WP_Post Object ( [ID] => 118531 [post_author] => 51175 [post_date] => 2022-04-28 07:23:13 [post_date_gmt] => 2022-04-28 07:23:13 [post_content] =>À l’automne 2021, une nouvelle collection est née chez l’éditeur italien Giulio Perrone : « Mosche d’oro » (« mouches d’or »), en référence à un roman de l’écrivaine féministe Anna Banti. Des auteures y sont invitées à écrire la biographie d’une femme qui les a marquées et inspirées. Le premier titre, de Lisa Ginzburg, est consacré à Jeanne Moreau.
[post_title] => Une liberté incandescente [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => une-liberte-incandescente [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2022-04-28 07:23:14 [post_modified_gmt] => 2022-04-28 07:23:14 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=118531 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
Ce texte à la prose « toujours limpide, lumineuse et précise » est né d’une « admiration profonde, presque d’un désir d’identification », observe le Corriere della Sera. Prenant pour point de départ sa découverte fulgurante de Jeanne Moreau à l’adolescence lors d’une projection de Jules et Jim à Rome, l’auteure rassemble « les fils d’une vie tout en essayant de découvrir la plus insaisissable des femmes », relève le quotidien italien. Les pages de Lisa Ginzburg mettent notamment en relief l’incroyable indépendance de Jeanne Moreau. Travailleuse acharnée à l’intelligence vive, celle-ci était animée par « une fuite vers la liberté qui ne la faisait appartenir qu’à elle-même ». C’est précisément à travers le prisme de cet « éloge de l’autonomie féminine », ainsi que le souligne La Repubblica, que Lisa Ginzburg explore les différents épisodes de la vie mouvementée de l’actrice, qui ne représente rien de moins que « la quintessence du cinéma », selon L’Eco di Bergamo.
WP_Post Object ( [ID] => 118420 [post_author] => 51175 [post_date] => 2022-04-28 07:23:07 [post_date_gmt] => 2022-04-28 07:23:07 [post_content] =>« Il suffit parfois de jeter une pierre sur un vieux toit pour que toute la maison s’écroule. » Le dernier roman de la Colombienne Piedad Bonnett s’ouvre par cette phrase qui, à elle seule, résume parfaitement l’intrigue. La maison qui menace de s’écrouler, c’est celle d’Emilia, 64 ans, récemment retraitée. Quant à l’événement à l’origine du séisme, il s’agit de la lubie de son mari qui, sans la consulter, a décidé de faire rénover la cuisine. S’ensuit une âpre guerre de tranchées dont le théâtre n’est autre que l’espace domestique. Le sujet de Qué hacer con estos pedazos peut sembler léger ; en réalité, il sert de prétexte à l’écrivaine pour « tirer la sonnette d’alarme sur les violences machistes », note le quotidien colombien ADN. Piedad Bonnett, célébrée en Amérique latine pour sa poésie, dénonce ici cette forme subtile de violence qui n’en a pas l’air et qui imprègne le quotidien, celle qui se manifeste par des silences désapprobateurs, des haussements de ton, des paroles sarcastiques ou culpabilisantes – autant d’attitudes que l’auteure qualifie de « micromachismo », de micromachisme. Alors que sa cuisine est un champ de bataille, la protagoniste se retranche dans sa bibliothèque et songe aux avancées qu’ont obtenues les femmes de sa génération – et aux combats qui restent encore à mener. Elle-même a beau se sentir prisonnière de son mariage et tyrannisée par les reproches de sa fille, elle n’ose pas claquer la porte. « Piedad Bonnett jette un regard corrosif sur des conventions sociales apparemment immuables, dont la transformation est aussi ardemment souhaitée que redoutée », analyse le quotidien colombien El Tiempo.
[post_title] => L’art de la guerre conjugale [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => lart-de-la-guerre-conjugale [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2022-04-28 07:23:08 [post_modified_gmt] => 2022-04-28 07:23:08 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=118420 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
WP_Post Object ( [ID] => 118413 [post_author] => 51175 [post_date] => 2022-04-28 07:22:58 [post_date_gmt] => 2022-04-28 07:22:58 [post_content] =>En 1520, le pape Léon X (un Médicis) qualifia Michel-Ange d’« unique » et aussi de « terrible ». Il faisait allusion à son caractère difficile. Quelque temps plus tôt, à sa demande, l’artiste avait accepté d’orner de sculptures la façade de la basilique San Lorenzo de Florence – puis avait renoncé et laissé le projet inachevé, comme il devait le faire si souvent dans sa carrière. Le terme de « terrible » est resté, mais aujourd’hui il s’applique bien plus aux œuvres qu’à l’homme. Son contemporain et ami Sebastiano del Piombo avait du reste pressenti qu’il en irait ainsi : « Vous faites peur même aux papes, lui écrivait-il. Je ne vous considère cependant comme unique et terrible que dans votre art, parce que vous être le plus grand maître qui ait jamais vécu. »
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Cette appréciation n’est pas loin d’être celle de Horst Bredekamp, éminent historien de l’art allemand [que nous avions interviewé dans Books n° 41, mars 2013], qui vient de consacrer plus de 800 pages au maestro. Pour avoir révolutionné à la fois la sculpture, la peinture et l’architecture, il est, à en croire Bredekamp, « sans doute l’artiste le plus important depuis la fin de l’Antiquité ». « Il reste en effet inimaginable pour le commun des mortels que l’immense coupole de la basilique Saint-Pierre de Rome, la bouleversante Pietà à droite de celle-ci et, à un jet de pierre de là, les fresques époustouflantes de la chapelle Sixtine sur la création du monde et le Jugement dernier aient été réalisées par une seule et même personne », commente Alexander Cammann dans Die Zeit.
L’ouvrage de Bredekamp se veut une biographie tout autant qu’une monographie. Il mêle la vie de Michel-Ange à des réflexions esthétiques sur ses œuvres et éclaire le tout par le contexte historique. Pour Kia Vahland, elle-même historienne de l’art, ce parti pris fonctionne à merveille. N’est-ce pas, en effet, note-t-elle dans la Süddeutsche Zeitung, « la sensibilité particulière de Michel-Ange qui a fait de lui un rebelle s’insurgeant très tôt contre une papauté belliqueuse et, plus tard, contre l’hostilité de l’Église envers les corps nus » ?
Pour tenter de saisir cette sensibilité si particulière, Horst Bredekamp forge le concept de « panempathique ». Il consiste à tenter d’embrasser l’ensemble du réel, dans toutes ses contradictions. « Ainsi, le plafond de la chapelle Sixtine au Vatican ne parle pas seulement de l’amour de Dieu, mais aussi de la tristesse des temps prébibliques, incarnée par des hommes solitaires et ignorants. » Et quand, dans l’un des quatre pendentifs de la chapelle, il représente Haman, qui, dans l’Ancien Testament, souhaite l’extermination du peuple juif, il le montre au moment de son exécution, « comme un homme musclé qui souffre et non comme un ogre hideux ». Bredekamp voit en Michel-Ange une sorte de dialecticien qui refuse la posture de moraliste ou de propagandiste.
La terribilità est l’un des deux grands pôles de l’art de Michel-Ange. L’autre est l’expression de « la souffrance mélancolique du monde », juge Ulrich Pfisterer dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung. Spécialiste de l’art de la Renaissance et auteur d’un livre sur la chapelle Sixtine, Pfisterer note non sans ironie que si « les lamentations constantes de Michel-Ange sur “les temps qui sont très contraires à notre art” lui assurent une place de choix dans l’histoire des plaintes d’artistes », son destin, vu de l’extérieur, ne semble en rien les justifier. Le geignard Michel-Ange a eu une très longue vie (de 1475 à 1564). Il a connu le succès très tôt : à 23 ans, la Pietà assure sa réputation, à 30 ans, après avoir réalisé son David, il est l’artiste le plus célèbre d’Italie, bientôt d’Europe.
De surcroît, c’était un homme très riche : après sa mort, on retrouvera dans un coffre de sa maison romaine 8 289 pièces d’or, une somme énorme. Il n’a rien d’un génie maudit, au contraire. Malgré ses colères, voire ses trahisons, les élites de l’époque ne cessent de vouloir l’engager. On lui pardonne tout : il renie ses premiers bienfaiteurs Médicis et se rallie à leurs ennemis républicains qui les ont chassés de Florence. Que font ces mêmes Médicis, une fois de nouveau maîtres de la ville ? Ils lui demandent de décorer la chapelle de leur famille.
WP_Post Object ( [ID] => 118717 [post_author] => 51175 [post_date] => 2022-04-28 07:22:52 [post_date_gmt] => 2022-04-28 07:22:52 [post_content] =>Que viennent donc faire tous ces bourgeois endimanchés aux portes de Cologne entre l’automne 1870 et l’été 1871 ? Par centaines, ils se rendent avec femmes et enfants dans un camp de prisonniers. Pendant plusieurs mois, c’est la grande attraction de la ville. Qu’ont donc ces prisonniers de si particulier ? Ce sont des Français, en tout cas des soldats appartenant aux armées françaises, défaites par la Prusse. Et un certain nombre d’entre eux sont noirs. La plupart des habitants de Cologne n’en ont jamais vu.
[post_title] => Des animaux exotiques [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => des-animaux-exotiques [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2022-04-28 07:22:53 [post_modified_gmt] => 2022-04-28 07:22:53 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=118717 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
C’est un épisode que les conflits mondiaux ultérieurs ont rejeté dans l’ombre : après la déroute de Sedan, le 1er septembre 1870, puis la capitulation de Metz, le 27 octobre, 400 000 soldats français sont retenus captifs en Allemagne, dont 19 000 à Cologne. Pour la première fois, on construit d’immenses camps de prisonniers – 200 dans toute l’Allemagne. Les officiers y échappent : « Ils sont logés chez des particuliers ; en échange, ils ont dû promettre de ne pas s’enfuir, rapporte Mario Kramp dans Die Zeit. Ils prennent du bon temps au théâtre et au zoo. » Les habitants de la ville profitent, eux, d’un autre genre de zoo : le camp de prisonniers compte 800 tirailleurs arabes, kabyles, ouest-africains. La plupart ont la peau foncée, des uniformes exotiques, et ils sont qualifiés indifféremment de « Turkos ». La Prusse a interdit tout contact entre eux et la population. La propagande a présenté ces Africains comme des « sauvages ». « Ils passent pour des combattants sans scrupule qui ne font pas de quartier », explique Mario Kramp, qui vient de sortir un ouvrage sur le sujet sous-titré « Les prisonniers oubliés de la guerre franco-allemande ».
On les compare à des animaux, « singes, chats ou chiens ». Qu’importent les interdictions et les rumeurs, à présent que ces hommes qu’on redoutait tant ont été vaincus, on se presse pour les observer, souvent avec compassion : « On leur apporte par exemple des rafraîchissements », poursuit Kramp. Certains journaux mettent en garde contre cette pitié « malavisée et typique du sexe féminin », le plus exposé pourtant à leur « virilité bestiale ».
Les Allemands ne comprennent pas comment des Blancs et des Noirs peuvent cohabiter au sein de l’armée française. Les clichés vont bon train quand il s’agit de décrire les différences entre les deux « races » : « Les Français seraient vivants et pleins d’esprit, les Africains, en revanche, d’une lourdeur tout orientale. »
Une bonne partie de ces soldats africains parlent arabe et sont musulmans ; c’est là encore une grande nouveauté pour les Allemands. « Un catholique de Cologne résume naïvement : “Les Turkos croient encore à Mohammed.” »
On s’étonne de leurs tatouages, des bagues en or que certains portent presque à chaque doigt. D’étranges dialogues ont lieu. Ainsi ce vétéran africain qui raconte « avoir déjà combattu en Algérie, en Italie et au Mexique et qui se révèle donc bien plus ouvert sur le monde que ses interlocuteurs de Cologne ».
WP_Post Object ( [ID] => 118723 [post_author] => 51175 [post_date] => 2022-04-28 07:22:20 [post_date_gmt] => 2022-04-28 07:22:20 [post_content] =>Dans un livre paru récemment, le Britannique Richard Scholar remarque : « La langue anglaise a – et a toujours eu – besoin de mots étrangers pour atteindre l’élégance et réussir à tout bien exprimer ; pourtant, les Anglais se refusent à le reconnaître. » Principale victime de cette réticence : le français (que Scholar enseigne et traduit). Après la conquête de Guillaume le Conquérant, en 1066, l’Angleterre se francise, le vieil anglo-saxon s’enrichit de milliers de termes et de tournures de phrases venus du continent (7 000 seraient encore d’usage courant). Le rayonnement politique et culturel du royaume capétien au cours des siècles suivants n’arrange pas les choses. Dans son Dictionary of the English Language, paru en 1755 et cité par Scholar, Samuel Johnson regrette que l’anglais se soit « peu à peu éloigné de son caractère original teutonique pour dériver vers la structure et la phraséologie gauloise ». Il redoute d’en être bientôt réduit à « bafouiller un dialecte de la France ». C’est la peur du franglais, mais à l’envers. Michael Wood rapporte dans la London Review of Books que certains mots, « clinquant », « entour », « façonnier », qui semblèrent longtemps indispensables à tout Anglais raffiné, sont, bien sûr, aujourd’hui tombés en désuétude, même en France.
[post_title] => Franglais à l’envers [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => franglais-a-lenvers [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2022-04-28 07:22:22 [post_modified_gmt] => 2022-04-28 07:22:22 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=118723 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
WP_Post Object ( [ID] => 118745 [post_author] => 51175 [post_date] => 2022-04-28 07:22:12 [post_date_gmt] => 2022-04-28 07:22:12 [post_content] =>Étrange personnage que Shintarō Ishihara : voilà un homme qui, après avoir remporté en 1956, à 23 ans, le plus prestigieux prix littéraire du Japon, fréquenté Mishima, réalisé et scénarisé plusieurs films, se lance dans la politique et se fait élire député, puis, de 1999 à 2012, gouverneur de Tokyo. Un peu comme si Le Clézio ou Françoise Sagan étaient devenus maires de Paris. Les éditions Belfond ressortent le recueil de nouvelles qui l’a fait connaître : La Saison du soleil, plus qu’un succès de librairie (2,6 millions d’exemplaires écoulés), un scandale et un phénomène de société. Ishihara, qui est décédé le 1er février dernier, y décrit, non sans une certaine outrance, la jeunesse dorée d’une époque désenchantée. « Il écrit mal, reconnaît le spécialiste du Japon Marcel Giuglaris dans sa postface. On l’a dit et répété. C’est sans doute vrai, mais le public japonais est très indulgent pour les auteurs qui savent raconter une histoire et ne pas faire seulement de la littérature traditionnelle. » Le grand modèle d’Ishihara ? Hemingway, son rythme rapide, ses personnages à la psychologie souvent sommaire. Les siens sont en révolte sans vraiment l’être. « Ishihara a préféré s’en tenir aux conséquences de cette révolte, note Giuglaris, à l’amoralité, aux bagarres, au désir de vivre, à la recherche d’une individualité, à la folie du sexe. »
[post_title] => Jeunesse dorée japonaise [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => jeunesse-doree-japonaise [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2022-04-28 07:22:13 [post_modified_gmt] => 2022-04-28 07:22:13 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=118745 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
WP_Post Object ( [ID] => 118749 [post_author] => 51175 [post_date] => 2022-04-28 07:22:06 [post_date_gmt] => 2022-04-28 07:22:06 [post_content] =>Entre 2011 et 2015, l’Espagne a connu une vague de manifestations sans précédent, ce que l’on a appelé le mouvement des Indignés. Son origine était évidente : la crise économique de 2008 et ses conséquences sociales souvent dramatiques. Pourtant, une grande partie des débats parmi les militants qui organisèrent ces manifestations ne portait pas sur la crise et la façon d’y remédier. Très vite, il s’est agi d’« inclure le maximum de gens », rapporte Daniel Bernabé dans son dernier ouvrage. On s’est mis à critiquer l’usage des drapeaux rouges ou espagnols, trop excluant. « À un moment donné, poursuit Bernabé, les débats ne portaient même plus sur le fond, mais sur la façon dont devaient se tenir les débats eux-mêmes : les tours de parole, la manière de s’exprimer, etc. Il fallait être inclusif, horizontal, respectueux de toutes les sensibilités. […] Le plus absurde est qu’au milieu de tous ces débats byzantins, de tout ce gaspillage de temps et d’énergie, personne n’a fait remarquer que l’objectif numéro un d’une manifestation est justement de polariser. »
[post_title] => Pour un politiquement incorrect de gauche [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => pour-un-politiquement-incorrect-de-gauche [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2022-04-28 07:22:07 [post_modified_gmt] => 2022-04-28 07:22:07 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=118749 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
Il est rare qu’un essai espagnol, qui plus est politique, soit traduit en français. Si celui-ci l’a été, c’est sans doute parce qu’il traite d’un problème majeur de notre temps, qui touche aussi la France : l’impuissance de la gauche.
Étrangement, la volonté croissante d’inclure à tout prix, de ne froisser personne, s’est accompagnée ces dernières décennies d’un effondrement de notre capacité à agir collectivement. Ce paradoxe est au cœur de l’ouvrage de Bernabé. Certains s’amuseront qu’il ait reçu un prix du Parti communiste (espagnol) ou trouveront cela anecdotique. En réalité, rien de plus significatif. On peut, bien entendu, reprocher bien des choses à l’idéologie communiste. Reconnaissons-lui tout de même une vertu : les différents partis qui en sont issus furent longtemps de formidables machines à organiser l’action collective. Or, pour Bernabé, la source d’une grande partie de nos maux est précisément notre réticence nouvelle à dépasser l’autisme individualiste, à accepter de voir ce qui, au-delà de toutes les petites différences de couleur, d’origine, d’orientation sexuelle ou alimentaire, pourrait nous rassembler.
Depuis la fin des années 1970, la gauche s’est focalisée sur les questions de diversité et d’identité. Elle a défendu les droits des minorités sexuelles ou raciales – des combats louables en eux-mêmes et dont Bernabé ne conteste pas la légitimité, mais des combats qui ne peuvent pas remplacer ni même être mis sur le même plan que la lutte des classes. « On a parfois l’impression, note-t-il, que la gauche, faute de savoir prendre à bras-le-corps les problèmes de l’économie et de la mondialisation, trouve une sorte de plaisir malsain à se focaliser sur des questions qui sont d’autant plus sujettes à discordes que le nombre de personnes concernées est faible. » La question des transgenres illustre parfaitement ce point de vue. Alors qu’elle concerne une part infime de la population (peut-être 0,05 %¹), elle occupe une place centrale dans les préoccupations progressistes actuelles.
Bernabé constate que « les groupes définis sur la base d’une identité spécifique deviennent de plus en plus restreints, car la diversité tend vers l’infini » : on n’est plus seulement ouvrier ou cadre supérieur, mais, par exemple, femme, noire, lesbienne et végane. Avec pour conséquence que « si chacun d’entre nous est une somme infinie de spécificités, alors il ne peut pas y avoir de “nous” ». Il n’y a plus que des individus cherchant à se distinguer les uns des autres, enfermés dans l’affirmation de leurs irréductibles différences : « Les lesbiennes s’opposent aux transgenres, les féministes musulmanes s’opposent aux féministes laïques, les activistes décoloniales s’opposent aux féministes blanches, les queer s’opposent aux féministes, et les animalistes s’opposent à tout le monde. » L’atomisation de la société a brisé la saine dynamique de la lutte des classes.
Le Piège identitaire se veut journalistique. Bernabé s’en tient « à formuler des intuitions et suggérer des hypothèses ». Il le reconnaît avec franchise : « Cela permet d’économiser de l’énergie et du temps, surtout quand il n’est même pas sûr que des preuves tangibles soient disponibles. » Le résultat est un livre qui ne s’embarrasse pas de « justifier le moindre petit paragraphe avec une citation d’un auteur obscur », qui va vite, qui, avec un instinct souvent très sûr, frappe juste et fort.
Le politiquement incorrect est en général l’apanage de la droite et de l’extrême droite. Bernabé prouve qu’il peut tout aussi bien être de gauche, voire, comme lui-même, d’extrême gauche. Il a le sens de la formule. À propos du concept de « sororité », qui voudrait qu’il existe une solidarité entre toutes les femmes et que chacune doive se réjouir quand l’une d’entre elles accède à un poste de pouvoir, il note qu’« être une femme n’a rien de progressiste en soi ». Pour donner chair à ses idées, il s’appuie avec bonheur sur le cinéma et la télévision, montrant comment la critique sociale a peu à peu déserté ces médias : le premier Rocky ou le premier Rambo, si surprenant que cela puisse paraître, étaient des films de gauche, ancrés dans des problématiques de classe. On ne saurait en dire autant de leurs suites. Le deuxième volet du Parrain donnait une vision de la révolution castriste étonnamment positive. S’il existe toujours des cinéastes engagés, comme l’inoxydable Ken Loach ou Costa-Gavras, le temps est loin où nombre de grands films, comme Vol au-dessus d’un nid de coucou, Taxi Driver ou Voyage au bout de l’enfer, sans être explicitement de gauche, avaient une profonde portée sociale. Ce qui compte désormais, c’est de représenter les minorités.
L’un des principaux reproches qu’adresse Bernabé à l’activisme contemporain est qu’il s’attaque bien davantage aux symboles qu’aux réalités. Il va vouloir changer les mots et oubliera les choses, quand il ne contribuera pas à les aggraver un peu plus. Prenons l’exemple de l’écriture inclusive : « S’iels arrivaient à nous rendre toustes plus attentives à celleux qui sont invisibilisé.e.s, comme les amixs le sont les unxs pour les autres, on parviendrait sans doute à représenter à peu près tout le monde sur le plan linguistique, sauf que la plupart des gens ne comprendraient même pas de quoi on parle », se moque Bernabé. On pourrait ajouter qu’en allemand, contrairement au français, le féminin l’emporte sur le masculin au pluriel (on y emploie sie, « elles », pour « ils »). Pour autant, la société allemande demeure beaucoup plus « patriarcale » que la société française.
Nul besoin de partager toutes les analyses de Bernabé pour apprécier son livre. On y trouve, avouons-le, quantité d’approximations, de raccourcis. Il décrit plutôt bien et de façon plaisante les phénomènes, mais il pèche en remontant la chaîne des causes. Il est alors rattrapé par sa propre idéologie antilibérale.
Le grand coupable, à ses yeux, est le néolibéralisme, dont la politique de diversité aurait fait le jeu. Nous ne débattrons pas ici des mérites ou des ravages du néolibéralisme. En tout cas, y voir, comme le fait Bernabé, une force malfaisante presque sortie de nulle part a quelque chose d’insatisfaisant. Pourquoi, à partir de la fin des années 1970, les idées néolibérales s’imposent-elles dans un certain nombre de pays ? Bernabé élude cette question. Et, parce qu’il l’élude, il a tendance à inverser les rapports de causalité. Il voit dans le néolibéralisme une cause (la cause de tout !) alors qu’il n’est bien souvent qu’un symptôme. On se heurte là aux limites d’une vision purement marxiste de l’Histoire : la lutte des classes (que Bernabé a raison de remettre à l’honneur) n’en est pas le seul moteur. Comme Emmanuel Todd (autre grand politiquement incorrect de gauche) l’a démontré dans plusieurs ouvrages, ce qui donne aussi son mouvement à l’Histoire, c’est l’éducation : l’invention de l’écriture puis le développement de la lecture, l’alphabétisation d’abord d’une minuscule élite, puis des masses, enfin le développement des études supérieures. On ne peut comprendre l’émergence du néolibéralisme sans tenir compte du fait que, à partir du milieu des années 1960 aux États-Unis et une génération plus tard dans le reste du monde développé, cette expansion des études supérieures s’est limitée à environ un tiers de la population, créant une inégalité éducative nouvelle et infusant dans ces sociétés un sentiment inconscient d’injustice. De la même manière, comment expliquer l’atomisation de nos sociétés, leur incapacité à mener une action collective, sans évoquer leur déchristianisation finale à partir des années 1960, voire, comme le fait Todd dans son dernier ouvrage, l’émancipation des femmes ? Bernabé ignore ces liens. Cela ne l’empêche pas d’avoir écrit un livre aussi percutant que salutaire.
— B. T.
WP_Post Object ( [ID] => 118754 [post_author] => 51175 [post_date] => 2022-04-28 07:21:59 [post_date_gmt] => 2022-04-28 07:21:59 [post_content] =>Ferdinand Desoto n’a pas la notoriété d’autres conquistadors. Et pour cause : l’expédition dont il espérait tirer richesse et gloire fut l’un des plus retentissants fiascos du XVIe siècle. Pour lui, pas d’or à foison, mais une piteuse épopée entre la Floride et le Mississippi, au milieu de tribus pauvres et belliqueuses, aboutissant à une mort sans gloire en 1542. Des 700 hommes (soldats, aventuriers, bandits et missionnaires) qui l’avaient accompagné, une poignée seulement parvint à rejoindre, un an plus tard, la côte est du Mexique. C’est la dimension monumentale de cet échec qui a intéressé l’Autrichien Franzobel. Dans un ouvrage précédent, À ce point de folie (Flammarion, 2018), il avait relaté la sordide histoire à l’origine du Radeau de la « Méduse » [voir Books n° 91, septembre-octobre 2018]. Cette fois encore, il se révèle être un grand « amateur de grotesque et d’humour décalé, note Lerke von Saalfeld dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung. Toute l’entreprise évoque une danse macabre ». Pour contrebalancer la litanie des cruautés, Franzobel mêle à son intrigue un autre fil narratif, contemporain celui-ci : un avocat porte plainte contre les États-Unis. Il ne demande rien de moins que la restitution de l’ensemble du territoire américain aux indigènes.
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WP_Post Object ( [ID] => 118774 [post_author] => 51175 [post_date] => 2022-04-28 07:21:53 [post_date_gmt] => 2022-04-28 07:21:53 [post_content] =>Lorsque le Polonais Mateusz Janiszewski s’est embarqué sur les traces de l’Endurance, qui avait pris la route de l’Antarctique un siècle auparavant, nul ne savait exactement où gisait l’épave du navire d’Ernest Shackleton. Le bateau, coincé dans les glaces, avait été abandonné en 1915 par un équipage qui allait encore errer près d’un an à pied, en traîneau ou en canot avant de retrouver la civilisation. Quand, en 2018, Janiszewski a publié en Pologne le récit de son voyage, l’Endurance était encore « l’épave la plus difficile à trouver du monde », selon le géographe John Shears, interrogé par la BBC. Mais voilà que, début février 2022, au moment où sortait la traduction française du livre de Janiszewski, Un arc de grand cercle, une énième mission levait l’ancre pour aller sonder les profondeurs des eaux glaciaires : un mois plus tard, miracle !, l’épave était retrouvée, photographiée et filmée. Les médias du monde entier exhumaient son histoire, celle d’une expédition devenue mythique dans une zone que Shackleton avait décrite comme « la pire portion de la pire mer du monde ». À lire Mateusz Janiszewski, on comprend pourquoi.
[post_title] => Au bout du bout du monde [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => au-bout-du-bout-du-monde [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2022-04-28 07:21:54 [post_modified_gmt] => 2022-04-28 07:21:54 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=118774 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
Poussé ici dans ses retranchements, l’écrivain-marin-chirurgien-traducteur-voyageur de 46 ans est pourtant aguerri. Il a sillonné les mers et les océans, multiplié les missions humanitaires – on lui a décerné le prix Beata-Pawlak pour un reportage au Timor oriental. Et les sensations fortes, il les recherche, comme il l’explique dans son livre : pour lui, le voyage est un « impératif ». « Toujours sur le départ », écrit-il, animé par « le même besoin d’aller toujours plus loin », « [il] ne recule jamais, [il] ne [s’]arrête jamais ». Et de citer sans relâche un Herman Melville « hanté par la perpétuelle nostalgie de ce qui est loin ».
Parvenu cette fois au-delà du bout du monde, « là où il finit », « Janiszewski tient un sujet parfait pour réaliser un reportage d’aventures à la manière de Jacek Hugo-Bader », juge Polityka, en référence à l’un des fers de lance actuels du reportage littéraire polonais. Pourtant, selon l’hebdomadaire, Un arc de grand cercle est « plus un essai philosophique qu’un reportage classique » : « Certes, on peut y lire des passages sur la cruauté de l’océan, l’horreur de l’espace infini ou le massacre des baleines, mais celui qui s’attend à un simple récit de voyage se demandera bien vite où il est tombé. Les méditations de Janiszewski, qui jongle avec les métaphores et le jargon et assume son goût pour le faste baroque, les digressions lyriques et le pathos, peuvent submerger. »
Le magazine culturel Dwutygodnik confirme : « Un arc de grand cercle se lit comme l’examen de conscience de quelqu’un qui se rend compte que son mode de vie est hors norme. » Quelqu’un qui fuit « la foule et la trivialité », « les vies minuscules recroquevillées pour mourir », afin de se réfugier dans une solitude insoutenable, une monotonie insupportable, le poison du mal de mer, la torture du froid, le déchaînement d’un océan où il « entend partout la mort » mais où, « pourtant, la seule chose à laquelle [il est] capable de penser, c’est la vie ».
WP_Post Object ( [ID] => 118781 [post_author] => 51175 [post_date] => 2022-04-28 07:21:46 [post_date_gmt] => 2022-04-28 07:21:46 [post_content] =>De tous les grands fondateurs de religion, Zarathoustra est sans doute le plus mystérieux. On ignore quand et où il vécut exactement. Fut-ce au VIIe-VIe siècle av. J.-C. ou bien plutôt au XIe, voire au XVIe siècle ? Fut-ce dans le sud de la Russie actuelle, en Asie centrale, à l’est de l’Iran ou au cœur du Caucase, dans l’actuel Azerbaïdjan ? Et puis, a-t-il seulement existé ?
[post_title] => Parlons de Zarathoustra [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => parlons-de-zarathoustra [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2022-04-28 07:21:47 [post_modified_gmt] => 2022-04-28 07:21:47 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=118781 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
Pour répondre (ou tenter de répondre) à ces questions et à bien d’autres, l’Allemand Michael Stausberg examine les sources. Dans un ouvrage aussi bref qu’éclairant, il expose ce que l’on sait de Zarathoustra et de sa religion d’après les écrits avestiques (les plus anciens) et d’autres plus tardifs. Il décrit les « notions directrices », les divinités et les rites, certains fort singuliers. Ainsi des funérailles : interdiction étant faite d’enterrer autre chose que les os, le corps devait au préalable être livré aux charognards.
Aujourd’hui, les zoroastriens sont en voie de disparition. En Inde, l’un de leurs deux principaux foyers avec l’Iran, ils étaient encore environ 100 000 à la fin du XIXe siècle, mais, nous apprend Stausberg, ce nombre « se situe désormais en dessous de 60 000 ». En cause notamment le refus, à l’heure des mariages mixtes, de considérer comme zoroastrien un enfant dont le père ne l’est pas lui-même.