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« Le livre qui vient de sortir sur le hockeyeur Jaromír Jágr représente parfaitement la bande dessinée tchèque de cette dernière décennie, analysait le site Aktualně à la sortie de l’album de Lukáš Csicsely et Vojtěch Šeda : des biographies ou des événements historiques racontés sans controverse. Idéal pour les parents et les adolescents en quête d’une source d’inspiration. »
Et qui de mieux que Jaromír Jágr, « Jarda » pour les intimes (soit 10 millions de Tchèques), pour inspirer la jeunesse de son pays ? Qui de mieux que ce garçon de Bohême-Centrale parti de rien et devenu le symbole du rêve américain, ce héros national, ce Rocky Balboa tchèque, membre du Club Triple Or (le cercle très fermé des joueurs ayant remporté à la fois l’or olympique, le championnat du monde et la coupe Stanley du championnat américain), infatigable titan qui continue à chausser les patins, à 50 ans, avec le maillot 68 (en référence à l’année de l’écrasement du printemps de Prague), aux côtés de coéquipiers qui n’étaient pas nés quand il faisait la loi dans le championnat américain ?
Oui mais quand même, Aktualně attendait plus de ce récit « habilement conçu » mais qui « n’offensera ni n’étonnera personne » : « On n’y trouve que ce qui est connu, comme son adoration pour sa mère, le fait qu’il a dû tout sacrifier, y compris ses études, pour le hockey… Les sujets plus complexes, tels que sa relation avec les femmes, son penchant pour l’ésotérisme ou son appartenance à l’Église orthodoxe, ne sont qu’effleurés. » Sans compter les histoires d’argent et d’accointances politiciennes pas toujours glorieuses dont il n’est pas fait mention.
Les auteurs, eux, assument (ils voulaient faire une BD de super-héros), et Deník les soutient : « L’objectif de cet album n’est pas seulement de décrire la vie d’un joueur célèbre, mais de mêler réel et imaginaire. » Le quotidien y voit une épopée chevaleresque dans laquelle le Saint-Graal serait remplacé par la Coupe Stanley, l’épée par la crosse. Et, de toute façon, finit par reconnaître Aktualně, « parler de Jágr différemment aurait signifié provoquer la colère des fans, voire se retrouver au tribunal », dans un pays qui vient de célébrer comme une fête nationale les 50 ans de son demi-dieu à la coupe mulet. 

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Le dernier livre de l’historien brésilien Luiz Antônio Simas est consacré au célèbre stade construit en 1950 pour la quatrième Coupe du monde de football : le Maracanã, à Rio de Janeiro. Le personnage central n’en est cependant pas le stade, mais le vendeur d’oranges, l’ouvrier, le médecin… tous ceux à qui il était destiné, et en particulier le « geral », les tribunes les plus populaires. Exposés à la pluie et au soleil, les supporters y restaient debout et distinguaient mal le terrain. Le stade est malgré tout un lieu de fête, avec « des supporters déguisés, sur des patins, allumant des bougies à genoux, masqués », décrit Quatro Cinco Um. D’ailleurs, le projet initial du Maracanã était de « réunir les “grandes masses” – pauvres, riches, Blancs, Noirs, métis, hommes, femmes et enfants – qui feraient autant le spectacle que les dieux du football sur le terrain », résume la Folha de São Paulo. Inclusif, certes, mais non égalitaire : pauvres et riches sont donc spatialement divisés, la hiérarchie sociale est préservée. La fermeture du « geral » en 2005 sonne le glas du mythe fondateur de l’union des classes dans la passion du jeu. Le prix prohibitif des places et le contrôle tatillon des comportements des supporters finissent par saper l’idéal qui était à l’origine du projet. « Le Maracanã est, d’une certaine manière, une puissante métaphore d’un rêve de Brésil brisé », déclare l’auteur à la revue espagnole Líbero

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Nous vivons dans une société qui, tout en continuant d’opérer dans le cadre des institutions démocratiques, tend à s’en désintéresser en laissant le champ libre aux acteurs d’une élite « politico-économique ». Tel était le constat fait dès 2000 par le politologue britannique Colin Crouch dans son livre Post-démocratie (Diaphanes, 2013). Si l’on y ajoute le discrédit dans lequel sont tombés les partis, cet état de choses a contribué à doper les populistes. À gauche comme à droite, ceux-ci pensent (ou se voient) représenter les aspirations des classes populaires et entendent bousculer à la fois les anciens partis et les élites qui tiennent le haut du pavé. Mais, en Europe, où le problème identifié par Colin Crouch est aiguisé par l’éloignement d’une Commission bruxelloise aux pouvoirs croissants, les populistes se heurtent désormais à l’avènement de nouveaux venus, les « technopopulistes ». Forgé par le politologue Christopher Bickerton et le professeur-chercheur Carlo Invernizzi Accetti, le mot désigne des êtres hybrides, qui eux aussi rejettent les anciens partis et leurs compromissions mais se gardent de tout prophétisme et même de toute idéologie affirmée : ils ne se déclarent ni de gauche ni de droite et entendent fonder leur légitimité sur des compétences mises au service d’une politique pragmatique, censée s’attaquer aux dysfonctionnements de la société et de l’économie.
Bickerton et Accetti se pen­chent sur trois exemples très différents : Tony Blair avec son « New Labour », le Mouvement 5 étoiles en Italie et Emmanuel Macron. S’ils méritent l’étiquette de populistes, c’est en ce sens qu’ils entendent fédérer les intérêts véritables de la population prise dans son ensemble, au-delà des clivages qui, avant eux, structuraient le monde politique. Ils se réfèrent d’ailleurs eux-mêmes à la notion de peuple, mais un peuple qui comprend l’intérêt de se fier à leur expertise. Le peuple est « lucide », dit Macron, qui a aussi lâché : « Notre projet n’est pas de parler au nom du peuple, mais de faire avec le peuple. »
Dans la London Review of Books, le sociologue allemand Wolfgang Streeck, un homme de gauche, s’étonne que Bickerton et Accetti ne se soient pas intéressés au cas d’Angela Merkel, dont « la rhétorique technopopuliste a seulement réussi à établir une période de régime quasi présidentiel dans le cadre d’une Constitution parlementaire ».
Bickerton et Accetti considèrent le technopopulisme comme un nouveau facteur de risque. Il « amoindrit la qualité de la démocratie contemporaine en rétrécissant l’horizon des possibles », résume le politologue australien Ben Wellings. 

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C’est devenu une habitude. À peine sorti en France, le nouveau Houellebecq a paru dans plusieurs autres pays, dont l’Allemagne, où le romancier est depuis longtemps considéré comme un auteur majeur. Vernichten, traduction littérale d’Anéantir, s’y est aussitôt hissé en tête des ventes (avant d’être détrôné par un autre livre français, Serge, de Yasmina Reza, très populaire aussi outre-Rhin). Il y a les inévitables déçus, ceux qui, à l’instar de Sigrid Brinkmann, de la station de radio Deutschlandfunk Kultur, regrettent qu’il n’y ait pas autant de scènes de sexe que d’habitude. Il y a, en plus grand nombre encore, les thuriféraires. Adam Soboczynski, par exemple, qui, dans Die Zeit, crie au chef-d’œuvre. Bien sûr, écrit-il, Houellebecq est « un penseur étonnamment à droite, oscillant entre mélancolie conservatrice et fantasmes réactionnaires de violence ». Pour autant, Anéantir « éclipse les romans à thèse assez rudimentaires qu’étaient Sérotonine et Soumission. Il a une force inédite, parce que Houellebecq a baissé sa garde : aucun de ses livres n’est plus vulnérable, plus ouvert, plus compatissant avec ses protagonistes, aucun n’explore leur psychologie de manière aussi touchante ». Même son de cloche dans le supplément dominical de la Frankfurter Allgemeine Zeitung, où Julia Encke estime que l’écrivain est au sommet de son art. 

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Derrida plaisait beaucoup aux étudiantes américaines (et vice versa). « On peut dire ce qu’on veut, le type avait vraiment l’air cool. Pommettes saillantes, yeux malicieux et ophidiens, et cette touffe de cheveux blancs – il aurait pu être un chanteur pop, le Sacha Distel de la déconstruction sémiotique », se pâme Christopher Bray dans The Critic Magazine. Le philosophe français est en effet devenu l’emblème de la French Theory outre-Atlantique ; et la déconstruction, son concept phare, sommairement brandi comme un appel à la rébellion contre la culture occidentale, a contribué à mettre le feu aux campus californiens à la fin des années 1970. Les jeunes contestataires arboraient des tee-shirts floqués d’une caricature de Derrida. Woody Allen intitulera même un de ses films Deconstructing Harry (Harry dans tous ses états). Et, comme le philosophe était réputé illisible, y compris en France, on pouvait l’invoquer sans se donner la peine de le lire.
Mais comment un jeune enseignant presque inconnu à domicile était-il devenu en Amérique « le roi Babar du postmodernisme », selon les mots du philosophe-­romancier australien Peter Salmon, qui vient de lui consacrer une biographie très bien accueillie, « Un événement, peut-être » ? Grâce précisément à l’événement en question : un colloque international sur le structuralisme, en 1966, à l’université Johns-Hopkins de Baltimore, où la quasi-totalité des figures françaises des sciences humaines était présente. Derrida, lui-même un peu là par raccroc, était intervenu en dernier devant un auditoire épuisé. Mais, comme le déplorerait plus tard l’organisateur de la conférence, il avait en une demi-heure « pulvérisé les colonnes du temple structuraliste ». Dans The New Statesman, John Gray explique en effet que « pour le structuralisme, la signification d’un texte ne repose pas sur les notions d’auteur et d’intention mais sur le système de signes au sein duquel le texte est produit […]. Or Derrida avait fait valoir que ces systèmes contenaient des éléments contradictoires qui débouchaient sur des apories ». Le structuralisme n’était pas mort sur le coup, non ; mais, « en tant que mythe romantique imposant une méthode d’analyse universelle à tous les champs de la connaissance humaine », écrit Julian Baggini dans Prospect, le projet structuraliste chutait de son piédestal. L’heure du poststructuralisme, nouvelle obédience du postmodernisme, avait sonné. La déconstruction se retrouvait propulsée sur le devant de la scène américaine, tandis que lui-même s’embarquait dans ce que Peter Salmon décrit comme « une vigoureuse carrière transatlantique ».
Et pourtant, quel malentendu ! « Derrida n’a jamais été post­moderniste. Il partageait certes la méfiance du mouvement envers les grandes explications qui prétendent gommer la complexité du monde réel dans une approche unique et volontiers simplificatrice. Mais à son point le plus extrême, le postmodernisme conduit à l’impossibilité de la vérité, au relativisme, à l’indéterminisme radical », corrige Julian Baggini. Or la déconstruction, elle, se contente de « postuler que le contexte est tout, ce qui implique que la signification d’un texte est instable, contingente, indéterminée, multiple », précise John Gray. « La déconstruction n’est pas destructrice », confirmait Derrida, qui disait ne pouvoir déconstruire que les ouvrages qu’il aimait. Affirmant l’absolue primauté du texte sur l’auteur et le reste (« Il n’y a pas de hors-texte »), il proposait de soumettre celui-ci à « une analyse rigoureuse de ses spécificités, attentive aux implications et aux sédiments historiques gisant au sein du langage », pour reprendre les termes de Julian Baggini. « Mais, ironise Peter Salmon, pour des étudiants de premier cycle sournoisement iconoclastes, il y a là quelque chose de manifestement séduisant : les livres peuvent signifier tout ce qu’on veut qu’ils signifient. La décons­truction sape la notion même de littérature. Mieux encore, elle permet aux critiques de se prétendre plus importants que les auteurs qu’ils déconstruisent ! » Au fil des années, la déconstruction s’appliquerait à l’ensemble des sciences humaines, et la pensée derridienne s’épanouirait en une floraison d’autres concepts un peu opaques mais plaisamment nommés : « métaphysique de la présence », « logocentrisme » (bientôt radicalisé en « phallogocentrisme »), « destinerrance », « archi-trace », « phonocentrisme », « auto-affection », « itérabilité », « hantologie », sans oublier la célèbre mais énigmatique « différance ».
Sans surprise, la vindicte contre Jacques Derrida croîtra dans son pays à proportion de son succès outre-Atlantique. On dénigrera sa gouroutisation, sa starisation, on l’accusera de charlatanisme (à noter que Derrida lui-même, selon son biographe, souffrait d’une sorte de syndrome de l’imposteur). On dénoncera aussi – non sans raison – le caractère « foncièrement incompréhensible de sa prose », dit Peter Salmon. « Une prose d’une élégante impénétrabilité, ajoute-t-il, qui ne cesse d’être turgide que pour devenir turbide […]. Quand Derrida assimile le style littéraire de Rousseau à de la masturbation, sous sa plume c’est un compliment. » Christopher Bray assène encore que, comme pour la physique quantique, « si l’on prétend comprendre Derrida, c’est qu’on ne l’a pas compris ». Julian Baggini, lui, se montre plus indulgent et va jusqu’à considérer les « obfuscations » de Derrida comme « inhérentes à sa philosophie […] car elles servent à souligner combien certaines notions sont impossibles à clarifier et donc à mettre leur complexité en exergue ». D’autres coups portent plus profond. Dans The Guardian, le philosophe Daniel Dennett a ainsi accusé le postmodernisme d’avoir encouragé « le cynisme à l’égard de la vérité et des faits ». Ce qui aurait même pu conduire, soutient la critique littéraire du New York Times Michiko Kakutani, à l’élection de Trump. Derrida a parfois été présenté comme un nihiliste (mais « d’un nihilisme rigolard », tempère Andrew Hussey dans The Critic), ou comme un promoteur du relativisme moral et un corrupteur de la jeunesse. D’ailleurs Anders Breivik, l’auteur du grand massacre de 2011 en Norvège, a rendu spécifiquement Derrida coupable d’avoir « endoctriné la nouvelle génération ». Enfin, cette démonétisation a sans doute culminé avec la lettre publiée en 1992 dans The Times par dix-huit philosophes de tous pays s’indignant que l’Université de Cambridge songe à conférer à Derrida un doctorat honoris causa. Leur argument : même si l’on discerne dans son œuvre « des traces de philosophie », celle-ci n’est pour l’essentiel qu’une suite de « farces et d’astuces confinant au dadaïsme […] indignes de la philosophie française ». Mais ces vindicatifs gardiens du temple n’avaient sans doute pas vraiment lu l’œuvre de leur confrère, car ils lui attribuent l’un des rares jeux de mots conceptuels qu’il n’ait pas inventés, « logical phallusies ». Quoi qu’il en soit, l’université passa outre et décida de décerner à Derrida son doctorat honoraire par 336 voix contre 204.
On peut comprendre que les dix-huit imprécateurs n’aient pas lu tous les textes de Derrida, sans conteste l’un des philosophes les plus prolifiques avec un corpus dépassant les 80 livres. Dommage, toutefois, qu’ils n’aient pas eu le livre de Peter Salmon sous la main. Ils se seraient en effet aperçus que la pensée de Derrida, loin du « nihilisme cognitif » dont on lui fait grief, poursuit à travers ses concepts acrobatiques et ses formulations fuligineuses un but parfaitement respectable philosophiquement : celui, écrit Omar Sabbagh dans Philosophy Now, de recourir « à la “technique” [de la déconstruction] non pas pour critiquer la métaphysique mais pour procéder à l’intérieur même de celle-ci à une sorte de maïeutique, de dévoilement, d’élucidation, de révélation de ce qui a toujours été là. Et la maïeutique n’est pas un acte de violence mais de délivrance ». Omar Sabbagh se réjouit aussi que cette biographie « parvienne à humaniser un penseur de grande envergure […] en montrant au passage combien une pensée peut être puissante lorsqu’elle est radicale ». Peter Salmon a en effet écrit non pas une biographie classique – il en existait déjà une, magistrale, celle de Benoît Peeters1 – mais une biographie intellectuelle, qui permet de retracer la trajectoire d’une « philosophie d’une cohérence remarquable à travers le temps », depuis ses racines profondes dans d’autres pensées – Husserl, Heidegger, Hegel, Freud, Marx, Levinas, Nietzsche – jusqu’à ses ramifications déconstructrices les plus insolites. « Les Français dédaignent ce type d’analyse, ironise au passage Andrew Hussey, qu’ils qualifient de “bio à l’anglo-saxonne” – avec l’idée sous-jacente que les anglophones sont trop bornés ou trop simplistes pour relater une vie d’écriture avec une authentique subtilité philosophique. » Mais Peter Salmon mérite la reconnaissance, en France comme ailleurs, de tous les fans de Derrida – d’abord parce qu’il contribue à tirer leur héros de l’opprobre ou de l’incompréhension, sinon de l’oubli ; ensuite parce qu’il leur épargne d’avoir à le lire. 

— J.-L. M.

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À l’automne 2021, une nou­velle collection est née chez l’éditeur italien Giulio Perrone : « Mosche d’oro » (« mouches d’or »), en référence à un roman de l’écrivaine féministe Anna Banti. Des auteures y sont invitées à écrire la biographie d’une femme qui les a marquées et inspirées. Le premier titre, de Lisa Ginzburg, est consacré à Jeanne Moreau.
Ce texte à la prose « toujours limpide, lumineuse et précise » est né d’une « admiration profonde, presque d’un désir d’identification », observe le Corriere della Sera. Prenant pour point de départ sa découverte fulgurante de Jeanne Moreau à l’adolescence lors d’une projection de Jules et Jim à Rome, l’auteure rassemble « les fils d’une vie tout en essayant de découvrir la plus insaisissable des femmes », relève le quotidien italien. Les pages de Lisa Ginzburg mettent notamment en relief l’incroyable indépendance de Jeanne Moreau. Travailleuse acharnée à l’intelligence vive, celle-ci était animée par « une fuite vers la liberté qui ne la faisait appartenir qu’à elle-même ». C’est précisément à travers le prisme de cet « éloge de l’autonomie féminine », ainsi que le souligne La Repubblica, que Lisa Ginzburg explore les différents épisodes de la vie mouvementée de l’actrice, qui ne représente rien de moins que « la quintessence du cinéma », selon L’Eco di Bergamo

[post_title] => Une liberté incandescente [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => une-liberte-incandescente [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2022-04-28 07:23:14 [post_modified_gmt] => 2022-04-28 07:23:14 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=118531 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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« Il suffit parfois de jeter une pierre sur un vieux toit pour que toute la maison s’écroule. » Le dernier roman de la Colombienne Piedad Bonnett s’ouvre par cette phrase qui, à elle seule, résume parfaitement l’intrigue. La maison qui menace de s’écrouler, c’est celle d’Emilia, 64 ans, récemment retraitée. Quant à l’événement à l’origine du séisme, il s’agit de la lubie de son mari qui, sans la consulter, a décidé de faire rénover la cuisine. S’ensuit une âpre guerre de tranchées dont le théâtre n’est autre que l’espace domestique. Le sujet de Qué hacer con estos pedazos peut sembler léger ; en réalité, il sert de prétexte à l’écrivaine pour « tirer la sonnette d’alarme sur les violences machistes », note le quotidien colombien ADN. Piedad Bonnett, célébrée en Amérique latine pour sa poésie, dénonce ici cette forme subtile de violence qui n’en a pas l’air et qui imprègne le quotidien, celle qui se manifeste par des silences désapprobateurs, des haussements de ton, des paroles sarcastiques ou culpabilisantes – autant d’attitudes que l’auteure qualifie de « micromachismo », de micromachisme. Alors que sa cuisine est un champ de bataille, la protagoniste se retranche dans sa bibliothèque et songe aux avancées qu’ont obtenues les femmes de sa génération – et aux combats qui restent encore à mener. Elle-même a beau se sentir prisonnière de son mariage et tyrannisée par les reproches de sa fille, elle n’ose pas claquer la porte. « Piedad Bonnett jette un regard corrosif sur des conventions sociales apparemment immuables, dont la transformation est aussi ardemment souhaitée que redoutée », analyse le quotidien colombien El Tiempo

[post_title] => L’art de la guerre conjugale [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => lart-de-la-guerre-conjugale [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2022-04-28 07:23:08 [post_modified_gmt] => 2022-04-28 07:23:08 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=118420 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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En 1520, le pape Léon X (un Médicis) qualifia Michel-Ange d’« unique » et aussi de « terrible ». Il faisait allusion à son caractère difficile. Quelque temps plus tôt, à sa demande, l’artiste avait accepté d’orner de sculptures la façade de la basilique San Lorenzo de Florence – puis avait renoncé et laissé le projet inachevé, comme il devait le faire si souvent dans sa carrière. Le terme de « terrible » est resté, mais aujourd’hui il s’applique bien plus aux œuvres qu’à l’homme. Son contemporain et ami Sebastiano del Piombo avait du reste pressenti qu’il en irait ainsi : « Vous faites peur même aux papes, lui écrivait-il. Je ne vous considère cependant comme unique et terrible que dans votre art, parce que vous être le plus grand maître qui ait jamais vécu. »
Cette appréciation n’est pas loin d’être celle de Horst Bredekamp, éminent historien de l’art allemand [que nous avions interviewé dans Books n° 41, mars 2013], qui vient de consacrer plus de 800 pages au maestro. Pour avoir révolutionné à la fois la sculpture, la peinture et l’architecture, il est, à en croire Bredekamp, « sans doute l’artiste le plus important depuis la fin de l’Antiquité ». « Il reste en effet inimaginable pour le commun des mortels que l’immense coupole de la basilique Saint-Pierre de Rome, la bouleversante Pietà à droite de celle-ci et, à un jet de pierre de là, les fresques époustouflantes de la chapelle Sixtine sur la création du monde et le Jugement dernier aient été réalisées par une seule et même personne », commente Alexander Cammann dans Die Zeit.
L’ouvrage de Bredekamp se veut une biographie tout autant qu’une monographie. Il mêle la vie de Michel-Ange à des réflexions esthétiques sur ses œuvres et éclaire le tout par le contexte historique. Pour Kia Vahland, elle-même historienne de l’art, ce parti pris fonctionne à merveille. N’est-ce pas, en effet, note-t-elle dans la Süddeutsche Zeitung, « la sensibilité particulière de Michel-Ange qui a fait de lui un rebelle s’insurgeant très tôt contre une papauté belliqueuse et, plus tard, contre l’hostilité de l’Église envers les corps nus » ?
Pour tenter de saisir cette sensibilité si particulière, Horst Bredekamp forge le concept de « panempathique ». Il consiste à tenter d’embrasser l’ensemble du réel, dans toutes ses contradictions. « Ainsi, le plafond de la chapelle Sixtine au Vatican ne parle pas seulement de l’amour de Dieu, mais aussi de la tristesse des temps prébibliques, incarnée par des hommes solitaires et ignorants. » Et quand, dans l’un des quatre pendentifs de la chapelle, il représente Haman, qui, dans l’Ancien Testament, souhaite l’extermination du peuple juif, il le montre au moment de son exécution, « comme un homme musclé qui souffre et non comme un ogre hideux ». Bredekamp voit en Michel-Ange une sorte de dialecticien qui refuse la posture de moraliste ou de propagandiste.
La terribilità est l’un des deux grands pôles de l’art de Michel-Ange. L’autre est l’expression de « la souffrance mélancolique du monde », juge Ulrich Pfisterer dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung. Spécialiste de l’art de la Renaissance et auteur d’un livre sur la chapelle Sixtine, Pfisterer note non sans ironie que si « les lamentations constantes de Michel-Ange sur “les temps qui sont très contraires à notre art” lui assurent une place de choix dans l’histoire des plaintes d’artistes », son destin, vu de l’extérieur, ne semble en rien les justifier. Le geignard Michel-Ange a eu une très longue vie (de 1475 à 1564). Il a connu le succès très tôt : à 23 ans, la Pietà assure sa réputation, à 30 ans, après avoir réalisé son David, il est l’artiste le plus célèbre d’Italie, bientôt d’Europe.
De surcroît, c’était un homme très riche : après sa mort, on retrouvera dans un coffre de sa maison romaine 8 289 pièces d’or, une somme énorme. Il n’a rien d’un génie maudit, au contraire. Malgré ses colères, voire ses trahisons, les élites de l’époque ne cessent de vouloir l’engager. On lui pardonne tout : il renie ses premiers bienfaiteurs Médicis et se rallie à leurs ennemis républicains qui les ont chassés de Florence. Que font ces mêmes Médicis, une fois de nouveau maîtres de la ville ? Ils lui demandent de décorer la chapelle de leur famille. 

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Que viennent donc faire tous ces bourgeois endimanchés aux portes de Cologne entre l’automne 1870 et l’été 1871 ? Par centaines, ils se rendent avec femmes et enfants dans un camp de prisonniers. Pendant plusieurs mois, c’est la grande attraction de la ville. Qu’ont donc ces prisonniers de si particulier ? Ce sont des Français, en tout cas des soldats appartenant aux armées françaises, défaites par la Prusse. Et un certain nombre d’entre eux sont noirs. La plupart des habitants de Cologne n’en ont jamais vu.
C’est un épisode que les conflits mondiaux ultérieurs ont rejeté dans l’ombre : après la déroute de Sedan, le 1er septembre 1870, puis la capitulation de Metz, le 27 octobre, 400 000 soldats français sont retenus captifs en Allemagne, dont 19 000 à Cologne. Pour la première fois, on construit d’immenses camps de prisonniers – 200 dans toute l’Allemagne. Les officiers y échappent : « Ils sont logés chez des particuliers ; en échange, ils ont dû promettre de ne pas s’enfuir, rapporte Mario Kramp dans Die Zeit. Ils prennent du bon temps au théâtre et au zoo. » Les habitants de la ville profitent, eux, d’un autre genre de zoo : le camp de prisonniers compte 800 tirailleurs arabes, kabyles, ouest-africains. La plupart ont la peau foncée, des uniformes exotiques, et ils sont qualifiés indifféremment de « Turkos ». La Prusse a interdit tout contact entre eux et la population. La propagande a présenté ces Africains comme des « sauvages ». « Ils passent pour des combattants sans scrupule qui ne font pas de quartier », explique Mario Kramp, qui vient de sortir un ouvrage sur le sujet sous-titré « Les prisonniers oubliés de la guerre franco-allemande ».
On les compare à des animaux, « singes, chats ou chiens ». Qu’importent les interdictions et les rumeurs, à présent que ces hommes qu’on redoutait tant ont été vaincus, on se presse pour les observer, souvent avec compassion : « On leur apporte par exemple des rafraîchissements », poursuit Kramp. Certains journaux mettent en garde contre cette pitié « malavisée et typique du sexe féminin », le plus exposé pourtant à leur « virilité bestiale ».
Les Allemands ne compren­nent pas comment des Blancs et des Noirs peuvent cohabiter au sein de l’armée française. Les clichés vont bon train quand il s’agit de décrire les différences entre les deux « races » : « Les Français seraient vivants et pleins d’esprit, les Africains, en revanche, d’une lourdeur tout orientale. »
Une bonne partie de ces soldats africains parlent arabe et sont musulmans ; c’est là encore une grande nouveauté pour les Allemands. « Un catholique de Cologne résume naïvement : “Les Turkos croient encore à Mohammed.” »
On s’étonne de leurs tatouages, des bagues en or que certains portent presque à chaque doigt. D’étranges dialogues ont lieu. Ainsi ce vétéran africain qui raconte « avoir déjà combattu en Algérie, en Italie et au Mexique et qui se révèle donc bien plus ouvert sur le monde que ses interlocuteurs de Cologne ». 

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Dans un livre paru récemment, le Britannique Richard Scholar remarque : « La langue anglaise a – et a toujours eu – besoin de mots étrangers pour atteindre l’élégance et réussir à tout bien exprimer ; pourtant, les Anglais se refusent à le reconnaître. » Principale victime de cette réticence : le français (que Scholar enseigne et traduit). Après la conquête de Guillaume le Conquérant, en 1066, l’Angleterre se francise, le vieil anglo-saxon s’enrichit de milliers de termes et de tournures de phrases venus du continent (7 000 seraient encore d’usage courant). Le rayonnement politique et culturel du royaume capétien au cours des siècles suivants n’arrange pas les choses. Dans son Dictionary of the English Language, paru en 1755 et cité par Scholar, Samuel Johnson regrette que l’anglais se soit « peu à peu éloigné de son caractère original teutonique pour dériver vers la structure et la phraséologie gauloise ». Il redoute d’en être bientôt réduit à « bafouiller un dialecte de la France ». C’est la peur du franglais, mais à l’envers. Michael Wood rapporte dans la London Review of Books que certains mots, « clinquant », « entour », « façonnier », qui semblèrent longtemps indispensables à tout Anglais raffiné, sont, bien sûr, aujourd’hui tombés en désuétude, même en France.

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