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L’expression « guerre froide » est apparue en 1945 sous la plume de George Orwell dans un article sur la bombe atomique. Utilisée pour la première fois dans le sens qui nous est familier en 1947 par le financier et politicien américain Bernard Baruch, elle fut popularisée la même année par le journaliste Walter Lippmann, qui l’employa comme titre d’une série d’éditoriaux puis d’un livre qui les rassemblait. Elle désigne à la fois l’état de tension et de rivalité entre les États-Unis et l’URSS dans les décennies qui ont suivi la fin de la Seconde Guerre mondiale et la période de près d’un demi-siècle durant laquelle ces rapports conflictuels ont largement façonné le paysage international. L’abondante littérature sur cet épisode historique est majoritairement en langue anglaise et souvent américaine : en Union soviétique, le concept de « guerre froide » n’était pas utilisé.

Au cours des derniers mois, deux livres sont venus enrichir notre connaissance de cet épisode historique. Leurs auteurs, Sergey Radchenko et Vladislav Zubok, sont l’un et l’autre des historiens russes travaillant dans le monde anglo-saxon. Nourris par l’étude approfondie des archives soviétiques, se distinguant par l’attention particulière dont y fait l’objet le comportement des leaders de l’URSS, leurs ouvrages aident à comprendre le point de vue qu’on avait sur la question de l’autre côté du rideau de fer. Les deux historiens se rejoignent en particulier pour contester que le premier objectif des leaders soviétiques, en soutenant certains régimes et des insurrections armées un peu partout dans le monde, ait été de répandre le communisme sur la planète, comme beaucoup en étaient persuadés aux États-Unis. À leurs yeux, la politique internationale de l’URSS était pour l’essentiel basée sur des considérations impérialistes de la forme la plus traditionnelle, renforcées par un fort sentiment d’infériorité à l’égard des États-Unis. Le livre de Zubok, le plus récent, vise davantage le grand public1. C’est une brillante synthèse qui résume et met en perspective tous les moments-clés de cette longue histoire, du partage de l’Europe lors de la conférence de Yalta à la fin de la Seconde Guerre mondiale, à la chute du mur de Berlin en 1989 et l’éclatement de l’URSS (dans un livre précédent, Zubok attribuait celui-ci moins aux pressions extérieures qu’aux faiblesses structurelles de l’économie soviétique et, surtout, aux erreurs de politique économique de Mikhail Gorbatchev). Le récit très enlevé enchaîne à un rythme soutenu les péripéties les plus marquantes de la guerre froide : le « long télégramme » de George Kennan formulant la politique de « l’endiguement » de l’URSS, le plan Marshall d’aide financière à l’Europe occidentale, le blocus de Berlin en 1948-1949 et le pont aérien mis en place pour le contrer, la création de l’OTAN, l’invasion de la Hongrie par les troupes soviétiques en 1956, la course aux armements nucléaires dans les années 1960, la crise de Berlin de 1961 et celle des missiles de Cuba en 1962, la répression du printemps de Prague en 1968, l’Ostpolitik allemande et les succès de la politique de la détente durant les années 1970, les premiers accords de limitation des armements et la conférence d’Helsinki de 1975 sur la paix et la sécurité en Europe, le retour des tensions au début des années 1980, la crise des euromissiles et l’initiative américaine de la « guerre des étoiles ». Zubok évoque aussi les nombreuses ramifications de la guerre froide dans le monde et les conflits locaux qui lui furent associés à un titre ou un autre : la guerre de Corée et celle du Vietnam, les guérillas et les renversements de régime en Amérique latine, les guerres de libération nationale en Afrique et les multiples troubles au Moyen-Orient. 

Présentée à l’Ouest comme le combat de la démocratie libérale contre le totalitarisme, la guerre froide était décrite par les Soviétiques comme le produit de la lutte entre l’impérialisme capitaliste et le monde socialiste. Une idée qui court tout au long du livre est que l’idéologie ne pesait pas d’un poids égal des deux côtés ; contrairement à ce qui est souvent affirmé, elle jouait un rôle plus important dans les motivations américaines. « La cause de la guerre froide, soutient Zubok, est la décision américaine de bâtir et maintenir un ordre libéral mondial, non un plan de l’Union soviétique pour répandre le communisme en Europe. » L’affirmation contenue dans la première partie de la phrase est assurément exagérée. Mais la seconde partie énonce une vérité trop souvent négligée. À Yalta, Staline défendait moins le communisme que, dans un esprit nationaliste, les ambitions territoriales de la puissance qui avait recueilli l’héritage de l’Empire russe. Dans le même esprit, si les Soviétiques ont voulu être présents au Moyen-Orient, remarque Zubok, c’était « pour y être », d’une manière qui leur assure une présence et une influence comparables à celles des États-Unis. De manière générale, souligne-t-il, on ne comprend rien au comportement de l’URSS tout au long de la guerre froide si l’on fait abstraction de l’énorme besoin de reconnaissance dont il était l’expression : reconnaissance comme ennemi puissant à redouter, mais aussi comme partenaire capable de traiter d’égal à égal avec les États-Unis et de diriger le monde avec eux.       

Lecteur de Thucydide, Zubok rappelle qu’à l’origine des guerres, il y a toujours « la peur, l’honneur et l’intérêt » : « Guerres, crises et luttes de gangs ont quelque chose en commun : elles sont le produit de l’intérêt, mais aussi de fortes émotions, de l’arrogance et de la peur. Les deux côtés veulent projeter une impression de dureté, de supériorité, de crédibilité. Les deux côtés craignent de perdre s’ils ne frappent pas les premiers. » Ceci peut se traduire par des comportements infantiles. En décidant de faire exploser en 1961 la « Tsar Bomba » de 50 mégatonnes (la plus puissante bombe nucléaire jamais construite), « c’est comme si Nikita Khrouchtchev s’était engagé avec les Américains dans une querelle de bac à sable entre des enfants : “Tu as davantage de jouets que moi, mais le mien est plus gros” ». Il savait bien, pourtant, qu’aucun missile n’était à même de transporter un tel monstre jusqu’aux États-Unis. 

Cette anecdote et plusieurs du même type illustrent deux leçons qui émanent du récit de Zubok. La première est l’importance des facteurs psychologiques, même dans un domaine aussi contraint par les données objectives (géographiques, historiques, économiques) que la géopolitique. Les portraits de Staline, Nikita Khrouchtchev, Leonid Brejnev et Mikhaïl Gorbatchev (dépeint comme un idéaliste maladroit) qu’on trouve dans le livre sont à cet égard très éclairants. La seconde leçon est le rôle inévitablement joué dans l’Histoire par la contingence et le hasard. À plusieurs moments de son récit, Zubok évoque la possibilité que les choses aient pu tourner différemment. Il fait aussi partie de ceux qui considèrent que si la crise de Cuba n’a pas débouché sur un affrontement nucléaire, c’est largement grâce à un coup de chance : ni Kennedy ni Khrouchtchev n’en voulaient, mais ils ne contrôlaient qu’imparfaitement les chaînes de commandement et les probabilités d’une erreur de communication étaient élevées. 

Depuis quelques mois, pour une série de raisons évidentes – la guerre en Ukraine, les menaces d’annexion de Taïwan par la Chine et la guerre commerciale féroce entre ce pays et les États-Unis –, il est beaucoup question dans la presse et les médias d’une « nouvelle guerre froide ». Dans les dernières lignes de son livre, Vladislav Zubok se demande dans quelle mesure il n’aurait pas dû intituler celui-ci « La première guerre froide ». « Le temps le dira », conclut-il prudemment. Sans qu’il le fasse remarquer, on peut tenir une chose pour certaine : dans l’hypothèse où une nouvelle période de guerre froide viendrait à s’ouvrir, celle-ci prendra nécessairement une autre forme que celle qui s’est clôturée au début des années 1990. Le monde de la première moitié du XXIe siècle est sensiblement différent de celui de la seconde partie du XXe. Les grands blocs sont en partie les mêmes, mais les rapports de force entre eux ont changé. La Chine s’est hissée au premier rang. Sur les plans économique, financier, technologique et énergétique, ces blocs sont par ailleurs liés par une série d’interdépendances qui ne caractérisaient pas les relations des États-Unis et de l’URSS à l’époque où ils dominaient le monde. De nouveaux acteurs de poids (Inde, Brésil) sont de surcroît apparus sur la scène internationale, dont l’émergence a modifié l’équilibre mondial.Rien ne serait plus vain et dangereux, souligne d’un autre côté Zubok, que de compter sur la capacité des gouvernements à ne pas répéter les erreurs d’autrefois. Parce que l’Histoire n’obéit pas à des règles immuables, mais aussi parce que, voudraient-ils tirer des leçons de ce qu’elle enseigne malgré tout, les dirigeants d’aujourd’hui et de demain ne seraient pas à même de les appliquer : « Les nouvelles élites démocratiques, tout comme les nouveaux autocrates, sont condamnés à avancer sur le même terrain miné, dans une demi-ignorance, victimes de l’incertitude, animés par la peur, l’arrogance, l’égoïsme et une vision myope du passé. Ainsi que le faisait remarquer un diplomate chevronné : “Presque tous les gouvernements opèrent au jour le jour, en naviguant à vue, réagissant sur la base d’informations inadéquates à des événements en dehors de leur contrôle, qui dépendent d’ordres du jour fixés par les autres”. »

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« Quand vous êtes mort, vous ne savez pas que vous êtes mort. Ce n’est douloureux que pour les autres. Il en va de même quand vous êtes bête », dit l’humoriste anglais Ricky Gervais. Dans son nouveau livre, son compatriote le journaliste et essayiste Stuart Jeffries s’intéresse à la fois à la question de ce que Robert Musil appelait la « bêtise intelligente » (le « quand vous êtes bête » s’appliquant aux esprits les plus forts) et à la bêtise que l’on pourrait qualifier de structurelle, celle qui désigne des modes d’agir et de penser répertoriés, et mobilise des collectivités humaines. « Le secret du démagogue, disait par exemple le satiriste viennois Karl Kraus, est de sembler aussi bête que son public, afin que ces gens puissent se croire eux-mêmes aussi intelligents que lui. » Surprise surprise, la tête de Turc de l’auteur est Donald Trump, « qui a légitimé la détestation des experts et valorisé des gens qui ne savent pas grand-chose », déclare-t-il à l’Irish Examiner. Il pose de bonnes questions, souligne le journal irlandais, telles que : « un animal peut-il être bête ? » ou « pourquoi les responsables nazis traduits devant le tribunal de Nuremberg avaient-ils un QI élevé ? », « le génie génétique pourrait-il éliminer la bêtise ? » et « pour commencer, qu’est-ce exactement que la bêtise ? ». Jeffries risque une analogie avec la théorie de l’évolution : « la bêtise évolue, mute et ainsi évite l’extinction ». Notre époque connaît « un pic de bêtise ; peut-être pas le pic, mais un pic ».

Dans The Guardian, son collègue Sam Leith, tout en rendant hommage à ce livre « bien informé et souvent très drôle », se demande quand même « s’il est vraiment possible que la bêtise puisse faire l’objet d’une histoire ayant un sens » et constate l’impuissance de l’auteur à bien définir le monstre. Si bien que « sa discussion se balade dans tous les champs de ses diverses significations sans jamais ériger de véritable frontière ».

[post_title] => La bêtise a le vent en poupe [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => la-betise-a-le-vent-en-poupe [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2025-09-18 15:33:48 [post_modified_gmt] => 2025-09-18 15:33:48 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=132537 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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Nous avons déjà évoqué à plusieurs reprises la question de l’inflation inconsidérée des diagnostics de troubles mentaux (voir notre compte-rendu du livre de Suzanne O’Sullivan, en mars 2025). À en juger par les critiques publiées, l’ouvrage du psychiatre britannique Alastair Santhouse est peut-être le plus abouti sur cette question délicate, qui interpelle la société dans son ensemble, le corps médical et les pouvoirs publics. Santhouse exerce son métier depuis un quart de siècle dans deux hôpitaux londoniens. Il constate une forte évolution de la psychiatrie. Il y a des progrès, en ce sens que certaines affections graves sont mieux traitées et que la compassion à l’égard des patients s’est développée. Mais justement, la compassion ne s’est-elle pas aussi dévoyée ? « La tendance actuelle est que si une personne dit souffrir d’un désordre mental, elle va invariablement trouver quelqu’un pour le lui confirmer. » Surtout bien sûr dans le secteur privé. Ainsi, « dans presque tous les cas où un patient vient me voir après avoir demandé à un organisme privé d’explorer un possible diagnostic de TDAH (trouble déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité), il en a obtenu confirmation ». Résultat ? « Le fait de concentrer nos efforts vers les troubles bénins détourne des ressources déjà limitées des cas plus sérieux », résume le docteur John Quin sur le site The Quietus. « En essayant d’être bienveillants et ouverts, nous avons sans le vouloir nui aux individus et à la population. » 

L’évolution est renforcée par l’intérêt des firmes pharmaceutiques, qui visent le plus grand nombre. Le problème de base est bien l’évolution de la société. « Les traitements, naguère prescrits sur la base de consultations approfondies, sont maintenant orchestrés par les tendances sociales, sur la base de la demande des patients », résume Jackie Law sur le site Bookmunch. « Dans notre désir de nous attacher une étiquette diagnostique censée expliquer une partie de notre expérience, écrit Santhouse, nous étroitisons le concept de “normal”, limitons le sens de ce que nous sommes, de notre façon de vivre notre vie, et réduisons notre conception de l’humanité dans toutes ses infinies variations individuelles. »

[post_title] => Est-il encore possible d’être normal ? [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => est-il-encore-possible-detre-normal [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2025-09-18 15:31:16 [post_modified_gmt] => 2025-09-18 15:31:16 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=132534 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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Cornamenta d’Horacio Castellanos Moya est une nouvelle pièce de la saga littéraire centrée sur la famille Aragón, à travers laquelle l’auteur explore l’histoire violente et chaotique de son pays, le Salvador, dans les années 1970. Le roman suit Clemente Aragón, un homme marié et respecté dans la société salvadorienne, qui s’embarque dans une aventure avec Blanca, l’épouse d’un général et ami proche. Cette infidélité, combinée à des appels mystérieux et au suicide étrange d’un catcheur membre des Alcooliques Anonymes que Clemente coordonne, le plonge dans une paranoïa croissante.

L’histoire se déroule lors d’un week-end de février 1972, période marquée par une vague de protestations, d’intrigues et de conspirations enclenchée par la fraude électorale du gouvernement militaire. À travers le destin de la famille Aragón, Castellanos Moya dépeint la dérive d’une nation en proie à un conflit sans fin. « Un roman court mais intense, amusant et magnifiquement écrit », juge Ángel Peña sur le portail espagnol The Objective. « L’humour est présent dès le titre », ajoute-t-il (les « cornes » du cocu). « La tragédie et la comédie vont de pair, explique Castellanos Moya. L’humour, l’ironie et la satire allègent la dureté de la vie, permettent d’affronter la sordidité et la cruauté, de résister à un quotidien absurde et violent. » L’histoire fait bien sûr écho à la situation actuelle.

Dans une interview donnée en mai 2025 à la BBC News Mundo, Castellanos Moya juge qu’au Salvador la démocratie a pris fin en 2019, lorsque Nayib Bukele a remporté les élections, écrasant les deux partis qui dominaient la scène politique depuis trois décennies. « Les institutions n’ont plus aucun sens, car c’est un parti autocratique qui contrôle tout. »

« Nous vivons à l’ère des anxiolytiques », confie-t-il par ailleurs à Ángel Peña. « L’anxiété touche aussi bien les personnes qui ont vécu des situations traumatisantes à un moment donné de leur vie que celles qui sont accros à l’écran de leur appareil électronique. Dans mon cas, le fait d’avoir grandi dans une société politiquement polarisée et violente n’est pas étranger à ma façon de comprendre le monde. »

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Le chamanisme est incontournable. Ses adeptes sont de partout et de tout temps, du paléolithique jusqu’à aujourd’hui, du Grand Nord jusqu’à Lascaux, de la Terre de Feu jusqu’aux campus californiens ou Barbès. C’est en effet, explique l’anthropologue Manvir Singh dans son exhaustive analyse, un phénomène « quasi inévitable dans les sociétés humaines », et pas seulement celles du lointain passé ou celles qu’on qualifie aujourd’hui de primitives. Ce n’est pas non plus « une simple étape dans l’évolution humaine », et les chamans ne sont pas des charlatans comme les présentait Diderot, mais des professionnels qui « parviennent, en se mettant dans des états particuliers, à se connecter au monde invisible pour rendre des services comme soigner ou prédire l’avenir ». Sont-ils efficaces ? Sur le plan purement thérapeutique, à voir… Mais leur vraie contribution est autre : c’est d’induire chez les patients un état à mi-chemin entre conscient et inconscient qui autorise beaucoup de choses – à commencer, condition nécessaire et quasi suffisante, par la croyance dans les pouvoirs du chaman lui-même. Mais en manipulant la psyché pour qu’elle soigne le corps, les chamans soulagent le tout, ne serait-ce que « parce qu’ils aident les gens à gérer les incertitudes » – y compris climatiques !  

Les pouvoirs des chamans procèdent d’abord d’un contexte culturel ou religieux qui les légitime, mais aussi de rituels, en tête desquels la transe. Celle-ci, postule l’historien des religions Mircea Eliade – qui a introduit dans nos langues le mot chaman, d’origine sibérienne –, « fait sortir l’âme du corps pour monter vers les cieux ou descendre vers les enfers » et produit toutes sortes d’effets, de l’extase jusqu’à la communication avec l’invisible, souvent via l’incorporation d’esprits animaux ou de divinités. Car le chamanisme, sans être une religion (ni même vraiment justifier un mot en -isme), a partie liée avec beaucoup d’entre elles, notamment le judéo-christianisme : les prophètes bibliques et leurs visions ont tout du chaman, et Jésus-Christ lui-même était – au minimum – un prophète… Mais les pratiques chamaniques sont si diverses et variées que les spécialistes les classent en fonction de… 260 variables, dont la danse, les tambours, le jeûne, le rêve, les objets sacrés, les sacrifices et meurtrissures auto-infligées, etc. Sans oublier les breuvages ou fumigations hallucinogènes, qui, à vrai dire, ne figurent que dans 5 % des rituels recensés à travers l’Histoire et le monde. Ce sont les Occidentaux qui s’abritent derrière un chamanisme réinventé pour s’autoriser l’usage de substances botaniques ou synthétisées, ayahuasca ou LSD. Peut-être même à juste titre. La psychiatrie paraît en effet redécouvrir la capacité des drogues psychédéliques à opérer un bénéfique « reset » mental après avoir déclenché « une violente désagrégation du moi » pour ensuite qu’il puisse se reconstituer, plus fort et « pourvu d’étranges capacités nouvelles », écrit James Parker dans The Atlantic. Et lorsque l’on a fait consommer de la psilocybine pour la première fois à des religieux des quatre principales religions, 96 % d’entre eux ont dit avoir ressenti la plus forte expérience mystique de leur vie, rapporte le Journal of Psychedelic Medicine. Si le chamanisme resserre les communautés, soulage les psychés en souffrance et stimule le sentiment religieux, comment s’étonner qu’il soit insubmersible ?

[post_title] => Pourquoi le chamanisme est insubmersible [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => pourquoi-le-chamanisme-est-insubmersible [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2025-09-18 15:24:55 [post_modified_gmt] => 2025-09-18 15:24:55 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=132526 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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« Toute ma vie, j’ai inventé des choses [à mon propos]. Il faudrait dix ans à quelqu’un pour séparer la vérité des mensonges. » C’est ce que déclarait en 2004 Hugo Claus au journaliste Mark Schaevers au moment où celui-ci préparait une collection d’extraits choisis d’entretiens avec lui. En référence à la vie mouvementée, à la personnalité kaléidoscopique et aux multiples facettes de la carrière artistique de Claus – romancier, poète, essayiste, dramaturge, scénariste, metteur en scène, cinéaste et peintre – Schaevers donna au livre le titre Groepsportret (« Portrait de groupe »). Vingt ans plus tard, il vient de publier une volumineuse biographie « à l’anglo-saxonne » (plus de 800 pages) de l’homme qu’on présente souvent comme le plus grand auteur flamand contemporain et, à côté de quelques confrères hollandais dont les deux plus jeunes (Cees Nooteboom et Harry Mulisch) furent ses amis, un des meilleurs écrivains de langue néerlandaise du XXe siècle. 

Comme l’intéressé l’avait prédit, ou par coïncidence, pour mener à bien ce nouvel ouvrage intitulé, dans le même esprit que le précédent, « Les vies de Claus », il a fallu à Schaevers exactement dix ans de recherches dans les abondantes archives de l’écrivain (lettres, manuscrits, carnets), complétées par des entretiens avec une centaine de personnes qui l’ont connu. Ainsi que Claus l’avait annoncé, une partie de son travail a consisté à identifier ce qui, dans une vie  qu’il avait fortement tendance à mythologiser, peut être considéré comme avéré.  

Hugo Claus est né à Bruges en 1929. Son père, qu’il décrit comme un menteur invétéré, était imprimeur. Il passa les plus tendres années de son enfance dans un internat tenu par des religieuses, où régnaient des conditions spartiates. Toute sa vie, il éprouva une « haine viscérale et instinctive » envers l’Église catholique, qu’il accusait d’exploiter à son profit les aspirations spirituelles que chacun peut éprouver. Ayant quitté l’école très tôt, il exerça  durant son adolescence et les premières années de sa jeunesse divers métiers manuels. Il était un lecteur vorace et sa culture fut celle d’un brillant autodidacte. Longtemps, il conserva le silence sur sa vie durant la Seconde Guerre mondiale. Ce n’est que par petits bouts qu’il lâcha des informations à ce sujet. On apprit ainsi successivement que ses parents avaient été collaborateurs, que lui-même avait fait partie d’un mouvement de jeunesse national-socialiste flamand, qu’il avait défilé en uniforme et s’était même rendu en Allemagne, où il avait eu des contacts avec les Jeunesses hitlériennes. Adulte, Claus professa des positions politiques radicales d’une tout autre nature. Dans une des maisons où il habita, un poster de Che Guevara était affiché au mur et il admirait Fidel Castro. À deux reprises, il se prêta au fameux questionnaire de Proust. À la question « Quel est votre héros dans la vie réelle ? », il répondit chaque fois : « Hô Chi Minh ». 

Ses sentiments envers la Flandre étaient ambivalents. Bien qu’il maîtrisât parfaitement le français, jamais il n’envisagea d’écrire dans une autre langue que le flamand. Il ne cessa néanmoins de s’en prendre avec véhémence à ce qu’il fustigeait comme la mentalité petite-bourgeoise, matérialiste, conformiste et bigote de la Flandre traditionnelle. Il vécut à différents endroits en Flandre : à Gand, Anvers, Ostende et dans le village de Nukerke, dans les « Ardennes flamandes ». Se disant « flamingant francophile », il était attaché à sa terre natale malgré toutes les critiques qu’il formulait à son égard. Ceci ne l’empêcha pas de mener une existence nomade et cosmopolite. Voyageant beaucoup (notamment en Grèce, en Turquie, en Espagne ainsi qu’à Cuba, en compagnie de son ami Harry Mulisch), il s’établit à plusieurs reprises à l’étranger : à Paris, Rome, Amsterdam, aux États-Unis, en Provence. 

Ses déménagements réguliers étaient pour une part liés à une vie amoureuse très remplie. Il n’était pas un coureur, mais attirait les femmes. Marié une première fois avec l’actrice Elly Overzier (dont il eut un fils), il eut, à côté d’aventures éphémères, de longues liaisons avec plusieurs autres femmes fréquemment rencontrées dans le milieu du cinéma : les actrices Kitty Courbois, Maria Habraken et Sylvia Kristel (interprète de la série de films Emmanuelle, qui lui donna un second fils), l’assistante de production Ellen Jens, enfin Veerle de Wit, qui devint sa seconde épouse. Reprenant à son compte l’expression d’André Breton, Claus soutenait que seul « l’amour fou » comptait à ses yeux. La plupart des femmes avec lesquelles il eut des relations sentimentales le présentèrent comme l’homme le plus important de leur vie et lui demeurèrent attachées. Ses liaisons souvent tumultueuses compliquèrent assurément sa vie. Combinées avec sa renommée artistique grandissante et les revenus qu’elle lui assurait, elles le placèrent sous les feux des projecteurs. Il avait commencé sa vie sous le signe d’une bohème confinant à la misère. Il la termina en menant grand train en compagnie de célébrités de toutes sortes. 

Au bout du compte, ce qui comptait le plus pour Claus, c’était son travail. Schaevers n’analyse que peu ses œuvres, mais il en éclaire la gestation et met en lumière leur réception contrastée : admirées, elles furent aussi régulièrement des objets de scandale. Au début de sa carrière, il avait hésité entre la peinture et la littérature. Il s’adonna aux deux. S’il opta finalement plutôt pour cette dernière, c’est parce qu’il avait le sentiment qu’elle lui permettait de s’exprimer plus complètement, en faisant appel à toutes ses ressources intellectuelles : « Rembrandt aurait pu être un imbécile », affirmait-il. Longtemps, sa peinture, influencée par l’expressionisme d’avant-garde violent du groupe Cobra, qu’il avait fréquenté à Paris, resta pour lui une activité privée et ce n’est qu’au bout d’un certain temps qu’il consentit à exposer. Son œuvre littéraire défie la catégorisation. Initialement d’allure très académique, sa poésie prit rapidement un caractère expérimental. Certains de ses poèmes sont d’un grand lyrisme et d’autres tendent à l’abstraction. Ses premiers romans frappèrent par leur réalisme et leur crudité. Son chef-d’œuvre, Le Chagrin des Belges, récit largement autobiographique et tableau burlesque, cruel, sarcastique et impitoyable de la Flandre autour de la Seconde Guerre mondiale, mélange les styles et les niveaux de langue, du néerlandais le plus savant et sophistiqué à différentes variétés de dialecte flamand. À côté de ce livre, il est surtout connu pour son théâtre. Auteur de 35 pièces, il en traduisit aussi 38 d’auteurs classiques et modernes à partir d’une demi-douzaine de langues. Une de ses mises en scène lui valut une condamnation pour outrage aux mœurs : la Sainte-Trinité de la religion catholique y était représentée par trois hommes nus. Ses excursions dans le cinéma ne furent pas toujours très heureuses. Son adaptation à l’écran du roman d’Henri Conscience Le Lion des Flandres, dont le thème est la bataille des Éperons d’or (en 1302, contre les troupes françaises) et la naissance de la conscience nationale flamande, fut jugée maladroite et pompeuse. « Les chevaux ont fait de leur mieux » ironisa un critique. Très influencé au départ par le surréalisme et Antonin Artaud, il avait en littérature des goûts éclectiques. Dans son panthéon personnel figuraient notamment Shakespeare, Flaubert, Faulkner et Gombrowicz. Lui-même se définissait comme un artiste « baroque ».  Le récit de la dernière partie de la vie d’Hugo Claus, à partir de l’an 2000, serre le cœur. La décennie précédente avait été pour lui celle du sommet de la consécration et des honneurs. À deux reprises, il fut même envisagé pour le prix Nobel de littérature. Mais les années qui suivirent furent terriblement assombries par la détérioration de sa santé et, surtout, la diminution de ses capacités intellectuelles et la perte progressive de ses facultés créatrices. Dès la fin des années 1990, une amie avait aperçu dans ses yeux « une lueur d’effroi ». Au bout d’une certain temps, il dut se rendre à l’évidence : il était atteint de la maladie d’Alzheimer. Non sans regret, parce qu’il était attaché aux plaisirs de l’existence, mais parce qu’écrire était toute sa vie et qu’il ne pouvait pas accepter de ne plus en être capable, il décida d’utiliser à son bénéfice la possibilité qu’offre la législation belge de demander l’euthanasie. La nouvelle qu’il avait eu recours à cette disposition fit grand bruit. Elle lui valut une célébrité posthume auprès de milliers de gens qui découvraient son nom à cette occasion. Elle l’aurait à coup sûr embarrassé, parce qu’il ne voulait être connu et reconnu que pour son talent et n’aurait vraisemblablement eu aucun plaisir à se voir transformé en héros et symbole d’une cause politique. Ses titres à la notoriété ne se réduisent heureusement pas à cet épisode final. Son œuvre est indiscutablement de qualité inégale. Commentant une de ses premières pièces, Gerard Reve (un des « trois grands » de la littérature hollandaise avec Harry Mulisch et Willem Frederik Hermans) disait de lui que, bien qu’il fût un « dramaturge né », une fois sur trois « il en faisait trop ». La même observation pourrait s’appliquer à l’ensemble de sa production torrentielle, dont une partie était d’ailleurs de nature purement alimentaire : il n’avait que son talent pour subvenir à ses besoins. Dans le massif imposant de son œuvre multiforme, des pics se détachent cependant – plusieurs de ses romans, ses meilleures pièces et une bonne partie de sa poésie – dont il est permis d’espérer qu’ils aideront à ce qu’on se souvienne de lui autant que les circonstances de sa mort, sa personnalité flamboyante et sa vie haute en couleur. 

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Mais non, Einstein n’était pas un mauvais élève. Il excellait en mathématiques. Il a été initié au monde de la physique par son père et son oncle, experts en ingénierie électrique. Il entra à 16 ans au renommé Polytechnicum de Zurich, où il rencontra sa première femme, Mileva, la seule élève féminine de son cours, également passionnée de physique. D’aucuns ont prétendu qu’il lui a volé ses premières découvertes, mais rien ne permet de l’étayer. On imagine souvent Einstein, devenu un employé de l’Office suisse des brevets, produisant en génie solitaire son explication de l’effet photoélectrique et la théorie de la relativité restreinte. Mais son travail consistait à évaluer des technologies de pointe en matière d’électricité. Et il était parfaitement familier des travaux de Max Planck, Hendrik Lorentz, Henri Poincaré et autres physiciens et mathématiciens de son temps. 

Les auteurs de cette nouvelle biographie décortiquent les mythes qui se sont construits autour de la personnalité d’Einstein, y compris de sa vie privée et de ses engagements politiques. Sa prise de position en faveur d’un État juif n’allait pas sans réticences : « Nos Juifs se sont révélés des nationalistes chauvins dénués d’instinct psychologique et de sens de l’équité à l’égard des Arabes de Palestine », écrit-il à sa sœur en 1930. Free Creations of the Human Mind fait partie de ces livres qui, « tout en pouvant nous donner le sentiment d’être passablement stupides, nous en apprennent beaucoup sur les fondations intellectuelles du monde moderne », écrit l’historien des sciences Dmitri Levitin dans la Literary Review.

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Dans Caro Diario, le film de Nanni Moretti, on voit le cinéaste italien tenter de faire soigner de pénibles démangeaisons en consultant une profusion de docteurs. Mais tous lui prescrivent des traitements différents, certains saugrenus, tous inefficaces. Il tombe enfin sur un médecin holistique qui lui découvre un cancer, jugulé à temps. Le bon diagnostic était pourtant à portée de main – dans le dictionnaire médical. Avec l’IA médicale telle que les enthousiastes du progrès comme la spécialiste anglaise en recherche médicale Charlotte Blease l’imaginent, la maladie de Moretti aurait sans doute été détectée ; et il n’aurait même pas eu besoin d’aller voir un médecin : via son iPhone, ses symptômes sitôt décryptés auraient déclenché une prise en charge hospitalière (gérée par une application !). C’est du moins ce qu’elle déclare dans The Guardian : « c’est trop faire la fine bouche que de nier les performances des derniers modèles d’IA médicale, qui selon certaines études surperforment massivement les médecins en raisonnement clinique, y compris face aux situations très complexes ».

Optimisme béat ? Non, réalisme, car « depuis la préhistoire, le cerveau humain n’a pas évolué aussi vite que la médecine moderne » ; et aucun médecin, malgré ses longues années d’études, ne peut consacrer les quelque 22 heures par jour supposées requises pour lire toutes les parutions biomédicales nouvelles (« une toutes les 39 secondes »), d’autant que plus de 250 nouvelles maladies rares sont découvertes tous les ans, en sus des 7 000 déjà répertoriées. Et puis, quel (sur)homme de l’art pourrait travailler à 100 % de ses capacités « 24 heures sur 24 et sept jours sur sept, sans avoir à dormir ni à aller aux toilettes », tout en maîtrisant les évolutions scientifiques récentes. Un surhomme multi spécialisé qui plus est, disponible toujours et partout, imperméable aux difficultés présentes du système médical, qui ne laisserait jamais rien passer sur une radio, et qui envisagerait tous les diagnostics, tous les traitements, même les plus inaccoutumés… 

Ne rêvons pas disent les sceptiques qui invoquent les erreurs de l’IA médicale, il est vrai encore un peu dans l’enfance. En revanche, ils négligent les erreurs médicales humaines, à propos desquelles ce livre déverse sur le malheureux lecteur des tombereaux d’exemples et statistiques accablantes. Limitons-nous à celles-ci : au cours d’une vie, chaque personne devrait être victime d’au moins une erreur de diagnostic – lesquelles aux États-Unis provoquent chaque année 800 000 décès ou accidents graves (plusieurs études moins pessimistes évoquent un chiffre inférieur : 10 % des 3 millions de décès annuels, ce qui n’est déjà pas mal). 

Le vrai problème est pourtant autre : c’est la fracture digitale. Un quart de l’humanité – celui précisément qui vit dans les déserts médicaux ou dans les déserts tout court – n’a pas accès à Internet, par manque de couverture, de moyens ou juste de compétences. Sous cet aspect-là aussi, le futur est plein de promesses. Mais en attendant, le bon vieux praticien à stéthoscope avec sa salle d’attente saturée a encore de beaux jours devant lui – d’autant plus beaux que peu à peu l’IA pourra graduellement mieux l’épauler dans son immense tâche.

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Faut-il revenir à un texte d’il y a presque un siècle pour expliquer le présent ? L’idée en est venue à Tamara Tenenbaum quand, voici trois ans, on lui proposa de traduire Une chambre à soi, texte féministe emblématique de Virginia Woolf publié en 1929. Le cahier consignant les réflexions qui lui venaient à l’esprit en réalisant ce travail lui a inspiré cet essai, intitulé « Un million de chambres à soi ». Partant des idées de « Virginia » (comme elle l’appelle tout au long du livre) sur la nécessaire indépendance économique des femmes, seule capable de leur permettre d’avoir « une chambre à soi » (un temps à soi, un lieu à soi) pour créer et écrire, elle conduit une interrogation sur le monde actuel, qui à certains égards lui paraît relever d’un « temps étranger » (sous-titre du livre). « Les débats qui m’intéressent sont considérés comme dépassés, et parmi les débats actuels, certains me semblent idiots », confie-t-elle au journal argentin Página 12. L’un des thèmes centraux de son livre est celui du ressentiment. Pourquoi les injustices sont-elles canalisées par l’extrême droite alors qu’elles étaient autrefois la matière première des pensées de gauche ? se demande-t-elle. Se réclamant d’une gauche « conservatrice », elle préconise un retour à « un humanisme viable ». « Nous devons traiter les réseaux sociaux et Internet comme s’il s’agissait de cocaïne, dans le sens où ils sont addictifs et nocifs », écrit-elle par exemple. Elle s’inquiète de la dévalorisation dont souffre la notion de travail. « Les personnes qui n’ont jamais travaillé, même si elles militent, ne savent pas ce qu’est le collectif. Le militantisme, cela consiste à se réunir avec des personnes qui vous ressemblent. Mais le collectif, c’est passer du temps avec des gens qui ne vous ressemblent pas et le supporter. Je pense que 99 % des gens apprennent cela en travaillant. »

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Au large de l’extrême nord-ouest du Groenland, l’île Axel Heiberg, dans le Grand Nord canadien, connaissait naguère un climat comparable à celui de l’actuelle Louisiane. Crocodiles et tortues s’accommodaient du long hiver arctique et du soleil de minuit. C’était il y a 45 millions d’années. Et il y avait des chênes. On compte aujourd’hui pas moins de 426 espèces de cet arbre remarquable, présent dans les deux Amériques et tout le continent asiatique. Le pays comprenant la plus grande diversité de chênes est le Mexique. Cette surprenante faculté d’adaptation, qui avait déjà étonné Darwin, s’explique aujourd’hui tant bien que mal par un phénomène biologique connu des seuls évolutionnistes : l’introgression. En principe, ce qui définit une espèce est l’impossibilité pour un individu de produire une descendance fertile en s’accouplant avec un individu d’une autre espèce. Croisement du cheval et de l’âne, la mule ne peut féconder. L’introgression permet à deux espèces d’échanger des gènes mais de conserver leur identité.

Directeur de l’Arboretum Morton près de Chicago, Andrew L. Hipp expose ce que l’on sait de ce mécanisme hétérodoxe, qui oblige à repenser quelque peu l’image stéréotypée de l’arbre de la vie : celui du chêne est imprégné d’interconnexions, résume Steve Potter sur le site de la vénérable International Oak Society. « La plasticité morphologique et la variabilité génétique du chêne en ont facilité l’adaptation aux changements de l’environnement. » Au centre du dispositif, le gland : « une noix bourrée de nutriments que sa capsule protège, au moins en partie, du feu, de la sécheresse et des prédateurs », écrit Andrew L. Hipp. Depuis ces temps immémoriaux, traversant de multiples glaciations, les chênes « ont survécu en étant au bon endroit au bon moment, munis de la bonne trousse à outils ».

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