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Le premier principe du journalisme est de confirmer les préjugés existants, non de les contredire. » On doit cet aphorisme au journaliste d’investigation irlando-américain Alexander Cockburn. Orienté à gauche par tempérament, il ne dédaignait pas écrire pour The Wall Street Journal. Éditeur de la news­letter CounterPunch, devenue un magazine, il y publiait surtout des contributeurs de gauche mais accueillait aussi des intellectuels de droite. Espérons que notre dossier ne donnera pas trop l’impression de confirmer des préjugés existants !

Quels sont-ils, d’ailleurs, ces préjugés existants ? Beaucoup, comme le racisme ou le sexisme, sont décortiqués par des auteurs bien-pensants. On peut aussi épingler les préjugés des antivaccins ou encore ceux des prêtres staliniens de la cancel culture, mais il faudra attendre les historiens et sociologues du futur pour recenser les préjugés qui nous sont invisibles, et dont on se demande pourquoi ils seraient moins nombreux et prégnants que les préjugés des époques passées. Car, contrairement à un préjugé tenace, ce n’est hélas pas « en déracinant les préjugés par l’instruction que les hommes pourront s’éclairer sur leur intérêt bien entendu, et réaliser le progrès social dans l’ordre et la liberté » (Dictionnaire encyclopédique Quillet, 1937).

Un autre préjugé sur les préjugés est de penser, comme le font la plupart des dictionnaires actuels, que le préjugé est forcément une opinion « préconçue ». On le voit chez les antivaccins ou les complotistes tels que les tenants de la théorie du « grand remplacement », les préjugés sont au contraire le plus souvent étayés par des arguments qui font mouche et paraissent suffisamment convaincants pour grossir le flot des adeptes. Les préjugés sont lestés, pourrait-on dire, de « postjugés ». Pour exprimer cela dans les termes d’un freudisme de bazar, ceux-ci scellent un surmoi occultant la véritable nature des préjugés inconscients sous-jacents.

Les fausses théories scientifiques du passé, comme la théorie des miasmes, censée expliquer les épidémies, ou celle du complexe d’Œdipe, censée expliquer nos comportements, sont un cimetière de préjugés savamment construits, devenus au fil du temps des orthodoxies gravées dans le marbre et dont la contestation pouvait valoir l’excommunication, sinon le bûcher. Quelles sont les fausses théories scientifiques d’aujourd’hui ? Ou les fausses croyances d’autant plus enracinées qu’on les pense étayées par les résultats de ce qu’il est convenu d’appeler « la science » ?

« Savants et ignorants sont tellement prévenus de la pensée que les femmes sont inférieures aux hommes en capacité et en mérite […] qu’on ne manquera pas de regarder le sentiment contraire comme un paradoxe singulier », écrivait en 1673 le curé François Poullain de La Barre. La phrase est tirée de son ouvrage De l’égalité des deux sexes. Discours physique et moral où l’on voit l’importance de se défaire des préjugés. Un livre magnifique qui est tombé dans un oubli total – et ce n’est pas un hasard – avant d’être exhumé par Simone de Beauvoir dans Le Deuxième Sexe. Les premiers mots de la phrase interpellent. Savants et ignorants ont souvent partie liée ; c’est, me semble-t-il, un préjugé courant de ne pas en prendre conscience. 

Olivier Postel-Vinay

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Mise à la retraite à l’âge butoir de 70 ans, Anna Louisa Germaine Millisdotter observe désormais le quotidien d’un quartier chic d’Oslo depuis l’appartement de 250 m² qu’elle a pu acheter grâce à un héritage. L’ancienne universitaire engagée à gauche s’est assagie avec le temps. Mais voilà que, un matin de décembre 2013, la lecture, dans le journal, d’une tribune signée par une de ses anciennes élèves à l’origine de complications personnelles réveille en elle l’envie d’en découdre avec la société. « Amère sur la vie et convaincue que les gens sont des idiots », résume le quotidien Stavanger Aftenblad, Anna Louisa est déterminée à « les remettre à leur place ». Une pièce à soi est le deuxième roman de Lotta Elstad, qui s’est fait connaître par le récit de sa vie d’employée de chaîne hôtelière. « Dans un style léger et satirique, et avec une description précise des structures sociales typiquement norvégiennes, ­Elstad explore le besoin de trouver une place dans le monde », note le journal Klassekampen. « Un roman divertissant, intelligent et bien ficelé », estime l’hebdomadaire Morgenbladet. Léger bémol, selon Stavanger Aftenblad : les fines analyses féministes d’ouvrages littéraires et de films auxquelles se livre Anna Louisa se succèdent à une telle cadence que « cela sent la chaîne de montage ». 

[post_title] => Trouver sa place [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => trouver-sa-place [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2021-11-12 18:44:40 [post_modified_gmt] => 2021-11-12 18:44:40 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=111238 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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Quel intérêt de publier, près d’un quart de siècle après sa parution originale en anglais, le récit de voyage Yémen de Tim Mackintosh-Smith ? Depuis 1997, le pays qu’il évoque n’a pas simplement changé, comme beaucoup d’autres : il a été détruit. Dans la préface à l’édition française, l’auteur le reconnaît : « Une grande part de ce que j’ai décrit n’est plus. Au nord, nombre des immeubles d’argile sèche, aussi élégants que des pots de colombins, sont redevenus poussière. Ta’izz, la Grenade de l’Orient sous la dynastie rasoulide, est violée par les balles des tireurs embusqués, disloquée par les lignes de front. » La guerre civile, dont les victimes se comptent par centaines de milliers, n’en finit pas, une famine générale menace, et le choléra, cette maladie d’un autre âge, a fait sa réapparition.

Mais il suffit de lire quelques dizaines de pages de ce livre pour que l’évidence s’impose : son caractère « dépassé », voilà précisément ce qui le rend si précieux. Parce que le Yémen que Mackintosh-Smith a connu, celui d’il y a une génération à peine, « a été balayé » et qu’il est, comme le note l’auteur lui-même, « désormais aussi éloigné que l’Orient de Pierre Loti », pareil témoignage est irremplaçable.

Mackintosh-Smith s’est rendu pour la première fois au Yémen en 1982. Même pour un arabisant formé à Oxford, c’était un choix audacieux. D’ailleurs, son tuteur essaya de l’orienter vers une autre destination : « Pourquoi ne pas vous rendre dans un endroit convenable… Le Caire, Amman, Tunis ? » lui suggéra-t-il. À l’époque, même si la situation n’était pas aussi épouvantable qu’aujourd’hui, le Yémen ne jouissait déjà pas d’une très bonne réputation. Plus loin dans son livre, Mackintosh-Smith rapporte les conseils de Margaret Thatcher à un couple britannique en partance pour un poste à San’a, la capitale : « Vous devrez faire attention aux Yéménites. Ils sont très malins, vous savez. »

Mackintosh-Smith n’était pas censé séjourner longtemps dans ce pays, mais il y a passé l’essentiel des décennies suivantes. Il y a acquis une maîtrise rare de la langue, et unique de la culture. « C’est quelqu’un qui traduit des vers arabes pour se détendre et dont l’arabe oral est si bon qu’il peut jouer avec les différents accents yéménites », note l’essayiste Barnaby Rogerson dans The Guardian. Son premier projet littéraire était – très classiquement, ­serait-on tenté de dire – de partir à moto sur les traces de Lawrence d’Arabie. Une rencontre avec la romancière Edna O’Brien a tout changé. Alors qu’il lui servait de guide lors d’une visite du British Council, pour lequel il travaillait à San’a, elle lui a fait remarquer que c’était « un crime de vivre ici et de ne pas écrire à ce sujet ». Yémen, son premier livre, est né de cette admonestation.

« Il existe, bien sûr, une tradition bien établie d’Anglais écrivant sur l’Arabie, et la plupart de ces écrits sont dans la même veine. Commencez par chanter les louanges du “noble bédouin”, dites quelques mots à propos de la pureté spirituelle du désert, ajoutez une pincée d’ambiguïté sexuelle à moitié assumée et voilà, le tour est joué, vous avez votre cocktail, qui peut être assez imbuvable. Heureusement, le livre de Tim Mackintosh-Smith n’est pas du tout comme ça », estime Dominic Simpson sur le site de la ­British-Yemeni Society.

Tout l’art du récit de voyage consiste à être didactique sans le paraître. Tim Mackintosh-Smith y excelle. Il nous emmène faire un tour du Yémen aussi érudit que poétique, où les différentes strates temporelles s’entremêlent et semblent parfois se confondre. Chaque chapitre est consacré à une région particulière et, hormis San’a, où débute et s’achève le périple, on ne sait pas exactement quand l’auteur s’y est rendu. Le lecteur est plongé dans un éternel présent de la narration ouvrant à chaque instant vers un passé parfois millénaire. Le tout servi par un style dense et ciselé.

Le Yémen revendique la civilisation la plus ancienne de la péninsule Arabique, le fameux royaume de Saba, dont des vestiges archéologiques attestent l’existence. Il « exportait chaque année quelque 3 000 tonnes d’encens et 600 tonnes de myrrhe, raconte Mackintosh-Smith. Si l’on songe que les seuls Romains consacraient 85 tonnes de pièces d’argent par an à l’encens, que la myrrhe était beaucoup plus chère et que les épices et les autres articles de luxe transitant par l’Arabie atteignaient des prix également élevés, les revenus des Sabéens et de leurs voisins auraient souffert la comparaison avec les revenus actuels d’un pays exportateur de pétrole. »

Même si, par la suite, les ­Yéménites prirent une part active à l’extension de l’islam, la constitution d’une umma s’étendant de l’Espagne à la Chine contribua à les marginaliser. Et, depuis, leurs relations avec leurs voisins du Nord n’ont cessé d’être ombrageuses. En 1991, par exemple, en proposant une solution arabe à l’invasion du Koweït par Saddam Hussein, ils s’attirèrent les foudres aussi bien des États-Unis que de leurs alliés saoudiens : ces derniers expulsèrent le million de ressortissants yéménites qui travaillaient sur leur sol. « Le Yémen demeure la victime quasi ignorée de la crise du Golfe, un martyr de la conscience dans le monde de la realpolitik », juge Mackintosh-Smith.

Au fil des siècles, le pays s’est distingué autant par son goût de l’indépendance que par ses luttes intestines. La société y est avant tout une affaire de clans souvent rivaux, aux rancunes multigénérationnelles, ce qui n’a pas vraiment aidé à l’émergence d’un État digne de ce nom. Et si, pendant la seconde partie du XXe siècle, le Yémen a été, comme l’Allemagne, la Corée ou le ­Vietnam, divisé en une « République arabe du Yémen » au nord et une « République démocratique et populaire du Yémen » prosoviétique au sud, cela semble avoir été au moins autant le résultat des éternelles tensions claniques que de la Guerre froide. Du reste, malgré la réunification de 1990, et comme le prouve bien la situation actuelle, ces tensions sont loin d’être apaisées.

L’une des institutions caractéristiques du Yémen est l’imamat zaydite (d’obédience chiite), qui a perduré jusqu’en 1962. ­Mackintosh-Smith dresse le portrait de Yahya, l’avant-dernier de ses représentants. Né en 1869, il combat les Turcs ottomans et, après leur retrait du Yémen, à l’issue de la Première Guerre mondiale, inaugure un régime d’une stabilité rare dans l’histoire du pays, mais confinant à l’immobilisme. Afin que les chefs tribaux se tiennent tranquilles, il met en place un système implacable d’otages. Pendant ses trois décennies de règne, le ­Yémen s’isole et se tient à l’écart de la modernité. On ne possède pratiquement aucune photographie de Yahya : à la différence de tant d’autres dirigeants du XXe siècle, il avait défendu qu’on le représente, par respect strict des interdits coraniques – et aussi parce qu’on lui avait prophétisé « qu’il ne mourrait que s’il était dessiné ou photographié ». Cela semble n’avoir qu’imparfaitement fonctionné : « Au matin du 17 février 1948, l’exorciste malheureux, le marteau des Turcs, al-Imam al Mutawakkil ala Allah Yahya ibn al-Mansur bi Allah Muhammad Hamid al-Din, de la dynastie al-Qasimi, descendant du Prophète, Commandant des croyants, dirigeant du royaume mutawakkilite du Yémen et l’un des plus remarquables monarques du siècle, partit inspecter un nouveau puits dans l’une de ses fermes de San’a. L’imam voyageait dans une seule voiture, accompagné par un jeune petit-fils, son Premier ministre Qadi Abdullah ibn Husayn al-Amri et deux soldats. Comme d’habitude, il avait laissé l’essentiel de son escorte à Bab al-Yaman, pour économiser sur le transport. Alors que le véhicule franchissait un endroit resserré de la route à Sawad Hizyaz, il essuya un barrage de feu qui tua tous ses occupants. On dénombra 50 balles dans le cadavre de Yahya. Il était dans sa quatre-vingtième année. Il n’avait jamais vu la mer. »

B. T.

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Quand la vieille dame s’est aperçue qu’Alzheimer commençait à lui faire perdre la tête, elle s’est murée dans le silence. Dix ans qu’elle n’a plus prononcé une parole. C’est qu’elle a un secret qu’elle ne veut révéler à aucun prix. Avec Les Oracles de Teresa, ­Arianna Cecconi signe un premier roman où se mêlent rêve et réalité, « un récit, commente David Valentini sur le site ­CriticaLetteraria, où abondent les notions anthropologiques, les rituels anciens et une forme de poésie liée à la terre et aux traditions ». Ce n’est pas tout à fait un hasard puisque ­Arianna Cecconi, qui travaille entre Marseille et l’Italie, est anthropologue de profession. « À côté du lit de la mourante, poursuit ­Valentini, nous assistons au dernier acte de la longue vie de Teresa, matriarche d’une famille exclusivement féminine, autour de laquelle se sont groupées d’autres femmes qui, chacune, cherchent à faire face au passé, avec leurs propres rites et superstitions. » Il y a les filles de Teresa, sa petite-fille, sa cousine et Pilar, sa domestique, qui est comme une sœur d’adoption. Peu à peu, le temps cesse d’être linéaire, on entre dans une forme d’« anhistoricité typique du songe », la vie enfouie de toutes ces femmes resurgit. David Valentini a beau être resté un peu sur sa faim, il estime que Cecconi est « une auteure à suivre ».

[post_title] => Aux côtés de la mourante [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => aux-cotes-de-la-mourante [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2021-11-12 18:48:42 [post_modified_gmt] => 2021-11-12 18:48:42 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=111256 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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«Tous ces abdos pour rien », aurait gémi Jackie Kennedy sur son lit de mort, au terme d’une vie placée (entre autres) sous le signe de la culture physique et de la préservation d’un corps juvénile. C’est la même lamentation que fait entendre le couple de malencontreux antihéros imaginés par l’écrivaine américaine Lionel Shriver.

Le mari, Remington, est un fonctionnaire sexagénaire récemment licencié qui se met au marathon puis au triathlon au moment précis où Serenata, son épouse, une acharnée du sport qui a passé sa vie à compter les pompes, les tractions et autres flexions doit raccrocher à cause d’une terrible arthrose des genoux. Mise au rancart, Serenata assiste, impuissante, à la descente aux enfers de son époux, qui s’est fait mettre le grappin dessus par une jeune coach implacable, tandis qu’elle-même ­s’enfonce dans une vieillesse désabusée. À distance, depuis Londres où elle vit, Lionel Shriver s’est donné pour mission de mettre à jour toutes les blessures de la psyché américaine, et même « de mettre du sel sur ces plaies à vif », précise Alfred Hickling dans The Guardian. Celle qu’on décrit comme la vindicative Cassandre des lettres américaines assène des vérités désagréables à entendre. N’a-t-elle pas placé successivement dans son collimateur l’immigration, le sida, les massacres dans les écoles (avec Il faut qu’on parle de Kevin, son premier grand succès, paru en 2003 et traduit en français chez Belfond, comme tous ses romans ultérieurs), le cancer, l’obésité, la déréliction du système de santé américain – bref, déclare-t-elle, « tous les sujets que les gens s’efforcent d’éviter » ? [Voir Books no 29, février 2012.] 

Dans ce quinzième opus, elle monte en ligne pour ridiculiser, au fil d’intenses dialogues gorgés de répliques acérées qui constituent 80 % du roman, « le culte de la forme » et l’absurdité du sport intensif. Pire, elle en profite pour faire quelques victimes collatérales : le politiquement correct, la culture woke et le langage qui va avec, sans oublier la discrimination positive et ses effets pervers (c’est l’incompétence grotesque d’une jeune Afro-­Américaine promue à sa place qui conduit Remington à exploser de colère, et le fait renvoyer pour racisme doublé de sexisme).

Au passage, Lionel Shriver dézingue cet autre fanatisme violemment toxique, l’évangélisme, qu’incarne ici la fille du couple, méchante et complètement givrée. Pourtant, le vrai propos du roman, malgré son happy end inattendu, est quelque chose d’encore plus démoralisant : rien de moins, écrit Ariel Levy dans The New Yorker, que le « déclin physique et notre condition de mortels », dont Shriver fait une description aussi accablante que Simone de Beauvoir dans La Vieillesse (Gallimard, 1970), mais beaucoup plus drôle. 

[post_title] => Des pompes funèbres [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => des-pompes-funebres [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2021-11-12 18:44:19 [post_modified_gmt] => 2021-11-12 18:44:19 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=111263 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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Les attaques du 11 septembre 2001 ont fait presque 3 000 morts, « soit le bilan le plus élevé jamais enregistré pour un acte de terrorisme contemporain », rappelle John A. Lynn en ouverture de son d’Une autre guerre. Ce ne sont pourtant pas là, note-t-il, les actes de terrorisme les plus graves perpétrés sur le sol américain : « Ceux qu’ont commis pendant des décennies des groupes de suprémacistes blancs contre la communauté afro-américaine » les surpassent. Lynn est un historien militaire de renommée internationale. Deux ans après le 11 Septembre, il a inauguré un cours sur le terrorisme, et le livre qui en résulte synthétise près de vingt ans de recherche et d’enseignement. Il constitue, selon Kenneth B. Moss dans The American Historical Review, « un apport majeur à une littérature jusqu’ici fragmentée et parfois guidée par des agendas politiques ». Pour Lynn, pas de doute, le terrorisme relève bien de la guerre. Il a « des stratégies propres et identifiables ». On ne saurait donc « présenter les terroristes comme des sociopathes » ; ce sont, au contraire, « des acteurs rationnels ». Lynn propose une typologie fine du phénomène, allant du terrorisme d’État, massif et opérant à visage découvert, à celui d’individus isolés pour qui la clandestinité est primordiale. 

[post_title] => Les six stades du terrorisme [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => les-six-stades-du-terrorisme [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2021-11-12 18:44:27 [post_modified_gmt] => 2021-11-12 18:44:27 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=111273 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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En 1848, le deux-mâts Baïkal quitte la forteresse de Kronstadt avec un équipage de 50 hommes, sous le commandement du jeune officier Guennadi Nevelskoï. Mission officielle : livrer une banale cargaison de marchandises aux avant-postes de l’empire tsariste en Extrême-Orient. Mission officieuse : étudier la navigabilité de l’embouchure du fleuve Amour et explorer la région de l’île Sakhaline (représentée comme une péninsule sur les cartes de l’époque). L’expédition est hautement stratégique, car elle doit permettre à terme de dynamiser la colonisation de la Sibérie, repoussant toujours plus à l’est les frontières de l’empire. Dans La Rose des vents, Andreï Guelassimov restitue la première année de ce périple épique et périlleux, avec en toile de fond la rivalité coloniale entre la Grande-Bretagne et la Russie en Asie.

Ce roman historique est une « curiosité » dans le paysage ­littéraire russe, estime Galina Iouzefovitch sur le portail Meduza. « Ample et empreint d’un certain conservatisme, tout en étant écrit dans un style frais, limpide et concis », il est façonné, d’après elle, selon les canons littéraires anglo-saxons (Guelassimov a enseigné la littérature anglaise avant de se consacrer à l’écriture). La narration évolue ainsi au rythme des sinueuses intrigues diplomatiques, du quotidien à bord d’un vaisseau décrit minutieusement, d’un drame familial qui se joue dans le domaine des Nevelskoï et d’un amour naissant entre le commandant de bord et Katia Eltchaninova, une jeune élève de l’Institut Smolny, ­premier établissement éducatif pour femmes.

La nostalgie de Guelassimov pour « la Russie que nous avons perdue » – celle qui prenait pour modèle l’Europe des Lumières – est manifeste, mais « sans excès et de bon ton », relève la critique. Lui-même décrit son livre comme « très patriotique ». Dans une interview accordée au journal RBC, il explique que le projet de ce roman, qu’il a mis quinze ans à écrire, lui tenait particulièrement à cœur pour des raisons familiales. Dans les années 1950 en effet, son père avait servi à bord d’un sous-marin évoluant dans le détroit où avait bourlingué Guennadi Nevelskoï un siècle plus tôt.

Plus réservée, Natalia Kour­tchatova pointe, sur le site Gorky, le décalage entre le dessein initial de l’auteur et sa réalisation. « Après avoir minutieusement détaillé les préparatifs, la construction du navire ainsi que les premières étapes de la navigation, l’auteur semble se dégonfler vers le deuxième tiers du récit. Il abandonne la barre et les lignes narratives les plus haletantes pour entamer un dénouement, certes éclatant, mais précipité. » Andreï Guelassimov a promis d’écrire la suite. 

[post_title] => À la découverte de Sakhaline [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => a-la-decouverte-de-sakhaline [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2021-11-12 18:44:33 [post_modified_gmt] => 2021-11-12 18:44:33 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=111281 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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Personne d’autre que la grande écrivaine Dido Sotiriou (1909-2004) n’aurait pu écrire Elektra, biographie romancée d’une héroïne de l’antifascisme hellénique. Née en 1912, torturée et assassinée par la Gestapo en 1944, à seulement 32 ans, Elektra Apostolou comptait parmi les amis proches de l’écrivaine communiste et partageait ses combats. En 1961, avant que ne tombe la chape de plomb des colonels, Sotiriou rappelait au public grec cette existence exemplaire. Republié en 2014 au plus fort de la crise économique et qualifié par la revue Artic de « modèle d’inspiration pour les nouvelles générations et les combats actuels », ce texte est enfin traduit en français.

La romancière n’occulte rien du caractère entier de sa camarade, militante, partisane du droit des femmes, assoiffée de vie et prête à tous les sacrifices pour défendre ses idées. Née dans une famille bourgeoise, elle rejoint, à la fin de l’adolescence, le mouvement communiste et y occupe des fonctions clés dès les années 1930. Déportée sous la dictature de Metaxás (1936-1941), elle devient responsable de la propagande du Parti pendant l’Occupation et se révèle une organisatrice redoutable. Aussi court que sa vie tragique, le roman de Sotiriou redonne, selon le site d’information TVXS, un visage à cette « personnalité inoubliable de la Résistance ».

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«De nombreuses figures littéraires redoutent le spectre du biographe », écrit David Remnick dans The New Yorker. Considéré comme le dernier géant des lettres américaines, Philip Roth était, lui, particulièrement sujet à « l’anxiété biographique », note le rédacteur en chef du magazine new-yorkais. « Il y a une forme de prédation dans le fait de raconter l’histoire d’un autre : Roth s’est débattu avec ce thème tout au long de sa carrière, souligne Remnick. Et jusqu’à sa mort, en 2018, il a dépensé beaucoup d’énergie à courtiser des biographes, espérant qu’ils raconteraient son histoire d’une manière qui ne nuirait pas à son art ni à sa postérité. »

Ce thème est déjà présent dans L’Écrivain des ombres (Gallimard, 1981), premier du cycle de neuf romans liés par le même narrateur, Nathan Zuckerman, le double fictionnel de Roth. Dans Exit le fantôme (Gallimard, 2009), Nathan Zuckerman est atteint d’un cancer de la prostate. « Pourtant, sa plus grande inquiétude ne concerne ni son impuissance, ni son incontinence, ni la détérioration de sa mémoire immédiate. Il craint par-dessus tout la tyrannie du biographe », relève Remnick.

Roth avait aussi écrit des Mémoires. Dans Les Faits. Autobiographie d’un romancier (Gallimard, 1990), il relate sa jeunesse à Newark, son premier mariage désastreux et ses débuts d’écrivain. Patrimoine. Une histoire vraie (Gallimard, 1992) est le récit du déclin de son père, atteint d’une tumeur au cerveau. Quant à « Notes pour mon biographe », c’est un texte de près de 300 pages qui réfute point par point les Mémoires de sa seconde femme, l’actrice Claire Bloom, « Quitter une maison de poupée »1. Elle y décrit Roth en homme brillant, mais aussi versatile, infidèle, distant, parfois odieux. Les amis de Roth l’ont dissuadé de publier sa diatribe ; il l’a néanmoins conservée pour son futur biographe.

Vers la fin de sa vie, le romancier se met en quête de celui-ci. Il sollicite Hermione Lee et Judith Thurman, deux biographes hors pair, qui déclinent par manque de temps. Ross Miller, le neveu du dramaturge Arthur Miller, accepte la mission et obtient de l’écrivain un accès complet à ses écrits et documents personnels, à ses amis et à sa famille. Mais au bout de quelques années, la relation s’étiole ; Roth finit par ne plus faire confiance à Miller. L’accord prend fin en 2009, l’année où Roth arrête d’écrire.

Enfin, en 2012, Blake Bailey, réputé pour ses biographies de Richard Yates et John Cheever, devient le biographe officiel de Roth. Une fois l’accord conclu, l’écrivain formule ainsi ses attentes : « Je ne veux pas que vous me réhabilitiez. Rendez-moi simplement intéressant. » Comme avec Miller, Roth s’investit beaucoup dans le travail de Bailey : il lui offre un accès quasi illimité à ses archives personnelles, se prête à des entretiens quotidiens de six heures. « Il s’est livré à son biographe comme il se livrait auparavant dans ses livres, insiste Remnick. Il s’est mis à nu comme il l’a toujours fait. »

Après avoir alimenté la chronique littéraire pendant plusieurs années, Philip Roth: The Biography, une somme de plus de 900 pages, paraît le 6 avril 2021, trois ans après la mort du romancier. L’ouvrage suscite dans un premier temps des critiques enthousiastes – l’essayiste Cynthia Ozick le qualifie de « chef-d’œuvre narratif » dans The New York Times – et semble promis à devenir un best-­seller. Mais « des nuages sombres s’amoncellent », relate Andrew Anthony dans The Guardian. Dans The New Republic, Laura Marsh dépeint Roth comme un tyran misogyne et un revanchard obsessionnel. La critique littéraire n’épargne pas le biographe, qui est, selon elle, « particulièrement à l’écoute des doléances de Roth et remet rarement en question ses principes moraux ».

Puis, coup de tonnerre, Blake Bailey est accusé d’agressions sexuelles par d’anciennes étu­diantes et une directrice d’édition. Bailey dément, mais son éditeur et son agent le lâchent2. Le livre est retiré du marché, au grand étonnement de tous, y compris de ses détracteurs. Un « effacement » de l’ère post-#MeToo qui en dit long sur le conflit générationnel entre les plus et les moins de 40 ans qui fait rage dans le milieu de l’édition anglo-saxon, commente Andrew Anthony. Il poursuit : « Ironiquement, c’est désormais le biographe qui a besoin d’être réhabilité. » Pour autant, « ce livre mérite d’être lu plutôt que retiré du marché pour de nombreuses raisons, pas toutes édifiantes. […] L’une d’elles est qu’il nous en dit long sur son sujet, mais aussi sur son auteur ».

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Le 27 juillet 1794 est surtout connu comme le 9 thermidor de l’an II dans le calendrier républicain. C’est la chute de Robespierre, l’un des grands tournants de la Révolution française, puisqu’il marque la fin de la Terreur et le début de la république dite « thermidorienne », plus conservatrice. L’historien britannique Colin Jones retrace cette journée particulière, presque quart d’heure par quart d’heure, abandonnant la structure par chapitres et lui préférant une succession de scènes parfois courtes, précédées d’une simple mention de l’heure et du lieu (par exemple : « 11 heures : palais et jardin des Tuileries »). À en croire Jones, « il n’y a peut-être pas une autre journée dans tout le XVIIIe siècle [à propos de laquelle] les sources soient si riches et si nombreuses ».

L’ensemble est divisé en cinq parties, qui rappellent, note John Adamson dans la Literary Review, les cinq actes de la tragédie française classique. « De fait, la dimension tragique du livre est essentielle à son objectif révisionniste. » Par la suite, Robespierre fut déshumanisé par ses vainqueurs, lesquels ne présentaient pourtant que peu de différences idéologiques avec lui. « Dans le drame de Jones, poursuit Adamson, Robespierre n’est pas exonéré des excès du régime. Mais on lui rend son humanité et il acquiert une sorte de grandeur imparfaite. »

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