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Le réchauffement actuel est « sans précédent », répètent les scientifiques et d’autres. Mais qu’entend-on par là au juste ? Ce qui est sans précédent, c’est l’accroissement des gaz à effet de serre d’origine humaine et, peut-être, mais sans certitude, le rythme du réchauffement depuis les années 1970.
Quant au réchauffement lui-même, c’est une autre histoire. Il est bien établi que dans certaines régions du monde, au Moyen Âge, les températures étaient comparables et parfois supérieures à celles d’aujourd’hui. Il en allait de même lors de l’optimum romain, dont la fin contribua sans doute à la chute de l’empire (lire l’entretien avec l’historien Kyle Harper, Books no 95, mars 2019).

Et il faisait plus chaud qu’aujourd’hui dans les millénaires qui ont vu l’invention de l’agricul­ture : « Les débuts de l’holocène furent, pendant plus de 4 000 ans, la période la plus chaude que la Terre ait connue au cours des 100 000 années précédentes, plus chaude qu’elle ne l’a jamais été depuis », note John L. Brooke dans sa somme sur l’histoire de l’homme et du climat.
Si l’on remonte plus loin dans le temps, il est désormais établi qu’il a fait plus chaud qu’aujourd’hui durant au moins deux des périodes interglaciaires ayant précédé l’holocène. Lors de l’éémien, l’interglaciaire qui a commencé il y a environ 130 000 ans, les températures affichaient 2 à 4 °C de plus qu’aujourd’hui, le niveau de la mer était de 8 mètres plus élevé, il y avait des hippopotames au pays de Boris Johnson et, dans celui d’Angela Merkel, des macaques cohabitaient avec les néandertaliens.

La plus grande masse de glace sur Terre se trouve dans la partie est de l’Antarctique, et l’on croyait jusqu’à récemment que cette énorme calotte n’avait guère bougé au cours des centaines de milliers d’années qui ont précédé la dernière déglaciation, celle qui a donné naissance à l’holocène.

Or une étude publiée l’été dernier dans Nature montre que, il y a 400 000 ans, pendant l’interglaciaire MIS 11, un gros morceau de l’Antarctique oriental a fondu, la glace s’étant retirée de 700 kilomètres par rapport à sa position actuelle. Cette fonte a entraîné à elle seule une élévation du ­niveau de la mer de 3 à 4 mètres. À cette époque où les températures étaient plus élevées qu’aujourd’hui, Homo ­heidelbergensis maîtrisait déjà le feu depuis 400 000 ans (en Afrique), et notre cousin néandertalien avait fait son apparition en Europe.

Quand on observe les « sans précédent » qui émaillent textes et discours sur le réchauffement, il est amusant de constater la récurrence d’un autre tour de phrase : on aime dire « sans précédent depuis… ». Sur le site de l’Encyclopédie universalis, on lit ainsi « sans précédent depuis des décennies, voire des millénaires ». Et, dans le magazine en ligne Numerama, à propos de deux articles savants parus dans Nature et Nature Geoscience, « sans précédent depuis 2 000 ans ». So what ? dirait-on outre-Manche. Sur le site Éco-Bretons, le climatologue Jean Jouzel, coqueluche des médias et mentor d’Emmanuel Macron, après avoir énoncé le sacro-saint « sans précédent », déclare : « Il est extrêmement probable que l’influence de l’homme soit la cause principale du réchauffement observé depuis le milieu du xxe siècle. »

Mais ce dont témoignent ces différents épisodes, c’est que cela est loin d’être établi. Nous vivons dans un interglaciaire, et il n’est donc pas étonnant que nous connaissions des épisodes chauds. Le xxe siècle en a d’ailleurs connu dans les décennies 1920 et 1940, que la plupart des experts n’attribuent pas aux ­effets de la révolution industrielle. Masquée par la rhétorique dominante, une vraie question scientifique se pose : dans le réchauffement actuel, quelle est la part de la nature et quelle est celle de la culture ? 10 % d’un côté, 90 % de l’autre ? 50-50 ? 90-10 ? Pour l’instant, nous n’en savons rien. 

O. P.-V.

[post_title] => Sans précédent, le réchauffement ? [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => sans-precedent-le-rechauffement%e2%80%89 [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2021-05-07 13:11:54 [post_modified_gmt] => 2021-05-07 13:11:54 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=101554 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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La vie édifiante d’un dignitaire de l’Église catholique dans l’Angleterre de l’ère victorienne, sur fond d’affrontements doctrinaux et de manœuvres politiciennes : a priori pas de quoi s’enthousiasmer, encore moins s’esclaffer. Sauf si le texte sort de cette plume que ­Lytton Strachey trempe non pas dans l’eau bénite mais dans un acide des plus corrosifs. Impossible de lire (entre) ces lignes austères, pleines d’érudition théologique sournoisement ironique, de feinte admiration et d’hypocrite émotion, sans être secoué d’hilarité. Le philosophe Bertrand Russell en fit l'expérience : brièvement incarcéré pour pacifisme à la fin de la Première Guerre mondiale, il lisait cet ouvrage en riant à pleine gorge lorsqu’un gardien vint lui rappeler qu’il se trouvait dans un lieu de punition.

Lytton Strachey évoque l’effervescence qui s’empare de la scène religieuse britannique à la moitié du xixe siècle, alors que certaines très hautes figures du clergé anglican subissent l’attraction doctrinale et spirituelle du catholicisme. Rome peut alors faire quelques prises de choix, comme le théologien John Henry ­Newman et Henry Edward Manning, un jeune vicaire prometteur. L’ère victorienne n’est pourtant guère propice aux interrogations spirituelles, et la Grande-Bretagne a bien d’autres soucis : la révolution industrielle, l’Empire britannique, le darwinisme, les chemins de fer, les bonnes mœurs, etc. La religion anglicane n’est en réalité « qu’un commode et respectable accessoire » de l’existence, « qui inculqu[e] aux jeunes esprits un bon système moral ». « Comment se pouvait-il faire que ce rapiéçage fût devenu le réceptacle des augustes et souverains mystères de la foi chrétienne ? » fait mine de s’interroger l'auteur.

Strachey évoque ces péripéties à travers la figure de Henry Edward Manning (1808-1892), fils d’un riche marchand et député. Ses talents et son ambition le destinent aux meilleures études et à une brillante carrière politique. Hélas, Manning père fait faillite, et son rejeton doit se rabattre sur celle de clergyman. On le retrouve vicaire d’une petite paroisse du Sussex, marié (à la fille du recteur, son n+1), puis veuf. Un veuvage que Manning qualifie de « grâce spéciale de Dieu » : il se plonge en effet dans ses activités ecclésiastiques, et y fait merveille.

Mais voilà : Manning se laisse influencer par Newman et les réformateurs spirituels du Mouvement d’Oxford – des clercs, écrit Strachey, obsédés « par un idéal de sainteté et convaincus qu’il importait au plus haut point de ne pas trop manger », et dont « l’originalité remarquable était qu’ils prenaient la religion chrétienne au pied de la lettre ». Manning perd ses illusions sur l’Église d’Angleterre et ne se voit pas finir ses jours dans la peau de l’un de ces « corpulents théologiens [qui] souscrivent, avec un soupir ou un sourire, aux Trente-Neuf ­Articles 1 , chassent gaiement à courre le matin et le soir chopinent impunément leurs deux bouteilles ». Il finit lui aussi par se tourner vers Rome. Une décision soigneusement mûrie, comme en témoigne son journal intime, dans lequel il pèse minutieusement le pour et le contre.

Extrait :

« L’existence de Manning se prolongea jusqu’à une extrême vieillesse. À mesure qu’augmentait le nombre de ses années, son activité augmentait aussi. Meetings, missions, sermons, articles, interviews et lettres, telles étaient les multiples obligations dont il était assailli et s’acquittait avec un zèle acharné. Bien plus, avec l’âge il parut acquérir une sorte de nouvelle ferveur, une liberté d’esprit […] qui laissa la voie ouverte à des préoccupations qui ne l’avaient jamais traversé auparavant. “On dit que je suis ambitieux, note-t-il dans son journal, mais est-ce que je m’endors dans mon ambition ?” Non, certes, il ne s’endormait pas, mais désormais travaillait sans arrière-pensée pour la plus grande gloire de Dieu. […] La misère, l’alcoolisme, le vice, toutes les horreurs et turpitudes de la civilisation s’emparèrent de son esprit et le précipitèrent dans de nouveaux champs d’action […]. La trempe de son âme prit une couleur presque révolutionnaire. […] Lorsque, dans sa soutane sale et râpée, le vieillard haranguait sur les vertus de la Tempérance les foules de Bermondsey ou de Peckham, les assurant avec une passion convaincue que la majorité des Apôtres n’étaient pas des alcooliques, on aurait pu confondre ce prince de l’Église avec un prêcheur de l’Armée du Salut. »

La décision est d’autant plus douloureuse que, au même ­moment, se libère la charge de sous-­aumônier de la Reine, un poste avec mitre à la clé. Mais, postule Strachey, « il n’est pas sûr que le plongeon de Manning fût aussi hasardeux qu’il semblait. Il n’était pas de ces gens à qui il arrive d’oublier de regarder avant de sauter, ni de ceux qui, si par chance ils s’aperçoivent qu’un matelas est étendu pour les recevoir, sautent avec moins de conviction ». Car matelas il y a. Le catholicisme confère en ­effet « un mérite extraordinaire et transcendant » à la profession de Manning : « Quel soulagement de penser, quand on a craint de n’être qu’un clergyman, qu’après tout on pourrait bien être quelque chose d’autre : un prêtre. »
Voire plus, beaucoup plus. Car Manning, « un néophyte grisonnant qui ne disposait d’aucun titre spécial à l’attention de ses nouveaux supérieurs », devient, quatorze ans après sa conversion, l’archevêque de Westminster et le chef suprême de l’Église catholique d’Angleterre.

À vrai dire, l’affaire est délicate, et le pape Pie IX hésite longuement. Mais l’Esprit saint s’en mêle : « Pio Nono entendit une voix, une mystérieuse voix intérieure, qui lui susurrait avec insistance : “Mettetelo lì!, mettetelo lì!” » En l’occurrence, l’Esprit saint fait preuve d’une grande « sagacité politique », lit-on sous la plume narquoise de Lytton Strachey. Car Manning n’est pas qu’un glaneur d’âmes – et d’âmes issues de la meilleure société : « Il [possède] aussi une habitude des personnes et des manières officielles, don inappréciable. » Il appartient surtout « à cette classe d’éminents ecclésiastiques – assez nombreuse en vérité – qui se sont distingués moins par leur science et leur sainteté que par leur habileté aux affaires ». Devant l’exceptionnelle aptitude de Manning à se faufiler au premier rang, le destin, qui lui fut si longtemps contraire, « renonce à un combat inégal et quitte la partie ».

Reste un dernier obstacle : la présence sur le sol britannique d’un converti plus prestigieux que lui, l’érudit et mystique Newman. Mais ce Henry-là n’est pas bien vu à Rome. « Son esprit subtil, ses manières de binoclard oxfordien, sa réserve un peu efféminée n’étaient pas de nature à impressionner une foule de cardinaux et d’évêques affairés, qui passaient leur temps à régler les détails de l’administration ecclésiastique, à gérer les conséquences de la diplomatie papale et à se chamailler ». Pis, « les autorités romaines s’avisèrent que ­Newman était un homme d’idées. N’avait-il pas compris que les idées étaient pour le moins incongrues à Rome ? ». Le cœur lourd, il finit par se rendre à l’évidence : « Ce n’était pas ses vues qu’on désapprouvait mais le fait même qu’il en eût .»
Si bien que, tandis que Manning vole de succès en succès, Newman accumule les déconvenues, cause d’une souffrance qui s’exhalera dans des textes de la plus haute qualité littéraire et spirituelle. La rencontre des deux Henry sur le même territoire exigu est celle « de l’aigle et de la colombe : on vit un battement d’ailes, quelque chose qui fondait sur sa proie, puis le bec vif et les implacables serres firent leur œuvre. »

Exit Newman, qui n’obtiendra, et sur le grand tard, qu’un platonique chapeau de cardinal. ­Manning pourra désormais déployer, seul, ses talents sur la scène londonienne et romaine, où il jouera un rôle majeur en reconduisant l’Église catholique anglaise au bercail papal, contre le goût des grandes familles catho­liques et du gouvernement ­britanniques.
Mieux encore, Manning sera appelé à jouer un rôle essentiel dans la réalisation du grand projet de l’autocratique Pie IX : la proclamation en 1870 par un concile réuni à cet effet du dogme de l’infaillibilité pontificale. Alors que pendant des semaines on se déchire, Manning se démène en coulisse : il a toujours le mot ou le silence juste, et use de son réseau, qui va de la salle d’audience du pape au gouvernement anglais. « Il Diavolo del Concilio, l’appelaient ses ennemis, et il tirait gloire de ce surnom. » Succès total : « Presque en même temps, l’héritier de saint Pierre avait ­perdu son pouvoir temporel et gagné l’infaillibilité. »

Mais le destin a plus d’un tour dans son sac. Grâce aux pouvoirs que Manning avait puissamment aidé son prédécesseur à acquérir, c’est Newman que le pape ­François canonisera en 2019. On aimerait savoir ce que ­Lytton Strachey aurait eu à dire sur le sujet. 

— J.-L. M.

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«N’oublie d’évoquer le temps qu’il fait dans ton satané livre. C’est très important, le temps ! » écrit un Ernest Hemingway un brin protecteur à son aîné et confrère John Dos ­Passos. Mais Hemingway n’a pas tort : nos âmes comme nos corps sont « météosensibles », et la littérature, qui se penche sur les unes comme sur les autres, doit ­intégrer ce facteur-là. Le créateur littéraire ­dispose d’un privilège qu’il ne partage qu’avec le grand créateur céleste, celui de pouvoir manipuler les éléments à sa guise, et il en profite allègrement. Quoi de mieux qu’un événement atmosphérique pour faire avancer une intrigue (c’est un authentique orage qui provoque le coup de foudre dans le cœur du jeune Werther) ou donner à un récit un socle climatique – le froid à Saint-Pétersbourg pour l’infortuné propriétaire du Manteau de Gogol, la chaleur d’Alger pour L’Étranger de Camus ?

Mieux, en déchaînant les éléments, l’auteur peut aussi déchaîner sa plume, et les intempéries servent fréquemment de prétexte à de grands morceaux stylistiques – voir Victor Hugo dans son poème L’Expiation (« Il neigeait. […] Il neigeait. […] ») et Herman Melville dans Moby Dick. Vladimir Nabokov accomplit la prouesse inverse, réussissant dans ­Lolita à décrire une tragédie en quatre mots et deux parenthèses : « (un pique-­nique, la foudre) ».

Le romantisme, « qui a fait entrer la météo dans la littérature » (dixit Jean d’Ormesson), va plus loin en combinant émois du ciel et émois du cœur. Jean-Jacques Rousseau dote ainsi l’amant douloureux de La Nouvelle Héloïse d’un « fatal ­présent du ciel » : une « âme sensible » qui fait de celui qui l’a reçue le « vil jouet de l’air et des saisons », un être dont « le soleil ou les brouillards, l’air couvert ou serein régleront [la] destinée, et [qui] sera content ou triste au gré des vents ». Rousseau sait de quoi il parle, car lui-même ne cesse d’« appli­quer le baromètre à [son] âme pour en connaître l’état ­journalier ».

Pourtant, Rousseau fait figure de météopsychologue amateur com­paré à Marcel Proust, que son asthme terrible transforme en « baro­mètre vivant » obsédé par la qua­lité de l’air (dans son grand œuvre, il n’utilise pas moins de vingt-sept adjectifs pour qualifier cet élément, tour à tour fumeux, grumeleux, ­saturé, violet comme du velours, doux, glacé, humide, vénitien, nocturne, pneumatique, libre, etc.). Le temps dont Proust poursuit si assidûment la recherche est donc aussi ­celui qu’il fait dehors, auquel il accorde une réelle importance psychologique et même une dimension mystique, selon l’universitaire américaine Eve Kosofsky Sedgwick. Il fait même ­déclarer par le père du narrateur que, pour la conversation, « il n’y a rien de plus intéressant que le temps ».

Les romanciers britanniques font volontiers parler leurs personnages du temps changeant de leur île. Le sujet sert non seulement de lubrifiant social numéro un, mais aussi, à en croire Roland Barthes, de révélateur idéologique, le temps qu’il fait pouvant paraître beau ou mauvais selon la condition du commentateur. Problème : pour bien décrire les intempéries, l’écrivain doit sortir les braver. Heureusement qu’il existe du papier étanche et des stylos permettant d’écrire sous la pluie. ­

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Difficile de porter un jugement net et définitif sur Louis XIV. Un règne de soixante-dix ans (dont plus de cinquante ans de gouvernance effective) se prête mal aux interprétations lapidaires. Si on ajoute à cela le goût du secret d’un monarque qui, obsédé par le contrôle, ne s’offrait sans cesse aux yeux de sa cour que pour mieux dissimuler ses sentiments véritables, l’exercice frôle l’impossibilité. Dans la biographie qu’il lui consacre, l’historien britannique Philip Mansel ne s’y essaie pas. Il ne s’agit pour lui ni de réhabiliter une figure dans laquelle ses détracteurs ont voulu voir un tyran fanatique et mégalomane, ni de doucher l’enthousiasme des thuriféraires du Roi-Soleil, mais plutôt de présenter ce monarque dans ses nuances et ses contradictions. L’homme qui, au nom de sa foi catholique, révoqua l’édit de Nantes (sa pire erreur, de l’avis de Mansel comme de la plupart des historiens) et persécuta les hugue­nots, provoquant l’émigration de plusieurs centaines de milliers d’entre eux pour le plus grand profit des puissances rivales, fut aussi le seul roi de France à pénétrer dans une syna­gogue et un grand protecteur des juifs. Par ailleurs, comme le rapporte Gareth Russell dans le quotidien The Times, « il promulgua des lois destinées à combattre la filiation illégitime, allant jusqu’à créer un impôt en 1697, tout en continuant à anoblir et même à légitimer ses propres bâtards – il en avait plus d’une dizaine ». L’un d’eux, le comte de Vermandois, que l’on pensait homosexuel, fut fouetté sur ordre de son père jusqu’à ce qu’il avoue son « vice », ce qui n’empêcha pas Louis XIV de tolérer cette même inclination chez son frère Philippe.

L’ouvrage de Mansel ne révolutionne pas la vision qu’on peut avoir de celui qu’il appelle le « roi du monde ». Mais « il excelle dans l’art des anecdotes bien choisies », estime Julia Prest dans The Times Literary Supplement. L’une d’elles illustre magnifiquement l’atta­chement de Louis à sa mère, Anne d’Autriche : alors qu’elle agonise, il change lui-même ses draps et dort tout habillé au pied de son lit. Les chapitres sur Versailles sont peut-être les plus convaincants. Dans ce palais hors norme, qui reste la demeure royale la plus visitée au monde et peut-être la plus grande réussite de Louis XIv, du moins la plus durable, le monarque peut donner libre cours à son goût du faste et à un mécénat sans équivalent dans l’histoire. Quant au domaine de Marly, le revers sombre de l’hubris louis-quatorzien s’y manifeste peut-être encore davantage. Outre le coût humain et financier de ce nouveau caprice royal, Mansel évoque le sort des carpes d’or et d’argent qui traversaient une « cascade » de 52 bassins bordés de marbre, pour la plus grande délectation du roi. Mais il se trouve, rappelle Mansel, que même les plus belles carpes ont besoin de vase pour survivre. Elles mouraient donc chaque nuit – et étaient immédiatement remplacées. 

[post_title] => Louis le trop Grand [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => louis-le-trop-grand [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2021-05-07 13:05:16 [post_modified_gmt] => 2021-05-07 13:05:16 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=101535 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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Après son essai L’Homme et le Bois (Gaïa, 2016), qui a été un best-seller international, Lars Mytting retourne à la fiction avec un roman historique qui s’est lui aussi hissé en tête des ventes en Norvège.

L’auteur ne délaisse pas pour autant son matériau de prédilection, puisque l’intrigue, située au fond d’une vallée perdue, tourne autour d’une stavkirke, une de ces églises médiévales en bois dont s’enorgueillit le royaume, et de ses deux cloches en argent, dont un homme, Eirik Hekne, a fait don au xviie siècle pour honorer la mémoire de ses filles siamoises décédées. Dans les années 1880, l’église et ses cloches font l’objet d’un projet de transfert dans la ville allemande de Dresde.

Sur cette trame se greffe une intrigue amoureuse entre une descendante d’Eirik, Astrid, employée par un pasteur moderniste, et l’architecte chargé du démontage de l’église. « Un alliage efficace de connaissances factuelles, d’imagination poétique et de travail sur la langue », estime le tabloïd Verdens Gang

Books no 95, mars 2019.

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Il est un peu question d’amour et de climat dans L’Amour au temps du changement climatique. Mais, de l’avis de la presse tchèque, le vrai sujet du premier roman du chercheur en bio-­informatique Josef Pánek, lauréat en 2018 du prestigieux prix ­Magnesia Litera, ce sont les préjugés racistes de l’Européen moyen.Tomáš, le narrateur et ­alter ego de l’auteur, dont il partage une grande partie de la biographie, se rend à un congrès scientifique international dans la ville de Bangalore, en Inde. Tout lui est insupportable là-bas. Le smog, les odeurs, le vacarme, la saleté, la circulation, la foule, la nourriture et ces Indiens qui sourient à tout bout de champ. Il enchaîne les nuits sans dormir, les journées sans boire (« va donc trouver de l’eau à Bangalore »). Et ne ressent pas la moindre attirance pour la belle réceptionniste de son hôtel ou la jeune chercheuse indienne qu’il a repérée au colloque. Lui qui a « parcouru le monde ­entier » et qui critique le racisme de ses compatriotes et des autres ­Occidentaux présents doit se rendre à l’évidence : lui aussi est atteint de ce mal.

Il se met dès lors à chercher les racines de ses préjugés au plus profond de lui-même. Mais, observe le site d’actualité littéraire iLiteratura, « par l’emploi de la deuxième personne, c’est en défi­nitive au lecteur qu’il s’adresse : “et là, c’est l’Indien du personnel de l’hôtel, et vous vous dites que non, non et non, il n’est pas noir, que non et non, il n’est pas idiot, et votre instinct associe à la couleur de sa peau la maladie et la crasse aussi sûrement qu’il a détourné de vous la beauté de l’Indienne de la réception”. »

Beaucoup de critiques y ont vu une œuvre salutaire qui « sonde notre conception du monde stéréotypée », selon iLiteratura, et « incite à la réflexion », pour le quotidien Lidové Noviny, qui est le premier à l’admettre : « Nous sommes tous un peu racistes. » D’autres ont trouvé le livre dérangeant. Sur le site de Česká televize, le groupe de télévision publique tchèque, le critique et écrivain Ondřej Nezbeda avoue avoir eu « envie d’envoyer le narrateur au diable » : « Son racisme passif est-il vraiment une prédisposition génétique contre laquelle on ²ne peut rien ? Ou bien la ville ­indienne de Bangalore est-elle le premier test vraiment radical auquel il est confronté ? Peut-être est-ce une expérience à laquelle il est impossible de se préparer et qu’il ne faut pas juger tant qu’on ne l’a pas vécue, qu’on n’a pas vu si on est capable de tolérer une altérité aussi radicale, de l’accepter réellement. C’est peut-être pour cela que le roman de Pánek m’a tellement irrité. À moi, cela ne serait jamais arrivé ! » 

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Le dernier ouvrage de Bill ­Bryson regorge de chiffres édifiants. On y apprend que le corps humain contient 59 éléments chimiques, dont 6 (le carbone, l’oxygène, l’hydrogène, l’azote, le calcium et le phosphore) représentent 99,1 % de la masse totale. Que, si l’on ­déroulait tout notre ADN, il s’étendrait sur plus de 16 milliards de kilomètres (au-delà de Pluton). Que nous cillons 28 000 fois et déglutissons 200 fois par jour. Que notre peau pèse entre 5 et 7 kilos et les microbes présents dans notre organisme 1,5 kilo (autant que notre cerveau). Que nous produisons environ 8  mètres de cheveux dans notre vie et 1,5 litre de ­salive par jour. Que, si nous sommes proprement guillotinés, notre cerveau peut continuer à fonctionner de deux à sept secondes.

Bill Bryson s’est fait connaître pour ses récits de voyage aussi instructifs que désopilants. Moi qui ne suis pas particulièrement amateur du genre, je me souviens les avoir dévorés avec frénésie, n’interrompant la lecture que pour reprendre mon souffle entre deux éclats de rire. Il y a chez Bryson non seulement un génie de la donnée évocatrice et de la synthèse, mais une bonhomie éclairée et entraînante, loin des postures blasées ou mélancoliques de beaucoup de ses confrères.

Depuis le milieu des années 2000 et son best-seller Une histoire de tout, ou presque…, son œuvre a pris un tour nouveau : elle s’est orientée vers la vulgarisation scientifique. Une histoire du corps humain à l’usage de ses occupants s’inscrit dans cette veine. Disons-­le franchement, ce n’est pas son meilleur livre, notamment parce que l’humour y est peu présent. On y trouve tout de même quelques anecdotes réjouissantes, comme lorsque Bryson dresse le portrait de Peter Mitchell, scientifique auto­didacte et « excentrique », lauréat du prix Nobel de chimie en 1978. Il avait entre autres particularités celle d’être plutôt distrait : « Au mariage de sa fille, il aborda une invitée en lui disant qu’elle lui rappelait vaguement quelqu’un. “Je suis ta première femme”, lui répondit-elle. »

Si cette Histoire du corps humain est fort plaisante à lire, brassant une quantité d’informations qui, exposée par n’importe qui d’autre, aurait sans doute paru bien assom­mante, c’est parce que Bill Bryson, même quand il est moins drôle, reste un vulgarisateur hors pair. En tant que tel, il maîtrise, par exemple, l’art des comparaisons à la perfection. « Si chaque Terrien avait la corpulence moyenne ­actuelle des Américains, cela reviendrait à augmenter la population mondiale de 1 milliard d’individus », explique-t-il pour bien nous faire prendre la ­mesure du problème de l’obésité aux États-Unis. De même, pour que le lecteur comprenne ce que le cartilage a de remarquable, il cite son ami, le traumatologue Ben Ollivere : « Imagine une partie de hockey sur une surface si lisse que les joueurs iraient seize fois plus vite que d’ordinaire : voilà ce qu’est le cartilage. Mais, contrairement à la glace, il ne craque pas sous la pression. »

Le corps humain, tel que le décrit Bryson, est une source constante d’émerveillement en même temps qu’une invitation à la modestie. Il résulte souvent de compromis : la bipédie, avec tous les avantages qu’elle a pu procurer, a aussi, en rendant le bassin plus étroit, compliqué l’accouchement, qui, jusqu’à récemment, était plus dangereux pour la femme que pour « aucun autre animal sur Terre ». Notre larynx, situé plus bas dans la gorge que chez les autres primates, est très pratique pour parler mais nous expose plus que les autres mammifères à avoir la trachée obstruée par les aliments que nous avalons. Et Bill Bryson de rappeler que les étouffements, bien que rares, constituent la quatrième cause de mort accidentelle aux États-Unis – et le nombre de ces décès est sans doute sous-estimé, car ils sont souvent « attribués à tort à des infarctus ».

En fait, tout a un prix. « Si la reproduction sexuée dilue notre contribution personnelle à la postérité [puisque nous ne transmettons que 50 % de nos gènes à nos enfants, 25 % à nos petits-enfants, etc.], elle est excellente pour l’espèce. En mélangeant nos gènes, nous obte­nons une diversité qui renforce notre sécurité et notre résistance, par exemple en rendant plus difficile pour une maladie d’éliminer des populations entières. »
Parfois, un défaut semble malgré tout ne pas avoir de contrepartie. Prenez la douleur. Elle est censée nous avertir d’un danger, mais, selon le neuroscientifique britannique Patrick Wall, elle est « à peu près inutile au-delà d’un certain seuil et d’une certaine durée. » Et, dans le cas de bien des cancers, elle ne se manifeste que quand il est déjà trop tard.

Autre source d’émerveillement et d’humilité tout à la fois : les progrès de la médecine. Ils furent loin d’être linéaires. À lire Bryson, on se rend compte que le xviiie et la première moitié du xixe siècle marquent à bien des égards une stagnation : l’allongement de la durée de vie y est dû avant tout à une meilleure alimentation. Pour le reste, on continue à voir dans la saignée une panacée : George Washington en fit la fatale expérience. En 1799, il attrape une petite infection de gorge qui aurait sans doute guéri d’elle-même avec un peu de repos. Mais on lui impose pas moins de quatre saignées, lui prélevant ainsi 40 % de son sang en deux jours. Le premier président des États-Unis n’y résiste pas. « Tel était le problème avec cette pratique, conclut Bryson : on pouvait toujours se dire que si l’on survivait c’était grâce à elle, tandis que pour les malchanceux le médecin était simplement arrivé trop tard. »

Selon l’historien David Wootton, cité par Bryson, « jusqu’en 1865, la médecine fut d’une ineffica­cité quasi totale, quand elle n’était pas franchement dangereuse. » Ce n’est qu’après qu’ont lieu des avancées décisives : généralisation de la vaccination, antibiotiques… Le physiologiste de Harvard Lawrence Joseph Henderson notait, quant à lui, dans l’entre-deux-guerres : « Un beau jour, entre 1900 et 1912, un patient ordinaire souffrant d’une maladie ordinaire et allant consulter un médecin choisi au hasard eut pour la première fois de l’histoire plus de chances de tirer profit de ce rendez-vous que d’en ressortir bredouille. »

On peut dire que le xxe siècle a été le « siècle du cœur ». Bryson retrace l’épopée de la chirurgie cardiaque. Au départ, il y a les travaux pionniers de l’Alle­mand Werner ­Forssmann et de l’Américain John H. ­Gibbon, qui, l’un comme l’autre, n’hésitèrent pas à donner de leur personne. Le premier, pour savoir s’il était « possible d’avoir un accès direct au cœur à l’aide d’un cathéter », s’en posa un dans une artère du bras « et le poussa avec précaution vers son épaule puis jusqu’au cœur, qui, pour le bonheur de son propriétaire, ne cessa pas de battre lorsqu’y pénétra un objet étranger. » Le second, « afin de tester la capacité des vaisseaux sanguins profonds à se dilater ou à se contracter, s’enfonça un thermomètre dans le rectum et avala une sonde gastrique où il versa de l’eau glacée pour en mesurer les effets sur sa température corporelle. » Leurs expériences datent des années 1930. Puis les progrès s’enchaînent : le premier pacemaker date de 1958, la première greffe cardiaque de 1967.

L’un des aspects les plus effrayants d’Une histoire du corps humain est l’évocation de maladies énigmatiques qui apparaissent soudainement et contre lesquelles nous sommes impuissants. L’encéphalomyélite de Powassan, par exemple. Cette maladie transmise par les tiques frappe quelque 6 personnes par an aux États-Unis : « Certaines ne présentent que des symptômes semblables à ceux de la grippe, mais d’autres souffrent d’atteintes neurologiques permanentes ; le taux de mortalité est de 10 % et il n’existe aucun traitement. »

Même des maladies assez répandues se révèlent quelquefois mystérieuses. L’asthme, en premier lieu : 300 millions de personnes en souffriraient dans le monde, mais on n’est toujours pas parvenu à en déterminer l’origine. Ni la pollution, ni les allergènes, contrairement à ce qu’on a longtemps cru, ne semblent être coupables. L’hypothèse d’un facteur neurologique, après avoir été écartée, est revenue en grâce sans pour autant paraître vraiment concluante. On ignore aussi pourquoi l’asthme, jusqu’à la puberté, touche davantage les garçons que les filles, avant que cette tendance s’inverse, ni pourquoi il disparaît chez 75 % des jeunes à la fin de l’adolescence.

Plus on avance dans la lecture, plus se font jour les innombrables différences qui existent entre hommes et femmes. Même si ces dernières ont plus de chances d’avoir un cancer avant 40 ans (mais moins ensuite) et sont deux fois plus susceptibles d’être ­atteintes de la maladie d’Alzheimer, elles sont, d’une façon générale, biologiquement plus solides (d’où leur plus grande espérance de vie). On ne peut pas dire pour autant que la médecine les ait mieux traitées. Les progrès de l’obstétrique furent étonnamment tardifs. « Un témoignage de 1873 évoque un médecin qui, malgré trente ans de pratique, avait étroitement bandé l’abdomen d’une patiente enceinte presque à terme, persuadé qu’elle était atteinte d’une tumeur. Le seul test de grossesse vraiment fiable, notait sèchement un médecin à la fin du xixe siècle, c’était d’attendre neuf mois pour voir si un bébé faisait son apparition. En Angleterre, les étudiants en médecine ne furent pas tenus d’étudier l’obstétrique avant 1886. » Résultat : « jusqu’en 1932, 1 femme sur 238 mourait en couches ou des suites d’un accou­chement » en Europe et aux États-Unis.

L’oubli même du fait que les femmes ne sont pas tout à fait comme les hommes a eu pour elles des conséquences fâcheuses. Jusqu’à récemment, la plupart des essais cliniques étaient menés sur des groupes composés quasi exclusivement d’hommes, ce qui introduisait un biais parfois dangereux dans les résultats. La phénylpropanolamine, utilisée contre le rhume et la toux, est un exemple parmi tant d’autres. Elle « a été en vente libre durant des années avant qu’on se rende compte qu’elle augmentait de façon significative le risque d’hémorragie cérébrale chez les femmes mais pas chez les hommes ». 

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La romancière et traductrice Natascha Wodin avait 10 ans lorsque sa mère se suicida en 1956. Soixante ans plus tard, elle cherche à reconstituer le parcours de cette femme, dépor­tée d’Ukraine en Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale et à qui tout retour était interdit.

« Plusieurs livres intelligents ont paru récem­ment sur ce cauchemar qu’a été le xxe siècle, des Chuchoteurs, d’Orlando ­Figes, à Terres de sang, de Timothy Snyder. Tous racontent l’histoire de la violence telle qu’elle apparaît dans les archives : comme un essaim sanguinaire lointain. ­Natascha Wodin ne montre, elle, qu’une petite partie des événements. Mais elle la rapproche tellement de nous que nous y voyons se refléter notre propre histoire », estime Andreas Kilb dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung.

Très vite, les recherches de ­Wodin l'amènent à découvrir des membres de sa famille qu’elle ne connaissait pas, dont un cousin meurtrier. Il se trouve que, ­enfant, elle avait elle-même essayé de tuer sa mère avec des aiguilles dans son sommeil. La rencontre, même virtuelle, avec ce cousin est l’un des « sommets émotionnels du livre », estime Hans-Peter Kunisch dans le ­Süddeutsche Zeitung

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Joseph Conrad n’est pas le premier auteur à ne pas avoir écrit dans sa langue maternelle, mais ses prédécesseurs se contentaient en général de le faire dans leur deuxième idiome. Lui rédigea son œuvre entièrement en anglais, qui était sa troisième, voire sa quatrième langue (après le polonais et, sans doute, le russe et le français).

Sa singulière trajectoire linguis­tique reflète une existence qui ne le fut pas moins. Conrad lui-même la divisait en trois parties : les premières années dans sa Pologne natale, puis sa vie de marin et, à partir de la fin de la trentaine, sa carrière d’écrivain. Chacune d’elles eut son lot d’aventures et de drames : l’exil puis la mort des parents – des patriotes polonais, issus de la petite noblesse terrienne, luttant contre l’occupant russe –, une tentative de suicide à Marseille, un navire qui explose au milieu de l’océan, une remontée traumatisante du fleuve Congo…

Comment n’aurait-il pas inspiré les biographes ? De fait, comme le note John Sutherland dans The Times, « les bonnes biographies de Conrad, ce n’est pas ce qui manque ». D’où l’inévitable question quand en paraît une nouvelle, comme celle de Maya Jasanoff : à quoi bon ? Il se trouve, répond Sutherland, que « Jasanoff innove ». Et, ce qui ne gâche rien, qu’elle « écrit bien ».
Dans Le Monde selon Joseph Conrad, cette professeure d’histoire de Harvard, spécialiste de l’Empire britannique, ne propose « ni vraiment une biographie, ni vraiment un ouvrage de critique littéraire, bien que son livre intègre ces deux dimensions et des fragments de récits de voyage. Il s’agit plutôt d’une circumnavigation de l’univers de Conrad et d’une réflexion sur la mondialisation, sur le colo­nialisme et sur le rôle qu’a joué Conrad dans notre perception de ces phénomènes », écrit William Dalrymple dans The Guardian.

La thèse de Jasanoff est qu’aucun écrivain n’a mieux su rendre compte des débuts du capitalisme mondialisé et de l’impérialisme. Tout en retraçant les différentes étapes de sa vie, elle examine quatre de ses œuvres majeures L’Agent secret, Lord Jim, Au cœur des ténèbres et Nostromo (ne manque que Sous les yeux de l’Occident, sans que l’on sache trop pourquoi).
Jasanoff est bien consciente des faiblesses du romancier : des personnages féminins plutôt incon­sistants, un « indéniable antisémitisme » aussi. Pour autant, relève William Dalrymple, de même que pour le prix Nobel de littérature V. S. Naipaul Conrad était l’homme qui « avait été partout avant [lui] », pour Jasanoff « il est celui qui, grâce à son esprit prophétique, nous précède tous : son monde est le nôtre et ­inversement. » 

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Imaginez-vous une gravure de conte de fées. Dans un agencement d’une ­symétrie parfaite, des arbres noirs dressés vers le ciel où ils disparaissent, le sol à leur pied recouvert d’une épaisse couche de neige blanche. Les bois sont des endroits dangereux dans ces histoires, les apparences sont trompeuses. Ici aussi, dans cette plantation, la menace rôde. Les arbres noircis se consument à petit feu. La fumée s’élève le long des troncs de braise surmontés de feuilles calcinées. La neige, qui a pris une teinte gris pâle, n’est que cendre. Posez un pied au mauvais endroit, vous risquez de glisser et de vous enflammer. À mieux y regarder, ces bois sont ceinturés par un ruban de plastique jaune délimitant les lieux du crime où des policiers en uniforme montent la garde.

Au croisement de deux routes assez quelconques, assis dans sa voiture, le lieutenant de police Adam Henry prend la mesure de l’énigme qu’il a sous les yeux. Du côté de Glendonald Road, la futaie est intacte : des Pinus radiata vierges de toute marque, tous plantés en même temps, forment des rangées d’un vert immaculé. À l’opposé, non loin du coude en forme de T où la route croise un chemin connu sous le nom de Jellef’s Outlet, se dressent des alignements d’Eucalyptus globulus, dont on tire cette gomme bleue cultivée dans le monde entier pour en faire du papier d’imprimerie. Tout a brûlé, aussi loin que porte le regard. Le samedi 7 février 2009, vers 13 h 30, un feu s’est déclenché dans les environs et, aujourd’hui dimanche, en fin d’après-midi, il continue de progresser à plusieurs kilomètres de là.
Le lieutenant Henry vient tout juste d’être père […]. La veille, il avait reçu un appel en pleine nuit lui demandant d’interrompre son congé pour assister à la réunion convoquée dès 6 heures le matin. Tous ceux qui appartenaient à la brigade d’enquête sur les incendies et explosions de la police de Victoria avaient été mobilisés. Au cours des derniers jours, il avait fait une chaleur invraisemblable, le dimanche tout particulièrement, où l’on avait atteint les 40 °C, tandis que soufflait un vent du nord redoutable, avec des rafales de près de 100 km/h.

L’après-midi, puis toute la nuit qui avait suivi, de violents incendies avaient ravagé plusieurs endroits, au nord, au nord-ouest, au nord-est, au sud-est et au sud-ouest de l’État. On avait envoyé Henry à deux heures de route à l’est de Melbourne pour diriger une enquête sur un feu qui avait démarré à 4 kilomètres de la ville de Churchill (4 000 habitants). Cette enquête avait été baptisée, pour des raisons assez évidentes, Opération Winston.

Dans un état cotonneux propre à ceux qui manquent de sommeil, il avait pris la M1 en direction de la vallée de Latrobe avec un collègue, roulant tout le long dans la fumée. La radio annonçait régulièrement de nouvelles victimes : de cinquante morts, on en était maintenant à cent. […]
Il voulait arriver sur le lieu présumé de départ du feu avant qu’il ne soit piétiné par d’autres. S’il s’agissait bel et bien d’un incendie criminel, la police devait faire la preuve du lien entre l’endroit où le feu s’était déclenché et les victimes, dont certaines se trouvaient vraisemblablement à des kilomètres de là, dans des zones encore trop dangereuses pour que l’on puisse y accéder.

Après avoir franchi le dernier barrage, Henry gara sa voiture et observa, d’un côté de la route, le paysage de rêve intact et, de l’autre, la noirceur qui s’étendait à perte de vue – il se tenait juste sur l’axe où le monde avait basculé. […] Au-delà du ruban jaune, Henry aperçut le chimiste de l’unité de police spécialisée dans les incendies. George Xydias avait le dos un peu voûté et une légère bosse au niveau de la nuque, peut-être à force d’avoir passé tant d’années à chercher des ­indices dans les cendres et autres débris. Il avait enquêté sur des incendies accidentels et criminels ; sur des explosions de voiture, de bateau, de camion et d’avion ; et, après les attentats terroristes de 2002, sur les discothèques visées à Bali. Il s’était rendu sur tant d’endroits ravagés par les flammes qu’il était capable de vous dire quels types de végétaux ou de matériaux avaient brûlé […].
Vêtus de combinaisons blanches jetables, Xydias et son assistant discutaient avec Ross Pridgeon, un homme timide à l’humour caustique, au visage encadré de lunettes et surmonté d’une touffe hirsute de cheveux châtains. Enquêteur spécialisé dans les feux de la région, Pridgeon travaillait pour le département du développement durable et de l’environnement (DDDE) ; il avait été le premier à pouvoir examiner les lieux le matin même. Parmi les rangées bien délimitées d’eucalyptus encore fumants, il avait trouvé les traces de deux départs d’incendies volontaires, à 100 mètres d’intervalle, de part et d’autre de Jellef’s Outlet.
[…]

Le feu est un drôle d’artisan. Il est capable de tailler des branches en biseau, de les raboter à chaque extrémité et d’entamer leur épaisseur au fur et à mesure qu’il avance vers le tronc ; il transforme une écorce en peau de crocodile, laissant derrière lui des rangées d’écailles de bois calciné. La présence de cendre blanche atteste généralement d’une combustion totale, et tout ce qui est ainsi consumé donne l’impression d’avoir soudain blêmi. L’équipe découvrit à un moment une clôture couverte de suie pâle sur tout un côté et ils s’engagèrent sur cette piste. La plupart du temps, les rochers ainsi que les très grosses branches protégeaient les brindilles, plus promptes à s’enflammer : quand ils en trouvaient qui n’avaient pas brûlé, ils savaient qu’ils devaient continuer dans la direction opposée. Les enquêteurs cherchaient à savoir jusqu’où le bois avait brûlé à l’intérieur et suivant quelle inclinaison les flammes l’avaient attaqué, ce qui était un autre moyen d’identifier le trajet du feu – on trouvait des marques de calcination dans la partie basse du tronc quand celui-ci faisait face au point de départ de l’incendie alors que les traces de brûlure étaient particulièrement prononcées sur les côtés et à l’arrière du tronc quand les flammes grandissaient et avançaient.

Bientôt, ils commencèrent à se déplacer en marge du chemin emprunté par le premier feu afin d’identifier des traces permettant de délimiter l’un de ses flancs. À la périphérie de la fournaise, les arbres n’avaient pas brûlé dans les mêmes proportions : tout ce que l’incendie principal aurait normalement détruit était pratiquement intact. Les enquêteurs revinrent sur leurs pas pour traverser la route et localiser le deuxième flanc. Progressant par allées et venues systématiques, rétrécissant petit à petit leur périmètre d’investigation, ils réussirent à borner une surface en V jusqu’au point d’origine pour finalement arriver dans ce que l’on appelle la zone de confiance. Mais là, paradoxalement, les indices étaient plus déconcertants. Les feuilles n’avaient pas toutes le même angle : dans les premiers moments de sa vie balbutiante, le feu n’avait pas encore trouvé où mettre le cap. Les dégâts se situaient surtout au niveau du sol. Certains objets y avaient brûlé de manière très irrégulière. C’étaient dans les environs immédiats que les flammes avaient entamé leur course.

Au-delà, on reconnaissait des signes indéniables d’un feu à contre-courant, dit aussi feu à la rebrousse, quand de petites flammèches s’étaient cabrées, essayant de prendre leur essor, mais que le vent était venu contrarier. Les traces de combustion étaient moins nombreuses : les brindilles et autres petits matériaux combustibles n’avaient pas eu le temps de brûler et les endroits calcinés présentaient un angle d’inclinaison des flammes assez régulier et horizontal. Les enquêteurs commencèrent à planter de petits drapeaux afin de signaler les contours de la zone où le feu avait pris.

Environ 26 000 hectares étaient partis en fumée mais, malgré tout, au bout d’une heure passée à fouiller et à photographier les indices, ils parvinrent à resserrer leurs drapeaux autour de 8 m², situés 4 mètres au-delà de la route de la plantation. Aucune trace d’un dispositif conçu pour déclencher le feu – parfois, il arrivait que les enquêteurs trouvent les restes d’un engin fait maison avec des allumettes ou des bougies fontaine fixées à l’aide de poids – mais, étant donné les conditions explosives de la journée précédente, la seule chose dont l’incendiaire avait pu avoir besoin, c’était d’un briquet. […]
Un agent de la police locale avait rencontré Ross Pridgeon plus tôt dans la journée et lui avait expliqué que la première patrouille à être intervenue avait repéré qu’il y avait deux feux simultanés. Pridgeon avait ainsi accompagné Henry et les autres enquêteurs jusqu’à une zone située à quelques mètres au-delà de Glendonald Road et à l’ouest de Jellef’s Outlet. Là encore, ils identifièrent la tête du feu avant d’arpenter chacun de ses flancs, délimitant ainsi sa périphérie, revenant jusqu’à son point de départ. Il s’avéra que le deuxième incendie avait démarré juste derrière un panneau qui indiquait « décharge interdite », ce que les gens d’ici interprétaient comme une invitation à y déposer leurs ordures. Trois vélos gisaient là, à côté de morceaux calcinés de vieux pneus et autres pièces de voitures, d’écrans de télévision, de matelas, de canapés, d’un landau, de jouets d’enfants […].

Aucun de ces objets n’était du genre à s’enflammer tout seul. Les enquêteurs cherchaient des tessons de bouteille qui, tels des loupes en plein soleil, étaient susceptibles de mettre le feu à l’herbe sèche – en vain. Il n’y avait pas non plus trace de boîtes de hamburgers, de films porno, ni de bombes aérosols laissées par des gamins qui se seraient cachés là pour inhaler des gaz déodorants – une fois shootés, il arrive qu’ils aillent s’amuser avec des allumettes dans la forêt. Il n’y avait pas eu de foudre non plus, pas d’engins de chantier stockés là ; aucun fil électrique n’avait été coupé et personne n’aurait eu envie de camper dans ce genre d’endroits.
Est-ce qu’une braise issue du premier incendie aurait pu déclencher le second ? Xydias était convaincu que ce genre de phénomène était quasi inconcevable dans les quinze ou vingt minutes qui suivaient l’éclosion d’un feu. Il aurait fallu que la braise aille à l’encontre d’un vent violent, puis qu’elle se déporte sur le côté, avant de pouvoir brûler ailleurs. Au vu des premiers indices, les conclusions suggéraient que les deux têtes de feu avaient avancé très rapidement en direction du sud-est, à la faveur d’un fort vent de nord-ouest. Elles avaient été allumées à deux endroits distincts, dans des conditions idéales pour provoquer un gigantesque brasier.
Douze ans de sécheresse avaient transformé le sous-bois de la plantation en un combustible idéal – branches tombées, feuilles mortes, déchets organiques enterrés. L’incendiaire n’avait pas eu besoin d’amener quoi que ce soit pour démarrer son feu au milieu des feuilles d’eucalyptus. Chacun de ces arbres avait érigé son propre bûcher.

Tous les étés, ils se défaisaient de leur écorce, de leurs branches et de leurs feuilles, et chaque année qui passait sans incendie voyait l’épaisseur de ces détritus augmenter, lesquels ne manquaient pas de dégager des toxines destinées à étouffer de nouvelles pousses qui viendraient perturber la désagrégation de ces matériaux inflammables. Il n’y a aucune plante sur Terre qui aspire plus à provoquer un incendie que l’eucalyptus : pour vivre, cette espèce a absolument besoin de brûler. Les Américains ne qualifient-ils pas le globulus d’« arbre allume-feu » ? Les flammes libèrent des gaz qui agissent en véritables propulseurs quand ils envoient des boules de feu jusqu’au sommet des arbres. Quant à l’écorce qui se détache des troncs par lambeaux, elle se déploie en bannières de feu capables de se propager sur des kilomètres au gré du vent.

Les premiers peuples australiens étaient parvenus à réguler cet écosystème ­pyrophile pour leur propre intérêt. Après l’arrivée des colons européens, ils avaient constitué une sous-communauté de pyromanes destructeurs. Depuis des générations, c’était un secret largement partagé. Dans de nombreuses localités rurales, on connaissait quelqu’un qui était saisi d’une telle crise chaque été, quand les vents du nord venus du Désert central se mettaient à souffler. Et cela faisait peu de temps que la vallée de Latrobe avait été classée « zone à risques », du fait de son taux élevé d’incendies volontaires. Ici, tout se passait comme si cette préférence pour les flammes était inscrite autant dans l’ADN de certains habitants que dans celui de certaines plantes.
[…]
Tandis que les experts scientifiques inspectaient le sol pour y trouver une trace que l’incendiaire aurait pu laisser, Henry resta dans la zone de confusion, à se ­demander pourquoi. Dans la formation qu’il avait suivie, on les encourageait à penser d’abord en termes de motivation – pourquoi, et ensuite qui. Était-il face à une vendetta ? Ou bien tout n’était que pure coïncidence ? Le coupable vivait-il dans les parages ? Ou bien l’incendiaire voulait-il nuire à quelqu’un qui habitait là ? Pourquoi cette plantation ? De nombreux défenseurs de l’environnement avaient dénoncé la mort programmée de la forêt ; la privatisation des montagnes Strzelecki avait contribué à ce que la plus grande partie des forêts anciennes de sorbiers et des régions inexploitées soit défrichée pour laisser place à des monocultures de pins et d’eucalyptus. Ou bien était-ce pour le frisson, le pouvoir ? Était-ce un symptôme de psychose ? […]
Qui, et pourquoi ?
[…]

Malgré toutes les techniques scientifiques à disposition, Adam Henry savait que les incendies volontaires étaient un crime dont la brigade – pas plus que d’autres – ne connaissait quasiment rien. Au milieu du xixe siècle, on estimait que la pyromanie était « une propension morbide à mettre le feu, au cours de laquelle l’esprit, bien que sain par ailleurs, est aiguillonné par une force invisible à commettre ce crime qui est désormais reconnu comme une forme spécifique de folie ».

Au cours des soixante-quinze années d’existence de la bible de la santé mentale qu’est le DSM – Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux –, la classification de la pyromanie a fluctué au gré des modes et de la mise en page de ses diverses éditions. Aujourd’hui, parmi la multitude de personnes qui déclenchent des incendies de manière intentionnelle, très peu manifestent « une fascination, une curiosité et une attirance pour le feu » doublées du « plaisir et du soulagement que procurent le fait de mettre le feu ». On préfère classer ce genre de comportement dans la section du DSM consacrée aux troubles disruptifs, du contrôle des impulsions et des conduites. Quand un individu a tendance à être antisocial et qu’il ne peut absolument pas se retenir de faire quelque chose.

Les années passant, diverses instances ont essayé d’établir des critères permettant de dresser des profils d’incendiaires. Mais la plupart des études internationales s’intéressent surtout aux incendies perpétrés sur des maisons, des voitures et des bâtiments et ignorent les incendies de forêt volontaires, lesquels sont des crimes que l’on trouve ailleurs qu’en Australie mais qui constituent malgré tout une spécialité nationale. Sur l’ensemble des feux qui affectent la végétation de ce pays, on estime que 37 % sont de nature suspecte et 1 % ont été allumés dans l’intention de nuire – alors que 35 % ont des causes accidentelles, 5 % sont d’origine naturelle et 5 % sont dus à des feux mal éteints ou à des feux disséminés. Le reste est rassemblé sous l’intitulé « autres causes ».
Adam Henry connaissait les hypothèses classiques émanant du FBI ou d’autres systèmes de profilage, et certaines dont j’avais eu vent étaient plus compliquées que d’autres. Pour expliquer le comportement d’un incendiaire, un modèle très prisé utilisait la formule suivante : PASSAGE À l’ACTE DE L’INCENDIAIRE = G1 + G2 + E, OÙ [E = C + CF + D1 + D2 + D3 + F1 + F2 + F3 + REX + RIN].

Cette équation tendait à montrer que les incendiaires étaient majoritairement des hommes ; la plupart du temps, ils étaient sans emploi ou avaient des rapports au travail assez problématiques ; ils étaient plus fréquemment issus de milieux sociaux défavorisés et de familles présentant un passé de pathologies mentales, de dépendances ou de violences physiques ; enfin, nombreux étaient ceux dont les compétences de socialisation et les aptitudes interpersonnelles étaient très réduites. Ce profil était parfaitement plausible, mais il ne se distinguait guère de celui de nombreux criminels qui n’étaient pas des incendiaires. En d’autres termes, il n’était presque d’aucune utilité.

La brigade du feu avait parfaitement conscience que les incendies volontaires étaient plus fréquents dans les territoires marginaux situés entre villes et campagnes – dans ces zones en lisière du bush et des forêts d’eucalyptus, un fort taux de chômage sévissait chez les jeunes, les abus sur mineurs et les cas de maltraitance d’enfants étaient nombreux, la dépendance économique entre générations était importante et les transports en commun insuffisants. Mais c’était le portrait que l’on pouvait dresser de presque toutes les petites villes de la vallée de Latrobe. 

Ce texte est un extrait du livre L’Incendiaire, de Chloe Hooper, paru le 22 octobre aux éditions Christian Bourgois. Il a été traduit par Florence Cabaret.

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