WP_Post Object ( [ID] => 116339 [post_author] => 51175 [post_date] => 2022-02-24 08:41:59 [post_date_gmt] => 2022-02-24 08:41:59 [post_content] =>Pour participer à une dégustation de vin à Paris, le couple avait loué trois jets privés, dont deux ont fait le trajet à vide. L’épouse s’est offert un diamant rose à 15 millions de dollars. Ils se déplaçaient en Rolls et descendaient dans des hôtels de luxe. Pour une réussite, c’en était une. Entre autres faits d’armes, Desmond Shum et Whitney Duan ont construit la plateforme logistique de l’aéroport de Pékin, arrosant au passage le patron des douanes, qui a demandé et obtenu des bureaux somptueux avec salle de banquet, bar de karaoké, terrains de tennis et cinéma. Désormais aux États-Unis, Desmond Shum décrit sans fard le monde auquel il a intimement participé, le tourbillon grisant et dangereux des relations entre argent et pouvoir en Chine.
[post_title] => Les dents du crocodile [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => les-dents-du-crocodile [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2022-02-24 08:41:59 [post_modified_gmt] => 2022-02-24 08:41:59 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=116339 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
Né à Shanghai en 1968 pendant la Révolution culturelle, il a émigré à Hongkong avec ses parents en 1978. Après un séjour dans une université américaine, il a été recruté par une firme de capital-investissement à Hongkong. Il y développa un précieux réseau de relations avec les milieux d’affaires américains et chinois. C’était aussi un bel homme, très grand, athlète de compétition. Il attira l’attention de Whitney, une « entrepreneuse indépendante d’esprit », comme il la décrit. Whitney était une amie proche de Zhang Peili, l’épouse du Premier ministre de l’époque, Wen Jiabao. Et Zhang était elle-même une femme d’affaires de grande envergure, qui amassa une fortune gigantesque. « Naviguer à ce niveau dans les relations humaines en Chine était un art si complexe que Whitney avait besoin, pour mener à bien ses projets, d’une personne en qui elle pouvait avoir une confiance totale, écrit-il. Aligner nos objectifs était sa conception de l’amour. »
Leur ascension couvre les années 1990 et 2000. Elle était largement liée aux services qu’ils rendaient à Zhang : « Nous étions comme les poissons qui nettoient les dents des crocodiles ». Par son intermédiaire ils se lièrent avec diverses personnalités de premier plan. Comme Li Peiying, qui dirigeait la holding possédant les aéroports de la capitale et fut exécuté en 2009 pour corruption : « Il parlait trop […]. Le Parti communiste chinois a son code d’omerta. » Il y avait aussi le bras droit du président Hu Jintao, Ling Jihua, et son fils Ling Gu, tous deux également tombés en disgrâce. Le dernier est mort dans un accident suspect au volant de sa Ferrari en 2012, en compagnie de deux jeunes personnes dévêtues. Le papa, lui, a été emprisonné à vie en 2016, de même que Sun Zhengcai, autre relation du couple, une étoile montante du Parti.
Desmond et Whitney avaient côtoyé Xi Jinping avant son accession au pouvoir en 2012, ce qui n’a pas empêché leur situation de se dégrader, jusqu’à sentir franchement le roussi. Le couple a divorcé en 2015. Desmond a prudemment quitté la Chine, emmenant son fils. Restée à Pékin, Whitney a disparu en septembre 2017 – probablement placée en détention sans motif officiel. Elle a resurgi récemment, mais seulement par téléphone, pour enjoindre à Desmond de ne pas publier son livre. Il faut dire qu’il n’est pas tendre envers le régime. Il raconte que, pour la construction de l’aéroport de Pékin, il a mis trois ans pour recueillir l’approbation écrite de pas moins de 150 agences et ministères qui se bouffaient le nez. Un jour, il dut arranger en urgence une opération du cœur pour un gros bonnet qui était allé jouer aux casinos de Las Vegas. Il évoque les services sexuels qu’il a dû rendre à l’occasion. Il nomme un hôtel pékinois dans lequel, chaque nuit, trois ou quatre ministres sont courtisés par des entrepreneurs dans des salons suffisamment isolés les uns des autres pour qu’ils ne puissent pas se rencontrer. Il montre surtout que la gigantesque campagne anticorruption menée par Xi (on estime que plus de 1 million d’officiels ont été destitués et diversement châtiés) a pieusement épargné nombre d’« aristocrates rouges », qu’il présente comme « une espèce à part ». Dont Zhang Peili et Wen Jiabao. « La réalité est que le principal objectif du Parti est de servir les intérêts des fils et des filles de ses [anciens] révolutionnaires. Ce sont eux les principaux bénéficiaires. Ils forment le nœud du pouvoir économique et politique ».
WP_Post Object ( [ID] => 116709 [post_author] => 51175 [post_date] => 2022-02-24 08:41:51 [post_date_gmt] => 2022-02-24 08:41:51 [post_content] =>La Haine de la musique, de Pascal Quignard, romancier, essayiste, mais aussi musicien, « peut surprendre », prévient le portail culturel russe Colta, tant on n’attend pas d’un auteur dont « les livres sont littéralement imprégnés de musique » un réquisitoire contre celle-ci. Quignard s’y interroge sur « les liens qu’entretient la musique avec la souffrance sonore ». Bien sûr, « sa haine est proche de l’amour », convient le site. Paru en France en 1996 chez Calmann-Lévy, l’essai, constitué de dix traités, vient d’être traduit dans la langue de Pouchkine. C’est d’ailleurs le douzième ouvrage de Quignard qui paraît en Russie, où l’écrivain a son public. Le livre mêle « l’essai infiniment profond et sensible et la confession à la limite de ce qui est admis, dans une prose ciselée », salue Colta. En convoquant de nombreux exemples de l’Antiquité, Quignard y développe l’idée d’une violence inhérente au geste musical dès ses origines. Telle la flûte confectionnée par Athéna pour imiter les cris des Gorgones, dont « le chant fascinait, paralysait et permettait de tuer à l’instant où la proie est figée de terreur ». On passe du chant des sirènes à l’audition utérine, de l’emploi de la musique dans les camps de concentration à son omniprésence intrusive dans les villes. Avec bonheur, si l’on peut dire.
[post_title] => La musique comme maléfice [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => la-musique-comme-malefice [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2022-02-24 08:41:52 [post_modified_gmt] => 2022-02-24 08:41:52 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=116709 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
WP_Post Object ( [ID] => 116703 [post_author] => 51175 [post_date] => 2022-02-24 08:41:44 [post_date_gmt] => 2022-02-24 08:41:44 [post_content] =>La pandémie de Covid-19 a-t-elle remis Proust à la mode ? Pas vraiment, puisqu’il n’avait jamais cessé de l’être. Pour quiconque se plonge de temps à autre dans la presse internationale, le phénomène, troublant au départ, devient vite d’une anodine banalité : pas un mois ou presque sans que Proust ne fasse sinon les gros titres, du moins l’objet d’un long article dans lequel une célébrité ou un inconnu raconte son rapport à la Recherche, combien de fois il l’a lue, si cela a été une épiphanie ou, au contraire, un pensum, les grandes leçons qu’il en a tirées, etc. Cela fait très longtemps déjà (presque depuis sa mort, si l’on y réfléchit, il y a près d’un siècle) que Proust est une sorte d’incontournable de l’intelligentsia mondiale, de pierre de touche à l’aune de laquelle chacun se doit d’évaluer sa propre conception de l’art, de la littérature et de la vie.
Et néanmoins les confinements qui se sont succédé depuis deux ans semblent bien avoir encore accru la dévotion qu’on lui voue. C’est qu’avec Proust on a affaire à un homme qui, pour écrire son magnum opus, s’est lui-même volontairement confiné pendant quinze ans. Il avait besoin d’un silence absolu. Il avait donc fait recouvrir de liège les murs de sa chambre afin d’absorber les bruits, et, comme le rappelle dans Der Spiegel le critique littéraire Volker Weidermann, « lorsqu’il lui fallait malgré tout voyager, il réservait aussi la chambre à côté de la sienne et même, si possible, celle du dessus, afin de ne pas être dérangé par les autres clients ». La maladie n’était pas complètement étrangère à cette vie d’ermite : l’écrivain était asthmatique et il soupçonnait le monde extérieur d’aggraver ses crises. Pour se soigner, il fumait des cigarettes au datura, un hallucinogène très toxique. Comme il consommait vingt-cinq fois la dose prescrite, sa chambre baignait dans un nuage de fumée permanent. Bientôt « il ne quitta plus son lit que pour renouveler ses impressions du monde extérieur, poursuit Weidermann. Et il ne revoyait que les gens qui jouaient un rôle dans sa Recherche, afin de les étudier une nouvelle fois. »
Sa chambre débordait d’objets et de photographies qu’il ne cessait d’examiner encore et encore. « Il fallait qu’ils soient éclairés d’une façon précise pour l’intéresser. Parfois il attendait des heures que le soleil tombe de nouveau dans un angle de la pièce. Ainsi, un verre de bière à moitié vide ne devait pas être débarrassé avant le retour de la vision parfaite qu’il attendait. Hors de question, bien sûr, de finir de le boire. Il s’agissait de l’absorber d’une autre manière, plus intense encore. »
La seule personne autorisée à venir perturber cet isolement était sa servante Céleste, dont les Mémoires viennent d’être réédités en allemand à la grande joie de Weidermann 1. Elle y relate que Proust l’appelait souvent. Une sonnerie signifiait : « Pouvez-vous venir ? » Deux sonneries : « Apportez-moi un café au lait » (pratiquement la seule nourriture qu’il continuait à absorber à la fin de sa vie). Une fois, il ne la sonna pas pendant deux jours. Elle se fit un sang d’encre mais n’osa pas pénétrer dans sa chambre sans y avoir été invitée. Quand, enfin, il la fit venir, elle le trouva d’une pâleur effrayante. Il lui dit que lui aussi avait cru ne plus jamais la revoir. Quand elle voulut savoir ce qui s’était passé, persuadée qu’il avait fait une overdose de somnifères, il lui confia qu’il avait dû faire mourir l’un des personnages importants de son livre. L’écrivain fictif Bergotte, sans doute.
Peut-on alors considérer Proust comme un modèle à l’heure de la pandémie et de ses longs confinements ? Faut-il chercher dans l’ex-reclus volontaire du 102, boulevard Haussmann, ou plutôt dans l’œuvre que cette réclusion lui a permis d’écrire, un guide pour retrouver tout ce temps où l’on n’a pu aller travailler, consommer, voyager, tout ce temps pour ainsi dire perdu ?
Encore faudrait-il, diront certaines mauvaises langues, que la lecture des 4 000 pages de la Recherche ne soit pas elle-même une perte de temps.
En 2016, un dessin du New Yorker montrait un couple de deux hommes, plus tout jeunes, dont l’un se rendait soudain compte que, s’ils voulaient lire tout Proust de leur vivant, ils devaient s’y mettre dès le lendemain matin. En livre audio, l’ensemble de la Recherche dure cent vingt-huit heures dans la version lue par de grands acteurs et éditée par Thélème. Weidermann nous apprend qu’en allemand il faut compter cent cinquante-six heures, soit presque la durée d’un aller-retour entre Berlin et Pékin en voiture ! On peut bien sûr concevoir de lire toute la Recherche d’une traite sans jamais fléchir et en ne s’interrompant que pour manger et dormir. En se basant sur les cent vingt-huit heures du livre audio en français et en partant du principe qu’on ne ferait que ça seize heures par jour, l’affaire pourrait être bouclée en huit jours. Mais, comme le remarque Weidermann, ce serait là une lecture sans plaisir et nécessairement superficielle : « On en tirera une grossière vue d’ensemble de l’intrigue, mais on passera à côté du mystère du temps qui passe – et à côté de la résolution de ce mystère. »
Lire Proust est un défi, et c’est peut-être cela qui plaît à beaucoup de ceux qui s’y attaquent. Sur son blog, l’universitaire américano-canadien Justin E. H. Smith, qui propose depuis cet été une analyse de la Recherche, le reconnaît sans ambages : « J’ai toujours aimé les gros livres, justement parce qu’ils sont gros. » Y aurait-il chez les lecteurs de Proust une sorte de masochisme snob ? Dans Die Zeit, Barbara Vinken, qui a codirigé en 2017 le colloque « Marcel Proust et les femmes » 2, observe : « L’obsession proustienne d’inscrire l’éphémère et le vain dans le marbre rend la lecture aussi inéluctable que douloureuse. » L’écrivain Jochen Schmidt croit, lui, avoir trouvé une solution pour limiter cette souffrance. Auteur d’un ouvrage où il parle de son expérience de lecteur de Proust 3, il explique, toujours dans Die Zeit, qu’il a procédé selon une méthode imparable : « Chaque jour, vingt pages exactement. » Résultat : il est venu à bout de la Recherche en six mois.
Ce qui étonne le plus Vinken, c’est que tant de lecteurs de Proust croient en la promesse d’un temps retrouvé : « Je n’ai pas le sentiment qu’on retrouve quoi que ce soit, ni qu’il y ait une issue heureuse, au contraire. En écrivant claquemuré dans sa chambre, comme il l’a fait jusqu’à en mourir, il ne retrouve pas le temps perdu. Ce qu’il découvre, c’est que le temps ne peut pas être retrouvé. » On peut tout au plus ressusciter une époque, et Proust s’en acquitte brillamment, quitte à transfigurer la réalité. « Quand on regarde les photos de ses modèles, ils ont tous l’air atroce. Pas du tout comme Proust les représente. Il a transformé cette matière médiocre en or », estime Schmidt. Et Vinken d’abonder dans son sens : « Proust confère à la grande bourgeoisie et à l’aristocratie un éclat unique. Que serait le faubourg Saint-Germain sans Proust ? Ou bien Combray, alias Illiers, où Proust a passé une partie de son enfance : êtes-vous déjà allé à Illiers-Combray [comme s’appelle désormais cette petite ville d’Eure-et-Loir] ? Vous ne pouvez pas imaginer à quel point c’est déprimant. » Nos deux lecteurs s’amusent de ce que, à mesure qu’avance la Recherche, tous les personnages ou presque se révèlent être homosexuels. Ils saluent l’absence de pudibonderie dont fait preuve Proust, laquelle se retrouve, en plus crue encore, dans sa correspondance. On y apprend, par exemple, qu’il a obtenu de l’argent de son père pour aller au bordel en prétextant que ce serait un bon moyen de ne pas se masturber. Il utilise la même menace (le retour à la masturbation) pour obtenir qu’un ami vienne passer la nuit chez lui.
Cette attitude décomplexée a de quoi déconcerter. Vinken y voit moins la marque d’un esprit libre que celle d’un narcissique vivant dans l’illusion et dénué de tout principe de réalité : « D’autres textes littéraires peuvent être plus libertins et provocants que les écrits proustiens, mais on y sent bien que l’auteur est conscient de transgresser une limite. Rien de tel chez Proust. »
On en revient à la toute première scène de la Recherche, lorsque le narrateur raconte comment, petit garçon, il a contraint sa mère, qui était dans le jardin avec des invités, à revenir lui faire un baiser pour qu’il puisse enfin s’endormir. Cette difficulté à supporter la frustration, à comprendre que sa mère est présente même quand elle n’est pas là, Proust semble ne jamais l’avoir tout à fait surmontée : « Il est toujours resté cet enfant, juge Schmidt, et il en résulte l’une des merveilles de la littérature mondiale. »— B. T.
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WP_Post Object ( [ID] => 116713 [post_author] => 51175 [post_date] => 2022-02-24 08:41:38 [post_date_gmt] => 2022-02-24 08:41:38 [post_content] =>La France est accro à ses anciennes colonies d’Afrique noire, et, plusieurs décennies après leur indépendance, elle ne peut se résoudre à lâcher prise. C’est du moins ce que pensent les spécialistes anglo-américains de la question, à en juger par les publications récentes, recensées dans The New York Review of Books par le journaliste Howard French, portant sur les interventions postindépendance de la France sur le continent.
La matière est riche ! Rien qu’entre 1977 et 1979, Paris a ainsi tenté (en vain) de renverser un régime marxiste au Bénin, de soutenir la Mauritanie contre l’insurrection sahraouie et d’assister à plusieurs reprises le Zaïre dans sa lutte contre une rébellion soutenue par l’Angola. Mais, en général, la mainmise française consiste surtout à porter au pouvoir (ou à renverser) des dirigeants choisis en fonction d’un seul critère : leur degré d’allégeance à l’ancienne puissance coloniale. Avec à la clé des calamités sans fin, comme le montrent les deux exemples emblématiques du Burkina Faso (anciennement Haute-Volta) et du Tchad.
S’agissant d’abord du Burkina Faso, le mal nommé professeur Howard French détaille comment l’ingérence française a torpillé les chances de Thomas Sankara, le chef d’un gouvernement certes issu d’un coup d’État en 1983, mais qui semblait en mesure de faire progresser ce malheureux pays « enclavé, ravagé par la sécheresse, et qui, depuis son indépendance en 1960, demeurait l’un des plus pauvres du monde et un cas d’école de faillite politique ». Avec un tantinet d’angélisme, Howard French décrit Sankara comme « un intellectuel subtil, un grand lecteur […] qui avait aussitôt commencé à rebattre les cartes – mais pas en exécutant ses opposants ou en expulsant les communautés étrangères, ni en se proclamant empereur, président à vie ou maréchal, comme presque partout en Afrique à l’époque. » Sankara avait déclaré la guerre à la corruption et milité pour le non-remboursement de la dette monstrueuse consentie par l’Occident aux régimes « immoraux » d’Afrique. Alors que tout le continent subissait la diète terrible imposée par le FMI, en Haute-Volta, rebaptisée Burkina Faso (« le pays des hommes honnêtes »), Sankara tentait malgré tout d’améliorer le sort de ses concitoyens et aussi celui de ses concitoyennes (c’était un ardent opposant à la polygamie et à l’excision), allant jusqu’à quérir l’aide de l’odieux Kadhafi. Trop, c’est trop. En octobre 1987, Sankara est tué lors du coup d’État de son ex-ami et successeur Blaise Compaoré. Paris, selon l’universitaire Brian J. Peterson, a au mieux fermé les yeux, au pire 1…
C’est aussi Mouammar Kadhafi qui déclenche l’intervention de la France au Tchad, un territoire pourtant colonisé juste pour faire pièce aux ambitions anglaises dans la région et qui avait ensuite été abandonné à la corruption et à la gouvernance la plus sommaire, sans réels efforts pour le développer. Mais les visées de Kadhafi sur le pays avaient conduit Valéry Giscard d’Estaing d’abord, puis François Mitterrand, à soutenir Hissène Habré contre Goukouni Oueddei, son rival pro-Kadhafi. Habré était un terrible dictateur, qui torturait et massacrait à tout-va (notamment les chrétiens du sud du pays) et avait inauguré l’ère du terrorisme sahélien en kidnappant l’archéologue Françoise Claustre. Mais Giscard disait ne pouvoir envisager « que l’armée française se retrouve battue par celle d’un Goukouni Oueddei soutenu par les Libyens ». Quant à Mitterrand, anti-interventionniste quand il était dans l’opposition (« Mais pourquoi donc la France combat-elle au Tchad ? »), il s’était rallié sitôt arrivé au pouvoir, dixit Howard French, « à la longue tradition française de contrôle des ex-colonies africaines via un éventail de moyens techniques et économiques fréquemment complétés par l’action militaire ». Une tradition qui s’est poursuivie après le remplacement en 1990, avec l’aide de la France, du démon Hissène Habré par Idriss Déby, qui n’était pas non plus un saint, puis tout récemment par le fils du susdit.
Nathaniel K. Powell explique cet acharnement historique par la géographie : « L’Afrique est le seul continent à portée de la France et à la mesure de ses moyens ; elle peut y changer le cours des choses avec à peine 500 hommes ». Maigre consolation : l’Amérique n’a pas vraiment fait mieux en Asie du Sud-Est. Et, victime de la même obsession anti-Kadhafi, elle a vigoureusement soutenu les efforts des postcolonialistes français au Tchad. Il n’empêche qu’il est difficile de faire une croix sur ce que l’on a jadis possédé. Demandez à Poutine.— J.-L. M.
[post_title] => Guerres françaises en Afrique [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => guerres-francaises-en-afrique [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2022-02-24 08:41:38 [post_modified_gmt] => 2022-02-24 08:41:38 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=116713 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
WP_Post Object ( [ID] => 116700 [post_author] => 51175 [post_date] => 2022-02-24 08:41:31 [post_date_gmt] => 2022-02-24 08:41:31 [post_content] =>Klaus Jöken traduit les albums d’Astérix en allemand depuis dix-sept ans. Un travail qui est loin d’être évident, comme il ressort de l’entretien qu’il a récemment accordé au Spiegel. C’est que la bande dessinée présente des contraintes tout à fait spécifiques. Quand on traduit un roman et qu’un passage est obscur, on peut délayer pour expliquer. Or, là, pas question que le texte dépasse de la bulle : il faut être aussi concis que l’original. Et il faut également, puisqu’il s’agit d’Astérix, être aussi drôle. « À chaque fois que c’est possible, je garde les gags français. Dans 80 % des cas, cependant, ce n’est pas possible et je dois trouver une solution. C’est pourquoi les blagues sont en grande partie de moi – mais bien sûr dans l’esprit de l’original », confie Jöken, qui vit en Auvergne depuis presque quatre décennies. Ultime contrainte : la nécessité du secret par crainte des fuites et du piratage. Klaus Jöken commence en général à traduire alors que les auteurs français (Jean-Yves Ferri, désormais, pour les textes) n’ont pas encore tout à fait terminé. Il reçoit un PDF sécurisé qu’il télécharge puis copie sur un autre ordinateur qui n’est pas connecté à Internet. « Il est convenu dans le contrat, nous apprend-il, que pendant que je travaille rien ne doit quitter mon bureau, aucune esquisse, aucune notice, rien. »
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WP_Post Object ( [ID] => 116735 [post_author] => 51175 [post_date] => 2022-02-24 08:40:46 [post_date_gmt] => 2022-02-24 08:40:46 [post_content] =>C’est l’un des paradoxes des auteurs de science-fiction : ils excellent souvent aussi bien dans la forme courte que dans les grandes sagas. Liu Cixin ne fait pas exception. Sa trilogie entamée avec Le Problème aux trois corps (Actes Sud, 2018) a fait de lui l’auteur chinois de science-fiction le plus connu au monde. Mais c’est aussi un nouvelliste accompli, comme le prouve le recueil L’Équateur d’Einstein, qui vient de paraître en français. Le point commun de tous ces textes qui vont de la nouvelle au bref roman (comme celui qui donne son titre au recueil) ? Peut-être d’interroger la place précaire et angoissante de l’homme dans l’Univers. « Liu Cixin est un homme à idées, à Grandes Idées, remarque Alexis Ong sur le site Tor.com. Beaucoup de ses écrits embrassent des durées de milliers, voire de millions d’années. » Prenez « Terre errante », longue nouvelle qui a donné lieu récemment au premier blockbuster de science-fiction du cinéma chinois (visible sur Netflix) : parce que le Soleil menace de devenir une géante rouge, l’humanité doit quitter le Système solaire. En l’occurrence, la « Grande Idée », aussi géniale que stimulante, de Liu est qu’elle n’abandonne pas la Terre pour autant : elle l’emporte avec elle, grâce à des propulseurs géants. Direction l’étoile la plus proche, Proxima du Centaure.
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WP_Post Object ( [ID] => 116745 [post_author] => 51175 [post_date] => 2022-02-24 08:40:41 [post_date_gmt] => 2022-02-24 08:40:41 [post_content] =>Sa trajectoire avait tout de la success story à l’américaine : des parents immigrés du Mexique, ouvriers agricoles, et lui qui réussit à aller à l’université. Mais voilà, Noé Álvarez ne s’y sent pas à sa place : comment, par exemple, utiliser avec aisance une fourchette et un couteau quand on a toute sa vie mangé avec les doigts ? Il préfère tout abandonner pour courir les 10 000 kilomètres d’un ultratrail qui, tous les quatre ans, traverse l’Amérique du Nord – de l’Alaska à la frontière guatémaltèque – et vise à rendre leur dignité aux communautés indigènes. Son ouvrage se situe « à mi-chemin entre le récit de voyage et l’autobiographie traditionnelle », note Danielle Jackson dans The New York Times. La course est un défi physique et mental : on passe des forêts humides du nord-ouest du Pacifique aux rues de Los Angeles, puis aux déserts du nord du Mexique. Les indications sont réduites au minimum (« En cas de doute, tournez à gauche »), tout comme la nourriture. « La majorité des coureurs sont des toxicomanes en voie de guérison ou en quête de rédemption et, comme beaucoup d’entre eux, Álvarez croit au pouvoir transformateur du sacrifice extrême », rapporte Danielle Jackson. Un premier livre aussi « lyrique » qu’« inégal », conclut-elle.
[post_title] => Courir pour se souvenir [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => courir-pour-se-souvenir [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2022-02-24 08:40:42 [post_modified_gmt] => 2022-02-24 08:40:42 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=116745 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
WP_Post Object ( [ID] => 116760 [post_author] => 51175 [post_date] => 2022-02-24 08:40:37 [post_date_gmt] => 2022-02-24 08:40:37 [post_content] =>En 1962, le représentant du Mossad au Caire, un matamore pas spécialement efficace, tombe fou amoureux d’une jeune juive allemande, Waltraud, et contre toutes les règles du service, l’épouse (alors qu’il est déjà marié en Israël). À la surprise générale, son chef les maintient en place tous les deux, car il réalise que c’est Waltraud qui fait tourner la boutique (et qu’un couple trompe bien mieux son monde). Les conjoints cumuleront les succès, parvenant à dévoiler un programme égyptien de fabrication de missiles et surtout à décourager des ingénieurs allemands d’y collaborer.
Le Mossad incarne les valeurs des Sabras, les Israéliens d’avant 1948 : patriotisme, ardeur, audace, efficacité – et machisme. Quoique : après Waltraud (et quelques héroïnes qui l’avaient précédée dans la lutte secrète des juifs contre les Turcs, les Anglais, les Arabes), l’agence israélienne de renseignement cessera de cantonner le staff féminin aux tâches subalternes pour l’employer sur le terrain. En 1960, Yehudit Friedman, une lohemet (guerrière), participera pour la première fois à une opération extérieure du Mossad, et pas n’importe laquelle. C’est cette Néerlandaise juive qui assurera en effet la couverture (et le couvert) d’Eichmann et de ses kidnappeurs, bloqués à Buenos Aires avant l’exfiltration finale (elle jouera le rôle de maîtresse de la maison-cachette, mais refusera énergiquement de faire la vaisselle du nazi, « ce représentant de Satan sur Terre » !).
Peu à peu, comme le montrent les documents déclassifiés auxquels Michel Bar-Zohar, un parlementaire devenu écrivain, a pu accéder, les « Ramsad » (directeurs du Mossad) successifs chercheront tous à recruter des femmes jeunes, juives, d’origine étrangère (pour la couverture qu’elles apportent et la connaissance des langues) mais passionnément sionistes, intrépides, sportives (on trouve une coureuse automobile dans le lot), supérieurement intelligentes et de préférence jolies. Attention, pas pour qu’elles usent de « leurs charmes » – juste de « leur charme ». Car le Mossad, plutôt pudibond, n’attend en principe pas de ses agentes qu’elles aillent au-delà du baiser ; en cas d’absolue nécessité, on recourt à des professionnelles en CDD. Mais, à part coucher, une guerrière doit savoir et pouvoir tout faire : espionner, cartographier, communiquer par des moyens de plus en plus sophistiqués, tirer au pistolet, manier des explosifs, faire des filatures, vivre sous légende durant des mois, voire des années, dans des pays hostiles et cruels. Et tuer. Car le Mossad, tandis qu’il s’ouvre aux femmes, passe du renseignement à la lutte contre le terrorisme, bien plus violente. Si bien que, lorsqu’il s’agira d’éliminer un par un tous les auteurs palestiniens de la prise d’otages de Munich en 1972, c’est Sylvia Rafael qui inaugurera la série, jouant un rôle majeur dans l’assassinat d’Abdel Wael Zwaiter à Rome ou du docteur Hamchari à Paris. C’est une de ses consœurs qui permettra d’abattre les trois cerveaux du terrorisme palestinien à Beyrouth en 1973 (Golda Meir, époustouflée, l’embrassera). Plus tard, à Téhéran, c’est une motarde qui collera, en roulant, une bombe magnétique sur la voiture d’un des responsables du programme nucléaire iranien, le docteur Shahriari.
Au fil du temps, le Mossad s’est spectaculairement féminisé, à l’indignation des rabbins les plus orthodoxes, qui oublient le rôle joué dans la Bible par la prostituée Rahab auprès des espions de Josué. « Les femmes égalent les hommes dans presque tous les domaines et les surpassent dans quelques-uns », déclare un Ramsad (comprendre : elles ont tout autant de testostérone, mais un meilleur sens du détail). Aujourd’hui, 40 % des guerriers sont des guerrières, et 26 % des dirigeants sont des dirigeantes, souvent avec un rang de générale. Dans les années 1990, le Mossad avait même pour numéro deux une super-espionne, Aliza Magen. Si la sélection demeure toujours aussi impitoyable, avec des tests live et des simulacres d’enlèvement pour mesurer le sang-froid des candidates, les conditions de travail ont été aménagées. Les agentes peuvent se marier et même avoir des enfants, mais le conjoint doit approuver les activités de son épouse et tolérer ses absences impromptues et incessantes (jusqu’à 150 missions à l’étranger en vingt ans de carrière). D’ailleurs, pour stimuler les candidatures féminines, le Mossad a fait récemment passer cette pub en Israël : « Recherche femmes puissantes – peu importe votre passé, ce qui compte c’est qui vous êtes devenue. »— J.-L. M.
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WP_Post Object ( [ID] => 116764 [post_author] => 51175 [post_date] => 2022-02-24 08:40:29 [post_date_gmt] => 2022-02-24 08:40:29 [post_content] =>Une bourgade de 8 000 âmes, balayée par des vents à 100 km/h toute l’année et mise sous cloche l’hiver, lorsque les températures dégringolent jusqu’à – 15 °C. Bienvenue à Las Heras, dans la province de Santa Cruz, à l’extrême sud de l’Argentine. Ici, il n’y a ni cinéma, ni kiosque à journaux, ni Internet, mais des bistrots sordides, des cabarets, des bordels. Et des églises – évangéliques, Témoins de Jéhovah – qui se disputent les âmes égarées. C’est dans ce décor inhospitalier que la journaliste argentine Leila Guerriero s’est rendue en 2002 pour enquêter sur une mystérieuse épidémie. Une épidémie de suicides. Entre mars 1997 et décembre 1999, les jeunes du village se sont tués à un rythme effrayant, presque un tous les mois. Ils avaient 17 ou 18 ans, rarement plus de 25, et on les retrouvait pendus à une cage de foot, à la poutre d’une grange, à un lit-mezzanine. À chaque fois, leur geste avait suscité la stupeur générale : « On ne comprend pas », murmurait-on d’une seule voix. C’est précisément pour tenter de comprendre que Leila Guerriero a écrit Les Suicidés du bout du monde. Et, aussi, pour attirer l’attention sur une région méprisée par les habitants des grandes villes : « Même après cette macabre vague de suicides, le village n’a pas fait la une des journaux : Buenos Aires ne se soucie guère de son existence », regrette Verónica Abdala dans le quotidien argentin Clarín.
[post_title] => Suicides en Patagonie [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => suicides-en-patagonie [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2022-02-24 08:40:30 [post_modified_gmt] => 2022-02-24 08:40:30 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=116764 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
Fondée en 1911 près d’un important gisement de pétrole, Las Heras a connu une expansion fulgurante dans les années 1970, lorsque la compagnie pétrolière publique YPF embauchait à tour de bras. L’année 1992 marque la fin de cet âge d’or : YPF est rachetée par l’entreprise espagnole Repsol, entraînant une réduction drastique de ses effectifs. Des milliers de gens quittent alors la ville, où le taux de chômage atteint bientôt 25 %. Le village s’enfonce peu à peu dans sa nuit : perspectives d’avenir quasi nulles pour les jeunes, isolement croissant, augmentation des violences conjugales, des grossesses précoces, de l’alcoolisme. Si ces facteurs ont joué un rôle dans la vague de suicides, l’auteure se refuse à donner des explications définitives. « Les mots de Guerriero sont comme un vent violent, ils pénètrent les existences sans détour, sans grandiloquence […]. On en reste stupéfait », commente Daniel Mecca dans Clarín.
L’enquête de Guerriero date de 2002. Qu’en est-il aujourd’hui ? Dans une interview pour le quotidien péruvien El Comercio en juillet dernier, l’auteure raconte : « Quelques années après la parution du livre, des salles de jeu clandestines ont fait leur apparition à Las Heras. Puis un casino. On peut dire qu’ils ont désormais le combo fatal : prostitution, casino et alcool ».
WP_Post Object ( [ID] => 116770 [post_author] => 51175 [post_date] => 2022-02-24 08:40:23 [post_date_gmt] => 2022-02-24 08:40:23 [post_content] =>Portée par les vents qui soufflent de l’ouest, la cancel culture a fini par atteindre nos côtes françaises, quoique tardivement et pour le moment avec une violence atténuée. La bien-pensance, monarque plus ou moins éclairé, a certes déjà émis quelques lettres de cachet en France. Mais celles-ci n’atteignent pas – encore – leurs victimes dans leur liberté ; elles ne les privent que de l’accès à leurs tribunes habituelles : réseaux sociaux, pupitres universitaires, plateaux de télévision, journaux, etc.
[post_title] => Ne canonnez pas le canon [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => ne-canonnez-pas-le-canon [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2022-02-24 08:40:24 [post_modified_gmt] => 2022-02-24 08:40:24 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=116770 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
Les auteurs classiques (tous des hommes en effet, sauf rares exceptions) qui figurent dans notre canon littéraire n’échappent pas à ces condamnations. Mais ils n’en souffrent pas trop car ils sont presque toujours déjà morts. Les critères de désélection prolifèrent – misogynie, colonialisme, transphobie, racisme, et on en passe –, tandis que les seuils d’alerte ne cessent de baisser. Comme les lecteurs de la « génération snowflake » ont les nerfs idéologiques à fleur de peau, le moindre passage malencontreux parmi des milliers de pages suffit à (dis)qualifier une œuvre. L’humour et le second degré ne sont plus d’aucun secours et pourraient même devenir des suspects de plein droit. Enfin, les diktats n’émanent pas d’une quelconque autorité culturelle plus ou moins légitime ; ils circulent latéralement sur les réseaux sociaux, à toute vitesse, hors de tout contrôle. Quel auteur, confronté à un tableur listant les critères d’opprobre, ne cocherait pas au moins une case ? En tout cas pas Giraudoux, Anouilh ou les Goncourt : des antisémites notoires. Ni Daudet, Jules Verne ou même le mulâtre Dumas : des racistes. Ni Flaubert, Balzac, Huysmans : de fieffés misogynes… Quant à Voltaire, il est à la fois raciste, sexiste, antisémite, islamophobe et homophobe invétéré. Ce virtuose du politiquement incorrect offense dans ses écrits pratiquement toutes les catégories désormais considérées comme discriminées, et souvent à plusieurs titres à la fois, « intersectionnalité » oblige… Même notre Montaigne, l’humaniste de référence, s’est retrouvé dans le collimateur : n’a-t-il pas écrit, notait impitoyablement Derrida, que les femmes lui semblaient impropres à l’amitié ?
Derrida, justement : s’inquiéter comme Éric Zemmour (voire Emmanuel Macron) des dangers que le « wokisme » venu d’outre-Atlantique représente pour la culture nationale, c’est occulter la responsabilité d’une partie de l’intelligentsia française dans le décollage du mouvement. Car qui a théorisé l’art et la manière de déconstruire la culture européenne et son inadéquat canon littéraire pour les remplacer par des « contre-corpus » plus PC ? Ce sont Derrida, Barthes, Foucault, Deleuze, Lyotard et autres porte-flambeaux de la French Theory, laquelle a contribué, à la fin des années 1970, à l’essor des « post- » (postmodernisme, postcolonialisme, etc.) et à l’embrasement proto-woke des campus américains.