L’exploitation du Congo par le roi Léopold II de Belgique, entre 1885 et 1908, est connue comme l’une des pires périodes de la colonisation européenne en Afrique. Les statues du monarque belge sont régulièrement aspergées de peinture rouge par des militants en rappel des atrocités commises. Or, le colonialisme « prétendument civilisateur » n’était souvent pas si différent de ce qui se passait sous Léopold II, avance l’hebdomadaire britannique The Economist. La construction du chemin de fer Congo-Océan par l’État français en est un exemple flagrant. Dans son nouveau livre In the Forest of No Joy, l’historien américain James P. Daughton fait état de ces travaux aussi titanesques que coûteux en vies humaines. Réalisée entre 1921 et 1934, la voie ferrée Congo-Océan relie Brazzaville au port de Pointe-Noire, sur la côte Atlantique. Comme d’autres chemins de fer construits à l’époque, elle servait à acheminer les ressources coloniales vers la métropole. Dans ce « récit magistral, bien qu’implacablement sombre, poursuit The Economist, Daughton met en évidence le fossé entre les intentions des bureaucrates coloniaux, dont certains semblaient sincèrement convaincus qu’ils sortaient les Africains de la pauvreté, et la sinistre réalité qu’ils ont instaurée ». L’administration coloniale au Congo français prétendait ainsi recruter des volontaires rémunérés, alors que ses agents forçaient les Africains à travailler sous la menace des armes. Enchaînés par le cou, les hommes devaient parcourir plusieurs centaines de kilomètres jusqu’aux chantiers, « comme les esclaves un siècle auparavant ». Entre 23 000 et 60 000 travailleurs africains y trouvèrent la mort, selon différentes estimations. Comme l’écrit Daughton, en treize ans, « plus d’hommes et de femmes périrent sur le Congo-Océan qu’en quatre-vingts ans de construction des pyramides de Gizeh », rapporte The Wall Street Journal.
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Relatés dans de courts entrefilets de la presse locale, ces décès passent presque inaperçus. Pourtant, une fois additionnés, les chiffres sont glaçants. Le nombre de piétons fauchés sur les routes aux États-Unis a augmenté de 50 % en dix ans. En 2019, 6 205 piétons ont trouvé la mort sous les roues d’un véhicule, l’équivalent d’un Boeing 747 s’écrasant chaque mois. Comment expliquer cette anomalie américaine, qui n’est pas observée dans d’autres pays riches ? Le livre d’Angie Schmitt, ancienne rédactrice du portail Streetsblog, est le premier à rendre compte de cette épidémie silencieuse qui, comme le Covid-19, frappe les Américains de façon inégale, rapporte The New York Review of Books. « Les piétons à faibles revenus, les piétons noirs et hispaniques, les piétons âgés et les piétons handicapés présentent une surmortalité. » Schmitt met en évidence plusieurs facteurs contribuant à ce « désastre », notamment l’usage toujours plus important de voitures, et en particulier de SUV, dont la carrosserie plus haute et massive rend les collisions davantage mortelles. L’auteure pointe également la planification des villes, en particulier celles de la Sun Belt (les États du Sud-Ouest), dont les larges artères n’ont tout simplement pas été conçues pour être empruntées par des piétons.
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« Parmi les nombreuses histoires de l’Espagne qui restent à raconter, celle de ses “angoisses coloniales” est peut-être l’une des plus méconnues, surtout en ce qui concerne l’Afrique du Nord », estime Luz Gómez García dans le quotidien espagnol El País. Aussi la critique se félicite-t-elle de la parution d’A mi querido Abdelaziz… de tu Conchita, un ouvrage qui jette un nouvel éclairage sur la période du protectorat espagnol au Maroc (1912-1956). Les auteurs, Josep Lluís Mateo Dieste, anthropologue, et Nieves Muriel García, spécialiste des études de genre, ont exploité un vaste fonds d’archives inédites : des lettres, des cartes postales et des télégrammes interceptés entre 1936 et 1956 par la Délégation des affaires indigènes (DAI), située à l’époque à Tétouan, dans le nord du Maroc. La raison de leur interception par l’administration coloniale ? Il s’agissait de la correspondance amoureuse échangée entre des hommes marocains et des femmes espagnoles. Or, d’après une circulaire interne de la DAI, ces amours subversives risquaient de saper le « prestige espagnol au Maroc ». Chaque document exhumé par les auteurs est d’ailleurs frappé de la lettre « R », qui, comme ils l’apprendront au cours de leur enquête, signifiait pour les agents coloniaux « Rareza », c’est-à-dire « bizarrerie » en français. Quelque 130 de ces « bizarreries » sont reproduites dans l’ouvrage, accompagnées d’une analyse du contexte sociopolitique qui a conduit à la répression des relations intimes entre colonisateurs et colonisés. « Même si à la lecture de ces lettres nous avons parfois l’impression de profaner l’intimité des femmes qui les ont écrites, il nous reste la consolation de compatir à leur angoisse et à leur désespoir, de leur être reconnaissants pour l’occasion unique qu’elles nous offrent de regarder cette époque depuis une position privilégiée : à travers leurs yeux et à partir de leur propre vie », conclut Ángeles Ramírez dans le semestriel Revista de estudios Internacionales Mediterráneos.
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David Baddiel est populaire outre-Manche pour avoir coécrit en 1996 la chanson Three Lions, devenue l’hymne du football britannique. Il l’est également pour ses stand-up hilarants et ses romans pour la jeunesse – plus de 1 million de volumes vendus, traduits en 26 langues. L’humoriste est aussi, depuis février, l’auteur d’un best-seller qui n’a rien de drôle. Un coup de gueule. Politique. Polémique. Électeur de gauche, Baddiel porte le fer dans son propre camp sur la question de l’antisémitisme. La gauche de la gauche britannique, dite « progressiste », porteuse d’une politique identitaire, est prompte à défendre toutes les minorités contre les discriminations « sauf une, dénonce-t-il, la minorité juive ». Le livre a été abondamment commenté dans le Royaume et au-delà. « Baddiel, qui se revendique juif et s’avoue athée, est devenu le porte-voix improbable de la communauté juive de Grande-Bretagne », relève le quotidien israélien Haaretz.
Le sujet est sensible dans un pays où l’inertie du chef du Labour Jeremy Corbyn face à des actes antisémites au sein même du parti a suscité un débat national et contribué à sa chute. Toutefois, relève The Daily Telegraph, « Baddiel insiste sur le fait qu’il est plus préoccupé par le silence sur l’antisémitisme que par son expression ». Ce livre s’adresse « à ceux qui se considèrent comme progressistes et qui semblent avoir un angle mort lorsqu’il s’agit d’antisémitisme », précise l’auteur. Il s’indigne, résume le Financial Times, du « deux poids, deux mesures des défenseurs des minorités ».
L’humoriste produit un florilège d’exemples tirés de l’actualité. Il y a ainsi la députée Dawn Butler, lors du congrès travailliste de 2019, qui énonce la longue liste des groupes sociaux que le parti protégera : « Noirs, Blancs, Asiatiques, handicapés, LGBTQ, ceux qui portent un hidjab, un turban, une croix… » « Et laisse de côté une minorité », note Haaretz. Ou encore la radio BBC4, qui diffuse le jour de l’an 2017 l’intégrale des poèmes de T. S. Eliot lus par le comédien Jeremy Irons, dont celui où les juifs sont comparés à des rats.
Il s’interroge : pourquoi cette distorsion ? Et répond : « Les juifs sont caricaturés comme de riches capitalistes. Et ils sont “trop blancs”. De fait, ils n’intéressent pas les militants de la justice sociale qui considèrent le racisme comme une construction de classe visant les seules personnes économiquement ou socialement défavorisées. » Riches ? « Comme Baddiel le souligne, ses grands-parents allemands étaient des privilégiés jusqu’au jour où ils ont été contraints de fuir tandis que leurs biens étaient confisqués », pointe le mensuel Prospect. Trop blancs ? « Une des premières blagues de Baddiel en stand-up, raconte Haaretz, c’était qu’on l’avait battu deux fois : une fois en tant que juif, l’autre fois en tant que Pakistanais. »
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Comment parler d’une femme qui s’est peu livrée, qu’aucun journaliste n’a jamais interviewée ? Ses employeurs, qui la logeaient pourtant – elle s’occupait de leur progéniture –, n’avaient pas la moindre idée de ses occupations lorsqu’elle emmenait les enfants en promenade ou en pique-nique… Ils ignoraient qu’ils hébergeaient une géniale photographe.
Vivian Maier était une femme secrète. Elle n’était pas aimable – rugueuse, même, si l’on en croit les témoignages recueillis par la suite. Rien en elle de Mary Poppins. Elle exigeait que sa chambre dispose d’une serrure. Personne ne pouvait entrer dans son domaine, voir les appareils photo, dont le Rolleiflex qu’elle avait toujours à portée de main, s’étonner des rouleaux de pellicule par dizaines. De son vivant, personne n’a vu ses photos des passants des rues de New York et de Chicago, où elle a successivement vécu. Et pour cause : elle n’a jamais exposé ses clichés (certains n’étaient même pas développés), ceux-ci n’ont été découverts que peu de temps avant sa mort, survenue en 2009.
Paulina Spucches, la toute jeune auteure de cet ouvrage consacré à la photographe, a fait appel à son imagination pour combler les trous. Elle s’est en partie inspirée des rares informations biographiques recueillies par John Maloof, l’homme qui a eu la main heureuse en achetant dans une vente aux enchères un carton plein de négatifs photographiques et qui, depuis, cherche à mettre le travail de Vivian Maier en lumière. Il a fait des recherches sur ses ascendants, sur sa famille française – sa mère était originaire de la vallée du Champsaur, dans les Hautes-Alpes. Il a même réalisé un film 1 qui tente d’éclairer la personnalité complexe de celle que ses cousins français appelaient « l’Américaine ». Paulina Spucches narre cette existence en télescopant les époques, faisant cohabiter Vivian enfant et Vivian adulte : ses allées et venues avec sa mère entre la France et New York, le goût de la photo acquis au contact de la photographe et sculptrice Jeanne Bertrand, qui a hébergé la mère et la fille dans les années 1930, l’existence possible d’un frère qui vivait avec son père…
Restent les photos de Vivian Maier. Comment rendre compte de son travail sans publier – bêtement, pourrait-on dire – ses clichés ? La jeune dessinatrice adopte une façon de faire aussi malicieuse qu’originale. Au fil du récit, elle dévoile une vingtaine de photos de Vivian Maier en les reproduisant à l’aquarelle, fidèlement mais dans une débauche de couleurs là où la photographe usait surtout du noir et blanc. Pour chacune, elle invente la scène qui a précédé la prise de vue. Trois hommes affalés sur un trottoir ? La dessinatrice les imagine fracassés qui par le travail, qui par la mort d’un fils en Corée. Une femme qu’un policier tente de calmer ? C’est que son fils vient d’être arrêté, suppose Paulina Spucches. Et ainsi de suite : quatre jeunes femmes de dos, en haut de l’Empire State Building ? Elles parlent de leurs rêves, l’une d’entre elles veut devenir star de cinéma… Idem pour les clichés pris dans le Champsaur, où la photographe a séjourné à la fin des années 1950. La ville, ses gratte-ciel, ses néons et ses vitrines étincelantes laissent place à une France rurale où les vaches traversent encore les villages, à des paysages où la nature éclate.
La dualité, ici, est reine. Entre la nanny et la photographe, les États-Unis et la France, l’enfance et l’âge adulte, le réel et l’imaginaire. Le travail de Paulina Spucches ne prétend pas à la vérité, il donne à voir autant qu’à réfléchir – comme ces surfaces réfléchissantes dont la photographe s’est abondamment servie pour se tirer le portrait. L’album est sous-titré « À la surface d’un miroir », autant pour signifier l’importance de ces reflets – sans eux, la femme au Rolleiflex n’aurait pas de réalité physique – que pour nous dire que nous ne pourrons sans doute jamais percer le secret de Vivian Maier, cette femme singulière.
— O. C.
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« Ceux qui, comme moi, écoutaient Lída Rakušanová se souviennent combien Radio Free Europe a aidé les Tchèques à survivre à la normalisation [période de retour à l’orthodoxie communiste après l’écrasement du Printemps de Prague] », écrit dans le quotidien Dnes le politologue Michal Klíma au moment de la sortie de Svobodná v Evropě, l’autobiographie de la journaliste grâce à qui les Tchécoslovaques purent contourner le rideau de fer pour accéder à une information non diligentée par Moscou. Sa voix leur parvenait depuis Munich, où, en 1949, les États-Unis avaient fondé Radio Free Europe pour lutter contre la propagande de l’URSS. Parmi toutes les langues diffusées, l’antenne tchécoslovaque avait été la première à émettre, en ondes courtes, en 1950 – Lída avait alors 3 ans. Émigrée en Allemagne après l’invasion des chars russes à Prague en 1968, elle intègre la radio en 1975. Celle qui est aussi appelée « la voix de la liberté » raconte la façon dont elle s’est imposée en tant que femme dans la rédaction, la lutte entre les émigrants de 1948 – opposants de la première heure au communisme – et ceux de 1968, son engagement pro-européen et anticorruption, mais aussi, se réjouit le site Novinky.cz, des anecdotes parmi lesquelles ses liens avec Václav Havel ou Bill Clinton… À la chute du communisme, Rakušanová revint en Tchécoslovaquie. Elle est depuis repartie vivre dans un chalet en Bavière. Radio Free Europe, elle, déménagea à Prague en 1994. Elle diffuse encore aujourd’hui, et toujours aux frais du Congrès américain, dans une trentaine de pays où l’information n’est pas libre.
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Les princes Boriatinski font l’acquisition d’un domaine délaissé, qui se distingue par son magnifique jardin. Loin des mondanités de Moscou, « le contact avec une nature foisonnante et généreuse éveille en eux des passions incongrues », relate le portail Meduza à propos du dernier roman de Marina Stepnova. La parenthèse enflammée et charnelle s’achève par la grossesse tardive de la princesse, âgée de 44 ans. Grigori Meizel, le médecin de famille d’origine allemande, accompagne celle-ci lors des complications et de l’accouchement. Alors que le prince est de plus en plus effacé, Meizel prend en charge, aux côtés de la mère, l’éducation de la petite Toussia, une enfant fragile et bien étrange. Esprit libre et fort caractère, elle restera pourtant muette jusqu’à ses 5 ans et passera tout son temps avec des chevaux, sa passion exclusive. Le décor renvoie à une sorte d’« éden aristocratique » qui fait écho aux textes emblématiques de Tchekhov, Tolstoï ou Tourgueniev, commente le site Protchtenié. L’écriture et les problématiques évoquées par l’auteure sont toutefois bien celles d’un roman psychologique moderne.
« Un triomphe », s’enthousiasme l’écrivain Itumeleng Molefi dans The Johannesburg Review of Books à propos du dernier roman de Jennifer Nansubuga Makumbi, The First Woman. L’auteure ougandaise y raconte le passage à l’âge adulte de Kirabo, une jeune fille de 12 ans qui habite le village de Nattetta à l’époque du régime sanguinaire d’Idi Amin Dada, dans les années 1970. Kirabo, qui tente de retrouver sa mère, consulte une vieille sorcière aveugle, Nsuuta. Cette dernière lui apprend que, si les ancêtres ont inventé des histoires, c’est pour mieux opprimer et rabaisser les femmes. Nsuuta pense que le caractère rebelle de Kirabo et ses pouvoirs surnaturels proviennent de la « première femme », qui était libre et indépendante. Ces traits n’existent plus chez la plupart des femmes, ce qui leur permet de mieux s’adapter à une société dirigée par les hommes. La romancière fait référence au concept ougandais de mwenkanonkano, antérieur au féminisme à l’occidentale, qui incite les femmes à lutter efficacement contre la domination masculine, quitte à faire semblant d’être faibles. Itumeleng Molefi voit dans ce roman, inspiré de traditions orales, « une riposte à ceux qui se plaisent à défendre le pouvoir patriarcal en affirmant que le féminisme n’est “pas africain” ». La romancière égratigne au passage les femmes qui entretiennent le statu quo, consciemment ou non, et apporte son soutien aux hommes féministes. Sur le site Brittle Paper, l’écrivaine ougandaise Harriet Anena salue ce « récit empreint d’humour », garantissant de « délicieuses séances de lecture ».
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Ma vie en rouge et blanc d’Arsène Wenger est sorti en même temps en France et en Angleterre à l’automne 2020. Dans notre pays, l’ouvrage, sans passer tout à fait inaperçu, n’a pas donné lieu à un tohu-bohu médiatique. En Angleterre, non seulement il s’est glissé dans la liste des meilleures ventes, mais des publications aussi prestigieuses que The Guardian, The London Review of Books et The Times Literary Supplement lui ont consacré des articles fouillés.
Il est vrai que Wenger a surtout connu la gloire outre-Manche, où pendant deux décennies il a entraîné le club de football londonien d’Arsenal. Aucun entraîneur français n’a un plus beau palmarès que lui en Premier League, « la ligue sportive la plus regardée au monde », comme le rappelle Will Frears dans The London Review of Books. Ses débuts n’avaient pourtant rien eu de bien spectaculaire. Wenger avait beau avoir déjà entraîné l’équipe de Monaco et remporté avec elle un championnat et une coupe de France, en Angleterre, il était pour ainsi dire inconnu : « Arsène who ? », titrait The Daily Mirror à son arrivée à Londres, en 1996. On ne peut pas vraiment dire que ses premiers mois furent convaincants. En décembre 1997, plus d’un an après sa prise de fonctions, ses joueurs, après une défaite à domicile, se faisaient siffler par leurs propres supporters et « personne alors ne se serait soucié que leur entraîneur soit limogé », note Nick Hornby dans The Guardian.
Sauf que ce match fut le dernier d’Arsenal à l’ancienne, cette équipe jusqu’ici mal aimée et considérée comme abominablement ennuyeuse. Presque du jour au lendemain, elle se mua en machine à gagner et développa un style de jeu aussi séduisant qu’efficace : « La composition de l’équipe ne changea pratiquement pas, et pourtant elle ne perdit aucun autre match de championnat avant de l’emporter en mai. Elle ne perdit pas non plus un seul match de la coupe d’Angleterre cette saison-là. Il y eut ensuite un autre doublé championnat et coupe en 2002, puis une autre coupe, et enfin la fameuse saison d’invincibilité de 2003-2004 », rapporte Hornby. Ce fan d’Arsenal confesse qu’« aucun autre homme que Wenger n’a aussi directement fait [son] bonheur ».
La presse anglaise admet de façon quasi unanime que l’ouvrage est décevant. Certes, Wenger y évoque de façon touchante son enfance alsacienne dans un village qui comptait trois forgerons et plus de chevaux que de tracteurs. Certes, il relate quelques anecdotes, comme lorsqu’il a banni les barres de Mars dont se goinfraient ses joueurs après les matchs. Mais que de questions sans réponse ! Hornby en dresse une longue liste. Parmi elles, certaines sont délicates : pourquoi, par exemple, n’a-t-il jamais remporté de coupe d’Europe, compte tenu des joueurs dont il disposait ? Et quelles étaient ses relations avec ses rivaux, notamment l’entraîneur portugais José Mourinho, sa bête noire ? Celui-ci n’est jamais mentionné dans le livre, si ce n’est à la fin, dans un tableau qui récapitule le bilan de Wenger face aux autres entraîneurs. Face à Mourinho ? Une victoire tous les dix matchs.
Quel intérêt de publier, près d’un quart de siècle après sa parution originale en anglais, le récit de voyage Yémen de Tim Mackintosh-Smith ? Depuis 1997, le pays qu’il évoque n’a pas simplement changé, comme beaucoup d’autres : il a été détruit. Dans la préface à l’édition française, l’auteur le reconnaît : « Une grande part de ce que j’ai décrit n’est plus. Au nord, nombre des immeubles d’argile sèche, aussi élégants que des pots de colombins, sont redevenus poussière. Ta’izz, la Grenade de l’Orient sous la dynastie rasoulide, est violée par les balles des tireurs embusqués, disloquée par les lignes de front. » La guerre civile, dont les victimes se comptent par centaines de milliers, n’en finit pas, une famine générale menace, et le choléra, cette maladie d’un autre âge, a fait sa réapparition.
Mais il suffit de lire quelques dizaines de pages de ce livre pour que l’évidence s’impose : son caractère « dépassé », voilà précisément ce qui le rend si précieux. Parce que le Yémen que Mackintosh-Smith a connu, celui d’il y a une génération à peine, « a été balayé » et qu’il est, comme le note l’auteur lui-même, « désormais aussi éloigné que l’Orient de Pierre Loti », pareil témoignage est irremplaçable.
Mackintosh-Smith s’est rendu pour la première fois au Yémen en 1982. Même pour un arabisant formé à Oxford, c’était un choix audacieux. D’ailleurs, son tuteur essaya de l’orienter vers une autre destination : « Pourquoi ne pas vous rendre dans un endroit convenable… Le Caire, Amman, Tunis ? » lui suggéra-t-il. À l’époque, même si la situation n’était pas aussi épouvantable qu’aujourd’hui, le Yémen ne jouissait déjà pas d’une très bonne réputation. Plus loin dans son livre, Mackintosh-Smith rapporte les conseils de Margaret Thatcher à un couple britannique en partance pour un poste à San’a, la capitale : « Vous devrez faire attention aux Yéménites. Ils sont très malins, vous savez. »
Mackintosh-Smith n’était pas censé séjourner longtemps dans ce pays, mais il y a passé l’essentiel des décennies suivantes. Il y a acquis une maîtrise rare de la langue, et unique de la culture. « C’est quelqu’un qui traduit des vers arabes pour se détendre et dont l’arabe oral est si bon qu’il peut jouer avec les différents accents yéménites », note l’essayiste Barnaby Rogerson dans The Guardian. Son premier projet littéraire était – très classiquement, serait-on tenté de dire – de partir à moto sur les traces de Lawrence d’Arabie. Une rencontre avec la romancière Edna O’Brien a tout changé. Alors qu’il lui servait de guide lors d’une visite du British Council, pour lequel il travaillait à San’a, elle lui a fait remarquer que c’était « un crime de vivre ici et de ne pas écrire à ce sujet ». Yémen, son premier livre, est né de cette admonestation.
« Il existe, bien sûr, une tradition bien établie d’Anglais écrivant sur l’Arabie, et la plupart de ces écrits sont dans la même veine. Commencez par chanter les louanges du “noble bédouin”, dites quelques mots à propos de la pureté spirituelle du désert, ajoutez une pincée d’ambiguïté sexuelle à moitié assumée et voilà, le tour est joué, vous avez votre cocktail, qui peut être assez imbuvable. Heureusement, le livre de Tim Mackintosh-Smith n’est pas du tout comme ça », estime Dominic Simpson sur le site de la British-Yemeni Society.
Tout l’art du récit de voyage consiste à être didactique sans le paraître. Tim Mackintosh-Smith y excelle. Il nous emmène faire un tour du Yémen aussi érudit que poétique, où les différentes strates temporelles s’entremêlent et semblent parfois se confondre. Chaque chapitre est consacré à une région particulière et, hormis San’a, où débute et s’achève le périple, on ne sait pas exactement quand l’auteur s’y est rendu. Le lecteur est plongé dans un éternel présent de la narration ouvrant à chaque instant vers un passé parfois millénaire. Le tout servi par un style dense et ciselé.
Le Yémen revendique la civilisation la plus ancienne de la péninsule Arabique, le fameux royaume de Saba, dont des vestiges archéologiques attestent l’existence. Il « exportait chaque année quelque 3 000 tonnes d’encens et 600 tonnes de myrrhe, raconte Mackintosh-Smith. Si l’on songe que les seuls Romains consacraient 85 tonnes de pièces d’argent par an à l’encens, que la myrrhe était beaucoup plus chère et que les épices et les autres articles de luxe transitant par l’Arabie atteignaient des prix également élevés, les revenus des Sabéens et de leurs voisins auraient souffert la comparaison avec les revenus actuels d’un pays exportateur de pétrole. »
Même si, par la suite, les Yéménites prirent une part active à l’extension de l’islam, la constitution d’une umma s’étendant de l’Espagne à la Chine contribua à les marginaliser. Et, depuis, leurs relations avec leurs voisins du Nord n’ont cessé d’être ombrageuses. En 1991, par exemple, en proposant une solution arabe à l’invasion du Koweït par Saddam Hussein, ils s’attirèrent les foudres aussi bien des États-Unis que de leurs alliés saoudiens : ces derniers expulsèrent le million de ressortissants yéménites qui travaillaient sur leur sol. « Le Yémen demeure la victime quasi ignorée de la crise du Golfe, un martyr de la conscience dans le monde de la realpolitik », juge Mackintosh-Smith.
Au fil des siècles, le pays s’est distingué autant par son goût de l’indépendance que par ses luttes intestines. La société y est avant tout une affaire de clans souvent rivaux, aux rancunes multigénérationnelles, ce qui n’a pas vraiment aidé à l’émergence d’un État digne de ce nom. Et si, pendant la seconde partie du XXe siècle, le Yémen a été, comme l’Allemagne, la Corée ou le Vietnam, divisé en une « République arabe du Yémen » au nord et une « République démocratique et populaire du Yémen » prosoviétique au sud, cela semble avoir été au moins autant le résultat des éternelles tensions claniques que de la Guerre froide. Du reste, malgré la réunification de 1990, et comme le prouve bien la situation actuelle, ces tensions sont loin d’être apaisées.
L’une des institutions caractéristiques du Yémen est l’imamat zaydite (d’obédience chiite), qui a perduré jusqu’en 1962. Mackintosh-Smith dresse le portrait de Yahya, l’avant-dernier de ses représentants. Né en 1869, il combat les Turcs ottomans et, après leur retrait du Yémen, à l’issue de la Première Guerre mondiale, inaugure un régime d’une stabilité rare dans l’histoire du pays, mais confinant à l’immobilisme. Afin que les chefs tribaux se tiennent tranquilles, il met en place un système implacable d’otages. Pendant ses trois décennies de règne, le Yémen s’isole et se tient à l’écart de la modernité. On ne possède pratiquement aucune photographie de Yahya : à la différence de tant d’autres dirigeants du XXe siècle, il avait défendu qu’on le représente, par respect strict des interdits coraniques – et aussi parce qu’on lui avait prophétisé « qu’il ne mourrait que s’il était dessiné ou photographié ». Cela semble n’avoir qu’imparfaitement fonctionné : « Au matin du 17 février 1948, l’exorciste malheureux, le marteau des Turcs, al-Imam al Mutawakkil ala Allah Yahya ibn al-Mansur bi Allah Muhammad Hamid al-Din, de la dynastie al-Qasimi, descendant du Prophète, Commandant des croyants, dirigeant du royaume mutawakkilite du Yémen et l’un des plus remarquables monarques du siècle, partit inspecter un nouveau puits dans l’une de ses fermes de San’a. L’imam voyageait dans une seule voiture, accompagné par un jeune petit-fils, son Premier ministre Qadi Abdullah ibn Husayn al-Amri et deux soldats. Comme d’habitude, il avait laissé l’essentiel de son escorte à Bab al-Yaman, pour économiser sur le transport. Alors que le véhicule franchissait un endroit resserré de la route à Sawad Hizyaz, il essuya un barrage de feu qui tua tous ses occupants. On dénombra 50 balles dans le cadavre de Yahya. Il était dans sa quatre-vingtième année. Il n’avait jamais vu la mer. »
— B. T.
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