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Au bout du chemin bleu qui glisse vers la mer, entre les frondaisons d’arbres immenses, le ciel s’embrase. C’est l’aube. Ou plus exactement la parfaite représentation d’un rêve d’aube. Car, dans cette image inaugurale du livre de ­Letizia Le Fur, rien ne colle avec le monde commun, et c’est bien cela qui émeut. La photographie est à l’évidence cadrée au millimètre et les couleurs retravaillées : les feuillages découpent dans le ciel incandescent la forme et le camaïeu d’une flamme. Le chemin, on le devine, est une route bitumée comme tant d’autres. La scène est éclairée au flash, façon nuit américaine : la cime des arbres est presque vert fluo, les troncs sont noyés dans la nuit… Et pourtant, on est happé par le mystère, on est d’emblée perdu.
Quelle heure était-il lorsque la photographe s’est arrêtée au tournant de cette route littorale pour visser son œil dans le viseur ? Peu importe, en vérité, car le livre s’appelle Mythologies. Letizia Le Fur a pris ces images aux Canaries, en Grèce, en Normandie et en Corse, c’est-à-dire pas très loin. Elle nous emmène en nul autre lieu que notre imaginaire. En ­commençant par le commencement : « L’Origine. » Tel est le titre du premier chapitre de son livre, qui cite en exergue quelques vers de la Théogonie, long réci­tatif sur la généalogie des dieux et la création de l’Univers écrit par Hésiode, poète grec du viie siècle avant notre ère.
Letizia Le Fur dit volontiers qu’elle a aimé s’immerger, enfant, dans les récits mythologiques. Ils étaient le véhicule de ses évasions du HLM de Saint-Denis, en banlieue parisienne, où elle a ­grandi. Ils sont ici sa porte d’entrée dans le règne d’une nature primordiale : le miné­ral, le végétal et la mer. À la différence de ­Sebastião Salgado, qui, pour Genesis, a sillonné la planète afin d’y débusquer une nature et une humanité saisissantes de mystère, la photographe traque l’étrange dans le fami­lier. « Je m’efforce de m’éloigner de la réalité », dit-elle. Elle dessine des croquis des vues qu’elle aimerait trouver, un exercice de préparation hérité de ses années aux Beaux-Arts de Tours. Elle compose ses photos comme des tableaux et poursuit le travail en postproduction. « La photographie brute n’est qu’une esquisse qui, après ses interventions seulement, devient l’image projetée et imaginée », commente la spécialiste Laura Serani dans Mythologies.
Les fiers figuiers de Barbarie s’alanguissent dans une lumière de nature morte, les pins aux troncs trop minces et trop grands s’élancent vers le ciel en une diagonale vertigineuse, les fleurs ne sont qu’inflorescences phalliques qui se dressent et s’épanchent, les rochers ­déferlent en lentes vagues rouges, un roc fendu dessine l’origine du monde. Quant à l’humanité, elle surgit, minuscule, dans une forêt transfigurée par un magnifique clair-­obscur : c’est un homme nu, archétype d’une sculpture grecque ou d’une peinture néoclassique, qui apparaît, disparaît. « J’aime photographier la végétation. Mais pour la première fois, j’ai eu envie d’introduire un homme. Il est musclé, mais je le vois fragile dans sa nudité au sein de cette nature brute. Je voulais poser sur ce corps masculin un regard de femme, ni érotique, ni emphatique, exprimer une tendresse et proposer une réflexion sur la représentation du masculin, rare dans le monde de l’art moderne. »
Rare aussi dans celui de la publicité de luxe, qui lui passe des commandes depuis vingt ans. Ce travail-là lui a permis d’affiner ses techniques de cadrage – « les images bien pensées sont prises vite ». Cela lui a sans doute été bien utile pour décrocher sa première récompense pour une œuvre personnelle : le prix Alpine & Leica, quatre jours à fond de train sur les routes du sud de la France. Au bout, une expo et le titre d’ambassadrice Leica. Et depuis, trois invitations en résidence – La Bourboule, la Normandie et Cadaqués – pour développer un projet personnel dont l’épicentre est, à chaque fois, une transformation du réel ordinaire en fiction étrange et belle. Son prochain défi : transmuer le laid. Un rêve d’enfance. 

C.B.

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En 2012, l’Arménie avait fêté en grande pompe le 500e anniversaire du premier livre imprimé en caractères arméniens, un événement qui célébrait l’ancrage de la lecture dans la culture nationale. C’était huit ans à peine après que le pays eut quitté le giron soviétique, tutelle sous laquelle des livres tirés à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires se vendaient à bas prix, permettant à la plupart des foyers d’avoir leur bibliothèque de classiques, dont les 12 tomes de l’Encyclopédie s­ovié­tique arménienne.
Aujourd’hui, les tirages se sont effondrés, les prix ont grimpé et le marché du livre est concentré dans le secteur d’Erevan. La capitale compte une dizaine de librairies, dont deux enseignes majeures : Bookinist, une « institution » locale fondée en 1932, et Zangak. Chacune possède une maison d’édition, publiant essentiellement des traductions de best-sellers destinés à la jeunesse en arménien, langue privilégiée par la nouvelle génération. Les précédentes, elles, préfèrent lire la littérature étrangère et savante en russe.
Les ventes dans ces deux librai­ries reflètent la quête de sens des habitants d’un pays assommé par la défaite face à l’Azerbaïdjan, au lourd bilan humain et économique, et par une pandémie repartie à la hausse au printemps. Ce sont essentiellement les auteurs surfant sur le New Age ou proposant une lecture globale du monde qui ont la cote : ainsi Paulo Coelho, Robin Sharma et Yuval Noah Harari. De jeunes talents arméniens comme Sune Sevada se frayent un chemin aux côtés d’écrivains confirmés tels la romancière Narinai Abgaryan (qui écrit en russe) et Vartkès Bedrossian (mort en 1994), sans toutefois surclasser Mark Aren, prolifique romancier arménien établi à Moscou.
Ces livres-phares ne sauraient éclipser une offre soutenue contre vents et marées non seulement par Bookinist et Zangak, mais aussi par des maisons comme Antares, qui publie pléthore d’auteurs arméniens et étrangers (dont Patrick Modiano et Michel Houellebecq). Citons également Actual Art, qui édite depuis vingt ans des livres au design soigné, avec une attention particulière pour la littérature française contemporaine, d’Alain Robbe-Grillet à Leïla Slimani. 

Tigrane Yégavian est un journaliste indépendant, auteur d’Arménie. À l’ombre de la montagne sacrée (Nevicata, 2015) et de Géopolitique de l’Arménie (BiblioMonde, à paraître en octobre 2021).

[post_title] => Après la défaite, la quête de sens [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => apres-la-defaite-la-quete-de-sens [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2021-07-01 07:02:44 [post_modified_gmt] => 2021-07-01 07:02:44 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=104685 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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L’auteur de ce recueil de poèmes fait partie de l’aristocratie ­LGBTQ israélienne. Descendant de deux générations d’hommes homosexuels (son père et son grand-père maternel), promoteur acharné de la lutte pour les droits des homos, Imri Kalmann fut longtemps le propriétaire de l’unique bar gay de Tel-Aviv, puis militant du parti de gauche Meretz.
Dans cet opus salué par Yotam Feldman dans le quotidien Haaretz, Imri Kalmann décrit, à grand renfort de scènes sexuelles crues, sa vie – et son malaise – et s’interroge sur l’avenir de sa « communauté » (celle des gays et lesbiennes). Car l’idée qu’Israël est un pays très ouvert aux homosexuels est un cliché. Tel-Aviv n’est qu’une enclave dans une culture dominante valo­risant le collectif, la famille, et exprimant un mépris abyssal pour l’individualisme – et pour l’homosexualité, éminemment dissidente.
Pris entre l’apparente acceptation de l’homosexualité et l’hostilité bien réelle de l’opinion, Imri Kalmann suggère une solution, radicale : « Ras-le-bol des manifs, des grèves et des protestations sur le Net, il est temps de fonder un État gay. » Son nom ? « Altneusodome », en référence à Altneuland, littéralement « Nouveau pays ancien », titre du roman utopique du père du sionisme, Theodor Herzl. Sa capitale ? Tel-Aviv, bien sûr.

[post_title] => Un pays pas si gay [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => un-pays-pas-si-gay [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2021-07-01 07:02:44 [post_modified_gmt] => 2021-07-01 07:02:44 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=104695 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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Qui aime la littérature et les livres sera aussi sensible à l’âme d’une œuvre qu’à celle d’une entreprise éditoriale authentique qui possède elle aussi son identité, c’est-à-dire son auteur. Car, pour peu que la ligne choisie par certaines maisons d’édition corresponde à votre sensibilité ou à votre style, vous désirerez en posséder tous les titres. Qu’elles soient séminales comme Adelphi, disparues, hélas, comme les élégantes éditions Le Promeneur, ou modestes par la taille mais géantes par l’ambition comme Allia, je sais ce que ma bibliothèque – et donc mon existence – leur doit. Rigueur initiale dans la sélection des textes, soins maniaques apportés à l’objet, poursuite endurante d’un goût quelles que soient les vicissitudes commerciales : telles sont les caractéristiques de ces éditeurs exigeants, cohérents, qui forcent l’admiration à l’heure où les mastodontes de l’industrie veulent tout écraser au nom du bestselling.
« De la littérature insolente et exigeante » ? C’est justement le programme des Éditions de l’Arbre vengeur, qui depuis des mois font ma joie. Née en 2003 à l’initiative de David Vincent (directeur littéraire) et Nicolas Étienne (directeur artistique), forte déjà de plus de 150 titres, cette petite maison bordelaise a beau publier – comme beaucoup – des auteurs contemporains français et étrangers et posséder – comme d’autres – des collections spécialisées, sa singularité est inscrite dans son esprit décalé et son rapport intempestif aux œuvres du passé. Vengeurs de mauvais sorts et redresseurs de torts, nos deux fous de littérature ont en effet un dada, une marotte que « L’Alambic » – la collection initiée chez eux par Éric Dussert – déploie avec talent et qu’ils appellent la « redécouverte intrépide ». Il s’agit de rééditer le nec plus ultra d’écrivains oubliés, négligés, méconnus, voire de porter à la connaissance du public des inédits d’auteurs disparus.
Partant du principe que l’excellente littérature n’a pas d’âge et que certains livres peuvent, avec le temps, trouver un écho contemporain, les Éditions de l’Arbre vengeur ont, depuis près de vingt ans, aligné les pépites. Si, personnellement, je leur dois d’avoir découvert l’intrigant talent qu’exprime la poétesse Yanette Délétang-Tardif dans Les Séquestrés et l’extraordinaire figure du psychiatre hongrois morphinomane Géza Csáth grâce à leur édition de Dépendances, je porte aussi à leur crédit la nouvelle traduction du sublime thriller métaphysique de Chesterton, L’Homme qu’on appelait Jeudi, et la publication de Secrets barbares, sombre chef-d’œuvre de l’Australien Rodney Hall. Mais il y a encore plus fort, inouï et stupéfiant à lire chez eux ces jours-ci : à savoir la réédition d’un roman français oublié datant de 1956 – Les Tortues – qui a valu à son auteur, le Mauricien catholique et résistant Loys Masson (1915-1969), le qualificatif de « Melville français ». Antirécit d’aventures à mi-chemin entre les délires alcoolisés d’Au-dessous du volcan, de Lowry, et un questionnement sur le mal digne d’Au cœur des ténèbres, de Conrad, ce roman narre un voyage au bout de l’enfer initié en 1904 aux Seychelles : celui d’un équipage embarqué jusqu’au délire dans la quête d’un mystérieux trésor, convoyant une cargaison de tortues inquiétantes, tandis qu’une épidémie de variole fait rage à bord. Tourmenté et tourmentant, alternant présent et passé, le narrateur, rescapé du navire La Rose de Mahé, raconte aussi une emprise, celle qu’exerce le maléfique Bazire, sorte d’âme damnée qui le fera sombrer dans la folie paranoïaque. Tour à tour poétique et crue, fiévreuse et fulgurante, je gage que la langue de Masson vous hantera comme l’archaïsme des tortues antédiluviennes qui font dire au narrateur : « Avec elles, je me perdis mille et mille fois dans des labyrinthes volcaniques, j’écartais les branchages d’interminables halliers pourrissants, et je finis même par me retrouver, en rêve, assis en tailleur sur la toute première, entre deux brahmanes pareillement montés, formant un tripode de fronts qui soutenaient la chape de l’univers. » 

Cécile Guilbert est essayiste et romancière. Son dernier livre, Roue libre (Flammarion, 2020), a reçu le prix de la Critique de l’Académie française.

[post_title] => Le Bel art de l’édition [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => le-bel-art-de-ledition [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2021-07-01 07:02:44 [post_modified_gmt] => 2021-07-01 07:02:44 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=104919 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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Dans la Grèce dévastée par la crise économique des années 2010, un père à l’article de la mort dévoile à son fils, un écrivain quinquagénaire, une vie entière passée dans le secret. Ce dernier découvre un personnage collaborateur pendant l’Occupation, puis mouchard sous les colonels. Au cours d’un étrange passage de relais, le fils endeuillé confie l’histoire de son père à un ami d’enfance, le narrateur, qui se révélera être l’orphelin d’un progressiste. Ensemble, les deux hommes vont tenter de recomposer les figures de ces pères absents et à bien des égards mystérieux.
La poursuite de ces vies cachées constitue le moteur de ce roman célébré par Toúla Repáni, dans la revue culturelle en ligne Tetrágono, comme un futur « classique de la littérature grecque contemporaine. » Polyphonique, entremêlant les générations, ce récit nous mène de l’Athènes de décembre 1944 – en pleine guérilla urbaine opposant les communistes aux Britanniques, sous les bombes qui « changeaient quotidiennement le tracé de la ville » – à la capitale des années 2000 et ses quartiers d’immigrés. Dans le webmagazine littéraire Diástixo, Chrístos Papageorgíou salue un ouvrage esquissant « à grands traits, mais avec intensité, l’entièreté de l’histoire récente de la Grèce. »
Ballottés par les tumultes politiques, pères et fils se répondent en écho au fil d’un roman qui parvient à donner chair à « ces adolescents qui peinent à devenir adultes, ces adultes qui ne mûrissent pas », estime Stefanos Tsitsopoulos de l’hebdomadaire Athens Voice. Ces tentatives parallèles pour reconstituer les trajectoires de pères défunts mènent à une interrogation plus générale sur le poids de l’héritage. La question n’est pas neuve en Grèce, où la vie littéraire et politique reste peuplée par les fantômes de la guerre civile (1946-1949) et de la dictature (1967-1974). À ce titre, Mános Kondoléon relève sur le site de BookPress que l’Histoire « n’est pas seulement tout ce qui est arrivé mais aussi la façon dont les nouvelles générations héritent de ce passé et se construisent contre lui ».
Cet inquiétant père d’extrême droite recèle un dernier secret : il était homosexuel et, pour cette raison, menacé par des rivaux politiques. Ouvrant le débat, le grand quotidien I Kathimerini soutient que « la figure paternelle devient le symbole de l’ancêtre mystérieux et obscur, qui emporte dans sa tombe un héritage incompréhensible. » Question lancinante sous le soleil de l’Attique, comme l’ont montré cette année de nombreux romans consacrés à la relation père-fils. L’engouement pour le livre de Davvètas, à la croisée de l’intime et du collectif, signale le besoin qu’ont les Grecs de sonder leur histoire récente. 

[post_title] => Vivre avec les fantômes [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => vivre-avec-les-fantomes [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2021-07-01 07:02:44 [post_modified_gmt] => 2021-07-01 07:02:44 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=104704 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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Le 6 janvier 1614, un jardin d’hiver du sud de l’Angleterre est le théâtre d’une danse « d’une beauté splendide et étrange ». Financée et organisée par le philosophe Francis Bacon, cette représentation, qui sera baptisée plus tard « La mascarade  des fleurs », est un cadeau de mariage offert à deux jeunes membres de la noblesse. Mais c’est aussi la mise en scène d’une habitude nouvelle qui a d’ores et déjà entre­pris de changer la face du monde. En ce jour de noce hivernale de l’an 1614, l’invitée d’honneur de Francis Bacon est une virevoltante pipe à tabac géante.
À peine la pipe entre-t-elle en scène que le public assiste à une bataille des vices où elle affronte son spectaculaire rival : Silène, le dieu du vin dans la mythologie gréco-romaine. L’acteur interprétant le rôle de la divinité, décrit dans les didascalies comme « un vieillard gras […] monté sur un âne artificiel », est accompagné d’un sergent d’armes muni d’une masse en bronze ornée de grappes de raisin. Sachant que cette repré­sentation se tient à l’occasion d’une noce fastueuse, à une époque où il n’y a rien de plus ordinaire que de s’alcooliser en plein jour, on peut supposer qu’à ce moment-là une bonne partie du ­public s’adonnait déjà au culte du dieu de l’ivresse depuis un certain temps.
L’adversaire de Silène est une drogue nouvellement apparue et encore sujette à controverse, que le mécène de Bacon, le roi Jacques ier d’Angleterre et d’Irlande, dénonçait âprement, à peine dix ans plus tôt, comme source de mauvaise haleine, de maladies infectieuses, de pensées perfides et d’idées diaboliques.
Indifférent aux critiques du monarque, Kawasha, le dieu de la pipe à tabac, entre en scène. Son nom fait probablement réfé­rence à une divinité des peuples algonquiens de Virginie que l’un des premiers colons anglais, John White, avait baptisée « l’idole Kiwasa ». Sa tête est coiffée d’un chapeau rouge et or en forme de cheminée, et son corps est drapé de bandes de ­tissu « rappelant la forme et la couleur des feuilles de ­tabac ». Il s’empresse d’engager un combat dansé avec les disciples de Silène et rugit qu’il s’apprête « à tous les souffler, les réduire en cendres et en fumée ». Le valet de Kawasha sautille autour de son maître en tenant en l’air une « immense pipe à tabac » de la taille d’une arquebuse.
En voilà une sacrée grande pipe, ont probablement pensé les invités les plus éméchés. Il s’agit d’un spectacle volontairement exubérant, typique de la démesure qui faisait la réputation de Bacon à cette époque. Quelques semaines plus tôt, pour fêter sa promotion au poste de procureur général d’Angleterre, Bacon avait convié « toute l’université de Cambridge » à un festin de Noël à base de gibier, comme l’atteste l’un de ses contemporains.
Les années 1610 ont été une décennie charnière dans la transformation du tabac en nouvelle obsession mondiale. En un rien de temps, ce don du ciel (ou ce fléau) a donné naissance à l’une des industries les plus lucratives du monde, s’est mué en force motrice du commerce triangulaire et a jeté les bases d’une mauvaise habitude dont l’humanité ne s’est toujours pas débarrassée quatre cents ans plus tard.
Mais, au début de l’époque moderne, fumer ne se résumait pas à tirer sur une pipe à tabac. La pipe géante du spectacle de danse de Bacon s’inscrit dans un éventail de techniques et de pratiques plus complexes et plus étranges encore. Le tabagisme des xvie et xviie siècles comprend l’utilisation d’instruments de distillation et de pipes à eau, notamment pour fumer du cannabis. Sans compter ses pratiques thérapeutiques, comme le lavement à la fumée.
Une telle diversité ne correspond pas à l’histoire classique du tabagisme, que l’on pourrait globalement résumer ainsi : avant 1492, fumer était une pratique répandue chez les peuples amateurs de tabac des Amériques mais demeurait inconnue outre-Atlantique. Puis Christophe Colomb remarqua que les Indiens Taïnos de Cuba fumaient « des herbes particulières […] qui les engourdissent et les enivrent presque ». Après avoir mené sa petite enquête, il apprit qu’« ils appellent cela tabaco » (c’est du moins ce que rapporte Bartolomé de Las Casas dans la version qu’il a livrée du Journal de bord de Colomb, le manuscrit original ayant été perdu). Au cours des années 1560, de plus en plus de notables espagnols encouragèrent l’adoption de cette pratique par les Européens – un médecin de Séville, Nicolás Monardes, déclara notamment que fumer était un « remède miracle » contre plus d’une vingtaine de maladies. À la fin du xvie siècle, la culture du tabac s’était implantée de l’Espagne à l’État indien du Gujarat en passant par la Turquie. Pendant ce temps, les plantations de tabac des Caraïbes et du Brésil devenaient des plaques tournantes du commerce triangulaire. Il s’agissait alors de répondre à la très forte augmentation de la demande de tabac, dont la consommation avait gagné non seulement l’Europe, mais aussi l’Asie et l’Afrique.
L’Angleterre suivit l’exemple espagnol, sous la houlette du mathématicien Thomas Harriot, auteur du rapport sur la Virginie intitulé A Brief and True Report of the New Found Land of Virginia (1588). Harriot fit écho aux louanges quasi obsessionnelles de Monardes et encensa le tabac pour sa prétendue faculté à ouvrir « les pores et les voies du corps » et à soigner « nombre de maladies graves ». Quelques décennies plus tard, l’engouement pour le tabac était tel que même le roi Jacques Ier fut incapable de l’endiguer. Son virulent réquisitoire publié en 1604, Counterblaste to Tobacco, compte parmi les échecs les plus cuisants de l’Histoire en matière de politique antidrogue. Une dizaine d’années plus tard, le tabac était un produit facile d’accès et bon marché dans toute l’Europe, tandis que Harriot mourait à petit feu d’un douloureux cancer du nez, probablement causé par sa longue addiction à cette substance que le souverain britannique avait qualifiée, de façon prémonitoire, d’« ulcère » et de « venin ».
Dans les années 1650, la pipe à tabac était certainement le plus puissant symbole de l’impérialisme européen. Le tabagisme était devenu un phénomène planétaire.
Ce récit de la mondialisation du tabagisme a été raconté un nombre incalculable de fois. Dans l’ensemble, il est vrai. Mais il peut aussi nous induire en erreur.
Le tabac est bel et bien originaire des Amériques, et le fumer est effectivement une pratique nouvelle pour les Européens, les Africains et les Asiatiques du début de l’époque moderne, puisqu’on n’en trouve nulle mention dans les textes anciens. Cependant, comme le prouvent les travaux d’archéologues et d’anthropologues depuis plusieurs décennies, le tabac n’était pas la seule drogue prisée par les peuples de l’Ancien Monde, et cela même avant les voyages de Christophe Colomb.
Si le tabac était en passe de conquérir le globe, c’était également le cas du cannabis – mais de façon plus furtive et souterraine. Des données archéologiques indiquent que l’on fumait du cannabis en Asie centrale et en Asie du Sud depuis au moins l’an 1000 avant notre ère. Une variante de cette pratique ancestrale a notamment attiré l’attention de l’historien grec Hérodote, qui rapporte que les Scythes, ces peuples nomades d’Eurasie, inhalaient de la fumée de cannabis à l’intérieur de leurs tentes : « Les Scythes prennent de la graine de chanvre [kannabis], et, s’étant glissés sous ces tentes de laine foulée, ils mettent de cette graine sur des pierres rougies au feu. Lorsqu’elle commence à brûler, elle répand une si grande vapeur qu’il n’y a point en Grèce d’étuve qui ait plus de force. Les Scythes, étourdis par cette vapeur, jettent des cris confus. » Aux environs de l’an 800, la consommation de cannabis traverse l’océan Indien et devient une pratique courante dans certaines régions d’Afrique subsaharienne.

Quand les marchands d’esclaves et les commerçants européens atteignent les régions d’Asie du Sud et d’Afrique centrale et orientale où l’on fume du cannabis, son pouvoir « enivrant » attire à nouveau l’attention. Le médecin juif portugais Garcia da Orta, qui vivait en Inde dans les années 1550, reconnaissait que le cannabis pouvait être « agréablement enivrant » mais le considérait également comme source de « nausée » et de « mélancolie ». Au xviie siècle, certains marchands européens qui sillonnent l’océan Indien se mettent à en consommer, et au moins l’un d’entre eux en rapporte en Europe, dans le but de faire du chanvre une nouvelle culture commerciale sur le modèle du tabac.
En 1689, le scientifique Robert Hooke rend à la Royal Society de Londres un rapport de première main sur les effets du cannabis indien : « Le patient ne comprend ni ne se souvient de ce qu’il voit, entend ou fait quand il est plongé dans cet état d’extase. Il devient, pour ainsi dire, un simple d’esprit incapable de prononcer une parole sensée. Il est pourtant très joyeux ; il rit, chante et s’exprime sans aucune cohérence. » Hooke explique que le cannabis est « chiqué ou ingéré » mais reste vague sur les quantités utilisées : « environ l’équivalent de ce que peut contenir une pipe à tabac ordinaire ». En dehors des régions d’Afrique et d’Asie du Sud où l’on fumait le cannabis, on ne sait toujours pas dans quelle mesure cette forme de consommation, par opposition à l’ingestion de préparations comestibles ou buvables, était une pratique répandue à l’époque de Hooke.
Hooke ne précise pas non plus si le « patient » anonyme de son rapport n’était pas, en réalité, sa propre personne. Il termine toutefois son discours sur une note résolument optimiste : « Voici ­diverses graines, dit-il en les présentant à la Royal Society lors de la dernière réunion hebdomadaire avant Noël, que j’ai l’intention de planter au printemps pour voir si la plante peut être cultivée ici. » En cas de succès, Hooke pense que cette substance peut s’avérer « très utile pour soigner les fous ». Il conclut sur ces mots : « Il n’y a rien à craindre, sauf peut-être quelques éclats de rire. »
Autrement dit, si Bacon, au lieu de se contenter d’offrir un cadeau de mariage impressionnant, avait cherché à se rapprocher de la vérité historique, il aurait dû commander un danseur supplémentaire pour « La mascarade des fleurs » : un frétillant plant de cannabis.

Un curieux détail étymologique semble indiquer que le tabagisme s’est propagé simultanément dans différentes régions du globe avant de s’imposer à l’échelle mondiale.
Alors que, dans pratiquement toutes les langues européennes, le mot signifiant « pipe » descend du latin pipa, le mot portugais constitue une exception frappante : cachimbo. Il est issu d’une des langues bantoues d’Afrique subsaharienne et serait entré dans le vocabulaire portugais par l’intermédiaire du jargon des marchands d’esclaves installés au Congo ou dans la vallée du Zambèze au début du xviie siècle. À première vue, l’hypothèse tient la route. Après tout, les Portugais ont joué un rôle clé dans la traite atlantique, et le tabac brésilien, trempé dans la mélasse pour mieux masquer le goût des feuilles défraîchies, faisait office de monnaie d’échange dans l’Afrique du xviie siècle.
Les choses se compliquent cependant lorsque l’on s’intéresse à la signification du terme dont semble dériver cachimbo : kixima, un mot qui signifie « puits d’eau » en kimbundu. Cela suggère que le mot portugais pour dire « pipe » ne désignait pas à l’origine les pipes sèches des fumeurs de tabac, mais plutôt les pipes à eau (que l’on connaît aussi sous le nom de « bang »). Comme le fait remarquer le géographe Chris S. Duvall dans son livre « Les racines africaines de la mari­juana »1, on se servait de pipes à eau et de pipes sèches pour fumer du cannabis dans toute l’Afrique subsaharienne bien avant que le récit de Christophe Colomb sur cette « herbe […] qu’ils appellent tabaco » n’atteigne l’Europe.
Tout au long du xviie siècle, les préparations étiquetées sous le nom de « tabac » ne contenaient pas que des feuilles de tabac réduites en poudre, mais des mélanges complexes de parfums et de substances actives. Les ingrédients pouvaient aller de différentes espèces de tabac, comme la puissante Nicotiana rustica, jusqu’à des préparations très élaborées dans lesquelles on trouvait toutes sortes de choses : du musc, de l’eau de rose, de la bergamote ou encore de l’orpiment, un minéral toxique. Dans son récit de 1590, le jésuite espagnol José de Acosta nous donne un bon exemple de ce genre de mixture. Il y décrit la « nourriture divine » préparée par les prêtres aztèques pour servir d’offrande aux dieux. Celle-ci se compose d’un mélange de cendres d’araignée, de scorpion et de mille-pattes, le tout accompagné « d’une grande quantité de tabac […] et de cette graine moulue que les Indiens appellent oluluchqui [belle-de-jour] et qu’ils ingèrent pour avoir des visions ».
Apparaissent également les lave­ments à la fumée, une pratique que les Européens du début de l’époque moderne adoptent avec un enthou­siasme surprenant. Le médecin ­anglais Thomas Sydenham en explique le principe en 1753 dans le traitement qu’il préconise en cas de fièvre doublée de « violentes coliques » : « Ici, je pense qu’il convient d’effectuer d’abord une saignée dans le bras, puis, après une ou deux heures, d’administrer un fort purgatif ; et je ne connais rien de plus fort ni de plus efficace que la fumée de tabac, poussée dans les intestins par un grand soufflet raccordé à une pipe inversée. »
Un peu plus tard, Richard Mead, un éminent médecin britannique du xviiie siècle, soutient que le lavement à la fumée est la meilleure méthode pour réanimer un patient inconscient. Face à un noyé, « la première chose à faire est de lui insuffler de la fumée de tabac dans les intestins », préconise-t-il. Dans les années 1780, cette pratique est si largement répandue qu’une fondation caritative, la Royal Humane Society, installe le long des rives de la Tamise une série de trousses de premiers secours contenant tout l’équipement nécessaire à l’administration d’un lavement au tabac.

Alors que le pouvoir de la fumée fait des émules partout dans le monde et que les expériences se multiplient pour servir une variété d’objectifs, la curiosité des alchimistes de l’époque est piquée au vif. Ils sont tout particulièrement intri­gués par le potentiel du feu comme mode de transformation, surtout lorsqu’il agit à l’intérieur du corps humain.
L’idée fondamentale qui sous-tend le pouvoir de la fumée est que le corps humain serait poreux. Il serait façonné non seulement par les liquides, les aliments et les drogues que nous absorbons, mais aussi par la force astrale exercée par les étoiles et les planètes, par l’influence invisible du « magnétisme » et par les ­vapeurs et les « humeurs » qui imprègnent l’atmosphère. La fumée médi­cinale jouerait alors un rôle essentiel pour purifier le corps de ces influences extérieures.
Même le roi Jacques Ier fait référence à cette croyance populaire dans son Counterblaste to Tobacco. Le tabac, concède-t-il, détient un pouvoir de « suffumigation » qui en fait un bon « antidote » (au demeurant « tout à fait infect ») contre la variole. Et le souverain d’évoquer cet « adage unanimement admis » par les médecins qui veut que, « le cerveau humain étant de nature froide et humide, toute chose sèche et chaude peut lui être bénéfique. Or telle est la nature de cette suffumigation nauséabonde. »
Cette conception de la fumée comme purgatif contre les humeurs froides et humides du cerveau, réputées être à l’origine de toutes sortes de maux, s’illustre bientôt dans une série de gravures populaires qui montrent les pensées stupides d’un jeune homme partir, littéralement, « en fumée ».
Peu de temps avant la pandémie de Covid-19, j’ai visité un laboratoire archéologique de l’Université de Californie à Santa Cruz, spécialisé dans la culture matérielle du royaume du Dahomey, dans l’actuel Bénin. Les armoires du labo étaient pleines de pipes à tabac : de minuscules tessons d’argile, blancs comme des os, dont beaucoup étaient encore couverts d’une poussière rougeâtre, de la couleur de la terre dans laquelle ils avaient été longtemps ­enfouis.
Au début de l’époque moderne, ­fumer recouvrait un large éventail de pratiques. Mais le xviiie siècle voit s’imposer les pipes en argile blanche de facture rudimentaire et le tabac en poudre de mauvaise qualité. À la fin du xixe siècle et au xxe siècle, lorsque la cigarette arrive sur le devant de la scène, fumer n’est déjà plus cet art élaboré caractéristique de la première phase de la mondialisation du tabagisme. La consommation de cannabis a bien sûr persisté, mais de manière clandestine et parfois sous des formes différentes. En témoigne par exemple la teinture de cannabis, une extraction obtenue en faisant infuser des feuilles séchées de cannabis dans de l’alcool, qui figurait jusqu’à récemment dans de nombreux protocoles thérapeutiques pour ses vertus médicinales.
Le tabagisme est sur le déclin dans de nombreux pays du monde. En parallèle, le cannabis a été reconditionné en une très large gamme de produits, des space cakes aux cigarettes électroniques. Pourtant, il y a fort à parier que la fascination première de l’homme pour la fumée, cette présence fugace qui nous accompagne depuis la nuit des temps, n’est pas près de s’évaporer. 

Benjamin Breen est professeur d’histoire à l’Université de Californie à Santa Cruz. Il est l’auteur de The Age of Intoxication (University of Pennsylvania Press, 2019).
Cet article est paru dans le magazine américain Lapham’s Quarterly le 15 mars 2021. Il a été traduit par Charlotte Navion.

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D’habitude, quand les médias tchèques parlent de la communauté tsigane, ce n’est pas pour en dire du bien, écrit la journaliste Saša Uhlová sur le site de Radio Praha. Violences, assistanat… Selon cette spécialiste des Roms, qui pointe une montée du racisme antitsigane depuis 1989, « les médias véhiculent l’idée qu’il est impossible de vivre avec les Tsiganes. » La communauté compte quelque 200 000 personnes sur les 10,6 millions d’habitants du pays. Mais tout s’arrange dès qu’il est question de Radek Banga, musicien rom passé d’un appartement insalubre de Prague aux projecteurs du festival de Glastonbury avec son groupe de hip-hop Gipsy.cz. Une success story dont les médias se font volontiers l’écho : outre ses succès musicaux, il a été question dernièrement de son mariage, mais aussi de ses prises de position politiques, comme quand il a quitté avec fracas la cérémonie des Rossignols (les Victoires de la musique tchèques) après la victoire d’un groupe ­d’extrême droite.
Puis la presse lui a déroulé le tapis rouge pour la sortie de son premier livre, une autobiographie dans laquelle il raconte sa trajectoire hors norme. Le quotidien Lidové Noviny salue ainsi une « confession capable d’aborder des sujets aussi difficiles que les violences familiales ». Le site Novinky s’arrête lui aussi sur la partie du livre consacrée au père violent de Banga et salue le discours du chanteur à l’attention des jeunes, lequel tente de leur « montrer que, malgré tous les obstacles, il est possible d’avoir une vie heureuse ». 

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Imaginez : le monde est ­ravagé par une pandémie – une « pestilence » – qui nettoie toute l’humanité, sauf Lionel Verney, « le dernier homme », étrangement immunisé. A-t-il gagné au change ? Apparemment non, puisqu’on le voit errer dans une Italie déserte, partagé entre idées suicidaires et vaines tentatives pour trouver un semblable, inscrivant des messages sur les murs de maisons abandonnées. Dans ce roman dystopique (peut-être le premier du genre1), Mary Shelley déverse les réserves de noirceur que n’avait pas épuisées son premier roman, Frankenstein2. Une noirceur bien compréhensible, au vu des circonstances de sa vie : une avalanche de malheurs avec de rares embellies. Les malheurs commencent le jour même de sa naissance, puisqu’en recevant la vie elle l’ôte à sa mère, la romancière et philosophe Mary Woll­stonecraft, une protoféministe aux idées et aux mœurs avant-­gardistes [lire « Une “nouvelle espècede femme », p.76]. C’est son père, William Godwin, un philosophe politique
anarchiste, sombre et totalement impécunieux, qui l’élève avec sa seconde épouse. À 17 ans, pour égayer une vie austère à tous les égards, Mary tombe dans les bras d’un disciple de son père, le jeune poète Percy Bysshe Shelley. Elle tombera aussi enceinte, mais William Godwin, aussi conventionnel socialement qu’aventureux politiquement, s’indigne. Du coup, « les Élus » – Mary et son amant, ainsi que Claire, la fille de sa belle-mère, et l’amant de celle-ci, lord Byron – s’embarquent en 1814 dans une traversée de la France dévastée par la guerre, se réfugient en Suisse, s’y ennuient tout un été sous une pluie incessante, se distraient en écrivant des poèmes, des contes et des romans (pour Mary, ce sera Frankenstein), font une tripotée d’enfants, s’installent en Italie. Hélas ! Mary verra mourir trois de ses quatre enfants, puis son ami lord Byron, puis surtout Percy Shelley, son grand amour, qu’elle a fini par épouser (consentant à le partager avec quelques autres admiratrices) après le suicide de sa première femme. Fin de l’embellie. La bohème, l’errance, les amours vagabondes laisseront place à la solitude glacée en Angle­terre et à la gêne financière. Pour survivre, Mary multipliera les travaux alimentaires (articles, romans, nouvelles, biographies, récits de voyages, essais), tout en éditant – et en censurant – les œuvres de feu Percy, qui jouira grâce à elle d’une belle gloire posthume. En 1851, après encore quelques amours – mais le cœur n’y est pas –, un douloureux cancer du cerveau met un terme à la rémis­sion de 53 ans qu’aura été la vie de Mary Shelley.
Comment donc s’étonner que dans Le Dernier Homme, écrit en 1825, Shelley exhale toute sa désespérance à l’endroit de l’humanité, de ceux qui la composent, qui la dupent en prétendant la guider religieusement ou philosophiquement, qui la gouvernent avec ­cynisme et incom­pétence ? Ce (très) long et grandiloquent ­roman, éprouvante succession de malheurs et de ­péripéties saugrenues, constitue à la fois une réflexion philosophico-­politique et une auto­biographie camouflée, l’une des exigences du terrible beau-père de Mary étant en effet que sa bru n’écrive jamais rien sur Percy. Mais celle-ci contourne le problème en fictionnalisant de façon assez transparente les principaux membres du groupe des « Élus », à commencer par Percy Shelley (sous les traits de l’admirable et polytalentueux prince Adrian, qui meurt noyé dans les mêmes circonstances que l’original) et lord Byron (alias lord Raymond, un séducteur impénitent qui engrosse la sœur d’Adrian et subit lui aussi une fin très voisine de celle de son modèle). On peut aussi reconnaître au fil des pages beaucoup d’aspects de la vie de bohème des « Élus », avec leurs incessantes oscillations géographiques et sentimentales, leurs amours croisées, les maternités continues et l’exaltation devant la nature – les montagnes helvétiques en particulier, longuement et lyriquement décrites. Mary Shelley a beau situer son intrigue entre 2073 et 2100, le monde qu’elle évoque est exactement le sien, sans la moindre trace d’anticipation, sauf une : l’Angleterre est enfin devenue, dans le dernier quart du xxie siècle, une république (c’est sans doute la raison pour laquelle l’auteure choisit de situer son intrigue dans un futur prudemment éloigné).
Mary Shelley n’utilise pas seulement son roman pour promouvoir un républicanisme un peu désabusé. Son texte sert de vecteur à d’autres idées, souvent en avance sur son époque et même les suivantes. La « pestilence » (qui survient juste après l’apparition dans le ciel d’un mystérieux « soleil noir », une éclipse imprévue) est en effet déjà une protestation de la Nature outragée par l’homme. Malthusienne, Mary Shelley ne dénonce pas les dommages écologiques, encore assez minces à l’époque préindustrielle, mais ceux que l’humanité inflige à la planète par son acharnement à se reproduire. La « pestilence » ne surgit-elle pas dans les « cités surpeuplées de Chine » ? (Tiens, tiens !) Mary ne s’aventure pas pour autant sur le terrain scientifique, même si, à propos du mode de transmission de la « pestilence », elle semble privilégier la théorie des « germes » (développée dès le xvie siècle par Girolamo Fracastoro et remise au goût du jour par le microbiologiste Agostino Bassi quelques années avant la publication du livre) sur celle, encore en vigueur, des « miasmes ». Mary s’intéresse moins au fondement biologique du fléau qu’à son impact moral. La maladie détruit l’humanité de l’homme, pulvérise la ­société. Les lâches, les égoïstes, ceux qui se réfugient au loin pour fuir la contagion s’en sortent mieux que ceux qui soignent leurs semblables. Pire encore, on se contamine en famille, à proportion de l’affection que l’on se porte : plus on s’entraide, s’enlace, se cajole, plus vite on meurt.
À vrai dire, Mary Shelley n’utilise pas tant son texte pour promouvoir des idées nouvelles que pour en déprécier d’anciennes. Face à la maladie, les croyances religieuses ou autres superstitions paraissent bien peu utiles, voire toxiques, quand elles sont brandies par de faux prophètes qui profitent de l’effroi général pour encourager le fanatisme et la haine (elle donne un exemple criant de vérité de ce genre de spécimen, « l’imposteur »). Même les plus belles avancées de l’esprit moderne – la philosophie des ­Lumières, la Révolution française, le mouvement romantique – ne font pas le poids et pourraient même aggraver la situation.
Ainsi, les voyages, censés favo­riser la circulation des idées et faire progresser l’humanité, contribuent surtout à disséminer la maladie. Les hommes politiques sont incompétents, sinon nuisibles, car ils placent le plus souvent leurs intérêts propres devant ceux du peuple. Quant aux hommes de science, ils ne valent guère mieux, avec leur ­orgueil, leurs rivalités, leurs ­erreurs continuelles, leur inconséquence. Les hommes tout court sont donc livrés à eux-mêmes, à leurs stratégies incertaines et tout aussi inutiles. Les héros de ce roman se réfugient d’abord dans le « frais climat » britannique, supposé ennemi de l’infection, pour ensuite en être chassés par un autre effet de l’épidémie : l’effondrement de la société. Les gens en effet s’entre-déchirent, par fana­tisme ou juste pour se piller les uns les autres. Le virus pulvérise jusqu’aux valeurs familiales auxquelles Mary Shelley, si frustrée sur ce plan-là, est férocement atta­chée. L’humanisme n’est pas de taille face au virus, et l’humanité disparaît – elle ne l’aura pas volé. Personne ne la regret­tera, sauf l’infortuné « dernier homme », aux prises avec l’ultime tragédie, celle de la solitude.
Reste au lecteur éprouvé à ­espérer que cette fiction-là ne soit pas, pour une fois, dépassée par la réalité. 

J.-L. M.

Extrait

« La pestilence interrompit alors sa progression mortelle. Nous retenions notre souffle : personne n’osait formuler ses espoirs, mais nous étions tous dans l’excitation de l’attente, marins naufragés sur une île rocheuse au milieu de l’océan, observant un navire au loin, sans plus savoir s’il s’approche ou s’il s’éloigne. Paradoxalement, cette promesse de sursis attendrissait les plus rudes, éveillant au contraire chez les êtres les plus doux des sentiments agressifs et contre nature. Tant qu’il paraissait établi que nous étions tous destinés à mourir, nous ne nous posions que deux questions : quand et comment ? Maintenant que la virulence de la maladie s’estompait et que le fléau semblait disposé à en épargner quelques-uns, chacun voulait compter parmi les élus et s’accrochait à l’existence avec une ténacité farouche. Les cas d’abandon devinrent fréquents ; nous eûmes même connaissance de meurtres qui nous firent frémir d’horreur : la peur de la contagion avait armé la main de l’homme contre son propre frère. Mais ces tragédies particulières furent bientôt éclipsées par un événement considérable. Alors que les influences infectieuses nous accordaient un certain répit, une tempête s’éleva, plus ­furieuse que les vents, une tempête alimentée par les passions de l’homme, nourrie par ses pulsions les plus violentes, un ouragan terrible et sans précédent.
[…]
Nous traversâmes la France, et la trouvâmes dépeuplée. De rares survivants erraient dans les rues des plus grandes villes tels des fantômes. Notre groupe ne reçut donc que peu de renforts, et il en mourait tant qu’il devint bientôt plus rapide de recenser les survivants. Nous n’abandonnions jamais les malades, et attendions que la mort nous permette de déposer leurs cadavres dans l’abri d’une tombe, aussi notre voyage fut-il long, puisque chaque jour prélevait son terrible tribut dans nos rangs – ils mouraient par dizaine, par cinquantaine, par centaine. La mort ne faisant pas de merci, nous cessâmes d’en attendre ; chaque jour nous saluions le soleil, avec le sentiment que jamais plus peut-être nous ne le verrions se lever.
Les terreurs et les visions d’effroi, qui nous avaient ébranlé les nerfs au printemps, continuèrent de hanter nos troupes poltronnes tout au long de ce triste périple. Chaque soir éveillait de nouveaux spectres ; le moindre arbre foudroyé devenait un fantôme, la moindre broussaille dessinait des formes épouvantables. Nous nous habituâmes peu à peu à ces mirages, et bientôt d’autres frayeurs surgirent. Un jour, l’on chuchota que le soleil se levait désormais une heure plus tard que de coutume, puis on découvrit qu’il devenait de plus en plus pâle, et que ses ombres avaient un aspect inhabituel. Il aurait été impossible d’imaginer, au temps où la vie se déroulait de façon normale, les effets terribles que produisaient ces illusions extravagantes. En vérité, nos sens sont si peu fiables, quand ils ne sont pas confirmés par le témoignage d’autrui, que j’éprouvais les pires difficultés à ne pas partager la croyance de mes compagnons en ces événements surnaturels. Isolé au milieu d’une foule démente, j’osais à peine m’affirmer à moi-même que notre grand luminaire n’avait subi aucun changement, que les ombres de la nuit ne se matérialisaient pas en formes effrayantes et que le chant du vent dans les arbres, ou s’engouffrant dans une bâtisse inoccupée, n’était pas chargé de lamentations désespérées. Il arrivait que la réalité elle-même prenne des apparences fantomatiques. »

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« Un nouveau roman de Christian Kracht est toujours un événement. C’est, avec Botho Strauss et Peter Handke, l’auteur contemporain de langue allemande le plus contro­versé », note Ijoma Mangold dans Die Zeit. Chaque livre de l’enfant terrible des lettres suisses, poursuit le critique littéraire, est « la garantie de débats houleux dans les pages culture des journaux sur la question de savoir si son esthétisme snob ne dissimulerait pas une dangereuse dérive à droite. »
Son dernier opus, Eurotrash, vraie-fausse autofiction, a pour narrateur un certain Christian Kracht, de retour à Zurich à la demande de sa mère, alcoolique, accro aux médicaments et habituée des services psychiatriques. Bientôt, tous deux s’embarquent dans un road trip à travers le pays et le passé familial, où se mêlent sympathies nazies, argent ­caché et abus sexuels. Comme beaucoup de ses confrères, Ijoma Mangold est enthousiaste. « Kracht nous dit implicitement : peu importe comment on me classe idéologiquement, du point de vue esthétique, je suis un moderne. Et c’est vrai : c’est un éminent représentant de l’avant-garde littéraire. » 

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Il a été acclamé par Bill Clinton, David Cameron, George W. Bush, et soutenu par ­Barack Obama. Il est l’un des chouchous de la Banque mondiale. Emmanuel Macron l’a reçu à l’Élysée et lui a ­rendu visite à Kigali. C’est bien normal : il a sorti son pays d’un génocide épouvantable et en a fait l’un des mieux organisés et des plus prospères du continent africain. Émettez des réserves, et vous serez aussitôt taxé de négationniste ou de raciste. Bon. Et si tout cela n’était que du théâtre ?
Si cette thèse peu orthodoxe n’était développée que par ses opposants, on n’y prêterait guère atten­tion. Le problème, c’est qu’au fil des ans le dossier s’alourdit, nourri par de multiples témoignages émanant d’ONG comme Amnesty Inter­national, Human Rights Watch ou Freedom House et de rapports de l’ONU discrètement enterrés.Nourri également par deux livres importants : le premier, écrit par la journaliste Judi Rever, qui a travaillé pour Radio France internationale et l’Agence France-Presse, a été traduit en français cet hiver, près de trois ans après sa parution en anglais1 ; le second, de l’africaniste Michela Wrong, a paru ce printemps en anglais et est pris au sérieux par l’hebdomadaire The Economist, qui lui a consacré un dossier.
Une biologiste et médecin américaine, Helen Epstein, a publié pour sa part trois articles sur ce sujet hypersensible dans The New York Review of Books : deux en 2018 lors de la parution du premier livre, le troisième en juin dernier à propos du second. Elle-même connaît bien la ­région, pour avoir longtemps exercé et enquêté dans l’Ouganda voisin lorsqu’elle travaillait sur le sida (on lui doit un ouvrage accablant sur le dictateur ougandais Yoweri Museveni, au pouvoir depuis 19862). Helen Epstein est plus réservée que The Economist à l’égard des positions de Michela Wrong, qu’elle juge parfois naïve.
Résumons l’accusation formulée avec force par ces textes. La famille de Paul Kagame a fui un pogrom anti-Tutsis au Rwanda et s’est établie en Ouganda. C’est là que l’enfant, né en 1957, a grandi. Adolescent, il rejoint un groupe de rebelles dirigés par Museveni, lequel finit par renverser le dictateur précédent. Après quoi il devient le chef de la sécurité militaire de Museveni. Parallèlement, il prend la tête du Front patriotique rwandais (FPR), composé de Tutsis exilés en Ouganda. En 1990, appuyé par Museveni – lui-même soutenu par les États-Unis –, il envahit le nord du Rwanda et y pratique trois années durant la poli­tique de la terre brûlée, massacrant la population et contraignant les survivants à s’enfuir. Une fois son pouvoir consolidé, il prépare soigneusement la chute du dictateur hutu, Juvénal Habyarimana, chouchouté par la France. Il a probablement fait abattre son avion en 1994, déclenchant le génocide qu’il savait en préparation. Il laisse faire les massacres le temps qu’il faut pour lui permettre d’apparaître en sauveur aux yeux des Tutsis et de la communauté internationale, puis instaure une nouvelle dictature. Deux millions de Hutus ayant fui au Zaïre, il ordonne à son armée de les y poursuivre. Il renverse le dictateur zaïrois ­Mobutu, accusé de les protéger, et le remplace par un maquisard corrompu, Laurent-Désiré Kabila. Quand le dictateur nouvellement installé lui déplaît à son tour, il envahit à nouveau le pays, devenu la République démocratique du Congo, provoquant une guerre multi-États dont le bilan dépasse le million de morts. Kabila est assassiné, sans doute sur ordre de Kigali.
Le Rwanda est le pays africain le plus aidé par le FMI et la Banque mondiale. Ces deux institutions lui adressent satisfecit sur satisfecit. Mais, manifestement, les statistiques sont biaisées. La consommation stagne, la pau­vreté s’accroît. Surtout, Kagame a institué une dictature implacable, à la chinoise. Son parti a placé un agent de surveillance pour dix foyers. Personne n’ose élever le ton, sous peine d’être bastonné, emprisonné, torturé ou tué. On ne compte plus les opposants en exil assassinés, le dernier en Afrique du Sud en février dernier. Les élections sont truquées ; Kagame a changé la Constitution afin de rester au pouvoir jusqu’en 2034. Un sans-faute ! 

O.P.-V.

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