l’intrigue », note Paula Conde dans le quotidien Clarín.

Plus encore que les violences faites aux femmes, la romancière condamne la complaisance et l’inertie des autorités. « Comme dans bon nombre de romans policiers argentins, ce ne sont pas des policiers, des détectives ou des juges qui élucident les affaires mais d’autres personnages, une voyante dans ce cas », relève Mar Centenera, correspondante du quotidien espagnol El País à Buenos Aires.

[post_title] => Disparues de Buenos Aires [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => disparues-buenos-aires-2 [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2020-08-19 14:38:31 [post_modified_gmt] => 2020-08-19 14:38:31 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=91944 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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Helmut Förster est médecin-­chef à la retraite et ­diplômé de latin. Il a suivi des cours d’histoire romaine à l’université tous âges et lu les textes de Tacite et de Florus en version originale. Par une journée pluvieuse de février, il rentre chez lui, à Essen, en Rhénanie-­du-Nord-Westphalie, monte son escalier d’un pas leste, ouvre la porte de sa « salle d’étude » et s’assied sur un siège de bureau pivotant au milieu de piles de livres d’où dépassent des Post-it jaunes.

Cela fait des années que cet homme de 78 ans se consacre, dans cette pièce sous les toits, à l’une des plus grandes énigmes de la recherche historique : la légendaire bataille de Teutobourg. Förster a publié un livre et donné plusieurs conférences sur le sujet. Il fait sans doute partie des historiens amateurs les plus actifs d’Alle­magne et ne recule jamais devant une discussion avec un autre chercheur, professionnel ou pas, pour peu qu’il s’intéresse au fameux événement de l’an 9 de notre ère.

Lors de cette bataille, qui aurait été livrée sous une pluie torrentielle, le Germain Arminius et ses partisans auraient massacré environ 15 000 légionnaires du gouverneur romain Publius Quinctilius Varus. Arminius, qui, selon les sources romaines, appartenait au peuple des Chérusques, est considéré par certains comme un libérateur de la nation germanique. Selon les termes de Förster, il aurait infligé aux Romains « une sorte de Stalingrad antique ».

Il n’y a aucune raison de douter du fait que cette cuisante défaite de l’Empire ­romain ait eu lieu sur le territoire de l’actuelle Allemagne. Mais où exactement ? La question déchaîne depuis longtemps les passions et donne lieu à une bataille à propos de la bataille.

Certains historiens présument que les combats se sont déroulés près de Detmold, en Rhénanie-du-Nord-­Westphalie, là où un gigantesque mémorial en l’honneur d’Arminius a été érigé au XIXe siècle. D’autres penchent plutôt pour la forêt d’Arnsberg, dans la même région, ou bien pour une zone près de Halberstadt, en Saxe-Anhalt, ou ­encore pour les rives de la Diemel, en Hesse. On dénombre pas moins de 700 théories, dont celle de Helmut Förster. Lui plaide pour l’arrondissement de Lippe, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, mais sa démonstration s’appuie, elle aussi, sur des hypothèses contestables.

Or voici qu’une jeune chimiste allemande pourrait aider à percer ce vieux mystère. Elle s’appelle Annika Diekmann, elle a 29 ans, et elle pourrait être à l’origine de l’une des plus grandes découvertes de la science historique contemporaine. Dans le cadre d’un projet de recherche financé par la fondation Volkswagen, elle analyse des centaines d’échantillons de métal prélevés sur des boucles de ceinture, des pendentifs et autres artefacts romains mis au jour. Elle crée ainsi une « empreinte métallurgique » qui permet d’attribuer les objets découverts à telle ou telle légion romaine – et donc de déterminer laquelle a pris part à tel ou tel combat.

La plupart des échantillons que prélève actuellement Diekmann proviennent de Kalkriese, une localité près d’Osnabrück, en Basse-Saxe, qui abrite un « musée de la bataille de Varus ». Au XIXe siècle, ­Kalkriese était déjà évoqué comme un lieu possible de la bataille, mais ce n’est qu’à partir de 1987 que des ­milliers d’ossements et d’objets y ont été mis au jour, qui laissaient penser à un affrontement armé. Depuis, le secteur est considéré comme le candidat le plus sérieux, à un petit problème près : aucun des vestiges trouvés sur place ne peut être clairement assigné aux légions de Varus. Plusieurs spécialistes sont convaincus qu’ils sont ceux d’autres troupes ­romaines, celles du général Germanicus en l’occurrence, qui parcourut, lui aussi, la région ­d’Osnabrück six ans plus tard.

Diekmann, qui est rattachée au ­Musée allemand de la mine, à Bochum, sera bientôt en mesure d’attribuer les échantillons de Kalkriese à l’un ou l’autre des chefs militaires – et d’établir ainsi de manière probante si le site a bel et bien été le théâtre de la légendaire bataille de Teutobourg. Afin de nous expliquer la méthode de pointe qu’elle utilise, la chercheuse ouvre une porte blindée et enfile une blouse antistatique. Puis elle pénètre dans une salle blanche à l’éclairage jaune vif, dont l’air est filtré en permanence. Dans une vitrine sont entreposés des récipients dans lesquels les échantillons de ­Kalkriese se désintègrent dans une solution d’acide chlorhydrique, d’acide nitrique et d’eau. Diekmann introduit ensuite le liquide dans un spectromètre de masse, qui affiche la composition exacte des restes du champ de bataille sur un écran d’ordinateur.

Les données qu’Annika Diekmann ­recueille en analysant les échantillons de Kalkriese ne sont guère significatives en elles-mêmes. Elles n’ont de valeur que si on les compare à celles d’échantillons provenant de Xanten, de Haltern ou bien d’autres camps romains ­– qui peuvent être rattachés aux légions de Varus ou à celles de Germanicus sur la base de sources écrites. Son travail sur l’empreinte métallurgique repose sur le fait que la présence et la concentration d’oligo­éléments tels que le bismuth, l’arsenic ou l’antimoine dépendent de l’origine du métal et de la façon dont il a été travaillé. Les échantillons d’épées venant d’Italie n’ont pas la même composition que ceux qui viennent de la Gaule occupée par les Romains.

Quand bien même les légions de ­Varus et de Germanicus se seraient procuré leurs armes auprès des mêmes sites de production, le spectromètre de masse pourrait mettre en lumière d’autres différences. Chaque légion avait son propre forgeron, qui disposait de chutes de ­métaux d’origines diverses. Il en fondait pendant les déplacements et les séjours dans les camps, par exemple pour réparer les casques ou d’autres accessoires. Du fait de ce recyclage, l’empreinte métallurgique de chaque légion se modifiait et se différenciait nécessairement peu à peu de celle des autres.

Diekmann espère pouvoir présenter de premiers résultats d’ici la fin de l’année. « Nous pouvons faire date grâce à la chimie », assure-t-elle. Elle est bien consciente que son travail rend nerveux beaucoup d’historiens et de chercheurs amateurs. Récemment, elle a pris le temps de recevoir Förster, qui voulait vérifier sur place, par lui-même, que la technique d’analyse était la bonne. Pour cet opposant farouche à l’hypothèse Kalkriese, ce serait un « triomphe » si les vestiges pouvaient être attribués non pas aux légions de Varus mais à celles de Germanicus. Pour la région, en revanche, ce serait la douche froide.

Direction le nord, par l’autoroute A1. À Bramsche, non loin d’Osnabrück, un panneau sur le bord de la route indique le musée de Kalkriese. Il est orné d’un masque facial de cavalerie romaine, qui a été mis au jour en 1990 non loin du futur musée, une découverte qui compte parmi les plus importantes de l’histoire de ­l’archéologie allemande. Sous le masque, un seul mot : Varusschlacht [bataille de Varus]. Le musée aurait-il autant de succès s’il portait un nom moins évocateur, « musée romain », par exemple, ou « site de la bataille de Kalkriese » ? Pourquoi l’institution a-t-elle pris le risque d’engager ces recherches sur l’empreinte ­métallurgique ? La réponse de la directrice, Heidrun Derks, est claire : « Nous ne sommes pas un poste de missionnaires mais une institution de recherche. Ce serait contraire à l’esprit scientifique d’interrompre la recherche de la vérité. »

De fait, l’équipe archéologique de ­Kalkriese n’a cessé de mener des fouilles ces dernières années. Elle a constaté des décolorations de la terre qui plaident en faveur d’un système de remparts et laissent penser qu’un camp ­romain y était établi. Cette décou­verte vient contredire la ­légende selon laquelle les ­légions de ­Varus étaient en transit lorsque les hordes sauvages d’Arminius les ont attirées dans une embuscade.

Toute la façon dont a été reçue cette histoire est « plus que problématique », estime Stefan Burmeister. Le conservateur du musée attend avec impatience les résultats des recherches de ­Diekmann et ne voit aucun inconvénient à ce qu’elles remettent en question ce que le grand public croit savoir de la bataille de Teutobourg. Le culte d’Arminius, qui est célébré comme un héros depuis le XVIIIe siècle, lui importe peu. Un tableau de Paul Thumann, accroché derrière l’archéologue au mur de la salle de conférences, est un bon exemple de ce culte. Il représente Arminius paradant après sa victoire sur un destrier blanc, au milieu d’une foule qui l’acclame et dans laquelle on distingue trois grâces langoureuses dont les robes dévoilent une épaule.

Arminius fut-il une sorte de David germanique qui, à 25 ans seulement, se lança dans un combat intrépide contre le Goliath romain, quel qu’en fût le prix ? Un chef qui, de façon entièrement désintéressée, arracha son peuple à l’emprise du méchant occupant ? « C’est possible, juge Burmeister, mais peut-être était-il aussi tout simplement avide de pouvoir. » Dans tous les cas, il est « inquié­tant » de constater à quel point Armi­nius n’a cessé d’être instrumentalisé, en particulier par les nationalistes, qui voyaient en lui un héros allemand.

Ce que le public croit savoir d’Arminius provient des écrits d’historiens romains comme Florus et Tacite. À les en croire, il était issu d’une puissante famille chérusque, initialement alliée à l’occupant romain. La coopération alla si loin que le jeune homme combattit plusieurs années dans l’armée romaine et put ainsi se faire une idée précise de ses faiblesses. Lorsqu’il se souvint ensuite, pour une raison quelconque, de ses racines germaniques, il avait donc de bonnes chances de pouvoir mettre fin à l’occupation.

Il est permis de douter que l’histoire se soit déroulée de la sorte, et on ne peut exclure qu’Arminius soit un personnage ­inventé. Les Romains avaient peut-être besoin, pour rendre leur honte supportable, de la figure d’un homme formé au sein de leurs légions et qui, de ce fait, est devenu un héros intrépide. Aucune preuve archéologique n’atteste l’existence d’Arminius. En revanche, il est incontestable que, à Kalkriese, les soldats romains affrontèrent des guerriers germains. Plus de 7 000 objets en témoignent, dont 2 000 pièces de monnaie romaines, qui ont toutes été frappées avant l’an 9. Cela cadre très bien avec la thèse selon laquelle ce sont les hommes de Varus qui ont trouvé la mort ici.

Les preuves matérielles sont donc nombreuses, mais le fait que le musée se soit arrogé le nom de la bataille de Varus a suscité une controverse sans fin. Un chercheur amateur, qui situe la ­bataille ailleurs, a même porté l’affaire devant la justice : il estimait que le nom du musée, qui a ouvert en 2002, était abusif et invo­quait une fraude aux subventions. Il a été ­débouté, mais les critiques ne se sont pas tues pour autant.

La directrice du musée s’étonne de « l’émotion que suscitent ces questions ». Quoi qu’il en soit, elle ne croit pas que les 70 000 visiteurs qu’accueille le musée chaque année soient uniquement attirés par le nom de la bataille. « Ce sont les pièces exceptionnelles, les résultats de la recherche et notre offre qui enthousiasment les visiteurs », se défend-elle.

Autour du musée, la zone que l’on ­suppose avoir été le site de la bataille fait 38 kilomètres carrés ; seule une ­infime partie a été fouillée à ce jour. « Nous avons devant nous un siècle de travail », estime pour sa part Joseph Rottman, l’administrateur du ­musée et du parc de Kalkriese. La ­région de Basse-Saxe s’est engagée à financer les fouilles jusqu’en 2029 au moins. Il est donc tout à fait possible que soient ­exhumés d’autres objets exceptionnels qui viendront enrichir la collection du musée.

L’historien amateur Helmut Förster ne compte pas non plus se reposer, car il y va de l’honneur de sa famille. Il veut rendre hommage à la mémoire de son arrière-grand-oncle, Paul Höfer, un préhistorien aujourd’hui tombé dans l’oubli et qui, dès la fin du XIXe siècle, avait étudié de près la question du lieu de la bataille de Teutobourg. Dans un livre qu’il écrivit sur le sujet, il s’en prenait même à l’un des historiens les plus renommés de son temps, Theodor Mommsen, qui reçut en 1902 le prix Nobel de littérature pour son Histoire romaine et contribua à localiser le site de la bataille à Kalkriese de façon décisive.

Paul Höfer eut beau faire, ses arguments contre Kalkriese et en faveur de l’arrondissement de Lippe ne s’imposèrent pas. Förster est convaincu que son arrière-grand-oncle en conçut une amertume grandissante et que le conflit avec Mommsen fut l’une des raisons pour lesquelles, le 8 octobre 1914, il se tira une balle dans la tête.

Avec ce suicide, la bataille de T­eutobourg faisait, près de deux mille ans plus tard, une victime de plus.

— Guido Kleinhubbert est journaliste à l’hebdomadaire allemand DerSpiegel.

— Cet article est paru dans Der Spiegel le 19 mars 2020. Il a été traduit par Baptiste Touverey.

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Mesure-t-on bien tout ce que le Paris de l’entre-deux-guerres doit aux lesbiennes anglophones ? D’être devenu non seulement la nouvelle Lesbos, « la capitale saphique du monde occidental », écrit Philip Hensher dans l’hebdomadaire britannique The ­Spectator, mais aussi (et surtout) la capitale de la culture occidentale et le laboratoire du modernisme. Mais pourquoi Paris et pourquoi Sapho ?

Parce que le cours du dollar et, pendant un temps, celui de la livre sterling permettent de vivre en France pour trois francs six sous, du moins jusqu’à la crise de 1929. Et surtout parce que la prohibition qui sévit alors aux États-Unis, en même temps qu’une vigoureuse censure des « mauvaises mœurs » et de leur expression littéraire, conduit artistes et esprits aventureux à fuir un pays « où l’on ne peut ni se procurer Ulysse, de James Joyce, ni boire un verre », écrit la biographe britannique Diana Souhami dans son livre.

Les lesbiennes, elles, fuient moins l’opprobre (voire la prison qui menace encore au Royaume-Uni leurs homologues masculins) que la pudibonderie protestante et un système patriar­cal haïssable, qui revendique un droit exclusif sur le corps fémi­nin.

L’invitation que Virginia Woolf avait adressée à Vita Sackville-West, « Largue ton homme et rejoins-moi », ­devient le mot d’ordre de ces exilées qui ne se contentent d’ailleurs pas de larguer leurs hommes (en général un père ou un mari abusif ou alcoolique) mais se créent ­aussi une nouvelle identité. Elles passent de l’anglais à un français plus ou moins ­maîtrisé, voire au grec pour pouvoir lire Sapho dans le texte et visi­ter la Lesbos originelle. Elles changent aussi volon­tiers de nom, l’écrivaine britannique Annie Wini­fred Ellerman devenant « Bryher », la peintre Hannah Gluckstein, « Gluck », la journaliste Janet Flanner, « Genêt »…

En jetant par-dessus bord leurs orthodoxies morales, religieuses, vestimentaires et surtout artistiques, certaines s’octroient la possibilité de laisser libre cours à leur créativité, tandis que d’autres – Bryher, ­Winnaretta Singer, Natalie Barney, Harriet Weaver – utilisent leurs moyens financiers parfois considérables pour aider créatrices et créateurs à faire émerger le moder­nisme dans l’art.

C’est ainsi que l’intrépide Sylvia Beach va non seulement diffuser la nouvelle littérature grâce à Shakespeare and Company, sa petite librairie du 12, rue de l’Odéon, mais aussi publier l’Ulysse de James Joyce, roman présumé si obscène qu’aucun éditeur anglo-­saxon n’ose y toucher. L’effort la ruinera finan­cièrement et physiquement, et Joyce la trahira dès qu’il aura l’occasion d’être publié par un « éditeur sérieux ». Mais, comme le souligne Peter Conrad dans The Guardian, « il n’y aurait peut-être pas eu de modernisme littéraire si Sylvia Beach n’avait pas publié Joyce ». « Du moins ­celui-ci aurait-il eu une tout autre allure », renchérit Philip Hensher.

Pour sa part, l’inébranlable Gertrude Stein se considère comme l’inventrice d’une nouvelle écriture de l’anglais, du « présent continu » et du « flux de conscience » – bref, de toute la littérature moderniste –, quoique sa célébrité doive sans doute moins à ses livres – volontiers qualifiés d’impénétrables – qu’à son rôle de mécène de Picasso, de Matisse, de Braque, et de sponsor d’Hemingway, de Sherwood Anderson, de Francis Scott ­Fitzgerald, de T. S. Eliot. Dans le champ du modernisme musical, Winnaretta Singer, princesse de Polignac, contribue à lancer Fauré, Satie, Poulenc, Stravinsky… Et le modernisme cinématographique doit beaucoup à Bryher.

« Le lesbianisme est bien plus qu’une orientation sexuelle »,  constate Peter Conrad. Mais, si toutes ces femmes allient créativité et courage artistique (et sûreté de goût), elles sont aussi animées du sentiment, comme le disait Hemingway à propos de Gertrude Stein et de ses amis, que les homosexuels sont des personnes forcément intéressantes et bourrées de talent. Ces dames sont en tout cas remarquables par ce qu’elles ont apporté à l’art mais aussi par leurs vies, qu’elles considèrent volontiers comme des œuvres d’art. Des vies très variées quoique invariablement marquées d’excentricités en tout genre, y compris vestimentaires (croisant en 1917 à Avignon Gertrude Stein et Alice Toklas, qui officient comme ambu­lancières en casque colonial et uniforme scout, Georges Braque se dit « gêné » d’être vu en leur compagnie).

Certaines sont de formidables débauchées, telle Natalie Barney, qui se vante d’avoir couché avec dix-huit femmes en une nuit et qui, à 80 ans, est encore capable de lever, sur un banc public de Nice, une jeunesse de 56 ans (une Suissesse mal ­mariée). D’autres sont formidablement « popote » – on pense au couple exemplaire Sylvia Beach-Adrienne Monnier (leurs deux librairies se faisaient face rue de l’Odéon) ou à celui de Bryher et de la poétesse imagiste ­Hilda Doolittle (H. D. de son nom de plume) et, surtout à la relation archiconventionnelle entre Gertrude Stein et Alice Toklas, la première pontifiant auprès des artistes tandis que la seconde s’occupait de leurs épouses, rappelle la critique Laura Freeman dans The Times.

Quelques-unes de ces expatriées sont la tempérance même, comme Sylvia Beach, ou le bon sens ménager incarné, comme Alice Toklas, auteure d’un livre de cuisine. D’autres sont toxicomanes, alcoo­liques, nymphomanes ou frôlent la folie, comme H. D., soignée par l’étrange médecin britannique Havelock Ellis – autoproclamé « spécialiste des invertis congénitaux » – jusqu’à ce que, son cas s’aggravant, Freud lui-même prenne le relais, grâce à Bryher.

Ces dames forment une société qui vit en vase clos, avec pour épicentre les célèbres « vendredis » qu’organise Natalie Barney. « Elles se connaissent toutes, se portraiturent les unes les autres, écrivent les unes sur les autres, couchent les unes avec les autres », résume Diana Souhami. Lorsque Natalie Barney fera ­visiter à ­Truman Capote, après guerre,  l’atelier abandonné de la peintre Romaine Brooks, encore rempli de portraits de ses amies, Truman Capote s’en souviendra comme de la « plus belle collection de gouines célèbres de tous les temps ».

Et leurs relations amoureuses, souvent compliquées, donnent naissance à un genre littéraire à base de récits drôles et souvent vengeurs. Les pseudonymes sont de rigueur, mais les lectrices voient sans problème au travers – comme lorsque, dans Almanach des Dames, qui se voulait un ­manuel à l’intention des « lesbiennes qui rejettent chiffons, enfants et mari », publié en 1928, Djuna Barnes rebaptise Élisabeth de Gramont, qui fut longtemps la compagne de Nata­lie Barney, « duchesse Clitoressa de Natescourt ».

C’est aussi bien souvent aux éditions Contact, fondées par l’écrivain américain Robert McAlmon – avec qui Bryher avait fait un premier mariage de convenance – qu’est publiée cette littérature produite et lue en circuit fermé.

Un circuit d’autant plus fermé que les liens avec l’Amérique sont passablement distendus, malgré les efforts de Genêt pour décrire la scène parisienne aux lecteurs de The New Yorker. Éditeurs et critiques américains couvrent de sarcasmes les dames de Paris et leurs expériences avec la langue anglaise.

Quant aux littérateurs français, c’est surtout Sylvia Beach qui est en symbiose avec eux. André Gide est le tout premier de ses abonnés (qu’elle appelle ses bunnies, ses lapins), et, lorsque Joyce contribue à la faillite de Shakespeare and Company, Paul Valéry, André Malraux et bien d’autres volent à sa rescousse.

En 1937, Sylvia reçoit même la Légion d’honneur, ce qui la console un peu de sa rupture avec Adrienne – celle-ci l’a quittée pour la photographe Gisèle Freund – mais ne l’empêche pas d’être internée en 1942 à cause de ses provocations littéraires et de la protection qu’elle procure aux intellectuels juifs. C’est Jacques Benoist-Méchin, un ­collaborateur haut placé qui a traduit des extraits d’Ulysse en français, qui la fera libérer. En revanche, la même Sylvia Beach écrit dans son autobiographie à propos de Gertrude Stein que les Français étaient pour ainsi dire exclus de sa cour et qu’elle n’en avait pratiquement jamais rencontré dans son salon du 27 de la rue de Fleurus. « Elle avait le sentiment, écrit Diana Sou­hami, que Gertrude regardait les Français sans les voir. » D’ailleurs, Gertrude elle-même ­disait apprécier Paris moins pour ce qu’il lui donnait que pour ce qu’il ne lui enlevait pas.

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« Notre interminable confinement nous flanque dans un tel état de basorexia que, dès notre libération, on notera plusieurs cas d’anthropophagie. »

D. P.

Basorexia est un néologisme anglais désignant une envie irrépressible d’embrasser quelqu’un. Certains y voient une pathologie, mais les psychiatres ne recensent que son inverse, la philémaphobie ou philématophobie – peur d’embrasser ou d’être embrassé.

Aidez-nous à trouver le prochain mot manquant:

Existe-t-il dans une langue un mot pour désigner le fait d’accompagner du regard une personne après lui avoir dit au revoir, jusqu’à ce qu’elle disparaisse de votre champ de vision ?

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