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Les gourous revendiquent parfois un droit de cuissage sur les femmes de leur secte, voire utilisent la violence physique pour les exploiter sexuellement. Mais, la plupart du temps, ils préfèrent présenter l’exploitation comme une sorte de cadeau ou de thérapie : une occasion de servir Dieu, une manière d’exorciser ses « complexes », un tremplin vers l’illumination spirituelle. L’un des stratagèmes privilégiés par Keith Raniere, le leader de la secte de développement personnel NXIVM, basée à New York, consistait à dire aux femmes de son proche entourage qu’elles avaient été des nazies de haut rang dans leur vie antérieure et qu’avoir des relations sexuelles yogiques avec lui leur permettrait d’évacuer les mauvaises énergies résiduelles présentes dans leur organisme.
Selon Sarah Berman, dont le livre Don’t Call It a Cult relate les expériences des femmes membres de NXIVM, Raniere était passé maître dans l’art de manipuler les sentiments de honte et de culpabilité. Lorsqu’il finit par abandonner cette histoire de passé nazi – peut-être s’était-il dit qu’il y avait des limites au nombre d’officiers SS réincarnés qu’un groupe pouvait plausiblement contenir –, il la remplaça par un autre récit conçu pour stimuler la haine de soi. Il dit aux femmes que les privilèges dus à leur sexe les avaient affaiblies et transformées en « petites princesses » orgueilleuses, et que, pour se libérer de la prison de leur féminité geignarde, elles devaient se soumettre à une discipline punitive. C’est sur ce laïus que reposait un sous-groupe de NXIVM baptisé DOS (Dominus Obsequious Sororium, locution pseudo-latine pouvant être traduite par « maître des femmes soumises »), un système pyramidal d’esclavage sexuel dans lequel les femmes faisaient vœu d’obéissance à Raniere en se faisant marquer au fer rouge ses initiales sur l’aine et en lui remettant des garanties de leur soumission sous forme d’informations compromettantes et de photos dénudées. Au moment de l’arrestation de Raniere, en 2018, pour, entre autres chefs d’inculpation, trafic sexuel et racket, on estime que DOS comptait plus de 100 membres et disposait de tout le matériel nécessaire à l’aménagement d’un donjon BDSM 1. Parmi leur attirail : une cage à chiots en acier, pour les membres « les plus investis dans leur développement ».
Sachant que NXIVM a déjà fait l’objet de deux séries documentaires télévisées, d’un podcast, de quatre récits autobiographiques et d’un film diffusé sur Lifetime, on ne peut guère s’attendre à ce que le livre de Berman regorge d’éléments nouveaux sur la secte. L’auteure fournit toutefois quelques détails intéressants sur les antécédents de Raniere en matière d’escroquerie et interroge l’un de ses anciens camarades de classe qui se souvient de lui, sans surprise, comme d’une brute peu sûre d’elle. Cependant, à la question centrale de savoir comment des femmes « normales » en viennent à prendre part aux fantasmes sadiques d’un gourou, Berman donne essentiellement la même réponse que tout le monde. Elles ont été séduites par la « méthode » de développement personnel de Raniere censée changer leur vie (un mélange hétéroclite d’emprunts à la philosophie orientale, à la scientologie et à la pensée d’Ayn Rand), puis ont été soumises à un ensemble de techniques de lavage de cerveau. On les a manipulées psychologiquement, privées de sommeil, affamées, éloignées de leurs amis et de leur famille et soumises à une forme douteuse de psychothérapie connue sous le nom de « programmation neurolinguistique ». Raniere était, comme l’a dit le procureur chargé de l’affaire, « un Svengali des temps modernes ». Et ses adeptes, des pions hypnotisés 2.
Jusqu’à très récemment, soutient Berman, nous n’aurions pas considéré ces femmes, qui ont consenti à leur propre exploitation, comme des victimes : « Il a fallu le mouvement #MeToo, et avec lui un changement de paradigme dans notre manière d’appréhender les abus sexuels, pour que l’on commence à prendre conscience que ce type de “complicité” ne doit pas empêcher les femmes [...] de demander justice. » Berman va peut-être un peu trop loin. Certes, le FBI a tardé à prendre au sérieux les plaintes déposées contre NXIVM, et les procureurs ont été plus enclins à enquêter sur la secte après le scandale Harvey Weinstein, mais, avec ou sans #MeToo, un homme qui a fait chanter des femmes pour en faire ses esclaves sexuelles serait forcément tombé sous le coup de la loi. En fait, Berman et d’autres, en présentant l’histoire de NXIVM comme une parabole #MeToo sur le consentement forcé, ont tendance à exagérer les capacités de manipulation de Raniere. Le fait que le gourou ait collecté des kompromat sur les membres de DOS suggère que ses techniques de coercition psychologique ne pouvaient pas, à elles seules, garantir la soumission des femmes. Après tout, beaucoup ont su résister à son regard hypnotique : elles l’ont rencontré, ont vu un sinistre petit crétin avec une raie au milieu qui insistait pour qu’on l’appelle « Vanguard » et, tôt ou tard, ont tourné les talons.
Il est également frappant de constater que le degré de lucidité attribué aux membres de NXIVM semble varier en fonction du caractère répréhensible de leur comportement au sein de la secte. Si l’on considère que le lavage de cerveau a supprimé toute notion de consentement chez les « esclaves » de Raniere, on estime généralement que cela n’atténue pas la responsabilité morale ou légale des femmes qui ont commis des méfaits sous ses ordres. Lauren Salzman et l’ex-actrice de télévision Allison Mack, deux des cinq femmes de NXIVM qui ont plaidé coupable de crimes commis au sein de la secte, étaient toutes deux membres de DOS, et sans doute plus profondément sous l’emprise de Raniere que la plupart des autres adeptes. Pourtant, les médias les ont toujours dépeintes comme de méchants « lieutenants » qui ont « choisi » de tromper et de faire du mal à d’autres femmes, et pour qui on ne peut donc éprouver aucune compassion.
L’expression « lavage de cerveau » était utilisée à l’origine pour décrire les techniques de réforme de la pensée développées par le gouvernement maoïste en Chine. Son utilisation pour parler des sectes remonte au début des années 1970. Des histoires de jeunes gens transformés en zombies, façon Un crime dans la tête, ont alimenté la paranoïa de l’époque ; il était alors courant d’enlever les membres de sectes pour les « déprogrammer ». Pourtant, malgré la prégnance du concept de lavage de cerveau dans l’imaginaire collectif, la communauté scientifique l’a toujours considéré avec un certain scepticisme. Les organisations de défense des droits de l’homme et les spécialistes des religions contestent vigoureusement l’utilisation d’une hypothèse non prouvée – et non vérifiable – pour déresponsabiliser des adultes jouissant de toutes leurs facultés intellectuelles. Les tentatives d’anciens adeptes de recourir à la « défense du lavage de cerveau » pour éviter d’être condamnés pour leurs méfaits ont échoué à plusieurs reprises. Il existe sans aucun doute des méthodes de persuasion coercitive, mais l’idée qu’une technique puisse à coup sûr détruire le libre arbitre d’un individu et le réduire à l’état de robot est aujourd’hui rejetée par presque tous les experts. Même l’historien et psychiatre Robert Jay Lifton, dont le livre « La réforme de la pensée et la psychologie du totalitarisme » 3 a fourni l’une des premières et des plus influentes descriptions de la persuasion coercitive, a pris soin de souligner que le lavage de cerveau n’est ni « tout-puissant » ni « irrésistible ». Dans un recueil de textes publié récemment, « Perdre contact avec le réel » 4, il écrit que la conversion sectaire implique généralement une forme de « renoncement volontaire à son libre arbitre ».
Si nous partons du principe que les membres de sectes conservent un certain degré de volition, il devient beaucoup plus difficile de distinguer les sectes d’autres organisations fondées sur des croyances. Nous pouvons froncer le nez devant le baratin malveillant de Keith Raniere, mais, s’il n’avait pas abusé sexuellement de ses adeptes, serions-nous capables d’expliquer pourquoi NXIVM relève davantage de la coercition ou de l’exploitation que n’importe quelle religion « exigeante » qui a droit de cité ? C’est pour cette raison que de nombreux spécialistes choisissent de ne pas employer le terme de « secte ». Raniere s’est peut-être érigé en source infaillible de sagesse et a cherché à couper ses disciples de toute influence extérieure, mais il semble que Jésus de Nazareth ait fait de même. L’Évangile de Luc rapporte ses paroles : « Si quelqu’un vient à moi, et s’il ne hait pas son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et ses sœurs, et même sa propre vie, il ne peut être mon disciple. » Une religion, comme le dit l’adage, n’est qu’« une secte qui a réussi ».
Reconnaître que l’adhésion à une secte comporte une part d’abandon volontaire soulève la question suivante : et si les sectes étaient attrayantes précisément parce qu’elles impliquent une forme de lâcher prise ? Dans The Vow, le documentaire de HBO sur NXIVM, un ancien adepte, visiblement plus sombre et plus sage, déclare : « Personne ne rejoint une secte. Personne. On rejoint une bonne cause, et ensuite on réalise qu’on s’est fait avoir. » La force de cette déclaration est quelque peu amoindrie lorsque l’on découvre que l’homme en question est un ex-membre non seulement de NXIVM, mais aussi de la Ramtha’s School of Enlightenment, un groupe basé dans l’État de Washington et dirigé par une femme qui prétend canaliser la sagesse d’un « guerrier lémurien » qui aurait vécu sur Terre il y a 35 000 ans. Rejoindre une secte peut être un coup de malchance ; en rejoindre deux s’apparente à une prédilection pour l’expérience sectaire.
«Ce n’étaient pas des victimes passives, ils désiraient ardemment être contrôlés », écrit Haruki Murakami à propos des membres d’Aum Shinrikyō, la secte responsable de l’attaque au gaz sarin dans le métro de Tokyo, en 1995, qui a fait treize morts. Dans Underground 5, Murakami décrit la plupart des membres d’Aum comme ayant « déposé tous leurs précieux avoirs personnels dans la “banque spirituelle” du leader de la secte », Shōkō Asahara. Les adeptes, estime-t-il, aspiraient à se soumettre à une autorité supérieure – à la vision du monde de quelqu’un d’autre. Pour Robert Jay Lifton, les personnes ayant un certain vécu sont plus susceptibles que d’autres d’éprouver un tel désir : celles qui, très jeunes, ont éprouvé « un sentiment de confusion et d’atomisation » ou, à l’extrême opposé, ont « fait l’expérience d’un contrôle exceptionnellement intense au sein de leur milieu familial ». Cependant, insiste le psychiatre, ce désir de soumission totale est présent en chacun de nous et prend probablement racine dans l’enfance, longue période de dépendance pendant laquelle nous n’avions d’autre choix que d’attribuer à nos parents « une omnipotence excessive ». (Ce qui expliquerait pourquoi tant de gourous choisissent de se présenter comme le père ou la mère de leur « famille » sectaire.)
D’après certains chercheurs, les taux d’adhésion aux religions et aux sectes ont tendance à augmenter proportionnellement au degré d’incertitude émanant de notre environnement. Moins nous avons l’impression de contrôler la situation, plus nous sommes enclins à confier notre destin à une puissance supérieure. (Un exemple bien connu de ce phénomène a été fourni par l’anthropologue Bronisław Malinowski, qui a constaté que les pêcheurs des îles Trobriand, au large de la Nouvelle-Guinée, se livraient à davantage de rituels magiques à mesure qu’ils s’éloignaient en mer.) On a souvent mobilisé cette hypothèse pour expliquer pourquoi les sectes ont proliféré pendant le tumulte social et politique des années 1960, et pourquoi les États-Unis sont restés plus religieux que les autres pays industrialisés. Les Américains sont exposés à une précarité économique beaucoup plus grande que les habitants des pays dotés de meilleurs filets de sécurité sociale et seraient donc plus désireux de s’assurer un soutien extérieur.
Le problème des explications psychologiques ou sociologiques de la croyance est qu’elles ont toutes tendance à être légèrement condescendantes. Les croyants s’irritent, à juste titre, lorsque l’on taxe d’« opium » leurs convictions les plus profondes. (Souvenez-vous de l’indignation suscitée par cette déclaration de Barack Obama dans laquelle il disait regretter que les chômeurs de la Rust Belt s’accrochent « aux armes à feu ou à la religion ».) Lauren Hough, dans son recueil de textes autobiographiques « Partir n’est pas ce qu’il y a de plus difficile » 6, décrit de façon convaincante les forces sociales et économiques qui peuvent contribuer à rendre les sectes attrayantes, tout en réfutant l’idée que les adeptes des sectes ne seraient que des « capitulards ».
Hough a passé les quinze premières années de sa vie chez les Enfants de Dieu, une secte chrétienne qui considérait que la pédophilie avait l’approbation divine. Quant aux femmes de la communauté, on les exhortait à devenir, selon les termes d’un ancien membre, les « putes de Dieu ». Malgré le ressentiment que Lauren Hough éprouve toujours envers ceux qui ont abusé d’elle, son expérience de travailleuse payée au salaire minimum dans l’Amérique traditionnelle l’a convaincue que ce que prêchaient les Enfants de Dieu sur l’iniquité du système américain était bel et bien correct. Les souffrances et les indignités que ce pays inflige aux plus précaires sont suffisantes, selon elle, pour donner envie à n’importe qui de rejoindre une secte. Mais les personnes qui choisissent de le faire ne sont pas nécessairement de pauvres créatures induites en erreur par des courants sociaux qu’elles ne comprennent pas ; ce sont souvent des idéalistes qui cherchent à créer un monde meilleur. À propos de la décision de ses parents de rejoindre les Enfants de Dieu, Hough écrit : « Tout ce qu’ils voyaient, c’était la misère engendrée par la cupidité – la pauvreté et la guerre, la solitude et la foutue cruauté de tout cela. Ils ont donc rejoint une communauté où les gens partageaient le peu qu’ils avaient, où l’on parlait d’amour et de paix, d’un monde sans argent, d’agir pour une cause. Une famille. Ils ont choisi la mauvaise putain de communauté. Mais à qui cela n’est-il jamais arrivé ? »
L’attachement des adeptes à la vision initiale et idéalisée qu’ils avaient de leur secte les maintient souvent dans celle-ci longtemps après qu’ils ont ouvert les yeux sur la réalité des choses. Le psychologue Leon Festinger a forgé le concept de « dissonance cognitive » pour décrire ce sentiment désagréable survenant lorsque nous sommes confrontés à des informations qui contredisent clairement nos croyances les plus profondes. Dans l’ouvrage de référence L’Échec d’une prophétie 7, Festinger et ses coauteurs racontent ce qui est arrivé à une petite secte du Midwest lorsque les prédictions de sa meneuse, Dorothy Martin, ne se sont pas réalisées. Martin prétendait avoir été informée par divers êtres désincarnés qu’une inondation cataclysmique allait ravager l’Amérique le 21 décembre 1954 et qu’avant cette apocalypse, le 1er août 1954, elle et ses adeptes seraient secourus par une flotte de soucoupes volantes. Lorsque les extraterrestres ne sont pas apparus, certains membres ont déchanté et ont immédiatement quitté le groupe, mais d’autres ont réagi à cette déconvenue en renforçant leur engagement. Non seulement ils sont restés avec Martin, mais ils se sont mis, pour la première fois, à prêcher activement l’arrivée imminente des soucoupes.
Ce type de réaction contre-intuitive est au cœur de « Mieux vaut être parti » 8, d’Akash Kapur. L’auteur y brosse l’histoire d’Auroville, une « communauté intentionnelle » fondée dans le sud de l’Inde en 1968 par Mirra Alfassa, une Française que ses disciples appelaient « la Mère ». Elle prétendait avoir appris de son maître spirituel, Sri Aurobindo, une technique de « yoga intégral » capable de « transformer les cellules » et d’accorder la vie éternelle à ses adeptes. Elle voulait qu’Auroville (dont le nom fait référence à la fois à Sri Aurobindo et à l’aurore) soit l’incubateur du yoga intégral et le berceau d’une future race d’hommes et de femmes immortels et « supramentaux ».
La Mère ne semble pas avoir eu de véritables pulsions autoritaires, mais ses enseignements ont inspiré à ses adeptes un zèle proche de celui que l’on voue à un gourou. Lorsque, cinq ans après la fondation d’Auroville, elle ne parvint pas à réaliser la transformation cellulaire promise depuis longtemps et mourut à l’âge de 95 ans, la communauté naissante frôla la folie. « Elle ne nous a jamais préparés à la possibilité qu’elle quitte son corps, raconte l’un des adeptes à Kapur. J’étais totalement effaré. En fait, je suis encore sous le choc. » Pour préserver la vision de la Mère, les membres d’un groupe de croyants militants surnommé « le Collectif » fermèrent des écoles, brûlèrent des livres de la bibliothèque municipale, se rasèrent la tête et entreprirent de chasser les membres de la communauté qu’ils jugeaient insuffisamment dévots.
Kapur et sa femme ont tous deux grandi à Auroville. Dans son livre, il entrelace le récit de sa vie au sein de la communauté avec l’histoire de la mère de sa femme, Diane Maes, et de son compagnon, John Walker, deux pionniers d’Auroville qui ont été victimes de ce qu’il appelle « la recherche de la perfection ». Dans les années 1970, Diane fit une chute très grave alors qu’elle travaillait à la construction de la pièce maîtresse de l’architecture d’Auroville, le Temple de la Mère. Fidèle aux enseignements de son mentor, elle refusa tout traitement à long terme et se consacra à la transformation cellulaire ; elle ne marcha plus jamais. Lorsque John contracta une grave maladie parasitaire, il refusa lui aussi tout traitement médical et finit par mourir. Peu de temps après, Diane se suicida dans l’espoir de les rejoindre, lui et la Mère, dans la vie éternelle.
Kapur a, de son propre aveu, un rapport ambivalent à la foi : il s’en méfie et il l’envie. Il se trouve la plupart du temps « du côté de la raison », mais se demande si son scepticisme ne constitue pas un échec de l’imagination. S’il reconnaît que l’engagement spirituel de Diane et John les a tués, il n’est pas tout à fait prêt à qualifier leur foi d’inopportune. Il y avait, selon lui, quelque chose de « noble, voire d’exalté » dans la fermeté de leurs convictions. Et, bien qu’il soit consterné par le fanatisme qui s’est emparé d’Auroville, il est reconnaissant envers les pionniers pour leurs sacrifices.
Auroville a finalement survécu à sa révolution culturelle. La frénésie militante du Collectif s’est calmée, et la communauté a été placée sous l’administration du gouvernement indien. Kapur et sa femme, après vingt ans d’absence, sont revenus y vivre. Une cinquantaine d’années après sa fondation, Auroville n’est peut-être pas la « cité idéale » peuplée d’êtres immortels que se représentait la Mère, mais elle reste, selon Kapur, un témoignage de la dévotion de ses bâtisseurs. « Je suis fier que, en dépit des inévitables compromis que nous avons dû faire, nous ayons réussi à créer une société – ou du moins les bases d’une société – quelque peu égalitaire s’efforçant de dépasser le matérialisme qui dévore le reste de la planète. »
Kapur brosse un portrait trop sommaire de l’Auroville d’aujourd’hui pour que nous puissions juger de l’ampleur du triomphe que représente réellement cette ville de 3 300 habitants. De même, difficile de dire si le yoga intégral a joué un rôle prépondérant dans son succès. (La Norvège a compris comment être « quelque peu égalitaire » sans bénéficier de la sagesse transcendantale d’un gourou.) Que l’on partage ou non l’admiration de Kapur pour les certitudes spirituelles de ses prédécesseurs, il semble possible qu’Auroville ait prospéré en dépit de ces certitudes, plutôt que grâce à elles – que ce qui a finalement sauvé la communauté de la folie sectaire et de l’implosion finale n’ait précisément pas été la foi, ni la vision holistique de la Mère, mais le pluralisme, la tolérance et les ennuyeux « compromis » de la vie civique.
Loin d’Auroville, il est tentant de considérer le pluralisme et la tolérance comme allant de soi, mais tous deux sont mis à mal dans l’Amérique de l’ère d’Internet. La pensée en silo induite par les réseaux sociaux se révèle être un terreau fertile pour les idées extrémistes et les faits alternatifs. À ce jour, le phénomène sectaire le plus important et le plus effrayant à s’être développé en ligne est QAnon. Selon certains observateurs, le mouvement QAnon ne peut pas être considéré comme une véritable secte, car il n’a pas de leader charismatique unique. Donald Trump est un héros du mouvement, mais pas sa tête pensante. « Q », l’internaute anonyme dont les messages gnomiques forment la base de la mythologie de QAnon, est sans doute une sorte de leader, mais l’armée de « gourous » et de « promoteurs » qui décodent, interprètent et agrémentent les propos du maître se sont montrés parfaitement capables de concevoir une doctrine et d’inciter à la violence en l’absence de directives de Q. (Q n’a rien posté depuis décembre 2020, mais les prophéties et les conspirations ont continué à proliférer.) De toute évidence, nos définitions traditionnelles de ce qu’est une organisation sectaire vont devoir s’adapter aux nouvelles manières de faire communauté à l’ère d’Internet.
Les libéraux ont de bonnes raisons de s’inquiéter de la portée politique de QAnon. Une enquête publiée en mai 2021 par le Public Religion Research Institute a révélé que 15 % des Américains souscrivent à la croyance centrale de QAnon selon laquelle le pays est dirigé par une cabale de pédophiles adorateurs de Satan. Et 20 % pensent qu’« une tempête balaiera bientôt les élites au pouvoir et rétablira les dirigeants légitimes ». Pourtant, l’inquiétude suscitée par le mouvement tend à être désamorcée par l’imbécillité présumée de ses membres. Certains des avocats représentant les adeptes de QAnon qui ont participé à l’assaut du Capitole en ont même fait leur principale ligne de défense ; Albert Watkins, l’avocat de Jacob Chansley, le « chaman Q » au torse nu, a récemment déclaré à un journaliste que son client et les autres inculpés « souffrent de lésions cérébrales, ce sont des putains d’attardés ».
Mike Rothschild, dans son livre sur le phénomène QAnon, « La tempête est sur nous » 9, soutient que le mépris et les moqueries à l’égard des théories de QAnon nous ont conduits à sous-estimer considérablement le mouvement et, encore aujourd’hui, nous empêchent de prendre au sérieux la menace qu’il représente. Le stéréotype qui voudrait qu’un disciple de Q soit un « conservateur blanc miné par le sentiment d’être persécuté par les élites libérales » ne doit pas nous faire oublier que le mouvement, comme n’importe quel groupe sectaire, compte de nombreuses personnes en quête de sens. « Malgré toute la violence engendrée par QAnon, de nombreux croyants veulent vraiment contribuer à rendre le monde meilleur », écrit Rothschild.
Ce n’est pas seulement l’ignominie des idées politiques de QAnon qui rend ses adeptes peu sympathiques à nos yeux. De façon générale, nous nourrissons un sentiment de supériorité à l’égard de ceux qui ont rejoint une secte. Les livres et les documentaires sur le sujet nous avertissent régulièrement que chacun d’entre nous peut être pris au piège, qu’il suffit de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment, que le converti moyen n’est pas plus stupide que les autres. (Certaines sectes, dont Aum Shinrikyō, ont attiré un nombre étonnant de recrues très instruites.) Pourtant, nous ne parvenons pas à nous départir de l’idée qu’adhérer à une secte exige un degré inhabituel de crédulité ou de naïveté. Peu d’entre nous croient en leur for intérieur qu’Amy Carlson – la fondatrice récemment décédée de la secte Love Has Won, basée dans le Colorado, qui prétendait avoir donné naissance à toute la création et avoir été, dans une vie antérieure, la fille de Donald Trump – aurait pu nous envoûter.
Mais nous ferions mieux de ravaler notre orgueil : nous avons tous des croyances qui ne sont étayées par aucune preuve irréfutable. La croyance que Jésus était le fils de Dieu et que « tout arrive pour une raison » est plus ancienne et plus répandue que celle qui voudrait qu’Amy Carlson ait un accès privilégié à la cinquième dimension, mais aucune des deux n’est, en définitive, plus rationnelle.
Au cours des dernières décennies, de plus en plus de chercheurs se sont mis à insister sur le fait qu’aucune de nos croyances, rationnelles ou non, n’avait grand-chose à voir avec le raisonnement logique. « Nous ne déployons pas notre puissant intellect pour analyser le monde en toute objectivité », écrit William J. Bernstein dans « Les illusions des foules » 10. Au lieu de cela, nous « tentons de faire correspondre les faits à nos préconceptions d’origine émotionnelle ».
Le livre de Bernstein, une étude de nos emballements collectifs pour des idéologies religieuses ou économiques, s’inspire de l’ouvrage de Charles Mackay paru en 1841, Délires populaires extraordinaires et la folie des foules 11. Mackay considérait que la dynamique des foules était au cœur de phénomènes aussi disparates que la bulle des mers du Sud, les croisades ou la chasse aux sorcières. William Bernstein s’appuie sur les travaux de la psychologie évolutionniste et des neurosciences pour expliciter certaines des observations de Mackay et soutient que notre tendance au délire collectif est déterminée en partie par notre faiblesse congénitale pour les histoires. « Les humains comprennent le monde par le biais de récits, écrit-il. Nous avons beau nous targuer de notre rationalité individuelle, une bonne histoire, si déficiente soit-elle sur le plan analytique, reste à l’esprit, trouve une résonance émotionnelle et persuade davantage que les faits ou les données les plus implacables. »
Notons que Bernstein ne fait pas seulement référence aux histoires racontées par les sectes, mais aussi à celles qui nous font tomber dans toutes sortes d’escroqueries, notamment financières. Tous les délires ne sont pas mystiques. L’expression « une bonne histoire » peut être trompeuse, car nombre d’histoires colportées par des bonimenteurs et des gourous sont, d’un point de vue strictement littéraire, plutôt mauvaises. Ce qui les rend attrayantes, ce n’est pas leur intrigue mais leur promesse : voici une réponse au problème de la vie. Ou bien : voici un moyen de devenir riche à millions. Dans les deux cas, la petite voix qui nous rappelle au bon sens – n’est-il pas un peu bizarre que les extraterrestres n’aient choisi de sauver de la destruction de l’Amérique que mes amis et moi ? Bernie Madoff peut-il véritablement disposer d’un système infaillible capable de faire gagner 10 % par an à tous ses investisseurs ? – est rapidement étouffée par le charme des merveilleuses perspectives entrevues. Et, une fois que vous êtes entré dans l’illusion, vous êtes entouré de gens qui ont pris le même engagement et sont bien décidés à maintenir le mensonge.
Le processus par lequel les adeptes finissent par se libérer des croyances véhiculées par leur secte semble rarement être accéléré par l’intervention de personnes extérieures bien intentionnées. Ceux qui embrassent une idéologie de groupe apprennent très vite à reléguer le scepticisme des autres au rang d’élucubrations stupides de non-initiés. Si l’on accepte l’hypothèse selon laquelle nos croyances découlent d’attachements émotionnels plutôt que de l’évaluation dépassionnée des faits, il y a peu de raisons d’imaginer que le débat rationnel puisse rompre le charme.
La bonne nouvelle, c’est que les objections rationnelles aux failles de la doctrine d’une secte ou à l’hypocrisie d’un gourou ont un impact puissant si elles sont formulées par les membres de la secte eux-mêmes. L’esprit critique peut être émoussé par la pensée sectaire, mais il est rarement complètement éteint – en particulier si la vie au sein de la secte s’avère désagréable. Rothschild interroge plusieurs adeptes de QAnon dont les yeux se sont dessillés après avoir remarqué « un fil qui pendait », lequel, une fois tiré, a détricoté tout l’écheveau de croyances de QAnon. On peut s’étonner que quelqu’un qui a adhéré à l’idée que Hillary Clinton buvait le sang des enfants puisse être tourneboulé par, disons, une banale erreur de dates, mais l’esprit humain est une chose mystérieuse. Parfois, c’est un souvenir de l’école primaire qui permet d’ouvrir les yeux : une des ex-scientologues interrogés dans le documentaire Scientologie, sous emprise, d’Alex Gibney, raconte qu’après quelques années passées dans l’organisation elle a commencé à tiquer en lisant le récit de L. Ron Hubbard selon lequel un seigneur intergalactique aurait lancé des bombes A sur le Vésuve et l’Etna il y a 75 millions d’années. Le détail qui a éveillé ses soupçons n’était pas particulièrement farfelu. « Dis donc ! se souvient-elle avoir pensé. J’ai étudié la géographie à l’école : ces volcans n’existaient pas il y a 75 millions d’années ! »
— Zoë Heller est une journaliste et romancière britannique dont un roman a été traduit en français : Chronique d’un scandale (Calmann-Lévy, 2005). — Cet article est paru dans The New Yorker le 5 juillet 2021. Il a été traduit par Pauline Toulet.
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«Cela faisait longtemps que je ne m’étais pas autant senti comme chez moi », écrit Mark Twain en arrivant à Odessa en 1867. Le joyau de la Nouvelle-Russie semble pourtant à mille lieues de l’atmosphère du port fluvial d’où vient Mark Twain. Mais la ressemblance d’Odessa avec Hannibal, la ville du Missouri où il a grandi, est patente. Toutes deux sont des villes-champignons avec des bâtiments de pierre calcaire ordonnés géométriquement au bord de l’eau. Devant les larges rues, les maisons basses dépourvues d’ornements et cette « allure neuve familière », l’écrivain américain se trouve en terrain connu. Et, lorsque Twain est accueilli par un « étouffant nuage de poussière », il y voit « un salut de [sa] chère terre natale ».
Cette ressemblance n’est pas fortuite : les deux villes sont l’une et l’autre des ports destinés au transport du blé. Catherine II a fondé Odessa sur la mer Noire en 1794 pour assurer sa mainmise sur le commerce des céréales, et Hannibal a surgi sur les rives du Mississippi à peine vingt-cinq ans plus tard, quand le blé et d’autres produits ont commencé à transiter par ses quais. Ce sont la jeunesse de ces villes et les poussées de croissance alimentées par le blé qui expliquent leur plan quadrillé, leur conception fonctionnelle et les nuages de poussière (dus pour l’essentiel à la circulation intense sur des routes pas encore goudronnées). « Si on regarde la rue vers le haut comme vers le bas, écrit Twain à propos d’Odessa, on voit l’Amérique ! »
La visite de Mark Twain intervient à un moment clé, quand l’Ukraine, traditionnel grenier à blé de l’Europe, se voit sur le point d’être largement distancée par les exportations américaines de céréales. À la fin du XIXe siècle, New York expédiera en effet autant de tonnes en une semaine qu’Odessa en un an. Le blé américain transitera par des ports tels qu’ Hannibal, voyagera le long des rivières ou des voies ferrées, puis traversera les mers.
Ce commerce céréalier avait une importance capitale, affirme l’historien Scott Reynolds Nelson dans son passionnant ouvrage Oceans of Grain. Son sous-titre – « Comment le blé américain a refaçonné le monde » – vous fera peut-être lever les yeux au ciel, vu la longue série d’ouvrages déjà consacrés à des produits de base qui auraient révolutionné la planète (morue, thé, banane, mauvéine...) 1. Mais l’auteur, un universitaire couvert de prix, considère que le blé a eu une influence décisive sur l’ordre du monde, et son obsession céréalière est communicative. On entame le livre en lecteur détaché découvrant gentiment la complexité des chaînes de causalité ; quand on le lâche, on est devenu un fétichiste monomaniaque du blé.
On se retrouve notamment rapidement convaincu que la suprématie acquise par les États-Unis dans le commerce de cette céréale constitue bel et bien un événement historique majeur. Autant pour le pays lui-même – les exportations de blé stimulant la croissance économique – que pour les sociétés européennes importatrices : grâce au blé américain, elles ont pu s’urbaniser et se lancer dans l’expansion coloniale. Pour la Russie et l’Union soviétique, a contrario, les pénuries de céréales furent régulièrement sources d’humiliation, de troubles sociaux et d’hécatombes.
La mondialisation du commerce céréalier constitue un phénomène relativement récent. À l’origine, les échanges entre des ports éloignés portaient sur des produits d’une valeur suffisante pour justifier des frais de transport importants. Soie, épices, sucre, indigo, métaux précieux, porcelaine, café, tabac et esclaves, voilà ce dont étaient chargés les navires et les caravanes jusqu’à la révolution industrielle. Les céréales, quant à elles, sont très volumineuses. Et les transporter des champs jusqu’aux navires par des chemins de terre est particulièrement onéreux.
Ces coûts ont eu un impact important sur la politique à l’âge préindustriel. Dans quelle mesure une ville pouvait-elle accroître sa population ? Jusqu’où une armée pouvait-elle s’avancer ? Autant de questions liées à la quantité de blé que l’on pouvait acheminer par de mauvaises routes. En général, souligne Scott Reynolds Nelson, les empires ont cherché en priorité à préserver leurs céréales et à les rapatrier des périphéries vers les villes du centre.
C’est ce modèle centripète que Catherine II a voulu contrecarrer en fondant Odessa. Influencée par les économistes français de l’époque des Lumières, l’impératrice a décidé de développer l’Empire russe non pas en accumulant les céréales, mais en les vendant agressivement à l’étranger. Après avoir arraché l’Ukraine à l’Empire ottoman, elle a recruté des immigrés pour labourer sa terre noire, notamment des mennonites allemands auxquels elle avait promis la liberté de culte et l’exemption du service militaire. Le modeste village de Khadjibeï, rebaptisé Odessa, deviendra le pivot de son nouveau commerce. Le blé ukrainien, plutôt que d’être expédié vers Moscou, sera péniblement transporté sur les rives de la mer Noire, puis vendu en Europe occidentale.
La stratégie de Catherine II témoigne d’une confiance dans le commerce international qui, deux siècles plus tôt, aurait été infondée. Mais l’amélioration considérable des navires et le développement du cadre législatif autorisaient alors cette confiance. En 1776, dans La Richesse des nations 2, Adam Smith invitait les responsables politiques à prendre conscience des étourdissantes perspectives qu’engendrerait un puissant commerce international de céréales. Et Thomas Paine, dans Le Sens commun 3, publié la même année, suggérait aux États-Unis d’adopter cette stratégie. « Notre plan, c’est de faire du commerce », écrit-il. Plutôt que de combattre l’Europe, le nouveau pays la nourrira.
C’est du moins ce qu’espérait Paine. En réalité, deux guerres anglo-américaines, suivies d’une bataille tarifaire et de l’effondrement consécutif du prix des céréales, vont saper les perspectives du blé. Puis apparaîtront des ennemis de l’intérieur : les politiciens du Sud, inquiets de l’effet sur l’esclavage d’un afflux de cultivateurs free-soilers 4 dans l’électorat. Les puissants esclavagistes voient donc d’un mauvais œil tout ce qui pourrait intensifier les liens entre les plaines de l’Ouest et les marchés de l’Est – chemins de fer, enseignement agricole, terres bon marché –, et ils pèsent de tout leur poids pour bloquer les lois favorables aux céréaliers. Les marchands de blé américains se retrouvent alors pratiquement exclus des marchés internationaux : dans les années 1830, les exportateurs américains gagnent dix fois plus en vendant du coton qu’en vendant du blé.
Dans le même temps, les exportateurs de blé russes vont au contraire bénéficier de conditions favorables. Les guerres napoléoniennes mettent en branle des armées affamées et perturbent le commerce continental des céréales. Des pluies torrentielles noient ensuite les champs européens. Augmentation de la demande et réduction de l’offre : le prix des céréales grimpe en flèche, le port franc d’Odessa prospère. Soutenue par les bénéfices du blé, la ville se développera plus vite que n’importe quelle autre grande cité européenne du XIXe siècle. Dans les années 1850, le port compte plus de 500 entrepôts de blé. Avec ses panneaux de signalisation, ses affiches de théâtre en italien et ses huit usines de macaronis, Odessa se présente comme une ville ouverte, tournée vers l’Ouest, destination de ses navires céréaliers.
Mais, par un cruel hasard de la géographie, les cargos russes doivent, pour atteindre les marchés européens, franchir deux détroits, le Bosphore et les Dardanelles, contrôlés tous deux par les Ottomans. En 1853, le tsar Nicolas Ier, petit-fils de Catherine II, estimant que cette situation n’est plus tolérable, déclenche la guerre de Crimée. Au début du conflit, il commet l’erreur d’interrompre les exportations de céréales, sans doute dans le but de garder le blé pour ses propres troupes. Mais cela provoque des émeutes de la faim en Angleterre et met en évidence les risques pour la Grande-Bretagne et la France de dépendre des céréales russes. Les deux nations vont entrer en guerre aux côtés des Ottomans et porter un coup terrible aux ambitions territoriales, aux finances et aux velléités de contrôle du commerce du blé de la Russie.
Le blé américain commence à être disponible, et c’est une aubaine pour l’Europe. Bénéficiant d’un sol riche et d’un soleil généreux, les terres arables du centre des États-Unis figurent parmi les zones agricoles les plus prometteuses de la planète. Les droits de douane européens ont baissé à partir des années 1840, puis la guerre de Sécession a sapé l’influence politique des esclavagistes hostiles au blé. Les législateurs du Nord distribuent des terres dans l’Ouest, font construire des chemins de fer et créent des lycées agricoles.
Tandis que les céréales américaines voyagent sans difficulté du champ au port, le blé ukrainien patauge sur des routes boueuses. Pour le transporter, Odessa compte sur le ballet incessant de charrettes qui arrivent chaque jour sur les quais, parfois après avoir parcouru plusieurs centaines de kilomètres. La première gare n’apparaît qu’en 1865 et ne contribue guère à accélérer le mouvement des marchandises. En 1880, à cause de l’état déplorable des chemins de fer russes, le blé coûte six fois plus cher à transporter vers le sud de l’Ukraine qu’à travers les États-Unis. Même après l’ouverture de la gare d’Odessa, il faudra des années pour qu’un voyage vers Moscou devienne possible – et encore, via un itinéraire absurde qui rallonge le parcours de plusieurs centaines de kilomètres.
Pendant ce temps, la vente de blé américain grimpe en flèche en Europe. Scott Reynolds Nelson raconte comment la dynamite, brevetée en 1867, permet de percer des tunnels dans les montagnes, d’élargir les rivières et de draguer plus profondément les ports pour accueillir des navires à fort tonnage. L’explosif est également utilisé pour élargir les accès aux villes importatrices et « mieux les raccorder au tuyau d’où gicle le blé américain bon marché », écrit-il. L’une des villes ainsi « arrosées », Anvers, verra son commerce multiplié par six en seulement deux décennies.
Plus il y a de bateaux chargés de céréales traversant l’Atlantique d’ouest en est, plus il faut trouver à les remplir au retour. Des millions d’Européens en profitent pour s’offrir une croisière à moindre coût en logeant dans les entreponts, ce qui fait aussi de l’époque du boom américain du blé celle de l’immigration massive. Parmi les arrivants figurent les descendants des mennonites allemands que Catherine II avait recrutés pour cultiver les terres ukrainiennes. Lorsque leur exemption du service militaire a expiré, ils sont passés de la steppe russe aux plaines américaines, en y apportant des semences d’un blé d’hiver résistant, le rouge de Turquie. Une fois installés sur des terres non arborées, ils sèment ce blé dans tout l’Ouest. Le grain qui faisait précédemment la richesse d’Odessa fera désormais celle d’Omaha.
« On a peine à concevoir le volume de céréales qui traversait l’Atlantique », écrit Scott Reynolds Nelson. Dans les seules années 1870, la valeur des exportations alimentaires américaines vers l’Europe augmente de 611 %, le produit le plus demandé étant le blé. La taille des grandes villes européennes – Londres, Paris, Berlin et Rome – va plus que doubler au cours de la seconde moitié du XIXe siècle. Avec la baisse des prix des denrées alimentaires, l’espérance de vie des Européens va commencer à grimper, passant de 36 ans en 1850 à 43 ans en 1900. En outre, la disponibilité soudaine du blé bon marché, écrit Scott Reynolds Nelson, va alimenter la ruée européenne vers les colonies africaines et asiatiques : les céréales américaines mettent les conquêtes lointaines « à la portée des empires européens ».
Arrêtons-nous un instant, toutefois. Ces grands changements historiques sont-ils uniquement dus au blé ? Non, bien sûr. La santé publique, l’hygiène et la vaccination contre la variole ont probablement davantage contribué à allonger la vie des Européens que l’afflux de blé ; et, pour ne s’en tenir qu’à l’alimentation, la pomme de terre a elle aussi offert une source de calories bon marché. Quant à l’impérialisme européen, il ne s’explique pas par la seule révolution céréalière : les avancées technologiques liées à l’utilisation de la vapeur, les rivalités géopolitiques et les nouvelles idéologies raciales ont toutes pesé dans la balance.
Oceans of Grain, parce qu’il se focalise sur le blé, ne s’attarde guère sur les autres facteurs. Sous la plume d’un autre historien, une telle logique expéditive pourrait agacer le lecteur. Mais Scott Reynolds Nelson est un esprit si vif et si original qu’on le suit sur sa lancée même lorsqu’il prend des raccourcis hasardeux. Ce livre est un bolide dépourvu de freins qu’on ne peut qu’acclamer lorsqu’il passe devant les tribunes.
Si on l’acclame, c’est parce qu’il offre un regard neuf sur une histoire familière. Ce qui ressort le plus nettement, c’est l’importance colossale de l’ascension des États-Unis. Entre 1869 et 1911, leur production agricole déjà prodigieuse est multipliée par deux et demi, faisant du pays la plus grande économie du monde. Cette croissance propulsée par l’agriculture représente, selon la sociologue Monica Prasad, « l’événement le plus marquant de la fin du XIXe siècle et du début du XXe dans le monde occidental […]. C’était une croissance alors jamais vue, que personne ne savait comment maîtriser ».
«Odessa a connu son heure de gloire. À présent, elle va subir le déclin et une lente agonie », pronostique tristement l’ingénieur P. S. Chekhovich en 1894. Avec raison : l’agriculture russe est entrée dans une période sombre qui durera au moins un siècle. Ses exportations étant en berne, la Russie n’a pas les ressources requises pour se moderniser, et les tentatives du gouvernement pour relancer les exploitations agricoles piétinent. En 1891, une crise céréalière voit les paysans « arracher leurs toits de chaume pour nourrir leurs chevaux, envoyer leurs enfants mendier du pain en ville et, pour finir, manger lesdits chevaux », écrit Scott Reynolds Nelson.
Distancée en Europe, la Russie se tourne donc vers l’est pour trouver de nouveaux débouchés commerciaux. On entame alors la construction de l’énorme et ruineux chemin de fer transsibérien, reliant Moscou au Pacifique. Mais l’expansion russe déclenche une contre-attaque japonaise, au cours de laquelle le Japon coule la flotte russe du Pacifique et s’empare du port censé servir de terminus au Transsibérien, provoquant une nouvelle crise céréalière. Les grèves, les mutineries et les émeutes de la faim sont à l’origine de la révolution de 1905. À Odessa, particulièrement touchée par la guerre avec le Japon, elles vont susciter l’un des pires pogroms de l’histoire de la Russie – quelque 300 juifs seront massacrés.
Les perspectives pour le blé russe vont encore s’assombrir pendant les années précédant la Première Guerre mondiale, lorsque les Ottomans ferment les détroits du Bosphore et des Dardanelles et bloquent complètement les exportations de céréales vers l’ouest. Et la pénurie de céréales en Russie va de nouveau entraîner des émeutes de la faim et une révolution, communiste celle-là, qui dévastera Odessa. « Du pain pour le peuple ! », tel est l’impérieux slogan qui porte les bolcheviks au pouvoir. Les céréales sont au cœur des préoccupations des révolutionnaires. Léon Trotski, qui a fait sa scolarité à Odessa, est le fils d’un cultivateur de blé ukrainien. L’un des écrivains les plus célèbres du début de l’Union soviétique, Maxime Gorki, a travaillé dans une boulangerie et écrit un roman sur un boulanger 5. Scott Reynolds Nelson, dans un autre de ses accès d’enthousiasme contagieux, s’intéresse à une figure plus obscure, un théoricien socialiste connu sous le nom d’Alexandre Parvus. Issu d’une famille de négociants en céréales, il avait vécu à Odessa, ce qui faisait de lui un « marxiste d’un nouveau genre ». Il mettait l’accent sur le commerce international plutôt que sur le travail : « Parvus a vu les fils qui nous lient tous ensemble », écrit l’historien. Bien que les dirigeants bolcheviques aient fini par tourner le dos à Parvus, Scott Reynolds Nelson soutient que sa vision du monde centrée sur les céréales a influencé les théories de Lénine sur l’impérialisme, ainsi que la pensée de Trotski et de Rosa Luxemburg.
Pourtant, le pain doctrinal ne pourra pas remplacer le vrai pain quand la révolution russe dévastera l’agriculture du pays. La guerre civile et la restructuration économique vont faire chuter de moitié les récoltes de céréales de 1921 par rapport à leur niveau d’avant la Première Guerre mondiale ; la famine que cela engendrera fera au moins 3 millions de morts. La décennie suivante verra sévir une famine encore plus catastrophique, cette fois provoquée par Staline : au début des années 1930, il confisque les récoltes ukrainiennes et affame les agriculteurs ukrainiens pour nourrir les villes soviétiques. Il est difficile de chiffrer précisément le nombre de victimes (Staline a fait exécuter les démographes), mais une estimation officieuse des responsables soviétiques tourne autour de 5,5 millions – un bilan « peut-être un peu sous-évalué », avance l’historien Timothy Snyder. Les Ukrainiens nomment cet épisode Holodomor, « extermination par la faim » en ukrainien.
Les États-Unis vont eux aussi faire face à des problèmes agricoles, mais d’un tout autre genre. Ils sont causés par la surabondance : des récoltes exceptionnelles inondent le marché et excèdent la demande. Au début de la Grande Dépression, le gouvernement fédéral achète 6,8 millions de tonnes de blé pour soutenir les prix. Le secrétaire à l’Agriculture se plaint des diététiciens, qui, en encourageant la modération, portent préjudice aux cultivateurs. « Mangez une tartine de plus chaque jour pour aider les agriculteurs ! » prône la Civic and Commerce Association de Minneapolis dans le cadre de l’une des nombreuses campagnes « Mangez plus » initiées pendant la Grande Dépression.
Minneapolis, où le blé des grandes plaines est acheminé pour être moulu, incitera sans relâche la population américaine à consommer davantage. C’est une minoterie de cette ville qui invente les céréales pour petit déjeuner Wheaties pour écouler le son dont les meuniers se débarrassent allègrement. « Pourquoi ne pas essayer Wheaties ? adjure un quartet a cappella dans le tout premier jingle diffusé à la radio. Le blé est la meilleure nourriture pour l’homme. » Les publicitaires de Wheaties vont aussi cibler le monde du sport pour faire la promotion des calories. C’est d’ailleurs en gagnant un concours national de commentateur sportif organisé par Wheaties que le jeune Ronald Reagan atterrit à Hollywood en 1937.
Les États-Unis vont surmonter leur problème d’excédents en trouvant des débouchés à l’étranger. Les dirigeants soviétiques, quant à eux, restent aux prises avec ce qu’ils appellent « la question céréalière ». Bien qu’il ait jugulé les famines après la Seconde Guerre mondiale, le pays n’a jamais recouvré sa puissance céréalière du XIXe siècle. Dans les années 1970, Moscou dépend des excédents de blé des exploitations américaines. Le grain qu’il achète descend du rouge de Turquie, le blé dur d’hiver que les mennonites allemands cultivaient auparavant en Ukraine.
Le commerce des céréales a-t-il aujourd’hui la même importance ? Il est désormais si fluide qu’il est facile d’oublier son existence. Il y a pourtant au moins un dirigeant au monde qui partage l’obsession de Scott Reynolds Nelson pour le blé : Vladimir Poutine. La sécurité alimentaire est une « préoccupation majeure du gouvernement Poutine », écrit l’historienne Susanne A. Wengle dans « Terre noire, pain blanc » 6. À coups de quotas, d’allégements fiscaux et de subventions, Poutine a revitalisé l’agrobusiness russe et reconstruit la production céréalière au cours des deux dernières décennies, ce qui a contribué à immuniser son économie contre les sanctions. Redevenue productrice de céréales, la Russie a retrouvé son titre de numéro un mondial en matière d’exportation de blé 7.
Si la Russie absorbait l’Ukraine ou en prenait le contrôle, sa part dans les exportations avoisinerait les 30 % – une proportion « stupéfiante », selon l’historien de l’économie Adam Tooze. Le blé est loin d’être le seul motif de l’invasion, Vladimir Poutine ayant d’abord voulu mettre un terme aux avancées de l’Otan vers l’est et à l’attirance de l’Ukraine pour l’Ouest. Néanmoins, en reprenant à l’Ukraine son sol fertile et son grand port de la mer Noire – c’est-à-dire en reconstituant le royaume de Catherine II –, le président russe pourrait symboliquement effacer les pertes humiliantes qu’a subies son pays après avoir été destitué de sa position centrale sur le marché des céréales.
Ce faisant, la Russie ne se contenterait pas de sécuriser ses approvisionnements alimentaires : elle pourrait interférer dans ceux des pays tiers. L’interruption des flux de céréales résultant de l’invasion de février 2022 et la crise actuelle dans les circuits d’approvisionnement ont d’ores et déjà entraîné une forte hausse des prix des denrées alimentaires. Les conséquences sont alarmantes, notamment pour l’Afrique et le Moyen-Orient. La présidente de la Commission européenne a accusé Moscou de provoquer délibérément une crise alimentaire mondiale en ciblant les silos, les rails et les ports ukrainiens. Non seulement le prix des céréales russes (et des récoltes ukrainiennes pillées que la Russie cherche à revendre) augmente, mais cela permet aussi à Moscou de s’attacher le soutien des pays désespérément demandeurs de céréales qui rechignent désormais à s’opposer publiquement à Poutine. Ce dernier, en plaçant toute l’Ukraine sous son contrôle, pourrait faire du blé une arme encore plus redoutable.
Scott Reynolds Nelson a mis un point final à son livre avant l’invasion de Poutine, mais celle-ci ne l’a pas surpris. « Tout empire en devenir fonde sa puissance sur le commerce international de nourriture et d’énergie », a-t-il déclaré fin février. Même si l’invasion devait échouer, prédit-il, d’ambitieux dirigeants russes continueront à considérer que leur chemin vers le pouvoir passe par les champs fertiles de l’Ukraine. C’est un sombre constat, qui sous-entend que bien peu de choses ont changé depuis que Catherine II a repoussé l’Empire ottoman au XVIIIe siècle et que Staline a affamé les paysans ukrainiens pour nourrir les villes soviétiques au XXe. Dans l’intérêt de la planète, il faut souhaiter que Scott Reynolds Nelson ait tort. Mais, à voir les troupes russes déferler à nouveau par-delà la frontière, on peut craindre qu’il n’ait raison.
— Daniel Immerwahr enseigne l’histoire à l’université Northwestern, près de Chicago. — Cet article est paru dans The New York Review of Books le 21 juillet 2022. Il a été traduit par Jean-Louis de Montesquiou.
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« Cette année m’a permis de prendre du temps pour moi, de voir un psy, de soigner mes traumas », dit une lycéenne de 17 ans interrogée par le magazine Elle 1. Le sujet est délicat, car le réflexe de dérision que ce genre de propos peut susciter risque de jeter la suspicion sur la notion même de traumatisme et la sincérité des récits associés. Notre dossier explore l’extraordinaire prégnance que le traumatisme psychique sous toutes ses formes a acquise dans nos sociétés nanties. La révélation d’un traumatisme est devenue un deus ex machina quasi obligé des œuvres littéraires et des séries ; le trouble de stress post-traumatique, désignant à l’origine les maux des militaires rescapés des horreurs de la guerre, semble désormais applicable à toute personne se percevant comme victime de quoi que ce soit ; les best-sellers de psys nous invitant à nous soigner pleuvent sur nos têtes ; les lieux de souvenir commémorant les traumatismes passés poussent comme des champignons, les hommes politiques en tirent recette et les tribunaux accordent aujourd’hui de manière presque automatique des indemnités parfois considérables aux victimes dont des professionnels attestent que leur psychisme a souffert.
Contrairement à ce que voudraient nous faire croire certains auteurs, il s’agit bien d’un phénomène récent et qui s’amplifie.
Le vieux français ne connaît que l’adjectif « traumatique », qui signifie paradoxalement « bon pour les blessures ». Il s’agit de blessures physiques, bien sûr, et, lorsque le mot « traumatisme » apparaît dans notre langue, au XIXe siècle, c’est pour désigner « l’état dans lequel une blessure grave jette l’organisme » (Littré). Il nous en reste le traumatisme crânien, terme de médecine qui ne préjuge pas des conséquences psychiques éventuelles. Comme le remarque l’historien Thomas W. Laqueur, l’idée qu’un événement puisse créer un traumatisme psychique éventuellement somatisé remonte aux accidents de chemin de fer de l’Angleterre du milieu du XIXe siècle. Elle est développée par le psychologue William James, mais c’est Freud qui fait correspondre le mot et la chose : « Nous devons plutôt présumer que le traumatisme psychique – ou plus précisément le souvenir [refoulé] du traumatisme – agit comme un corps étranger qui, longtemps après son entrée, doit continuer à être considéré comme un agent encore opérant », écrit-il en 1893. En anglais, le mot en vigueur est trauma ; son usage par une adolescente française témoigne de l’impact des réseaux sociaux et de la banalisation d’un freudisme de pacotille.
Penser son époque est la tâche impossible à laquelle s’assignent les sociologues. Seul le recul du temps permet d’espérer y voir clair – et encore. Sans donc avancer de diagnostic, on peut se contenter d’attirer l’attention sur le phénomène et de formuler quelques questions. Dont celle-ci : existerait-il un lien entre cette inflation du traumatisme et la tendance au repli individualiste et narcissique si souvent soulignée dans les dossiers de Books ? Le déclin des croyances religieuses et des grandes idéologies qui cimentaient nos sociétés crée un vide qu’il faut bien remplir. À cela on peut objecter que certaines idéologies, comme le nationalisme et l’égalitarisme, gardent pignon sur rue, tandis que d’autres prennent le relais, comme l’écologisme. Mais ces idéologies anciennes et nouvelles ont tendance à s’exprimer elles aussi dans un langage traumatologique. L’écologisme présente à cet égard un intérêt particulier : il se fonde sur la double idée d’un traumatisme fait à la Terre et d’un traumatisme à venir pour nos enfants ; il complète le tableau, en quelque sorte, introduisant la notion d’un stress non pas post- mais pré-traumatique.
Olivier Postel-Vinay
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C’est bien joli de parler dans ces colonnes des éditeurs, des auteurs, des rentrées littéraires et des livres, mais quidde la lecture ? Je me faisais cette réflexion en découvrant récemment de nouvelles statistiques sur les classes d’âge des lecteurs, les ventes en librairie, l’évolution des chiffres d’affaires des différents segments éditoriaux et leurs parts de marché. Depuis que la hiérarchisation des arts et les jugements de valeur sont de plus en plus mal vus, que la quantité est devenue un critère de qualité et que le monde s’appréhende à l’aune exclusive des chiffres, il est de plus en plus périlleux de l’interpréter, mais ce n’est pas une raison pour ne pas essayer.
Comme tout auteur de « littérature » (essais, romans), de surcroît dite « exigeante » par le business lui-même, il y a belle lurette que je me demande qui seront demain mes lecteurs, car, majoritairement d’âge mûr, ceux d’hier et d’aujourd’hui ont fatalement tendance à disparaître. D’où mon inquiétude récurrente, aggravée par le fait que de plus en plus d’adultes nés au XXe siècle passent une part croissante de leur temps sur les supports numériques, quand ils n’écoutent pas des podcasts ou ne visionnent pas des séries. C’est dire si les enquêtes sur la lecture suscitent mon intérêt. Notamment l’édition 2022 du sondage Ipsos « Junior Connect’ » (ah ! ce titre…), publiée en mars dernier et révélant que, si « les 13-19 ans passent de plus en plus de temps sur leurs écrans (90 % d’entre eux possèdent un smartphone), ils ne lisent pas moins qu’avant ». Ah bon ? Et comment cela est-il possible ? Entrer dans les détails a douché mon optimisme car, à y regarder de plus près, les jeunes passent en moyenne « trois heures cinquante par jour sur leurs écrans » et « trois heures quatorze par semaine à lire » (soit treize minutes de lecture hebdomadaire de plus qu’il y a six ans). Est-ce à dire qu’ils ne lisent pas sur leurs écrans ? Ce n’est pas clair. Plus évidents sont les formes et les fonds qui les excitent : soit respectivement les BD, les comics et les mangas (genres qui explosent) dans les catégories dystopie, uchronie, fantasy, fiction postapocalyptique et roman sentimental (pour les filles, qui lisent davantage ?). Pourquoi pas ? C’est très bien, diront ceux pour qui la lecture ne sera jamais ce « vice impuni » dont parle Valery Larbaud et qui préconisent une « attitude décomplexée par rapport à la lecture ». Ce qui signifie ne pas s’interroger sur les trous noirs et les angles morts de l’enquête, comme la lecture des classiques de la littérature hors prescription scolaire ou, en bon français, la non-fiction novel. Mais passons. Autre enseignement intéressant : que l’auteur soit mort ou vivant, si vous voulez vendre des livres à la génération Z (dont les membres sont nés entre 1997 et 2010), mieux vaut que vos œuvres aient fait l’objet d’adaptations audiovisuelles, comme l’ont montré les réimpressions d’Arsène Lupin, de Maurice Leblanc, et des Illusions perdues, de Balzac, après les cartons de la série Netflix et du film de Xavier Giannoli. Mieux encore : inventez une romance de nature à être adaptée en webtoon (BD numérique défilant sur smartphone) et qui, si elle cumule vues et likes, sera imprimée sur papier avant de donner lieu à des films et des séries. Ainsi de la saga After, d’Anna Todd – 12 millions d’exemplaires écoulés dans 30 pays pour un lectorat estimé à 2 milliards. Mais surtout, n’oubliez pas de faire parler de vous sur TikTok et Snapchat. Vous pensiez que la littérature était, par définition, inadaptable en images et, a fortiori, en dessins ? Qu’elle servait à apprendre ce que sont l’existence humaine, l’amour, la mort, le pouvoir, la société, les paysages, les sensations, et toute vie intérieure digne de ce nom ? Vous retardez, ce monde-là n’est plus. Et c’est à se demander pourquoi les jeunes tiennent tant à le fuir dans des fictions qui soit le déforment, le modifient, l’amplifient ou le remplacent, soit rendent ses affects mièvres et mielleux, du genre à faire passer l’eau de rose pour un tord-boyaux. Avouez que cette question, la plus passionnante de toutes, mériterait une autre enquête.
— Cécile Guilbert est essayiste et romancière. Son dernier livre, Roue libre (Flammarion, 2020), a reçu le Grand Prix de la critique de l’Académie française.
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Kelley Watt est une grand-mère sexagénaire de Tulsa, en Oklahoma. Divorcée, elle gagne sa vie comme unique employée de son agence de nettoyage. Sa passion, dit-elle, a toujours été les enfants. Elle aurait rêvé d’être institutrice, mais, à défaut, elle s’est investie dans des associations de parents d’élèves, tandis qu’elle inscrivait sa fille à des concours de beauté pour mineures et remplissait une page Pinterest de photographies de « beaux enfants ». Depuis une dizaine d’années, cependant, Kelley Watt a découvert sa véritable vocation : harceler les parents des victimes du massacre de Sandy Hook.
Le portrait glaçant de cette femme fait partie du travail d’enquête d’Elizabeth Williamson, journaliste au New York Times, qui a suivi les développements judiciaires de cette tragédie et vient d’en tirer un livre 1. Le 14 décembre 2012 au matin, un jeune homme lourdement armé fait irruption dans l’école primaire Sandy Hook, près de la ville de Newton, dans le Connecticut, après avoir abattu sa propre mère. Il tue vingt enfants âgés de 6 à 7 ans ainsi que six adultes travaillant dans l’établissement, puis met fin à ses jours. Le récit circonstancié des événements de cette journée est à peine supportable : on y suit plusieurs familles entamant une journée comme une autre, préparant leur enfant avant de l’amener à l’école, puis recevant une alerte concernant un « incident », avant de se rendre sur place et d’attendre, entourés d’un important cordon de sécurité et de nombreux journalistes, jusque tard dans la nuit, la confirmation que leur petite fille ou leur petit garçon ne fait pas partie des survivants.
Si l’horreur d’une telle situation est déjà inimaginable, la suite des événements, qui fait le sujet du livre, confine à l’abjection. Non seulement ces familles allaient devoir porter le deuil de leur enfant au milieu des débats ordinaires, aux États-Unis, sur l’accès aux armes à feu, mais elles devraient, cette fois-ci, faire face à une autre calamité : le complotisme. Le drame de Sandy Hook, en effet, constitue la matrice d’une dynamique aujourd’hui bien rodée, qui est le négationnisme systématique des tueries de masse à mesure qu’elles se produisent.
Quelques jours seulement après le massacre, Kelley Watt est en effet tombée sur des vidéos affirmant que personne n’était mort à Sandy Hook. Que les images étaient une mise en scène dont les protagonistes étaient des « acteurs de crise » jouant le rôle de parents éplorés. Et que le but de la manœuvre, une opération « sous faux drapeau » orchestrée par le gouvernement Obama, était d’ébranler le public afin de mieux réformer la loi sur les armes. Un sordide complot, donc.
Sous le nom d’utilisatrice de « gr8mom », Watt a depuis consacré ses journées à « faire ses recherches » et partager son intuition que « ces parents semblent bizarres ». La vieille dame a même pris les choses en main : elle exige que les autorités rendent publics le nom de l’entreprise chargée de nettoyer l’école après le massacre, ainsi que les reçus attenants. Elle veut aussi voir ce que contiennent les cercueils des victimes et réclame donc que les corps soient exhumés. Elle est très fière de ces fulgurances morbides : elle enquête, elle « pose des questions ».
Bien sûr, elle n’est pas seule. Watt est entourée et encouragée par d’innombrables fins limiers anonymes et quelques entrepreneurs cyniques qui veulent faire du « canular » de Sandy Hook une cause célèbre. Ils ont harcelé, insulté, diffamé et menacé les parents des victimes, ils inondent les autorités de requêtes absurdes et inutiles – certains se sont même rendus à Newtown pour débusquer des preuves.
Les familles ont contre-attaqué avec succès, et des procès contre ces pratiques obscènes et injustifiées sont encore en cours. Mais plus aucun événement majeur n’échappe désormais à ce schéma. Morts dans leur école sous les balles d’une arme de guerre, les petits enfants de Sandy Hook devront longtemps encore subir les affronts de la stupidité, de la crapulerie, du délire et de l’ignominie d’adultes qui ont décidé de remplacer la réalité, à chaque fois qu’elle leur déplaît, par des acteurs, des sosies et des complots.
— Sebastian Dieguez est chercheur en neurosciences au laboratoire de sciences cognitives et neurologiques de l’Université de Fribourg, en Suisse. Il est l’auteur de Total Bullshit ! Au cœur de la post-vérité (PUF, 2018).
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On a beau se dire que cela ne nous arrivera jamais, cela finit immanquablement par nous tomber un jour sur le coin du nez : on se sent vieux – ou disons, dépassé. Parmi les phénomènes de société qui, au cours des cinq dernières années, m’ont donné envie de rester assise sur mon rocher tout en criant aux moins de 20 ans : « Allez-y, continuez sans moi ! », on compte le retour des pantalons taille basse (ne jamais commettre deux fois la même erreur), la déferlante K-pop et, enfin, TikTok.
L’application sociale qui permet de poster de (très) courtes vidéos plus ou moins montées m’est complètement passée au-dessus de la tête. Ce réseau s’annonce pourtant comme la plateforme phare de la décennie : la barre du milliard d’utilisateurs dans le monde a été franchie en 2021, avec une croissance de 45 % réalisée sur l’année. En France, Médiamétrie estimait l’an passé à 7 millions son nombre d’utilisateurs actifs quotidiennement, soit quatre fois plus qu’en 2019. C’est par ailleurs la plateforme favorite des ados : ils s’y filment en train de danser, faire du play-back, s’envoyer des blagues, cuisiner, aller au lycée… bref, vivre. L’esthétique y est moins léchée que sur Instagram et laisse une part importante à la spontanéité (dans la mesure du possible pour une activité qui consiste, in fine, à mettre en ligne des images de soi). Les vidéos y sont plus courtes que sur YouTube et ne ressemblent en rien aux discours pontifiants et/ou autopromotionnels qui font désormais la loi sur Facebook – lequel est devenu l’Ehpad des réseaux sociaux, mais est-il besoin de le rappeler ? Fort de tous ces attributs, TikTok est en train de bouleverser le marché de l’édition grâce à un hashtag : #BookTok.
En effet, des dizaines de milliers de tiktokeurs à travers le monde contribuent à cette communauté en partageant en ligne leurs expériences de lecture. D’après le visionnage d’une bonne centaine de vidéos, plusieurs schémas se retrouvent d’un #BookTok à l’autre. Des ados, le plus souvent des filles, se mettent en scène dans leur chambre, si possible à la lueur d’une lampe de chevet évoquant une ambiance quelque part entre Twilight et les peintures de Georges de La Tour. Elles parlent de leur obsession pour un livre, un personnage de fiction, ou partagent des citations sur un fond musical poignant. Ici, ce n’est pas le discours critique au sujet de l’œuvre mais les émotions ressenties à sa lecture qui prévalent. Celles-ci doivent être clairement exprimées, par exemple en lançant le livre contre un mur pour témoigner de son désespoir ou en faisant trembler très fort son menton face à la caméra. Certains utilisateurs mentionnent aussi des expériences plus prosaïques, comme la quête d’un ouvrage à la bibliothèque ou la perte rageante d’une page. Le phénomène #BookTok est fascinant à observer. Cette culture adolescente a explosé pendant le confinement, où elle s’est imposée comme un relais des bons vieux clubs de lecture et conversations de cour de lycée. Mais, en affichant leur rapport à la littérature, qu’il s’agisse de bluettes ou de classiques, ces vidéos sont aussi une manière détournée pour les booktokeurs d’énoncer leur identité et leurs désirs 1.
Le hashtagrassemblait en juin 2021 plus de 10 milliards de vues, et quelques secondes d’un visage adolescent visionnées sur un écran de téléphone portable peuvent aujourd’hui avoir plus d’influence qu’une émission d’Oprah Winfrey. Les listes des best-sellers s’en ressentent, et les grands acteurs du monde du livre ont flairé le bon filon. Les romans les plus cités par cette communauté sont dotés d’un bandeau #BookTok en magasin, la chaîne de librairies américaine Barnes & Noble a lancé cet été un #BookTok Challenge, et les agents littéraires approchent désormais les jeunes qui animent les comptes les plus populaires. Encore un peu et les auteurs seront sommés d’écrire des intrigues adaptées aux codes de la plateforme et de promouvoir leur travail en se filmant depuis leur chambre à coucher. Les grandes maisons y gagneraient quelques parts de marché tandis que les booktokeurs y perdraient ce qui a fait leur succès : l’expression originale d’une sincérité de lecteur.
— Floriane Zaslavsky est sociologue. Elle a publié avec la journaliste Célia Héron Dernier Brunch avant la fin du monde (Arkhê Éditions, 2020).
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« Ushi, mon cher patron, est l’heure enfin échue de chuchoter à quel point vous me faites chier. » D. P.
Ushi (籔), « l’heure du bœuf » en japonais, entre 1 heure et 3 heures du matin, est le meilleur créneau horaire pour lancer une malédiction.
Aidez-nous à trouver le prochain mot manquant :
Existe-t-il dans une langue un mot pour désigner ce que l’on peut mettre sur une tranche de pain – ou entre deux tranches pour faire un sandwich ?
Écrivez à
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Daté de 7,175 millions d’années, un fossile grec pourrait bien être notre plus lointain ancêtre. P. 13
La Méditerranée était entourée d’une immense savane entre – 9 millions et – 6 millions d’années. P. 15
636 120 combinaisons de symptômes peuvent être attribuées à un « trouble de stress post-traumatique ». P. 18
Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Américains ont fait intervenir des psychiatres dans leurs hôpitaux de campagne. P. 22
La plupart des souffrances liées à un traumatisme sont vécues à travers le prisme déformant de la psychologie. P. 27
En 1980, le DSM-III statua que l’homosexualité ne devait plus être considérée comme une maladie. P. 35
La fabrication d’un pain au levain nécessite l’équivalent d’environ 5,5 cuillerées à soupe de diesel. P. 59
En France, les 13-19 ans passent en moyenne trois heures cinquante sur leurs écrans. P. 63
Certaines mouches sont capables de maintenir une activité sexuelle pendant cinquante-six heures. P. 64
Une idée est une pensée inattendue, surprenante, tout sauf banale. P. 86
Un graal était un grand plat à poisson. P. 92
TikTok a franchi en 2021 la barre du milliard d’utilisateurs. P. 95
Les legs importants sont plus nocifs que bénéfiques pour les récipiendaires. P. 97
HSBC a gelé les comptes des politiciens hongkongais prodémocratie. P. 98
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Le palmarès publié par l’Union du livre russe est une photographie fidèle du marché du livre, mais aussi un baromètre de l’état d’esprit des Russes. Or, ce qui peut surprendre dans la compilation des données des quatre principales librairies du pays pour le premier semestre 2022, c’est qu’on n’y trouve aucun écho de la guerre déclenchée par la Russie en Ukraine le 24 février. En première position trône le livre de développement personnel de la journaliste biélorusse Olga Primatchenko, « Être tendre vis-à-vis de soi-même ». Faut-il y voir une quête de douceur en réaction à la violence des derniers mois ?
Le succès du roman « L’été en foulard rouge » est plus inattendu. Il relate une romance naissante entre un jeune pionnier(membre d’une organisation de jeunesse communiste) et un animateur dans un camp de vacances du temps de l’URSS. Sorti en 2021, ce récit est vite devenu culte auprès des jeunes. Il faut dire que, depuis la loi de 2013 interdisant la « propagande homosexuelle » auprès des mineurs, la publication d’un tel livre n’a rien de banal. Une députée a saisi le Roskomnadzor, un organe de régulation des médias, afin de faire interdire ce roman qui, selon elle, discrédite le mouvement des pionniers.
Pourtant, ce nouvel engouement du public russe pour la littérature homoérotique est confirmé par le succès du livre de Mo Xiang Tong Xiu, une auteure chinoise de « danmei », un genre centré sur la romance entre deux personnages masculins. Introduits en Chine dans les années 1990, ces romans bravent la censure et sont lus majoritairement par des femmes hétérosexuelles, notamment parce qu’ils ne mettent pas en scène le corps féminin et présentent les partenaires sur un pied d’égalité.
Dans un tout autre genre, l’essai historique de Boris Akounine nous ramène au début du XXe siècle. Il diagnostique « les raisons qui ont poussé le monde dans la Première Guerre mondiale et la Russie dans l’abîme révolutionnaire », selon Novaïa Gazeta. L’incurie du pouvoir russe, pour l’auteur, vient de l’« hypercentralisation » qui étouffe tout développement. Et d’appeler de ses vœux une gouvernance « horizontale ». On est tenté de mettre cet ouvrage en parallèle avec le roman La Grève, de la libertarienne Ayn Rand. En Russie, il figure parmi les livres les plus lus depuis la crise financière de 2008. « D’une société selon Marx, qui tentait de construire le bien commun, nous sommes passés à une société selon Darwin, où seuls survivent les plus forts », se désole Sergueï Medvedev sur le site Forbes, expliquant ainsi l’engouement des élites au pouvoir pour ce « livre médiocre ».
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Les traumatismes ont leurs mérites, en littérature du moins. Les traumatisés ont en effet besoin de se raconter, et les lecteurs ont besoin d’histoires. Et quel meilleur réceptacle d’histoires que le divan du psychothérapeute, ce confessionnal horizontal ? Pourtant, sauf le psychanalyste qui est payé pour ça, personne ne voudrait se pencher sur les troubles et interminables ruminations d’autrui à l’état brut. On connaît certes quelques tentatives de restitution de cures sous une forme allégée, à commencer par celles de Freud par lui-même ; ou, mieux encore, celles de Freud que Mikkel Borch-Jacobsen a décrites à son tour avec plus de verve et d’impertinence (il communique tout de même l’impression que les patients de Freud, qui sont surtout des patientes, sortaient en général de leur analyse plus perturbés qu’avant et à peu près ruinés) 1.
Mais le récit de cure demeurerait pur plaisir d’initié sans les ouvrages d’Irvin Yalom, psychothérapeute californien ultraréputé, devenu dans la seconde moitié de sa très longue vie romancier à succès. À coups de best-sellers, Yalom apporte la preuve qu’on peut faire à la fois le bonheur du patient et celui du lecteur. Son secret ? Yalom approche – et restitue – chaque cas « avec un sentiment d’émerveillement face au récit qui va se déployer » 2. La forme de cure qu’il pratique se focalise non pas sur le passé du patient mais sur son présent, et plus précisément sur la relation qui se noue là, en direct, dans le cabinet. De surcroît, au mépris de toutes les règles, Yalom lui aussi se dévoile. Si bien que se dessine devant le lecteur une véritable intrigue – un pas de deux amoureux à base de transfert et contre-transfert, plein de suspense. L’attirance réciproque thérapeute/patient(e) aura-t-elle raison de la déontologie ? Pas impossible : Carl Jung lui-même était bien tombé dans les bras de sa patiente Sabina Spielrein… Pour Yalom, voyez par vous-même. Et puis une autre intrigue, policière celle-là, vient s’ajouter à la première. Il s’agit de la quête subtile et pleine de fausses pistes du thérapeute traquant la vérité du patient et la source cachée de ses maux. Habilement narrée par Yalom, cette enquête palpitante fait aussi jaillir sur la page les grandes angoisses de ses personnages/patients – crainte de la mort, de l’abandon ou du deuil, qui est le cumul des deux. Les mots mis par Yalom sur leurs maux permettront au lecteur de détecter des afflictions familières. Il se trouvera moins seul et, comprenant autrui, se comprendra mieux lui-même, tout en s’amusant au passage. Quelle meilleure publicité pour la lecture ?
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