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Les économistes s’intéressent à tout, même aux religions. Témoin le dernier livre de Paul Seabright, l’un de nos plus distingués immigrés, qui enseigne à la Toulouse School of Economics. Le sujet est sérieux : en 2016, rien qu’aux États-Unis, le chiffre d’affaires des organismes liés à la religion était estimé à 378 milliards de dollars, soit plus que le chiffre d’affaires combiné d’Apple et de Microsoft, rapporte The Economist. Si les religions se prêtent bien à l’analyse économique, c’est qu’elles offrent un produit (le salut, entre autres), ont un réseau de fournisseurs (prêtres, imams…) et entretiennent de bons réseaux de distribution, observe le magazine. La concurrence qu’elles se livrent relève de celle des marques. On voit les marques dominantes (christianisme, islam…) remplacer les petites religions locales comme les grandes enseignes (Walmart et autres Carrefour) remplacent les boutiques locales. Elles offrent aussi une belle uniformité de service. De ce point de vue, l’Église catholique rappelle McDonald’s. 

Seabright compare les religions aux « plateformes » numériques mises en place par les grandes entreprises pour fidéliser leurs clients et en recruter de nouveaux. Mais des plateformes particulières, dans lesquelles les clients (les fidèles) payent pour un double service : celui rendu à eux-mêmes et celui rendu à la communauté à laquelle ils appartiennent. 

L’économiste introduit son livre en présentant un personnage symbolique, une jeune Ghanéenne qui, « en dépit de sa pauvreté, fait des dons généreux à son église locale, dont le pasteur “conduit une grande Mercedes et arbore une ceinture avec une large boucle ronde décorée avec le motif du dollar” », relève Sascha O. Becker dans le Journal of Economic Literature. « Elle dépense plus pour son église que pour tout autre bien que sa nourriture et perdrait les liens sociaux ainsi constitués si elle passait à une autre église ». Il cite Seabright : « La communauté est un bienfait, mais elle peut aussi vous enfermer ». 

L’auteur, qui n’est pas croyant, en profite pour évaluer l’évolution de la sécularisation. Contrairement à d’autres, il ne croit pas à la disparition des religions. Elles vont « continuer à pourvoir à de réels besoins humains mieux que la plupart des alternatives disponibles », écrit Becker.

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Cinq livres au moins sont parus ces derniers temps dans le monde anglosaxon pour relater le retour en grâce des « psychédéliques », ou drogues hallucinogènes. Dans The New York Review of Books, Mike Jay, l’auteur d’un de ces livres (Psychonauts: Drugs and the Making of the Modern Mind), en évoque deux autres, celui de la journaliste Rachel Nuwer (I Feel Love) et celui du pharmacologue Torsten Passie, The History of MDMA (« Histoire de l’ecstasy »). Dans le Times Literary Supplementl’écrivain et universitaire Charles Foster rend compte aussi de I Feel Love, de celui de Mike Jay et encore de deux autres, Ten Trips: The New Reality of Psychedelics (« Dix trips ») par le neuropsychologue Andy Mitchell et Psychedelics: The Revolutionary Drugs That Could Change Your Life, par le neuropsychopharmacologue David Nutt, célèbre outre-Manche.

Ces cinq livres décrivent la remarquable inversion du consensus médical dont les psychédéliques ont fait l’objet ces dix dernières années : « un revirement à 180° par rapport au consensus de la fin du XXe siècle », écrit Mike Jay. L’ecstasy, en particulier, avait été criminalisé aux États-Unis en 1985. Encore en 2002, des chercheurs de l’université Johns-Hopkins annonçaient une « bombe à retardement », des dizaines de milliers d’usagers devant se retrouver aux prises avec une maladie de Parkinson incurable. De nouvelles recherches, dont certaines menées dans cette même université, aboutissent à une conclusion inverse : l’ecstasy est devenu un candidat sérieux pour traiter la maladie de Parkinson ! En 2017, la FDA américaine (Food and Drug Administration) a autorisé l’engagement d’une procédure accélérée d’essais cliniques, et lors d’un colloque très médiatisé en juin 2023, Rick Doblin, président de l’Association pour les études psychédéliques (MAPS), a annoncé l’autorisation de l’ecstasy en psychothérapie pour cette année 2024. La « drogue » est notamment considérée comme efficace pour le traitement du trouble de stress post-traumatique (PTSD). Mais ses promoteurs ont de plus grandes ambitions. Pour Doblin, l’usage généralisé de l’ecstasy annonce une « humanité spiritualisée » délivrée de ses conflits et un « trauma net zéro pour 2070 ». 

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Fut un temps – entre les XIVe et XVIIe siècles – où la magie blanche était un véritable service de proximité. En Angleterre, par exemple, on faisait appel aux talents des « roués » pour résoudre toutes sortes de problèmes du quotidien, en tête desquels ceux d’amour. Les préconisations peuvent surprendre. Pour se venger d’un mari infidèle en le rendant impuissant, il fallait jeter un cadenas dans un puits et sa clé dans un autre. Pour séduire un homme, le mieux était que la femme amoureuse lui fasse manger un poisson étouffé dans son propre vagin ou bien un pain pétri avec ses propres fesses, éventuellement assaisonné de sang menstruel. Efficace ? Allez savoir. En tout cas, les « personnes rouées » avaient, tout comme les voyantes modernes et autres consultants, de bonnes connaissances de l’âme humaine, judicieusement utilisées pour identifier des coupables, guérir des addictions, soigner des troubles mentaux, découvrir des cachettes... Les prestataires de magie connaissaient bien des trucs dans bien des domaines, du pratique au médical et au psychologique. Ils communiquaient à leurs clients « un sentiment de pouvoir face aux situations hors de leur contrôle », explique la médiéviste britannique Tabitha Stanmore. La fourniture des prestations magiques au quotidien était un business très apprécié, très prospère et parfaitement légal, car à l’époque seule la magie noire, celle qui visait à nuire à autrui avec l’assistance du démon, était réprimée. Ce n’est qu’avec la Réforme qu’on a commencé à chasser les sorcières, souvent avec acharnement. L’époque était en proie à un grand tumulte social et religieux, et les différents cultes se livraient « à une véritable surenchère de pureté dans un marché hautement concurrentiel », écrit Laura Miller dans Slate. Il fallait impérativement faire place nette pour garantir à ces praticiens une exclusivité face à une autre corporation de magiciens faisant eux aussi appel au surnaturel : les prêtres. 

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Lorsque le journaliste argentin Juan Luis González a écrit son livre, en 2022, il était loin d’imaginer que Javier Milei allait devenir président le 10 décembre 2023. Déjà ses camarades de lycée l’appelaient « El Loco » (le fou). Solitaire, battu par son père – sa mère laissait faire –, il ne semble pas avoir eu d’amis ni de partenaires avant 47 ans. « Il vivait tellement seul qu’il a passé quinze Noël et quinze Nouvel An à trinquer seul avec son chien », écrit González.

La réalité dépasse la fiction. Quand son chien Conan meurt d’un cancer en 2017, il engage un médium pour communiquer avec lui. Il l’avait cloné en quatre exemplaires, qui vivent encore à ses côtés. Chacun d’eux porte le nom d’un économiste ultralibéral célèbre. Le même médium a introduit sa sœur Karina aux arts mystiques, dont le tarot. Milei voue à sa sœur une véritable adoration. Il l’appelle « El Jefe » (le chef), nom qu’il donne aussi à Dieu. Il la compare à Moïse et dit qu’elle est l'une des dix personnes au monde dotées du plus grand développement spirituel. Alors qu’elle vendait des gâteaux sur Instagram, il l’a nommée Secrétaire générale de la Présidence argentine. Au lendemain des élections primaires, ayant reçu un appel du Fonds monétaire international, il leur a dit de s’adresser à sa sœur.

Milei dit devoir son ascension politique à une révélation lors d’une communication avec son chien mort : nouveau messie, il devait entrer en politique et accéder à la magistrature suprême pour « combattre le Malin ». Le livre de González est un bestseller en Argentine et vient d’être publié en Espagne dans une version actualisée.

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En ouverture de la volumineuse biographie qu’il consacre à Josep Pla, le plus célèbre écrivain catalan du XXe siècle, Xavier Pla (sans lien de parenté) rapporte qu’il aimait emprunter les vêtements des autres et les porter. Toute sa vie, il a voué une grande attention à sa tenue, qu’il étudiait avec soin. Les photos qu’on a de lui dans sa jeunesse le montrent sous l’aspect d’un dandy élégant portant chapeau melon. À partir de la cinquantaine, un béret vissé sur la tête, il a l’air d’un vieux paysan. Xavier Pla interprète ce trait comme le produit de la volonté de dissimulation d’un homme se cachant constamment derrière des masques et soucieux de façonner son image : à quatre reprises, il a envisagé de faire écrire sa biographie, mais aucun de ces projets ne s’est jamais concrétisé, parce que ce qu’on lui proposait ne correspondait pas à la manière dont il voulait qu’on se souvienne de lui.   

Il écrivait en catalan et se considérait comme un auteur catalan. Mais il maîtrisait parfaitement le castillan, et une bonne partie de son œuvre a initialement été rédigée en espagnol : par obligation, lorsque, durant les premières années du régime du général Franco, l’enseignement et l’utilisation publique du catalan furent réprimés, ou par nécessité, plusieurs des journaux pour lesquels il a travaillé toute sa vie étant publiés en castillan. À sa mort, en 1981 à l’âge de 84 ans, ses œuvres complètes, qui sont établies en catalan, comprenaient 38 volumes. La plus grande partie des textes qui les composent (articles de reportage, récits de voyage, journaux personnels) avait été réécrite pour l’occasion. Aujourd’hui, avec l’ajout de textes retrouvés, elles remplissent 47 volumes représentant plus de 30 000 pages.

Son existence romanesque – il a beaucoup voyagé et a traversé, en observateur ou en acteur, plusieurs épisodes historiques dramatiques – est très bien documentée : il gardait absolument tout, tickets de trains et cartons d’invitation compris, et les membres de sa famille, graphomanes comme lui, n’ont cessé d’échanger des milliers de cartes et de lettres, qui ont été conservées. S’il parle beaucoup de lui dans ses livres, ce qu’il y révèle de sa vie, ainsi que dans les entretiens qu’il a accordés, est entaché d’omissions, d’imprécisions, voire de purs et simples mensonges. 

En 1 500 pages très détaillées, la biographie de Xavier Pla apporte des réponses aussi précises qu’il est possible aux questions qu’on s’est longtemps posées à son sujet. Une section entière est ainsi consacrée à reconstituer minutieusement le processus de fabrication de son livre le plus connu (le seul traduit en français), Le Cahier gris, paru en  1966. L’ouvrage se présente sous la forme d’un journal de jeunesse avec entrées datées. Il frappe par la maîtrise stylistique et la maturité intellectuelle étonnantes dont témoigne un jeune homme de 21 ans. Rien de surprenant, toutefois, lorsqu’on découvre à quel point le document initial a été réécrit et complété par des textes postérieurs. 

Dans Le Cahier gris, Pla évoque ses années de jeunesse entre son village natal de Palafrugell, dans la région de l’Ampourdan, où son père était un petit propriétaire terrien, et Barcelone, où il étudiait tout en fréquentant assidûment les cafés littéraires. Son ambition était d’écrire et, son diplôme de droit acquis, il put très rapidement la satisfaire comme correspondant des journaux Las Noticias et La Publicidad, successivement à Paris, Madrid, Lisbonne, Rome et Berlin. A-t-il personnellement assisté à la marche sur Rome de Mussolini, comme il l’affirma plus tard ? Sans doute pas. La description qu’il fait de Mussolini, « les mâchoires serrées, avec un regard féroce, d’un tragique de mélodrame », n’en est pas moins réussie. Dans le recueil de ses chroniques de Madrid au moment de l’établissement de la République, on trouve des portraits frappants de Miguel de Unamuno et de José Ortega y Gasset. Il saisit ce dernier lors d’une conférence : « La partie inférieure du visage – les lèvres, la bouche, le menton – est impérieuse, commandée par une forte mâchoire. Mais les yeux (et le front, dense et concentré) les domine. […] La voix d’Ortega est prodigieuse. C’est une voix pleine, de baryton noble, d’une admirable précision dans les nuances, qui vocalise parfaitement. […] Une voix forte et en même temps douce, fruitée, délicate […]. Comme un vieux meuble en bois de qualité, solidement fabriqué à l’aide d’un travail persistant et mystérieux. »

Le séjour de Pla à Berlin d’août 1923 à mars 1924 marque un moment fort de sa carrière de correspondant international. À raison de trois ou quatre articles par semaine, il rend compte dans La Publicidad de l’inflation monétaire monstrueuse qui frappe le pays, dont il montre les effets et explique les mécanismes avec verve et un grand sens pédagogique. Les Allemands, remarque-t-il, tendent à attribuer aux juifs la responsabilité de la chute vertigineuse du mark, qui peut perdre plusieurs fois sa valeur d’un jour à l’autre. Dans les brasseries de Munich, il observe la naissance du national-socialisme. Avant de rapporter longuement des propos assez terrifiants d’Hitler, conformément à son habitude, il commence par décrire son habillement : « Le vêtement qui distingue Hitler est l’imperméable. Un imperméable ordinaire, avec ceinture et grands rabats. » En 1925, un voyage à Moscou lui fournira l’occasion de décrire les réalités de la Russie communiste à ses débuts. 

En Catalogne comme en Espagne, Josep Pla a longtemps été une personnalité controversée pour des raisons politiques. Toute sa vie, il est resté fidèle au catalanisme, la doctrine selon laquelle le peuple catalan forme une nation distincte possédant son identité propre. De tempérament libéral-conservateur, il adhéra dans sa jeunesse à la « Ligue régionaliste » de Francisco Cambó, dont il fut député au Parlement régional. L’avènement de la République le poussa vers un antirépublicanisme de plus en plus virulent. Partisan de Franco durant la guerre civile, il se livra, au cours de la Seconde Guerre mondiale, à des activités d’espionnage pour les services secrets franquistes, tout en étant membre d’un réseau mis en place par les services secrets britanniques et l’OSS, l’ancêtre de la CIA, pour faire évader de la France occupée des prisonniers alliés. Il s’éloigna du franquisme après la guerre en raison de l’hostilité du régime au catalanisme. À la fin de sa vie, son éloge d’António Salazar et sa condamnation de la révolution des œillets au Portugal achevèrent de le discréditer aux yeux de la gauche politique et littéraire catalane. L’opprobre dont il fut longtemps frappé est à présent levé en grande partie.    

En janvier 1977, à l’âge de 79 ans, il était l’invité d’A Fondo, programme de la télévision espagnole animé par Joaquim Soler Serrado. L’émission fut un succès. Pla s’y livra à un brillant numéro de mise en scène de lui-même, se montrant tel qu’on aimait l’imaginer : sarcastique, ironique, déconcertant, provocateur mais aussi, souligne Xavier Pla, secret et fuyant, esquivant « comme une anguille » les questions auxquelles il ne souhaitait pas répondre. Interrogé sur sa vie amoureuse, il n’hésita pas à affirmer n’en avoir jamais eu, ce qui est une flagrante contre-vérité. On lui connaît huit liaisons durables, auxquelles Xavier Pla consacre de nombreuses pages. On retiendra les noms d’Esperanza Suquet, objet d’un amour de jeunesse qui dura cinq ans, Aly Herscovitz, une jeune juive rencontrée à Berlin, qui l’aida à se familiariser avec la vie allemande, Lilian Hirsch, une étudiante suisse, et surtout ceux des trois femmes qui ont le plus compté dans sa vie :  Adi Enberg, fille du consul du Danemark à Barcelone, polyglotte et cosmopolite, avec laquelle il vécut quinze ans, Aurora Perea, une femme d’origine modeste qui fut pour lui l’objet d’une longue obsession (il fit plusieurs fois le voyage en Argentine, où elle s’était établie, pour la rejoindre), et Consuelo Robles, qui fut sa compagne durant huit ans, après qu’il se fut définitivement installé, à l’âge de 50 ans, dans le mas familial. Sa correspondance avec certaines de ces femmes a été incluse après sa mort dans ses œuvres complètes, mais, à quelques exceptions près, il ne mentionne le nom d’aucune d’entre elles dans ses livres. 

Nourri des classiques anciens et modernes (les Grecs et les Latins, Érasme, Dante, Shakespeare, Laurence Sterne), admirateur de Tolstoï, Tchekhov, Proust, Joyce, Thomas Mann et Pío Baroja, très marqué par Montaigne, Pascal, La Bruyère, Joubert et la tradition des moralistes français, il avait pour modèles, sur le plan littéraire, des auteurs au style sec, sobre, rapide et dépouillé : Stendhal, Paul Morand, Hemingway, Simenon. Si ses vastes lectures se laissent deviner, il répugnait à faire des citations, détestait les formulations générales, abstraites, pompeuses et savantes et privilégiait toujours une écriture directe, concrète et imagée qui a profondément influencé le journalisme littéraire catalan. L’usage qu’il fait d’adjectifs choisis avec précision se voit très bien dans ses portraits de personnes et ses descriptions de paysages, comme cette évocation des ciels de l’Ampourdan, dont il fait comprendre à quel point leur contemplation a influencé la peinture de cet autre catalan célèbre qu’est Salvador Dalí : « La tramontane est un vent sec, impétueux, tonique, fou, qui a l’air d’avoir été créé par la nature pour produire des ciels absolument vides, totalement démeublés. Trois heures après la tramontane, le ciel se transforme en une voûte immense, une coupole d’une pureté linéaire, dans laquelle il y a un air, une lumière, d’une clarté statique, nette, lumineuse, aiguisée, brillante. Dans cette lumière, les lointains se distinguent avec une présence prodigieuse, les horizons semblent se rapprocher, les objets – les oliviers, les cyprès, les montagnes bleues, la mer éblouissante – se dessinent avec une perfection obsédante. »Individualiste, matérialiste et sceptique, Josep Pla était en même temps un homme capable de passions violentes ou autodestructrices, comme en témoignent ses obsessions érotiques ou son alcoolisme et son tabagisme compulsifs, qui finirent par avoir raison de son cœur robuste. Enclin à la misanthropie, il était aussi séduisant et séducteur. Très conscient de son talent, il se présentait pourtant comme un homme n’ayant publié des livres que forcé par ses éditeurs. Réputé pour son humour et le regard amusé qu’il portait sur le monde, il apparaît souvent en proie à une tristesse que le spectacle de manifestations du progrès qu’il désapprouvait n’a fait qu’accentuer. Très sociable, engageant facilement la conversation avec n’importe qui, il aimait cependant la solitude : pour accomplir les voyages qu’il a effectués durant la deuxième partie de sa vie en Méditerranée, puis aux États-Unis, en Amérique du Sud, à Cuba et en Israël, il préférait embarquer sur des pétroliers ou des cargos plutôt que des paquebots, parce qu’ils naviguaient plus lentement et qu’il n’y avait de contact qu’avec les membres de l’équipage. Et lorsqu’il écrivait, ce n’était jamais dans les cafés comme certains de ses confrères, mais toujours dans la solitude. Si sensuel qu’il fût, appréciant pleinement tous les plaisirs de la vie et la beauté sous toutes ses formes, ses joies les plus intenses, c’est dans la lecture et l’écriture qu’il les a trouvées.

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En 1576, à l’époque de notre Henri III, une princesse moghole, fille de l’empereur Babur, obtint l’autorisation de son neveu Akbar, le fameux souverain dont on visite encore le palais à Agra, au sud-est de Delhi, de se rendre en pèlerinage à La Mecque et à Médine. Avec sa suite elle y resta quatre ans. Sur le chemin du retour, son bateau fit naufrage près d’Aden, mais elle revint. Elle était lettrée, et en 1587, alors qu’elle avait 63 ans, Akbar lui confia la tâche de rédiger ses souvenirs à la cour de son père puis de son demi-frère Humayun, qui lui avait succédé. Ce texte devait être incorporé dans l’Akbarnama, histoire officielle de l’empire. Elle était la seule femme à être invitée à y contribuer et son manuscrit, inachevé, est l’unique texte émanant d’une femme dans le XVIe siècle moghol. Elle est morte en 1603, à l’âge de 80 ans.De cette femme hors du commun on sait en réalité assez peu de choses, d’autant que son manuscrit, très court, s’arrête en plein vol, au milieu d’une phrase, sans qu’on sache pourquoi. Spécialiste de la civilisation moghole, l’Américaine Ruby Lal tisse un récit en partie imaginaire, destiné à faire revivre cette culture si particulière, dont les chefs jusqu’alors itinérants se sont transformés en empereurs. Gulbadan Begum, la « princesse au corps de rose », est née sous l’auvent d’une tente. Âgée de seulement 7 ans, elle avait fait le voyage de Kaboul à Agra pour rejoindre son père. « Un triomphe de reconstruction historique », écrit le spécialiste de l’Inde John Keay dans le Times Literary Supplement

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On l’a oublié, Volodymyr Zelensky avait été pris comme bien d’autres la main dans le sac : l’enquête internationale des Panama Papers avait révélé, peu avant son élection, que sa société de production avait acquis trois appartements de luxe à Londres grâce à de l’argent mis dans trois paradis fiscaux, dont les Îles Vierges britanniques. Une mince affaire, en réalité, au regard des sommes gigantesques que les multinationales mettent ainsi à l’abri du fisc. Le montant total des capitaux détenus offshore s’élèverait à deux fois et demie le PIB de la France. Or la moitié des paradis fiscaux sont des dépendances ou anciennes dépendances de l’empire britannique. L’île de Guernesey couve ainsi des milliards de dollars de la société pétrolière BP. Dans son livre, le juriste Kojo Koram, de l’université de Londres, décrit l’histoire de ce que son collègue économiste Ronen Palan appelle le « second empire » britannique. Elle est complexe, mais peut se résumer en quelques mots : l’empire lui-même ayant explosé sous la pression des nationalismes, les banquiers de la City en bâtirent un autre. Dans The New York Review of Books, l’historien canadien Quinn Slobodian feint de s’étonner : « L’aspect le plus remarquable de ces scandales est la vitesse avec laquelle ils disparaissent des gros titres des médias ». En dépit d’initiatives récentes, dont on ignore si elles aboutiront, « le “second empire” des paradis fiscaux se maintient, malgré le fait indéniable qu’il favorise la corruption, assèche les finances publiques et exacerbe les inégalités ».

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L’indomptable journaliste Martha Gellhorn est la seule représentante de la presse à avoir participé au débarquement en Normandie. Et encore, en tant que passagère clandestine : ses demandes renouvelées avaient été refusées. Elle se fit passer pour infirmière et embarqua sur un navire hôpital. « L’armée américaine interdisait aux femmes de participer à l’Opération Overlord, elle les destinait à être infirmières, à travailler dans les services postaux ou dans le renseignement », explique Rosario Raro dans un entretien avec le portail Todo Literatura. Troisième épouse d’Hemingway, elle avait couvert à ses côtés la guerre d’Espagne pour le Collier’s Weekly. Mais après le débarquement en Normandie, alors que le célèbre écrivain fut décoré et apparut à la « une » de magazines entouré de soldats, déclarant qu'il avait dirigé une partie des manœuvres sur les plages de Normandie, Martha Gellhorn fut sanctionnée pour avoir enfreint les règles. Ayant dicté sa chronique du débarquement par téléphone à un militaire américain, elle apprendra que rien n’a été publié. Ayant menacé le Collier’s Weekly, celui-ci publiera quelques mois plus tard son texte mutilé sans sa signature. En 1945 elle divorça, refusant, selon ses termes, « d’être une note en bas de page dans la vie de quelqu’un d’autre ».

Dans son roman historique, le quatrième qu’elle consacre à la Deuxième Guerre mondiale, l’écrivaine espagnole Rosario Raro fait de Martha Gellhorn son héroïne principale. Mais bien d’autres personnages interviennent, réels ou fictifs, en particulier les scénaristes et acteurs d’Hollywood qui ont participé à la création de « l’Armée fantôme » mettant en scène la fausse préparation d’un débarquement à Calais, chars gonflables et haut-parleurs à l’appui. Elle convoque aussi la photojournaliste Lee Miller qui, à la fin de la guerre, se fit photographier nue dans la baignoire de l’appartement d’Hitler à Munich. 

Le premier roman historique de Rosario Raro, Dernier train pour Canfranc, est disponible en français. 

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En matière d’espionnage, notre siècle, pourtant bien porté sur la chose, n’a pas beaucoup inventé – dans les méthodes du moins. C’est ce que montrent Nadine Akkerman et Pete Langman en se focalisant sur l’histoire de l’Angleterre sous la reine Elizabeth Ire, et notamment sur l’intense activité barbouzesque au château de Fotheringhay où Marie Stuart vivait les derniers jours de sa captivité. L’infortunée reine d’Écosse tentait en effet de communiquer avec ses ultimes soutiens à Londres en utilisant tous les moyens du temps, de l’encre invisible au chiffrage des lettres en passant par l’emploi d’agents doubles. Hélas, Londres avait un temps d’avance. La correspondance cryptée entre Marie Stuart et un de ses amis, un jésuite incarcéré dans la tour de Londres, était interceptée par l’habile maître espion d’Elizabeth, Françis Walsingham, puis falsifiée pour mieux incriminer la prisonnière. Sur leur dernier échange, le décrypteur londonien dessina un échafaud pour indiquer aux malheureux correspondants qu’ils avaient été piégés et quelque temps plus tard Marie Stuart était décapitée. Les espions du XVIIe siècle disposaient déjà d’un arsenal de gadgets meurtriers digne de James Bond, avec par exemple un pistolet caché dans un chapeau qui tirait quand le porteur baissait la tête. Mais ils avaient considérablement progressé en matière de chiffrage et déchiffrage, avec des machines à clé polyglottes et des inventions de plus en plus sophistiquées, ainsi que dans les techniques de contrefaçon de sceaux, le montage d’opérations et l’utilisation d’ambassadeurs-espions. Pour autant, c’est vraiment dans « l’art noir », celui de la fabrication des poisons, que les avancées furent les plus remarquables (hélas pas dans la mise au point de contre-poisons). Les auteurs fournissent des explications très détaillées sur les différentes techniques. Mais malgré toute sa sophistication, l’espionnage à la Renaissance avait encore un côté artisanal, privé, décentralisé. Il restait l’apanage des maîtres espions qui apparaissaient et disparaissaient au gré du temps avec leur savoir. L’ultime étape, celle de l’institutionnalisation de l’activité, ne sera franchie qu’à la fin du XVIIe, quand Charles II accèdera au trône. On assistera alors « à l’émergence de cabinets noirs […] et à la mise en place d’officines spécialisées et intégrées qui garantiront la préservation des connaissances et la constitution d’archives », écrit Peter Davidson dans la Literary Review. Depuis lors et jusqu’aux prouesses de la Stasi, l’art du contre-espionnage bien sûr progressera encore – mais par une progression en degré, pas en nature.

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Un cliché répandu parmi les professionnels de la vulgarisation scientifique veut que chaque équation introduite dans un livre fasse perdre à celui-ci la moitié de ses lecteurs potentiels. La formule est exagérée, mais il y a certainement là un vrai problème pour tous ceux qui souhaitent expliquer au public profane les grandes idées scientifiques. C’est particulièrement évident dans le cas de la physique, dont les concepts s’expriment directement en termes mathématiques. Généralement, les physiciens et les journalistes scientifiques contournent la difficulté en recourant à des images, des métaphores, des comparaisons plus ou moins adéquates qui peuvent aider à saisir intuitivement ce dont il est question. Mais avec de tels procédés, quelque chose des idées qu’on expose est nécessairement perdu, et leur utilisation peut avoir pour effet d’induire des représentations inexactes et trompeuses.  

Refusant de s’accommoder de cette situation, Sean Carroll, physicien et vulgarisateur réputé, a fait le pari qu’il pouvait exister une forme de connaissance de la physique intermédiaire entre celle de l’amateur informé, qui reste imprécise et approximative, et celle du spécialiste. Pour donner au lecteur non professionnel accès à la vraie nature des connaissances en physique et à la manière dont les physiciens réfléchissent, l’idée est de leur apprendre, non à résoudre les équations régissant les différents phénomènes – une tâche que ne peuvent accomplir que les physiciens et les étudiants en physique –, mais à en comprendre le sens et la fonction, en précisant la signification des symboles et des termes qui les composent. 

Cet effort s’est concrétisé sous la forme d’une trilogie de livres. Le premier était consacré à la mécanique classique, la théorie de la relativité (restreinte et générale) et la gravitation. Le second, qui vient de paraître, traite de la mécanique quantique, la théorie quantique des champs et la physique des particules. Le troisième portera sur les systèmes complexes et les phénomènes d’émergence. L’entreprise n’était pas tout à fait inédite. Il y a cinq ans, Leonard Susskind et des collaborateurs, sous le titre général « Le minimum théorique », ont entamé la publication d’une série d’ouvrages basés sur le même principe (comme ceux de Sean Carroll, ils trouvent leur origine dans des conférences en ligne). Mais ils s’adressent à un public plus formé et sont plus arides et moins agréables à lire.   

Le premier volume de la trilogie, Espace, Temps et Mouvement, menait des lois du mouvement de Galilée à l’équation du champ gravitationnel d’Einstein, qui décrit l’influence de la matière et de l’énergie sur la géométrie de l’espace-temps, en passant par ce qu’il faut savoir du calcul intégral et des équations aux dérivées partielles, des principes de conservation, de la dynamique newtonienne, des opérateurs mathématiques caractérisant l’énergie d’un système (lagrangien et hamiltonien), etc. Un parcours que le lecteur, pour peu qu’il se concentre, effectue sans trop de difficultés. La mécanique classique, la théorie de la gravitation de Newton et la relativité générale d’Einstein, qui l’englobe comme un cas particulier (celui où les vitesses sont petites par rapport à celle de la lumière et où les champs gravitationnels sont faibles), sont en effet des théories élégantes reposant sur des idées mathématiques parfois très sophistiquées (la géométrie de Riemann pour la relativité) mais intuitivement claires. 

Avec les sujets abordés dans le second volume, l’exercice est a priori plus ardu. La mécanique quantique est extrêmement contre-intuitive et fait appel à des idées mathématiques passablement abstraites, comme l’espace de Hilbert. C’est le cas aussi de la théorie quantique des champs et de la physique des particules, avec des notions comme les groupes de symétrie et les théories de jauge. Le modèle standard de la physique des particules est par ailleurs une construction complexe, fruit d’un effort collectif impliquant des dizaines de savants durant plusieurs décennies, et si son architecture d’ensemble est aisée à saisir d’un coup d’œil, son fonctionnement détaillé l’est nettement moins. 

Après quelques considérations introductives sur le problème du rayonnement de corps noir, qui a fait naître l’idée de « quanta » d’énergie, et avant même d’évoquer la célèbre expérience des franges d’interférence de Young, qui mit en évidence la nature à la fois ondulatoire et corpusculaire de la lumière, Sean Carroll présente et installe d’emblée au cœur du livre l’équation fondamentale de la mécanique quantique, l’équation de Schrödinger, qui détermine l’évolution dans le temps de la fonction d’onde représentant l’état d’un système quantique. (Cette fonction permet de calculer la probabilité de trouver une particule dans une région donnée de l’espace.) De là, il passe à la question épineuse de la mesure dans les systèmes quantiques et celle, liée, de l’intrication quantique, ce phénomène étrange qui fait que les résultats de mesure des propriétés de deux particules, qu’on pourrait supposer indépendants, apparaissent corrélés même si ces particules sont trop éloignées l’une de l’autre pour pouvoir communiquer : elles doivent donc être considérées comme formant un système unique. 

Suit un exposé des champs associés aux quatre forces fondamentales de la nature (électromagnétique, nucléaires forte et faible, gravitation), et leur unification dans le cadre tout d’abord de l’électrodynamique quantique, puis de la théorie quantique des champs, qui fédère les trois premières forces en laissant la gravitation complètement de côté. Parmi les outils que Carroll présente figurent les diagrammes de Feynman, système original et astucieux de représentation des interactions entre particules mis au point par l’inventif Richard Feynman, et les techniques mathématiques de renormalisation qui permettent d’éliminer les quantités infinies apparaissant dans les calculs. 

La théorie quantique des champs sert de soubassement au « modèle standard » de la physique des particules, auquel la dernière partie de l’ouvrage est consacrée. Il distingue d’un côté les fermions, particules correspondant en gros à la matière, plus particulièrement celle des atomes (les électrons et les quarks, composant les protons et les neutrons dans le noyau) ; de l’autre les bosons, essentiellement les vecteurs des différentes forces (photons pour l’interaction électromagnétique, gluons pour l’interaction forte, bosons Z et W pour l’interaction faible, ainsi que le fameux boson de Higgs, qui confère leur masse aux deux précédents ainsi qu’aux fermions). 

Dans ce second volume comme dans le précédent, Sean Carroll va à l’essentiel sans entrer dans des détails techniques superflus ni s’attarder plus que nécessaire sur les dispositifs expérimentaux. Le livre n’est pas non plus un ouvrage d’histoire des sciences. Peu de protagonistes de la double aventure de la mécanique quantique et de la physique des particules manquent toutefois à l’appel, à tout le moins parmi les théoriciens. Planck, Bohr, Heisenberg, Born, Pauli, Landau, Jordan, Dirac, von Neumann, Wheeler, Feynman, Schwinger, Tomonaga, Wilson, Yukawa, Weinberg, Glashow, Gell-Mann : tous sont là, et leurs contributions respectives sont évoquées de manière succincte. 

On saura gré à Sean Carroll, dont les explications sont toujours lumineuses dans leur simplicité, de s’abstenir des adjectifs hyperboliques (« mystérieux », « extraordinaire », « fantastique ») qui entachent souvent les livres sur ces sujets, ainsi que d’avoir délibérément évité de tomber dans un travers très fréquent. Beaucoup d’auteurs d’ouvrages de haute vulgarisation profitent de leur exposé pour faire passer en contrebande des théories très spéculatives qu’ils présentent comme bien plus assurées qu’elles ne sont. Fruits de leurs propres recherches, elles visent souvent à intégrer la gravitation dans le modèle standard ou à unifier mécanique quantique et relativité générale, qui demeurent à ce jour séparées : la théorie des cordes pour Leonard Susskind, Brian Greene et Lisa Randall, la gravitation quantique à boucles pour Lee Smolin et Carlo Rovelli, différentes théories du multivers en cosmologie et en physique quantique. 

Sean Carroll aurait très bien pu céder à cette tentation. Dans un de ses précédents ouvrages, La Face cachée de l’Univers, il développe en effet des idées très personnelles sur la manière de rapprocher la mécanique quantique et la relativité générale. Au lieu de s’évertuer à quantifier la relativité générale, propose-t-il, essayons de faire émerger l’espace-temps à partir de phénomènes quantiques. Pour ce faire, il s’appuie sur une interprétation particulière de la mécanique quantique dite des « mondes multiples ». La transition des règles du monde quantique à celles de la physique classique qui règne à notre échelle représente un sérieux problème pour les physiciens. Comment passer de la superposition de systèmes quantiques dans des états distincts (illustrée par le célèbre paradoxe du chat de Schrödinger, à la fois mort et vivant tant qu’on ne l’observe pas) à un système dans un état défini, sans contredire l’équation de Schrödinger ni faire appel, par exemple, à de mystérieuses « variables cachées ». Pour les tenants de l’interprétation des mondes multiples, la façon la plus simple est de postuler la coexistence de mondes distincts se séparant en permanence en branches indépendantes. À chacun de ces mondes serait associée une version différente de nous-mêmes. Outre son caractère fantastique et la manière dont elle viole le principe d’économie dans l’explication, il a été reproché à cette hypothèse d’être impossible à tester, ces autres mondes étant par définition inobservables. Sean Carroll la défend généralement avec férocité, affirmant que si l’on prend au sérieux la mécanique quantique, cette interprétation est la plus logique et la seule possible. 

Mais parce qu’il a explicitement pris le parti, pour cette trilogie, de s’en tenir aux idées qui font consensus, il se contente ici d’exposer très brièvement les différentes positions sur cette question délicate des fondements de la mécanique quantique. Tout son récit reste toutefois basé sur un double postulat, qu’il demande d’accepter : la fonction d’onde est la représentation directe et complète de la réalité (elle est la réalité, même si parler de « particules » et de « champs » est plus commode) et il n’y en a qu’une pour l’ensemble de l’univers. Tout ce qui est décrit en ces termes, précise-t-il à deux reprises, peut cependant être traduit sans difficultés dans le langage d’une autre conception philosophique de la mécanique quantique : les équations ne changent pas.

Déterminé à se concentrer sur ce que l’on sait, Sean Carroll ne s’appesantit pas sur le caractère incomplet et les insuffisances du modèle standard. À ce titre, il se contente de mentionner en passant son incapacité à expliquer l’existence de la matière noire, qui constitue l’essentiel de la matière dans l’univers, ainsi que la valeur surprenante de certains des « paramètres libres » dont la valeur ne peut être établie qu’expérimentalement. Avec la théorie quantique des champs et le modèle standard, souligne-t-il sur un ton satisfait, nous possédons une théorie robuste qui, certes, ne s’applique pas aux phénomènes gravitationnels extrêmes comme le Big Bang et les trous noirs, mais est dûment validée au niveau où se déroule notre vie quotidienne. Il est possible et même probable qu’existent d’autres particules que celles que nous connaissons, associées à des forces inconnues, mais si c’est le cas, elles sont trop massives, ou interagissent trop faiblement avec le monde à notre échelle pour y exercer un quelconque impact. Dans l’ensemble, peut-on dire qu’il a gagné son pari ? Un peu moins clairement qu’avec le premier volume, peut-être, compte tenu de la plus grande difficulté du sujet, mais tous ceux qui liront le livre avec attention se sentiront récompensés de leur effort. 

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