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Petit livre d’une réfugiée afghane de 17 ans, « Ma plume ne se brise pas » nous décrit de l’intérieur la crise migratoire. L’auteure y relate sa fuite d’Afghanistan en 2019 avec ses cinq frères et sœurs et leurs parents, puis leur internement dans un camp de migrants sur l’île grecque de Lesbos. Ce texte à hauteur d’adolescente a frappé le site d’information Popaganda, qui évoque un « témoignage incisif et captivant, directement adressé aux sociétés occidentales ». À la lumière d’une lampe de poche, Parwana Amiri relate un quotidien fait d’insécurité et de privations, où des enfants vivent depuis des années sans accès à l’éducation. L’édition grecque du magazine Marie Claire salue ce « récit courageux, plein de colère, et bien sûr émouvant, sur la plus grande barbarie des dernières décennies ».
La jeune fille considère son livre comme « un pont entre le camp et le reste du monde » : publiée d’abord en ligne en anglais, sa parole a franchi les murs du camp pour être traduite en grec et publiée dans cette seule langue. On comprend que ce livre ait touché un pays bouleversé par le récent afflux migratoire. Le quotidien de centre gauche Efimerida Ton Syntakton célèbre « une route vers la ­catharsis ».

[post_title] => Parole de réfugiée [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => parole-de-refugiee [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2022-02-24 08:42:34 [post_modified_gmt] => 2022-02-24 08:42:34 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=116421 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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« Ce livre serait un pur plaisir de lecture s’il s’agissait d’une fiction », note le quotidien espagnol La Vanguardia. Hélas, Los muertos y el periodista n’est pas un roman mais une enquête signée du journaliste d’investigation Óscar Martínez. Depuis une quinzaine d’années, il couvre pour le journal El Faro tout ce qui se produit de plus sordide au Salvador – règlements de comptes entre gangs rivaux, corruption de la classe politique, crimes maquillés par la police. Dans son dernier livre, il revient sur une affaire qui le hante : l’assassinat de trois frères – ses indics, d’ex-membres de gang – dont les corps ont été retrouvés mutilés dans un champ de canne à sucre. Le plus jeune, Rudi, n’était qu’un adolescent de 14, 15 ou 16 ans – lui-même ne savait pas son âge. Un jour où Martínez lui avait demandé de lui raconter un souvenir heureux de son enfance, il lui avait répondu : « Comment ça ? » Il ne connaissait pas l’adjectif « heureux », constate amèrement le journaliste.
« Le résultat est digne du Parrain, mais sans Coppola ni Hollywood. Juste la pauvreté, les maisons en tôle, la boue, les aveux, les descentes de police et les affreux tueurs qui finissent par être eux-mêmes assassinés », observe l’édition mexi­caine d’El País. En marge de l’enquête, Martínez déploie une réflexion sur le métier de journaliste et ses enjeux, notamment dans des pays aussi marqués par la violence que le sont ceux d’Amé­rique centrale. « Il bat en brèche certains clichés en matière de jour­nalisme narratif, pointe la revue colom­bienne El Malpensante. Selon lui, il ne s’agit pas de “prêter sa voix à ceux qui n’en ont pas”, comme on le rabâche dans les ateliers d’écriture, mais de raconter une histoire solide, d’écouter toutes les voix impliquées et de vérifier les faits jusqu’à l’épuisement ». 

[post_title] => Profession : reporter en enfer [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => profession-reporter-en-enfer [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2022-02-24 08:42:26 [post_modified_gmt] => 2022-02-24 08:42:26 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=116399 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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Henrik Williams, un des chercheurs d’une équipe interdisciplinaire suédoise qui avait fait une découverte ayant secoué le milieu des runologues il y a deux ans, défend sa thèse controversée dans un livre. Selon celle-ci, les quelque 760 signes gravés au IXe siècle sur la pierre de Rök, considérés comme la plus longue inscription runique au monde, ne feraient pas référence aux exploits guerriers d’un roi, comme on le pensait jusqu’à présent, mais à une catastrophe climatique survenue trois siècles plus tôt. Avec cette pierre de près de 4 mètres de haut, dressée au sud de Stockholm, des Vikings auraient tenu, entre autres, à exprimer leur inquiétude face à l’éventualité d’un nouveau cataclysme du genre. Un état d’esprit qui les « rapprocherait du nôtre », plaide l’éditeur.
Plutôt sceptique au départ, le quotidien Dagens Nyheter finit par être séduit par cette interprétation, qui convoque aussi le Ragnarök, l’apocalypse nordique. « La patience du lecteur est parfois mise à rude épreuve lorsque l’auteur fournit, page après page, un torrent de références à la littérature en vieux norrois et en vieil anglais. » Mais « de tous les détails, et malgré les objections et les points d’interrogation, émerge lentement une image à la fois crédible et évocatrice ». Dans d’autres journaux, des historiens tiquent. Tel Lars Lönnroth, spécialiste de la littérature médiévale, qui, dans Svenska Dagbladet, raille les « étranges manœuvres » entreprises pour tenter d’étayer une théorie « inventive » qui « malheureusement ne s’appuie sur rien ». À y perdre son norrois. 

[post_title] => Éco-anxiété chez les Vikings [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => eco-anxiete-chez-les-vikings [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2022-02-24 08:42:19 [post_modified_gmt] => 2022-02-24 08:42:19 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=116404 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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Fernando Morais, journaliste, militant de gauche et ancien député, connaît Luiz Inácio Lula da Silva, seul président brésilien d’origine ouvrière, de longue date. Plusieurs biographies de l’homme politique existent déjà, mais dans celle que vient de signer Morais, note Ricardo Balthazar dans la Folha de São Paulo, « l’ex-président s’expose comme jamais auparavant car il se livre à une personne de confiance ». L’auteur a suivi Lula pendant dix ans et recueilli pas moins de cent soixante-dix heures d’entretiens, dont a été tiré ce premier volume. « L’un des nombreux intérêts du livre est de montrer la transformation graduelle du leader syndical en l’un des grands noms de la politique brésilienne », note Chico Alves sur le site UOL. Morais y compare notamment les deux emprisonnements de Lula : par le régime militaire en 1979, quand il présidait le syndicat des métallurgistes avant de fonder un an plus tard le Parti des travailleurs (PT) ; l’autre, en 2018, dans le cadre de l’opération anticorruption Lava Jato, impliquant la société pétrolière publique Petrobras. Un tiers de l’ouvrage porte sur ses cinq cent quatre-vingts jours de prison à Curitiba. Morais y reproduit douze des 3 500 lettres écrites par Lula pendant sa détention, ainsi que plusieurs articles de presse sur l’enquête Lava Jato pour dénoncer « avec entêtement une couverture médiatique partiale », souligne Thomas Traumann dans Poder 360. L’ex-ouvrier métallurgiste a été remis en liberté en novembre 2019, avant d’être blanchi par le Tribunal suprême brésilien en avril 2021. En tête des sondages, Lula, âgé de 76 ans, est le grand favori du scrutin présidentiel qui se tiendra au Brésil en octobre 2022, face au président actuel Jair Bolsonaro. Une précampagne musclée, qui explique le succès en librairie de cette biographie parue en novembre 2021.

[post_title] => Lula, le retour [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => lula-le-retour [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2022-02-24 08:42:12 [post_modified_gmt] => 2022-02-24 08:42:12 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=116410 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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Pour une île dont les deux tiers sont montagneux, on aurait pu s’attendre à ce qu’elle abrite une population de marcheurs ou de grimpeurs-nés. C’est tout le contraire : on ne s’intéresse à ces sports d’extérieur que depuis très récemment à Taïwan. Mais qu’en est-il du reste du monde ? Pourquoi et à partir de quelle époque part-on « à l’assaut » des sommets ? Cela fait longtemps que le sujet travaille Tung Wei-yen, un passionné de randonnée et d’alpinisme qui vient de signer un ouvrage hybride – et joliment illustré – mêlant littérature, histoire des idées et données scientifiques. Derrière ce travail documenté, on peut lire en filigrane « le peu d’intérêt que les Taïwanais ont pour le rapport de l’être humain à la nature », comme le souligne la revue littéraire Open Book. Aussi l’auteur propose-t-il des clés pour comprendre comment le concept a évolué au fil du temps, d’une montagne-sanctuaire dans le taoïsme, à une montagne interdite sous la loi martiale de Tchang Kaï-chek, puis, de nos jours, à une montagne « prête à consommer ».

[post_title] => Méditation sur la montagne [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => meditation-sur-la-montagne [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2022-02-24 08:42:05 [post_modified_gmt] => 2022-02-24 08:42:05 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=116413 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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Pour participer à une dégustation de vin à Paris, le couple avait loué trois jets privés, dont deux ont fait le trajet à vide. L’épouse s’est offert un diamant rose à 15 millions de dollars. Ils se déplaçaient en Rolls et descendaient dans des hôtels de luxe. Pour une réussite, c’en était une. Entre autres faits d’armes, Desmond Shum et Whitney Duan ont construit la plateforme logistique de l’aéroport de Pékin, arrosant au passage le patron des douanes, qui a demandé et obtenu des bureaux somptueux avec salle de banquet, bar de karaoké, terrains de tennis et cinéma. Désormais aux États-Unis, Desmond Shum décrit sans fard le monde auquel il a intimement participé, le tourbillon grisant et dangereux des relations entre argent et pouvoir en Chine.
Né à Shanghai en 1968 pendant la Révolution culturelle, il a émigré à Hongkong avec ses parents en 1978. Après un séjour dans une université américaine, il a été recruté par une firme de capital-investissement à Hongkong. Il y développa un précieux réseau de relations avec les milieux d’affaires américains et chinois. C’était aussi un bel homme, très grand, athlète de compétition. Il attira l’attention de Whitney, une « entrepreneuse indépendante d’esprit », comme il la décrit. Whitney était une amie proche de Zhang Peili, l’épouse du Premier ministre de l’époque, Wen Jiabao. Et Zhang était elle-même une femme d’affaires de grande envergure, qui amassa une fortune gigantesque. « Naviguer à ce niveau dans les relations humaines en Chine était un art si complexe que Whitney avait besoin, pour mener à bien ses projets, d’une personne en qui elle pouvait avoir une confiance totale, écrit-il. Aligner nos objectifs était sa conception de l’amour. »
Leur ascension couvre les années 1990 et 2000. Elle était largement liée aux services qu’ils rendaient à Zhang : « Nous étions comme les poissons qui nettoient les dents des crocodiles ». Par son intermédiaire ils se lièrent avec diverses personnalités de premier plan. Comme Li Peiying, qui dirigeait la holding possédant les aéroports de la capitale et fut exécuté en 2009 pour corruption : « Il parlait trop […]. Le Parti communiste chinois a son code d’omerta. » Il y avait aussi le bras droit du président Hu Jintao, Ling Jihua, et son fils Ling Gu, tous deux également tombés en disgrâce. Le dernier est mort dans un accident suspect au volant de sa Ferrari en 2012, en compagnie de deux jeunes personnes dévêtues. Le papa, lui, a été emprisonné à vie en 2016, de même que Sun Zhengcai, autre relation du couple, une étoile montante du Parti.
Desmond et Whitney avaient côtoyé Xi Jinping avant son accession au pouvoir en 2012, ce qui n’a pas empêché leur situation de se dégrader, jusqu’à sentir franchement le roussi. Le couple a divorcé en 2015. Desmond a prudemment quitté la Chine, emmenant son fils. Restée à Pékin, Whitney a disparu en septembre 2017 – probablement placée en détention sans motif officiel. Elle a resurgi récemment, mais seulement par téléphone, pour enjoindre à Desmond de ne pas publier son livre. Il faut dire qu’il n’est pas tendre envers le régime. Il raconte que, pour la construction de l’aéroport de Pékin, il a mis trois ans pour recueillir l’approbation écrite de pas moins de 150 agences et ministères qui se bouffaient le nez. Un jour, il dut arranger en urgence une opération du cœur pour un gros bonnet qui était allé jouer aux casinos de Las Vegas. Il évoque les services sexuels qu’il a dû rendre à l’occasion. Il nomme un hôtel pékinois dans lequel, chaque nuit, trois ou quatre ministres sont courtisés par des entrepreneurs dans des salons suffisamment isolés les uns des autres pour qu’ils ne puissent pas se rencontrer. Il montre surtout que la gigantesque campagne anticorruption menée par Xi (on estime que plus de 1 million d’officiels ont été destitués et diversement châtiés) a pieusement épargné nombre d’« aristocrates rouges », qu’il présente comme « une espèce à part ». Dont Zhang Peili et Wen Jiabao. « La réalité est que le principal objectif du Parti est de servir les intérêts des fils et des filles de ses [anciens] révolutionnaires. Ce sont eux les principaux bénéficiaires. Ils forment le nœud du pouvoir économique et politique ». 

[post_title] => Les dents du crocodile [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => les-dents-du-crocodile [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2022-02-24 08:41:59 [post_modified_gmt] => 2022-02-24 08:41:59 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=116339 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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La Haine de la musique, de Pascal Quignard, romancier, essayiste, mais aussi musicien, « peut surprendre », prévient le portail culturel russe Colta, tant on n’attend pas d’un auteur dont « les livres sont littéralement imprégnés de musique » un réquisitoire contre celle-ci. Quignard s’y interroge sur « les liens qu’entretient la musique avec la souffrance sonore ». Bien sûr, « sa haine est proche de l’amour », convient le site. Paru en France en 1996 chez Calmann-Lévy, l’essai, constitué de dix traités, vient d’être traduit dans la langue de Pouchkine. C’est d’ailleurs le douzième ouvrage de Quignard qui paraît en Russie, où l’écrivain a son public. Le livre mêle « l’essai infiniment profond et sensible et la confession à la limite de ce qui est admis, dans une prose ciselée », salue Colta. En convoquant de nombreux exemples de l’Antiquité, Quignard y développe l’idée d’une violence inhérente au geste musical dès ses origines. Telle la flûte confectionnée par Athéna pour imiter les cris des Gorgones, dont « le chant fascinait, paralysait et permettait de tuer à l’instant où la proie est figée de terreur ». On passe du chant des sirènes à l’audition utérine, de l’emploi de la musique dans les camps de concentration à son omniprésence intrusive dans les villes. Avec bonheur, si l’on peut dire. 

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La pandémie de Covid-19 a-t-elle remis Proust à la mode ? Pas vraiment, puisqu’il n’avait jamais cessé de l’être. Pour quiconque se plonge de temps à autre dans la presse internationale, le phénomène, troublant au départ, devient vite d’une anodine banalité : pas un mois ou presque sans que Proust ne fasse sinon les gros titres, du moins l’objet d’un long article dans lequel une célébrité ou un inconnu raconte son rapport à la Recherche, combien de fois il l’a lue, si cela a été une épiphanie ou, au contraire, un pensum, les grandes leçons qu’il en a tirées, etc. Cela fait très longtemps déjà (presque depuis sa mort, si l’on y réfléchit, il y a près d’un siècle) que Proust est une sorte d’incontournable de l’intelligentsia mondiale, de pierre de touche à l’aune de laquelle chacun se doit d’évaluer sa propre conception de l’art, de la littérature et de la vie.
Et néanmoins les confinements qui se sont succédé depuis deux ans semblent bien avoir encore accru la dévotion qu’on lui voue. C’est qu’avec Proust on a affaire à un homme qui, pour écrire son magnum opus, s’est lui-même volontairement confiné pendant quinze ans. Il avait besoin d’un silence absolu. Il avait donc fait recouvrir de liège les murs de sa chambre afin d’absorber les bruits, et, comme le rappelle dans Der Spiegel le critique littéraire Volker Weidermann, « lorsqu’il lui fallait malgré tout voyager, il réservait aussi la chambre à côté de la sienne et même, si possible, celle du dessus, afin de ne pas être dérangé par les autres clients ». La maladie n’était pas complètement étrangère à cette vie d’ermite : l’écrivain était asthmatique et il soupçonnait le monde extérieur d’aggraver ses crises. Pour se soigner, il fumait des cigarettes au datura, un hallucinogène très toxique. Comme il consommait vingt-cinq fois la dose prescrite, sa chambre baignait dans un nuage de fumée permanent. Bientôt « il ne quitta plus son lit que pour renouveler ses impressions du monde extérieur, poursuit Weidermann. Et il ne revoyait que les gens qui jouaient un rôle dans sa Recherche, afin de les étudier une nouvelle fois. »
Sa chambre débordait d’objets et de photographies qu’il ne cessait d’examiner encore et encore. « Il fallait qu’ils soient éclairés d’une façon précise pour l’intéresser. Parfois il attendait des heures que le soleil tombe de nouveau dans un angle de la pièce. Ainsi, un verre de bière à moitié vide ne devait pas être débarrassé avant le retour de la vision parfaite qu’il attendait. Hors de question, bien sûr, de finir de le boire. Il s’agissait de l’absorber d’une autre manière, plus intense encore. »
La seule personne autorisée à venir perturber cet isolement était sa servante Céleste, dont les Mémoires viennent d’être réédités en allemand à la grande joie de Weidermann 1. Elle y relate que Proust l’appelait souvent. Une sonnerie signifiait : « Pouvez-vous venir ? » Deux sonneries : « Apportez-moi un café au lait » (pratiquement la seule nourriture qu’il continuait à absorber à la fin de sa vie). Une fois, il ne la sonna pas pendant deux jours. Elle se fit un sang d’encre mais n’osa pas pénétrer dans sa chambre sans y avoir été invitée. Quand, enfin, il la fit venir, elle le trouva d’une pâleur effrayante. Il lui dit que lui aussi avait cru ne plus jamais la revoir. Quand elle voulut savoir ce qui s’était passé, persuadée qu’il avait fait une overdose de somnifères, il lui confia qu’il avait dû faire mourir l’un des personnages importants de son livre. L’écrivain fictif Bergotte, sans doute.
Peut-on alors considérer Proust comme un modèle à l’heure de la pandémie et de ses longs confinements ? Faut-il chercher dans l’ex-reclus volontaire du 102, boulevard Haussmann, ou plutôt dans l’œuvre que cette réclusion lui a permis d’écrire, un guide pour retrouver tout ce temps où l’on n’a pu aller travailler, consommer, voyager, tout ce temps pour ainsi dire perdu ?
Encore faudrait-il, diront certaines mauvaises langues, que la lecture des 4 000 pages de la Recherche ne soit pas elle-même une perte de temps.
En 2016, un dessin du New Yorker montrait un couple de deux hommes, plus tout jeunes, dont l’un se rendait soudain compte que, s’ils voulaient lire tout Proust de leur vivant, ils devaient s’y mettre dès le lendemain matin. En livre audio, l’ensemble de la Recherche dure cent vingt-huit heures dans la version lue par de grands acteurs et éditée par Thélème. Weidermann nous apprend qu’en allemand il faut compter cent cinquante-six heures, soit presque la durée d’un aller-retour entre Berlin et Pékin en voiture ! On peut bien sûr concevoir de lire toute la Recherche d’une traite sans jamais fléchir et en ne s’interrompant que pour manger et dormir. En se basant sur les cent vingt-huit heures du livre audio en français et en partant du principe qu’on ne ferait que ça seize heures par jour, l’affaire pourrait être bouclée en huit jours. Mais, comme le remarque Weidermann, ce serait là une lecture sans plaisir et nécessairement superficielle : « On en tirera une grossière vue d’ensemble de l’intrigue, mais on passera à côté du mystère du temps qui passe – et à côté de la résolution de ce mystère. »
Lire Proust est un défi, et c’est peut-être cela qui plaît à beaucoup de ceux qui s’y attaquent. Sur son blog, l’universitaire américano-canadien Justin E. H. Smith, qui propose depuis cet été une analyse de la Recherche, le reconnaît sans ambages : « J’ai toujours aimé les gros livres, justement parce qu’ils sont gros. » Y aurait-il chez les lecteurs de Proust une sorte de masochisme snob ? Dans Die Zeit, Barbara Vinken, qui a codirigé en 2017 le colloque « Marcel Proust et les femmes » 2, observe : « L’obsession proustienne d’inscrire l’éphémère et le vain dans le marbre rend la lecture aussi inéluctable que douloureuse. » L’écrivain Jochen Schmidt croit, lui, avoir trouvé une solution pour limiter cette souffrance. Auteur d’un ouvrage où il parle de son expérience de lecteur de Proust 3, il explique, toujours dans Die Zeit, qu’il a procédé selon une méthode imparable : « Chaque jour, vingt pages exactement. » Résultat : il est venu à bout de la Recherche en six mois.
Ce qui étonne le plus Vinken, c’est que tant de lecteurs de Proust croient en la promesse d’un temps retrouvé : « Je n’ai pas le sentiment qu’on retrouve quoi que ce soit, ni qu’il y ait une issue heureuse, au contraire. En écrivant claquemuré dans sa chambre, comme il l’a fait jusqu’à en mourir, il ne retrouve pas le temps perdu. Ce qu’il découvre, c’est que le temps ne peut pas être retrouvé. » On peut tout au plus ressusciter une époque, et Proust s’en acquitte brillamment, quitte à transfigurer la réalité. « Quand on regarde les photos de ses modèles, ils ont tous l’air atroce. Pas du tout comme Proust les représente. Il a transformé cette matière médiocre en or », estime Schmidt. Et Vinken d’abonder dans son sens : « Proust confère à la grande bourgeoisie et à l’aristocratie un éclat unique. Que serait le faubourg Saint-Germain sans Proust ? Ou bien Combray, alias Illiers, où Proust a passé une partie de son enfance : êtes-vous déjà allé à Illiers-Combray [comme s’appelle désormais cette petite ville d’Eure-et-Loir] ? Vous ne pouvez pas imaginer à quel point c’est déprimant. » Nos deux lecteurs s’amusent de ce que, à mesure qu’avance la Recherche, tous les personnages ou presque se révèlent être homosexuels. Ils saluent l’absence de pudibonderie dont fait preuve Proust, laquelle se retrouve, en plus crue encore, dans sa correspondance. On y apprend, par exemple, qu’il a obtenu de l’argent de son père pour aller au bordel en prétextant que ce serait un bon moyen de ne pas se masturber. Il utilise la même menace (le retour à la masturbation) pour obtenir qu’un ami vienne passer la nuit chez lui.
Cette attitude dé­com­plexée a de quoi déconcerter. Vinken y voit moins la marque d’un esprit libre que celle d’un narcissique vivant dans l’illusion et dénué de tout principe de réalité : « D’autres textes littéraires peuvent être plus libertins et provocants que les écrits proustiens, mais on y sent bien que l’auteur est conscient de transgresser une limite. Rien de tel chez Proust. »
On en revient à la toute première scène de la Recherche, lorsque le narrateur raconte comment, petit garçon, il a contraint sa mère, qui était dans le jardin avec des invités, à revenir lui faire un baiser pour qu’il puisse enfin s’endormir. Cette difficulté à supporter la frustration, à comprendre que sa mère est présente même quand elle n’est pas là, Proust semble ne jamais l’avoir tout à fait surmontée : « Il est toujours resté cet enfant, juge Schmidt, et il en résulte l’une des merveilles de la littérature mondiale. »

 — B. T.

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La France est accro à ses an­ciennes colonies d’Afrique noire, et, plusieurs décennies après leur indépendance, elle ne peut se résoudre à lâcher prise. C’est du moins ce que pensent les spécialistes anglo-américains de la question, à en juger par les publications récentes, recensées dans The New York Review of Books par le journaliste Howard French, portant sur les interventions postindépendance de la France sur le continent.
La matière est riche ! Rien qu’entre 1977 et 1979, Paris a ainsi tenté (en vain) de renverser un régime marxiste au Bénin, de soutenir la Mauritanie contre l’insurrection sahraouie et d’assister à plusieurs reprises le Zaïre dans sa lutte contre une rébellion soutenue par l’Angola. Mais, en général, la mainmise française consiste surtout à porter au pouvoir (ou à renverser) des dirigeants choisis en fonction d’un seul critère : leur degré d’allégeance à l’ancienne puissance coloniale. Avec à la clé des calamités sans fin, comme le montrent les deux exemples emblématiques du Burkina Faso (anciennement Haute-Volta) et du Tchad.
S’agissant d’abord du Burkina Faso, le mal nommé professeur Howard French détaille comment l’ingérence française a torpillé les chances de Thomas Sankara, le chef d’un gouvernement certes issu d’un coup d’État en 1983, mais qui semblait en mesure de faire progresser ce malheureux pays « enclavé, ravagé par la sécheresse, et qui, depuis son indépendance en 1960, demeurait l’un des plus pauvres du monde et un cas d’école de faillite politique ». Avec un tantinet d’angélisme, Howard French décrit Sankara comme « un intellectuel subtil, un grand lecteur […] qui avait aussitôt commencé à rebattre les cartes – mais pas en exécutant ses opposants ou en expulsant les communautés étrangères, ni en se proclamant empereur, président à vie ou maréchal, comme presque partout en Afrique à l’époque. » Sankara avait déclaré la guerre à la corruption et milité pour le non-remboursement de la dette monstrueuse consentie par l’Occident aux régimes « immoraux » d’Afrique. Alors que tout le continent subissait la diète terrible imposée par le FMI, en Haute-Volta, rebaptisée Burkina Faso (« le pays des hommes honnêtes »), Sankara tentait malgré tout d’améliorer le sort de ses concitoyens et aussi celui de ses concitoyennes (c’était un ardent opposant à la polygamie et à l’excision), allant jusqu’à quérir l’aide de l’odieux Kadhafi. Trop, c’est trop. En octobre 1987, Sankara est tué lors du coup d’État de son ex-ami et successeur Blaise Compaoré. Paris, selon l’universitaire Brian J. Peterson, a au mieux fermé les yeux, au pire 1
C’est aussi Mouammar Kadhafi qui déclenche l’intervention de la France au Tchad, un terri­toire pourtant colonisé juste pour faire pièce aux ambitions anglaises dans la région et qui avait ensuite été abandonné à la corruption et à la gouvernance la plus sommaire, sans réels efforts pour le développer. Mais les visées de Kadhafi sur le pays avaient conduit Valéry Giscard d’Estaing d’abord, puis François Mitterrand, à soutenir Hissène Habré contre Goukouni Oueddei, son rival pro-Kadhafi. Habré était un terrible dictateur, qui torturait et massacrait à tout-va (notamment les chrétiens du sud du pays) et avait inauguré l’ère du terrorisme sahélien en kidnappant l’archéologue Françoise Claustre. Mais Giscard disait ne pouvoir envisager « que l’armée française se retrouve battue par celle d’un Goukouni Oueddei soutenu par les Libyens ». Quant à Mitterrand, anti-interventionniste quand il était dans l’opposition (« Mais pourquoi donc la France combat-elle au Tchad ? »), il s’était rallié sitôt arrivé au pouvoir, dixit Howard French, « à la longue tradition française de contrôle des ex-colonies africaines via un éventail de moyens techniques et économiques fréquemment complétés par l’action militaire ». Une tradition qui s’est poursuivie après le remplacement en 1990, avec l’aide de la France, du démon Hissène Habré par Idriss Déby, qui n’était pas non plus un saint, puis tout récemment par le fils du susdit.
Nathaniel K. Powell explique cet acharnement historique par la géographie : « L’Afrique est le seul continent à portée de la France et à la mesure de ses moyens ; elle peut y changer le cours des choses avec à peine 500 hommes ». Maigre consolation : l’Amérique n’a pas vraiment fait mieux en Asie du Sud-Est. Et, victime de la même obsession anti-Kadhafi, elle a vigoureusement soutenu les efforts des postcolonialistes français au Tchad. Il n’empêche qu’il est difficile de faire une croix sur ce que l’on a jadis possédé. Demandez à Poutine. 

— J.-L. M.

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Klaus Jöken traduit les albums d’Astérix en allemand depuis dix-sept ans. Un travail qui est loin d’être évident, comme il ressort de l’entretien qu’il a récemment accordé au Spiegel. C’est que la bande dessinée présente des contraintes tout à fait spécifiques. Quand on traduit un roman et qu’un passage est obscur, on peut délayer pour expliquer. Or, là, pas question que le texte dépasse de la bulle : il faut être aussi concis que l’original. Et il faut également, puisqu’il s’agit d’Astérix, être aussi drôle. « À chaque fois que c’est possible, je garde les gags français. Dans 80 % des cas, cependant, ce n’est pas possible et je dois trouver une solution. C’est pourquoi les blagues sont en grande partie de moi – mais bien sûr dans l’esprit de l’original », confie Jöken, qui vit en Auvergne depuis presque quatre décennies. Ultime contrainte : la nécessité du secret par crainte des fuites et du piratage. Klaus Jöken commence en général à traduire alors que les auteurs français (Jean-Yves Ferri, désormais, pour les textes) n’ont pas encore tout à fait terminé. Il reçoit un PDF sécurisé qu’il télécharge puis copie sur un autre ordinateur qui n’est pas connecté à Internet. « Il est convenu dans le contrat, nous apprend-il, que pendant que je travaille rien ne doit quitter mon bureau, aucune esquisse, aucune notice, rien. »

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