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Le palmarès publié par l’Union du livre russe est une photographie fidèle du marché du livre, mais aussi un baromètre de l’état d’esprit des Russes. Or, ce qui peut surprendre dans la compilation des données des quatre principales librairies du pays pour le premier semestre 2022, c’est qu’on n’y trouve aucun écho de la guerre déclenchée par la Russie en Ukraine le 24 février. En première position trône le livre de développement personnel de la journaliste biélorusse Olga Primatchenko, « Être tendre vis-à-vis de soi-même ». Faut-il y voir une quête de douceur en réaction à la violence des derniers mois ? 

Le succès du roman « L’été en foulard rouge » est plus inattendu. Il relate une romance naissante entre un jeune pionnier(membre d’une organisation de jeunesse communiste) et un animateur dans un camp de vacances du temps de l’URSS. Sorti en 2021, ce récit est vite devenu culte auprès des jeunes. Il faut dire que, depuis la loi de 2013 interdisant la « propagande homosexuelle » auprès des mineurs, la publication d’un tel livre n’a rien de banal. Une députée a saisi le Roskomnadzor, un organe de régulation des médias, afin de faire interdire ce roman qui, selon elle, discrédite le mouvement des pionniers. 

Pourtant, ce nouvel engouement du public russe pour la littérature homoérotique est confirmé par le succès du livre de Mo Xiang Tong Xiu, une auteure chinoise de « danmei », un genre centré sur la romance entre deux personnages masculins. Introduits en Chine dans les années 1990, ces romans bravent la censure et sont lus majoritairement par des femmes hétérosexuelles, notamment parce qu’ils ne mettent pas en scène le corps féminin et présentent les partenaires sur un pied d’égalité.

Dans un tout autre genre, l’essai historique de Boris Akounine nous ramène au début du XXe siècle. Il diagnostique « les raisons qui ont poussé le monde dans la Première Guerre mondiale et la Russie dans l’abîme révolutionnaire », selon Novaïa Gazeta. L’incurie du pouvoir russe, pour l’auteur, vient de l’« hypercentralisation » qui étouffe tout développement. Et d’appeler de ses vœux une gouvernance « horizontale ». On est tenté de mettre cet ouvrage en parallèle avec le roman La Grève, de la libertarienne Ayn Rand. En Russie, il figure parmi les livres les plus lus depuis la crise financière de 2008. « D’une société selon Marx, qui tentait de construire le bien commun, nous sommes passés à une société selon Darwin, où seuls survivent les plus forts », se désole Sergueï Medvedev sur le site Forbes, expliquant ainsi l’engouement des élites au pouvoir pour ce « livre médiocre ». 

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Les traumatismes ont leurs mérites, en littérature du moins. Les traumatisés ont en effet besoin de se raconter, et les lecteurs ont besoin d’histoires. Et quel meilleur réceptacle d’histoires que le divan du psychothérapeute, ce confessionnal horizontal ? Pourtant, sauf le psychanalyste qui est payé pour ça, personne ne voudrait se pencher sur les troubles et interminables ruminations d’autrui à l’état brut. On connaît certes quelques tentatives de restitution de cures sous une forme allégée, à commencer par celles de Freud par lui-même ; ou, mieux encore, celles de Freud que Mikkel Borch-Jacobsen a décrites à son tour avec plus de verve et d’impertinence (il communique tout de même l’impression que les patients de Freud, qui sont surtout des patientes, sortaient en général de leur analyse plus perturbés qu’avant et à peu près ruinés) 1.  

Mais le récit de cure demeurerait pur plaisir d’initié sans les ouvrages d’Irvin Yalom, psychothérapeute californien ultraréputé, devenu dans la seconde moitié de sa très longue vie romancier à succès. À coups de best-sellers, Yalom apporte la preuve qu’on peut faire à la fois le bonheur du patient et celui du lecteur. Son secret ? Yalom approche – et restitue – chaque cas « avec un sentiment d’émerveillement face au récit qui va se déployer » 2. La forme de cure qu’il pratique se focalise non pas sur le passé du patient mais sur son présent, et plus précisément sur la relation qui se noue là, en direct, dans le cabinet. De surcroît, au mépris de toutes les règles, Yalom lui aussi se dévoile. Si bien que se dessine devant le lecteur une véritable intrigue – un pas de deux amoureux à base de transfert et contre-transfert, plein de suspense. L’attirance réciproque thérapeute/patient(e) aura-t-elle raison de la déontologie ? Pas impossible : Carl Jung lui-même était bien tombé dans les bras de sa patiente Sabina Spielrein… Pour Yalom, voyez par vous-même. Et puis une autre intrigue, policière celle-là, vient s’ajouter à la première. Il s’agit de la quête subtile et pleine de fausses pistes du thérapeute traquant la vérité du patient et la source cachée de ses maux. Habilement narrée par Yalom, cette enquête palpitante fait aussi jaillir sur la page les grandes angoisses de ses personnages/patients – crainte de la mort, de l’abandon ou du deuil, qui est le cumul des deux. Les mots mis par Yalom sur leurs maux permettront au lecteur de détecter des afflictions familières. Il se trouvera moins seul et, comprenant autrui, se comprendra mieux lui-même, tout en s’amusant au passage. Quelle meilleure publicité pour la lecture ? 

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En Occident, la description des souffrances psychiques remonte au moins à Homère et à la Bible. Elle prend un nouvel essor lors du romantisme européen – que l’on pense à Goethe ou à Goya. Vers le milieu du XIXe siècle apparaît un phénomène nouveau : la reconnaissance d’une souffrance durable venue s’ajouter à la souffrance engendrée par un traumatisme initial – d’abord dans le sillage de ce dernier, après un accident grave ou l’épreuve du feu, puis, sous l’influence de la psychologie et de la psychanalyse, avec un effet retard significatif. Dans la seconde moitié du XXe siècle, la psychiatrie en vient à introduire, puis à banaliser, la notion de stress post-traumatique. 

Aujourd’hui, le « trauma » a complètement envahi notre paysage mental. Mis à toutes les sauces, il résonne sur les réseaux sociaux, dans les romans, le cinéma, le théâtre, les séries, les procès, les commémorations, la politique. Le premier article de notre dossier s’interroge, avec quelque impertinence, sur son impact dans la littérature et le septième art. Le deuxième évoque l’avalanche de best-sellers produits sur le sujet par des « psys » qui nous veulent du bien. Le troisième, plus acide, met en cause les effets jugés pervers de cette profession. Le dernier apporte le recul de l’historien et propose un surprenant retour sur une inquiétude exprimée par Goethe. En quête d’explications, nos auteurs formulent plus de questions qu’ils n’apportent de réponses. À vous de juger. 

Dans ce dossier :

[post_title] => L’ère du traumatisme [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => lere-du-traumatisme [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2022-09-01 06:49:46 [post_modified_gmt] => 2022-09-01 06:49:46 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=121609 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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Le poète élisabéthain John Donne a été « particulièrement gâté par ses biographes », note l’hebdomadaire The Spectator – à commencer par son ami Izaak Walton, qui fut le premier à écrire le récit de sa vie. Parmi les ouvrages qui ont fait florès, on compte John Donne: A Life (Oxford University Press, 1970) de R. C. Bald, John Donne: Life, Mind and Art (Faber & Faber, 1981) de John Carey ou, plus récent, John Donne: The Reformed Soul: A Biography (W. W. Norton & Company, 2007) de John Stubbs. À cette liste est venu s’ajouter, au mois d’avril, l’ouvrage de Katherine Rundell, universitaire, spécialiste de John Donne et auteure de livres à succès pour enfants, qui a immédiatement séduit les lecteurs britanniques (sa parution aux États-Unis est prévue pour septembre). C’est « un des best-sellers les plus inattendus de l’année », assure The Sunday Times, qui l’a placé en tête de son influent palmarès des meilleures ventes. Quant aux critiques, ils évoquent une biographie « habile », « sensible », « pleine d’esprit », « rafraîchissante ». « Super-Infinite, de Katherine Rundell, est un livre merveilleusement donnien, salue ainsi The Spectator. Il s’inscrit dans une longue lignée de travaux bienveillants et érudits sur le poète, tout en saisissant avec une intelligence rare la variété et la richesse de son sujet. »

Né en 1572, Donne aura été tour à tour étudiant en droit, poète, soldat, député, pirate, essayiste, courtisan et prédicateur. De confession catholique, la famille de Donne subit de plein fouet les persécutions religieuses qui suivent le schisme anglican (son frère meurt en prison pour avoir hébergé un prêtre). Après de brillants passages à Oxford (où il est privé de diplôme en raison de sa religion) et à Cambridge, il rejoint Londres pour étudier le droit à Thavie’s Inn, puis à Lincoln’s Inn. 

De cette époque datent ses premiers poèmes, empreints d’une sensualité exubérante et d’irrévérence à l’égard des puissants. Pour Rundell, le jeune Donne n’était pas le libertin qu’on a l’habitude de dépeindre, relève l’hebdomadaire New Statesman : « Il est indéniable, en revanche, que sa poésie est profondément charnelle, d’une complexité intellectuelle et métaphysique quasi démente. » « Les premiers chapitres donnent corps à un Donne sexy, nous faisant revivre l’émotion de la première rencontre avec sa poésie amoureuse lorsque nous étions adolescents », commente de son côté The Times Literary Supplement, avant de citer le poème « La puce », l’un des plus emblématiques.

En 1596 et 1597, John Donne prend part à l’expédition britannique commandée par Robert Devereux, 2e comte d’Essex, à Cadix et aux Açores. À son retour, il entre au service de sir Thomas Egerton, garde des Sceaux, dont, en décembre 1601, il épouse en secret la nièce, Ann More, âgée de 16 ans, au péril de sa carrière. Le poète ne peut en outre se retenir de signer son audace d’un jeu de mots en écrivant au père de la jeune mariée : « It’s irremediably done », « C’est sans appel » (done sonnant comme Donne), rappelle The Spectator. Destitué de son poste, un temps emprisonné, il plonge dans la précarité alors même que sa famille s’agrandit : Ann More, dont la figure occupe une place importante dans l’ouvrage de Rundell, lui donnera douze enfants en seize ans (six mourront en bas âge).

Le parti pris stylistique risque de faire tiquer certains lecteurs, prévient cependant The Times Literary Supplement. La biographe dépeint ainsi Donne en jeune homme fringant, arborant un chapeau « assez grand pour y faire naviguer un catamaran ». Ou écrit que « sa beauté aurait mérité une musique d’accompagnement, un luth rock’n’roll ». Elle raconte même que le grand sceau d’Angleterre était conservé « dans une bourse brodée de complexes entrelacs de perles d’or, le genre d’accessoire que les lycéennes rêvent d’exhiber en soirée ». Malgré ces anachronismes inopinés, « il y a des passages moins clinquants à savourer », relativise le journal, notamment lorsque l’auteure s’interroge sur les raisons de la conversion de Donne à l’anglicanisme, ou encore lorsqu’elle « nous émeut en décrivant un Donne qui affronte l’adversité, la souffrance physique, les malheurs et le désespoir, un mortel obsédé par sa propre finitude ». À la fin de sa vie, les écrits de Donne prennent une teneur de plus en plus dévote. En 1621, il est nommé doyen de la cathédrale Saint-Paul de Londres, où ses prêches connaissent un formidable succès. Les fidèles s’y pressent « simplement pour le voir prêcher depuis la chaire, pour éprouver l’énergie émanant de ses paroles », note le New Statesman. À l’instar de Donne, Rundell affirme que son livre est « un acte d’évangélisation ». Mission accomplie pour cette prosélyte qui voulait convertir les lecteurs d’aujourd’hui à la poésie quadricentenaire de Donne. 

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« Un dauphin qui écholocalise un humain est capable de percevoir sa forme extérieure, mais aussi ce qu’il a à l’intérieur. Les embryons de grenouille arboricole peuvent détecter les vibrations d’un prédateur et dissoudre l’enveloppe qui les abrite, ce qui leur permet de s’échapper », égraine Jennifer Szalai dans The New York Times. Le nouveau livre d’Ed Yong, journaliste scientifique pour The Atlantic, foisonne de faits étonnants sur la perception animale. « Le fait que j’aie été si souvent surprise à la lecture de An Immense World […] témoigne des dons de conteur d’Ed Yong », poursuit Szalai. Propulsé rapidement au rang de best-seller, l’ouvrage est structuré autour d’une succession de stimuli associés aux sens correspondants, depuis l’odorat jusqu’à la capacité de certains animaux à détecter le champ magnétique terrestre. Guère porté sur le jargon, l’auteur recourt au terme allemand Umwelt (« environnement »), qui avait été utilisé par le pionnier de l’éthologie Jakob von Uexküll pour désigner le monde perceptif d’un animal – sa bulle sensorielle. Ed Yong « nous rappelle que, “en dépit de notre intelligence tant vantée”, notre Umwelt n’est qu’un parmi des millions d’autres », commente The New Yorker

[post_title] => Dans la bulle sensorielle des animaux [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => dans-la-bulle-sensorielle-des-animaux [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2022-09-01 06:32:36 [post_modified_gmt] => 2022-09-01 06:32:36 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=121817 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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Mia est une écrivaine danoise mordue par la « faim » d’enfanter depuis sa jeunesse. À 35 ans, alors que la vie l’a sevrée de ce côté-là, elle se lance dans un traitement contre l’infertilité avec le soutien de son compagnon, Emil, qui a déjà deux enfants d’un précédent lit. Et, parce que cette démarche l’empêche d’écrire un nouveau livre, elle se résout à tenir un journal intime. 

C’est celui-ci que Tine Høeg donne à lire en guise de troisième roman, clairement autobiographique. « Un journal, c’est désordonné et potentiellement sans fin, la seule forme, donc, qui puisse contenir la honte, le chagrin et la déception endurés par Mia », observe le quotidien danois Politiken

Sur quoi écrit Mia, jour après jour, pendant neuf mois ? Sur l’épuisant traitement, les difficultés qu’ Emil  et elle traversent, y compris dans leur sexualité. Sur le fait de savoir qu’une amie va avorter alors qu’elle-même se bat pour un fœtus qui ne vient pas. Sur la faim pendant la grossesse, la jalousie de voir son compagnon déjà papa ou encore la communion qu’elle perçoit entre les deux enfants de celui-ci et leur mère lorsqu’elle se trouve avec eux.

En résumé, « la banalité du quotidien enrichie d’explications tout aussi banales sur le traitement », glisse un autre quotidien, Berlingske. « Bien que Sult soit écrit dans le style caractéristique de Tine Høeg, avec peu de vir­gules et de majuscules, pas de points, des retours à la ligne soudains, de grands espaces entre les lignes et souvent très peu de mots sur les pages, ces qualités stylistiques ne parviennent pas à sortir le texte de la tristesse » qui en émane, estime le quotidien danois. Triste aussi est la langue employée, à en croire Berlingske, malgré des passages où « l’écriture se déploie magnifiquement […], sans fioritures, avec un humour subtil ». Cet ouvrage, conclut-il, « s’apparente à une source de consolation pour les lecteurs dans la même situation que l’auteure, et il n’y a rien de mal à cela. Mais ce n’est pas ce dont est faite la grande littérature ».

D’autres titres sont admiratifs. Grâce à son style particulier, « le roman déroule sa poésie vibrante sur les pages », se métamorphose en « un espace passionnant entre sens et non-sens linguistiques et existentiels », et « le langage commun devient art », dissèque Information. « La lutte pour tomber enceinte et créer une nouvelle littérature », titre pour sa part Jyllands-Posten, qui voit en Sult le meilleur des romans de cette trentenaire. Le plus grave aussi, pointe-t-il, en se demandant « où se situe la frontière entre l’auteure elle-même et la protagoniste du roman ». De fait, sur les réseaux sociaux, Tine Høeg ne fait pas mystère de ce qu’elle aussi a suivi un traitement. Un sujet qui « a trop longtemps été entouré de tabous, un défi que les couples devaient relever seuls. Mais ils ne sont pas seuls, insiste Politiken. Environ un bébé danois sur dix naît aujourd’hui après une forme de traitement contre les troubles de la fertilité. Celui que porte désormais Tine Høeg est attendu en septembre. 

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Le 23 mai 1992, le juge sicilien antimafia Giovanni Falcone mourait dans un attentat : Cosa Nostra avait placé 500 kilos d’explosifs sous l’autoroute entre l’aéroport et la ville de Palerme, puis déclenché la mise à feu au passage du convoi de Falcone. L’Italie devait à ses méthodes d’enquête une victoire historique de la justice contre la mafia : le « maxi-procès de Palerme », en 1986-1987, qui avait débouché sur 360 condamnations. Parmi les publications marquant le trentième anniversaire de la mort du juge se trouve le dernier roman de Roberto Saviano (journaliste et écrivain napolitain qui vit sous escorte policière depuis 2006), « fruit d’un gigantesque travail de reconstruction », lit-on dans la revue Pulp Libri. L’auteur s’en est expliqué dans une interview : il s’agit de « rassembler toutes les informations et de bâtir une histoire narrative où les passages dialogués sont reconstruits par le biais de la recherche ». Une façon pour Saviano de rendre hommage au courage d’un homme qui a dû affronter l’adversité, y compris au sein de la magistrature, dans son combat contre la mafia. Il met aussi en cause les personnes qui ont entravé le travail du magistrat. Comme le disait Falcone : « On meurt souvent parce qu’on ne dispose pas des alliances nécessaires, qu’on est privé de soutien. » 

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Néogothiques, écologi­ques, noirs, sanglants, fol­kloriques, pornographiques… « Les romans de Miloš Urban ont un double effet sur le lecteur, estime l’hebdomadaire tchèque Respekt. Leur lecture est divertissante, grâce à l’ingéniosité avec laquelle l’auteur joue avec les genres, élabore des intrigues mystérieuses et crée une atmosphère captivante. Et puis le lecteur apprend plein de choses, par exemple sur l’architecture, la mycologie ou le design des voitures. » L’architecture en question, c’est souvent celle de Prague, comme dans Les Sept-Églises (Au Diable Vauvert, 2010) ; les champignons étaient au cœur de Boletus arcanus, l’industrie automobile au cœur de Praga piccola. Il y a eu aussi l’histoire et les légendes tchèques, ou encore la culture anglaise…

Dans « L’usine de viande », Miloš Urban, lui-même usine à best-sellers, renoue avec l’univers de la production de masse, passant des carrosseries rutilantes aux carcasses sanglantes. Prague reste le protagoniste et, cette fois, le récit est centré sur les années 1920, époque où la capitale de la toute nouvelle première République tchécoslovaque était en plein développement. Il avait alors été décidé, pour des raisons d’économie et d’hygiène, de concentrer la production de viande dans le quartier populaire de Holešovice, au sein d’un complexe si grand qu’il devint une ville dans la ville, avec ses alignements de baraquements, son propre approvisionnement en eau et en énergie, ses entrepôts et sa banque. Un « enfer qui nourrissait tout Prague et une partie de la Bohême-Centrale », selon Urban.

Dans le roman, ces abattoirs malodorants et bruyants ont mauvaise réputation ; M. Hebvábný est embauché pour la redorer. C’est « un homme renfermé, un peu sarcastique, intelligent », selon le site d’information Aktualne.cz. Urban introduit pour la première fois de sa carrière de romancier la problématique du genre – pas très défini chez Hebvábný. Mais la tâche est difficile. Alors que, en pleine quête d’identité, le héros se laisse entraîner dans une double vie de débauche, synonyme de désintégration familiale, des restes humains sont découverts dans le four de l’usine d’équarrissage...

« Le revers sanglant de la moder­nité est un thème récurrent dans les œuvres d’Urban », note Aktualne.cz, surtout en référence à Lord Mord, roman dans lequel les pires atrocités s’abattent sur le quartier juif de Prague lors de son assainissement. Mais, pour le site, Urban est ici au sommet de son art : « Il est comme un poisson dans l’eau, il écrit avec virtuosité, ses dialogues sont souvent somptueux. » De quoi faire de ce « poète et archiviste de paysages perdus », selon iLiteratura, « l’une des voix les plus originales et les plus reconnaissables de la littérature tchèque contemporaine ». 

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Vous êtes paléontologue et professeure de paléoclimatologie à l’Université de Tübingen. Dans votre livre, vous contestez la théorie la plus couramment admise sur l’origine de l’homme, selon laquelle notre lignée est née en Afrique. Sur quels fondements ?

Je conteste non pas l’« out of Africa », qui concerne Homo sapiens et ses ancêtres directs, mais ce qu’on pourrait appeler l’« Africa only », une conception selon laquelle toutes les étapes décisives de l’évolution humaine ont eu lieu en Afrique, aussi bien l’évolution de l’australopithèque que celle du chimpanzé, du gorille et des ancêtres que nous partageons avec eux.

Le concept « out of Africa » remonte aux années 1980. Il a été forgé par un anthropologue allemand, Günter Bräuer, et s’appliquait alors à Homo sapiens, l’homme moderne. D’après cette vision des choses, Homo sapiens est apparu en Afrique avant de se répandre en Asie et en Europe. Plus tard, le concept s’est élargi au genre Homo. On a affirmé qu’un Homo primitif, en général Homo erectus, était parti d’Afrique pour migrer en Eurasie. On distingue donc deux « out of Africa ».

Dans mon livre, je remarque juste que les données ne sont pas sûres à 100 %. Homo, nous dit-on, apparaît en Afrique avec les premiers outils, il y a environ 2,6 millions d’années. Peu auparavant, il y avait des australopithèques – dont Lucy, vieille de 3,2 millions d’années, est le spécimen le plus connu. Or il n’existe aucun fossile qui, de façon claire et univoque, montre l’évolution d’Australopithecus afarensis à Homo. Il y a donc un trou du point de vue de la morphologie, un saut. Je n’exclus pas qu’Homo soit apparu en Afrique et qu’il ait ensuite migré. Mais, à l’heure actuelle, les données restent lacunaires. Nous avons, par ailleurs, découvert des outils en Inde qui sont aussi anciens que les plus vieux outils africains. Et il y en a aussi en Chine qui sont, certes, plus récents, mais de peu. Donc rien n’est très certain.

Vous suggérez surtout que la séparation entre la lignée humaine et celle des autres grands singes qui existent encore aujourd’hui, comme le gorille et le chimpanzé, pourrait avoir eu lieu en Europe. Ce qui, en un sens, revient à y situer l’origine de l’humanité. Comment est-ce possible ?

Je dispose – et pas seulement moi, d’autres aussi, comme le Canadien David R. Begun 1 – de données qui montrent que certaines étapes décisives de l’évolution lointaine des grands singes et de la lignée humaine n’ont pas eu lieu en Afrique. Je peux l’affirmer en m’appuyant sur mes propres recherches.

Mes premiers doutes remontent à 2009, quand un collègue et ami bulgare, Nikolai Spassov, qui dirige le Muséum national d’histoire naturelle de Sofia, a découvert à Azmaka, près de Tchirpan, au cœur de la Bulgarie, une dent qui ne pouvait appartenir qu’à un hominidé et qui était vieille de 7 millions d’années. C’était en complète contradiction avec la doctrine dominante selon laquelle les grands singes étaient alors depuis longtemps éteints en Europe. J’ai très vite fait le lien avec une publication du géologue Bruno von Freyberg, datant de 1949, où il rendait compte de la découverte qu’il avait faite en 1944 d’une mandibule à Pyrgos, en Grèce. Il évaluait son âge à environ 7 millions d’années et, en 1969, le paléoanthropologue Gustav Heinrich Ralph von Koenigswald, en l’examinant, avait conclu qu’il s’agissait d’un grand singe jusqu’ici inconnu. En hommage à son découvreur, il l’avait baptisé Graecopithecus freybergi. Aussi bien la datation reculée que l’attribution à un grand singe avaient suscité au mieux de l’indifférence, et souvent des moqueries.

J’y ai donc repensé et je me suis dit qu’il fallait réexaminer cette mandibule avec des moyens modernes. Problème : elle avait disparu ! J’ai mis deux ans à la retrouver, elle était dans un Tupperware, lui-même enfermé dans un coffre-fort ! Mais le jeu en valait la chandelle : ce que mon équipe et moi avons découvert nous a stupéfiés.

Qu’avez-vous découvert, et grâce à quelles méthodes ?

Lorsque Koenigswald avait décrit la mandibule, on ne pouvait pas encore examiner l’intérieur du fossile. La tomographie 2 n’existait pas. Là – nous étions en 2015 –, nous avons pu soumettre le fossile aux rayons X et nous nous sommes aperçus que les racines d’une des prémolaires étaient fusionnées à 50 %. Or cette fusion est caractéristique de la lignée humaine. Chez l’homme moderne, la fusion est complète. Chez l’australopithèque, elle est partielle. En revanche, chez les autres grands singes, les racines sont écartées.

Qu’avez-vous conclu de ces racines dentaires ainsi fusionnées ?

Eh bien ! qu’on avait affaire à un fossile qui évoquait beaucoup plus certaines espèces de préhumains africains comme l’australopithèque qu’un grand singe disparu. Avec cette différence que les fossiles africains sont beaucoup plus tardifs. Ils datent de 5,5 à 2 millions d’années. Le grécopithèque dont Bruno von Freyberg a exhumé la mandibule à Pyrgos vivait il y a 7,175 millions d’années – nous avons pu l’établir de façon précise grâce, entre autres, à des analyses paléomagnétiques. Et la molaire de Bulgarie, qui appartient elle aussi à un grécopithèque, est plus vieille d’environ 80 000 ans. Cette période représente pile le moment où, sur la base des données génétiques dont nous disposons, la lignée évolutive humaine venait très probablement de se séparer de celle des chimpanzés, nos plus proches parents toujours existants. Autrement dit, Graecopithecus pourrait bien être notre plus lointain ancêtre, le premier représentant de la lignée spécifiquement humaine. Et il vivait non pas en Afrique, mais en Europe.

Vous avez, par ailleurs, mis au jour un grand singe jusqu’ici inconnu, qui, lui, se situerait peut-être en amont de cette divergence. Et ce… en Allemagne ! Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Oui, là encore, cela vient contredire la doctrine dominante qui voudrait que tout se soit passé en Afrique… Pour y voir plus clair, peut-être faut-il remonter dans le temps et retracer brièvement l’évolution des singes sur la très longue durée. Nous savons que les singes primitifs sont arrivés d’Asie en Afrique il y a environ 35 millions d’années, et c’est bien en Afrique que se sont développés les premiers grands singes, qui ont pour particularité d’être dépourvus de queue. Mais, entre 14 millions et 7, voire 6 millions d’années, nous sommes confrontés à une absence de fossiles sur le continent africain. Or c’est précisément de cette période que datent les fossiles de grands singes qui ont été retrouvés en Europe…
Par exemple, le fameux dryopithèque, découvert en France au XIXe siècle, décrit par le paléontologue Édouard Lartet et qui aurait vécu il y a 11 à 12 millions d’années. Mais aussi Danuvius guggenmosi, mis au jour par mon équipe en 2015 dans le sud de l’Allemagne et que nous avons surnommé « Udo » parce que, le jour de sa découverte, la radio diffusait en boucle les chansons d’Udo Lindenberg.

Qu’est-ce qu’Udo a de particulier ? Pourquoi est-il si important pour l’histoire de l’évolution humaine ?

C’est le meilleur matériau concernant cette époque jamais exhumé. Il remonte à 11,6 millions d’années et nous disposons d’environ 15 % de son squelette, ce qui est exceptionnel. Les autres découvertes en Europe sont souvent des fragments isolés liés à une seule partie du corps, et non des os de l’ensemble du squelette. En France, par exemple, je crois qu’on a trouvé trois mâchoires et un humérus fragmentaire. C’est bien, mais c’est trop peu, notamment pour déterminer comment le dryopithèque se déplaçait. Pour Udo, nous disposons d’os du crâne, de la colonne vertébrale, des bras, du pied, des jambes, d’éléments de la main, du coude, et même d’une rotule. Nous avons une idée de la manière dont fonctionnaient ses hanches, ses genoux et ses pieds  – toutes les zones importantes ayant trait à la locomotion.

Et qu’en avez-vous déduit ?

Que Danuvius était sans doute bipède. Au niveau des doigts – qu’il avait courbés – et des bras – qu’il avait longs –, il était semblable au chimpanzé, et cela en fait une espèce arboricole. Mais, au niveau des jambes et des pieds, il s’apparentait en partie à un homme et présente des indices de bipédie. Son gros orteil était, certes, opposable comme celui d’un chimpanzé, signe qu’il pouvait saisir des branches avec. Mais il le faisait avec les genoux et les hanches tendus, comme ceux de l’homme. Chez les grands singes non humains comme le chimpanzé, la poitrine est étroite et profonde. Cela tient au fait que ce sont des quadrupèdes. Or Danuvius avait une poitrine large et plate, comme nous. De même, sa colonne vertébrale était déjà en forme de S. Cela signifie qu’au niveau des hanches elle était très mobile. Il pouvait bouger le bassin comme une danseuse du ventre ! Un chimpanzé n’en est pas capable, il est trop raide à ce niveau-là. Une nécessité pour lui, car, quand il grimpe à un arbre, il faut que son corps reste très proche du tronc ou des branches. De notre côté, nous avons besoin de hanches mobiles afin d’équilibrer notre centre de gravité quand nous marchons. 

Le schéma anatomique de Danuvius n’est donc pas du tout similaire à celui d’un chimpanzé, ni à celui d’un gorille. Il n’est, bien entendu, pas identique non plus à celui d’un homme. Mais il présente plus de ressemblances avec un homme qu’avec un chimpanzé. 

Si je vous comprends bien, cela voudrait dire qu’un grand singe ayant peut-être vécu avant notre divergence d’avec les autres grands singes encore existants était non pas quadrupède mais bipède, et que la bipédie est bien plus ancienne qu’on l’a longtemps supposé…

À vrai dire, il est difficile de situer exactement Udo dans l’arbre généalogique des grands singes. Est-il l’un des derniers ancêtres communs de l’homme et des grands singes encore existants ? Se situe-t-il ultérieurement dans l’évolution, par exemple après la divergence du gorille d’avec le chimpanzé et l’homme ? Plus tard encore ? Appartient-il à la lignée spécifiquement humaine ? Ou bien à la lignée spécifique du gorille ou à celle du chimpanzé ? Dans l’état actuel de nos connaissances, impossible de le dire. 

Toujours est-il que ces découvertes à propos d’Udo posent effectivement une question dérangeante : l’anatomie humaine est-elle quelque chose de moderne, de nouveau ? Ou bien est-elle primitive ? Udo semble, de toute évidence, très moderne, très « humain ». Mais à quoi ressemblaient les préchimpanzés et les prégorilles ? Pour l’heure, on raconte l’histoire ainsi : le chimpanzé n’a jamais changé, il a toujours été aussi primitif, il est toujours resté tel qu’il était au départ. Et, quand on imagine notre ancêtre commun, on le voit en général plus proche du chimpanzé que de l’homme. Pourtant, tout cela n’est absolument pas prouvé. On ne dispose d’aucun fossile de chimpanzé archaïque ni de gorille archaïque. Pourquoi ? Certains ont dit que c’était parce qu’ils se trouvaient dans la forêt vierge et que ce n’est pas un terrain propice à la préservation des fossiles. Certes, mais à quoi penserait-on reconnaître un fossile de préchimpanzé ? À ce qu’il serait quadrupède. Pourtant... et si le chimpanzé archaïque ne ressemblait pas au chimpanzé actuel, s’il était plus primitif parce que bipède ? On a tendance à classer d’office les fossiles de bipèdes comme des fossiles de préhumains. On a peut-être tort.

Vous voulez dire que la quadrupédie pourrait s’être développée après la bipédie ?

C’est toute la difficulté quand on tente de reconstituer l’arbre généalogique des espèces, que l’on travaille sur la phylogénie 3. Il faut toujours se demander quel est le trait primitif et quel est le trait dérivé. Et ce jugement est parfois très subjectif, surtout quand on a affaire à des fossiles qui sont proches de ceux d’êtres humains. Nous partons toujours du principe que l’homme constitue le couronnement de la création et que tout ce qui est antérieur est nécessairement primitif. Or ce qui est vieux peut être très moderne.

Une anecdote amusante : lorsque j’ai publié mon livre et les résultats de mes recherches sur Danuvius dans Nature, j’ai reçu un colis de France, sans mention de l’expéditeur. À l’intérieur, un livre. Rien d’autre. Ce livre a été écrit par une scientifique française, Yvette Deloison 4. C’est peut-être elle qui me l’a fait parvenir, ou l’un de ses proches. Cette chercheuse au CNRS a toujours dit que la marche debout était primitive et que c’est l’anatomie du chimpanzé qui est moderne, c’est-à-dire biologiquement dérivée, secondaire. Elle a consacré sa vie à tenter de le démontrer, sans doute en se heurtant à beaucoup de difficultés parce que la plupart des gens refusaient de l’admettre. Il faut dire que c’est assez contre-intuitif.

Vos propres découvertes se sont-elles heurtées à des résistances ?

Elles ont certainement amené beaucoup de chercheurs à réfléchir. La description de Graecopithecus a suscité une réponse de chercheurs sud-africains, qui ont essayé de prouver qu’il était improbable qu’il s’inscrive dans la lignée humaine. Mais nous y avons répondu, et je pense que nous avons démontré que leurs arguments n’infirment pas les nôtres. Même chose pour Danuvius. Il y a eu une réaction en 2019 dans Nature. Nous y avons répondu. Et, là encore, il me semble que nos arguments ont non seulement résisté à la critique mais en sont sortis renforcés. Nous avons pu les étayer avec des données supplémentaires. Donc je ne parlerais pas de « résistances », ni de dissensions, même s’il y a eu un groupe de peut-être cinq personnes qui ont profité de l’occasion pour se faire de la publicité en rédigeant ces réponses ! Il ne faut pas oublier que c’est comme ça que ça marche... Du reste, les désaccords font partie de la science. C’est normal. Bien entendu, parfois, je souhaiterais qu’il en aille un peu différemment. Par exemple qu’un de ces auteurs vienne à Tübingen examiner l’original. Mais ils ne le font pas. Ils écrivent en s’appuyant sur notre seule publication. Tout paléontologue sait pourtant qu’on ne peut pas remplacer l’original, pas même par une reproduction en trois dimensions. 

Dans votre livre, vous remettez en cause beaucoup des théories traditionnelles. Il y en a pourtant une que vous ne battez pas en brèche : c’est l’hypothèse de la savane. Que dit-elle ? 

Cette théorie remonte au début du XIXe siècle et à Jean-Baptiste de Lamarck, qui avait déjà su formuler les concepts et problèmes essentiels. Il réfléchissait à la façon dont on passe de la quadrupédie à la bipédie. Son idée était que les quadrupèdes vivaient dans les arbres parce que c’est beaucoup plus simple de se déplacer ainsi dans ce milieu, et que c’est le passage d’un écosystème forestier à un écosystème de savane, où les arbres se font bien plus rares, qui aurait entraîné le développement de la bipédie. 

N’est-ce pas contradictoire avec ce que vous expliquiez plus haut sur une éventuelle antériorité de la bipédie ?

Il faut bien comprendre qu’il n’y a pas d’un côté la quadrupédie et de l’autre la bipédie, avec rien du tout entre les deux. Il existe de nombreuses variantes de la bipédie. La variante Udo, par exemple, est une bipédie dans les arbres avec une adaptation des bras en conséquence. Il est certain qu’Udo ne pouvait pas courir. Mais, quand il était au sol, il se tenait sur ses deux jambes. Ardipithecus, en Afrique, présente une adaptation très similaire. C’est une autre manière d’être bipède. L’extension de la savane pourrait avoir contraint nos ancêtres à améliorer leur bipédie, à apprendre notamment à courir.

Vous expliquez justement dans votre livre que cette extension de la savane a eu lieu en Europe. On associe pourtant plutôt cet écosystème à l’Afrique…

La savane évoque bien sûr l’Afrique, mais l’Afrique d’aujourd’hui. À l’époque qui m’intéresse, il n’y avait pas de savane en Afrique, le Sahara était verdoyant. En revanche, entre – 9 millions et – 6 millions d’années, on sait qu’une immense savane a pris forme sur le pourtour méditerranéen et au-delà, depuis l’Espagne jusqu’au Pakistan inclus. Et c’est dans cet écosystème que se sont développés tous les animaux qu’aujourd’hui nous considérons comme typiquement africains : la girafe, le lion, la hyène… L’exception, c’est l’éléphant, qui, lui, est vraiment africain. Le zèbre et l’âne viennent, quant à eux, d’Amérique du Nord ; ils ont traversé toute l’Asie. 

Comment tous ces animaux se sont-ils finalement retrouvés en Afrique ?

L’assèchement de la Méditerranée, il y a 5,6 millions d’années, pendant ce qu’on appelle la « crise de salinité messinienne », pourrait avoir joué un grand rôle – non pas au sens où les animaux auraient pu la traverser (cela restait impossible), mais au sens où cet assèchement aurait entraîné la constitution d’un désert très aride à l’est, en Mésopotamie, à la jointure de l’Eurasie et de l’Afrique. Ce désert, en s’étendant, a repoussé toujours plus loin les zones de savane, contribuant à disperser les êtres vivants qui s’y trouvaient auparavant. C’est précisément à cette époque que les hyènes et les grands félins arrivent en Afrique. Il est tout à fait possible que les ancêtres bipèdes de l’homme, habitant le bassin méditerranéen, les aient accompagnés. Tout comme, du reste, les ancêtres des chimpanzés et des gorilles : eux aussi étaient peut-être encore bipèdes à l’époque et ne seraient passés à la quadrupédie qu’une fois parvenus dans la forêt équatoriale africaine. 

Ce désert très aride s’est maintenu 2 millions d’années et, pendant tout ce temps, il a bloqué la sortie des êtres vivants hors d’Afrique. C’est ainsi qu’a pu se développer en Afrique, de façon endémique, c’est-à-dire indépendante, quelque chose de nouveau, et qu’a pu notamment y émerger l’australopithèque. Mais ces développements africains, comme on le voit, sont assez tardifs à l’échelle de notre longue histoire évolutive.

Et Homo sapiens, où est-il apparu ?

Il existait sans nul doute en Afrique il y a plus de 200 000 ans. Mais certains de ses premiers représentants ou de ses ancêtres directs ont été retrouvés au Maroc, en Grèce et dans la région du Levant. Au vu de ces éléments, déterminer où l’espèce a émergé n’a rien d’évident. Et je peux très bien concevoir que les plus vieux Homo sapiens vivaient sur le pourtour méditerranéen autant qu’en Afrique.

Je tiens toutefois à préciser que je ne suis pas spécialiste de cette période relativement récente. Pour ma part, je travaille sur une période très antérieure, et c’est à elle qu’est consacré l’essentiel de mon livre. 

— Propos recueillis par Baptiste Touverey.

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Cest lors d’un trajet en train entre Richmond et Waterloo que Virginia Woolf a croisé la femme qui pleurait. Petite chose aux traits tirés, aux larmes silencieuses, elle n’aurait pu deviner qu’elle était sur le point d’être enrôlée dans un débat sur l’avenir de la fiction. Woolf l’a convoquée dans un essai de 1924, Mr. Bennett and Mrs. Brown : « Tous les romans commencent par une vieille dame dans le coin d’en face » – un personnage qui éveille l’imagination. Le roman anglais ne doit pas l’oublier, écrit Woolf, au risque de disparaître. L’intrigue et l’originalité comptent pour du beurre si l’écrivain ne peut donner vie à cette malheureuse dame. Partant de là, de façon presque irrépressible, Woolf se met à tisser elle-même une histoire – la petite maison qu’occupait la vieille dame, les oursins qui la décoraient, son habitude de prendre ses repas dans une soucoupe –, s’attardant sur des détails d’une densité étrange et sombre, de façon à transmettre quelque chose de l’essence de cette femme.

Les oursins, cette soucoupe, cette personnalité : pour les faire apparaître, explique Woolf, un écrivain puise dans son caractère, son époque, son pays. Un romancier anglais dépeindra la dame comme une excentrique, couverte de verrues et de rubans. Un Russe en fera une âme sans attaches, errant à travers les rues en « posant à la vie quelque grande question ».

Comment les romanciers d’aujourd’hui dépeindraient-ils la Mrs Brown de Woolf ? Quel est notre archétype ? On nous la présenterait, j’imagine, de profil, à peine dessinée. Une personne renfermée, secrète, exhalant un parfum de blessure dont on ignore la nature. Distante, déroutante, se retranchant dans de soudains silences et réagissant de manière impulsive. Quelque chose la ronge, l’isole, la rend indéchiffrable, jusqu’à ce qu’elle perde soudainement le contrôle et que son histoire, sous forme de confession ou de flash-back, vienne à se dérouler.

La trame pourra être plus ou moins élaborée, mais, que ce soit sur le papier ou sur écran, une intrigue – celle du traumatisme – a progressivement pris le pas sur toutes les autres.

Contrairement au roman classique, l’intrigue-traumatisme n’oriente pas notre curiosité vers l’avenir (vont-ils ou non se marier ?), mais vers le passé (que lui est-il arrivé ?). « Pour regarder mes cicatrices, il faut payer, écrit Sylvia Plath dans le poème Dame Lazare. […] Il faut payer, et payer très cher » 1. Désormais, le spectacle est bon marché. Prenez pour cadre une mauvaise romance entre deux personnages aux vécus discordants. Nichez cela dans l’épopée d’une diaspora, un western réinventé, le récit d’un « passage » 2. Mettez plein de fantômes. Écrivez dans un flot de sensibilité moderniste avec le moins de ponctuation possible. Installez le tout entre neuf parfaits inconnus 3. Dans un roman, notre héros sera souvent anonyme ; à la télévision, on le croisera sous le nom de Ted Lasso, Wanda Maximoff, Claire Underwood ou Fleabag. Les classiques sont reformatés à l’aune de ce modèle. Dans deux adaptations modernes du Tour d’écrou, de Henry James, un viol vient s’ajouter au passé de la gouvernante. Dans « Anne avec un E », la version Netflix de Anne et la maison aux pignons verts 4, la protagoniste hérite d’un passé violent qu’elle revit au cours de flash-back agités. Dans les actualisations romanesques des pièces de Shakespeare que publie Hogarth Press (la maison d’édition fondée par Virginia Woolf et son mari), des auteurs comme Jo Nesbø, Howard Jacobson ou Jeanette Winterson dotent Macbeth et consorts du ­terrible passé requis.

La prédominance de l’intrigue-traumatisme n’a rien de surprenant à notre époque, où la notion de traumatisme a tendance à tout envahir. Son
incarnation clinique la plus courante, le trouble de stress post-traumatique (TSPT), est le quatrième syndrome psychiatrique le plus fréquemment diagnostiqué aux États-Unis, et l’un de ceux dont le spectre est le plus étendu. Défini dans le DSM-III 5, en 1980, comme un événement situé « au-delà de l’expérience humaine habituelle », le traumatisme englobe désormais « tout ce que le corps perçoit comme trop, trop vite ou trop tôt », affirme le psychothérapeute Resmaa Menakem dans « Les Mains de ma grand-mère » 6. Cette définition élargie a permis de traiter beaucoup plus de patients, mais elle a aussi étiré le concept à tel point que quelque 636 120 combinaisons de symptômes possibles peuvent être attribuées au TSPT. Autrement dit, 636 120 personnes pourraient chacune présenter un tableau clinique différent et pourtant recevoir le même diagnostic. L’ambiguïté est autant morale que médicale : un soldat qui commet des crimes de guerre peut partager le diagnostic de ses victimes, note Ruth Leys dans « Généalogie du traumatisme » 7. Le terme ayant encore gagné en élasticité, le diagnostic peut s’appliquer à un journaliste qui aurait rendu compte de ces atrocités, aux descendants des victimes, et même à un historien qui étudierait l’événement un siècle plus tard et pourrait être victime d’un « traumatisme indirect ».

Comment rendre compte de cet envahissement ? Choisissez. La vie moderne est intrinsèquement traumatisante. Ou alors nous sommes simplement plus aptes à repérer le traumatisme, car nous prêtons davantage attention à la souffrance humaine sous toutes ses formes. À moins que nous le soyons moins, au contraire, et d’autant plus prompts à tout mettre sur le compte d’une blessure. Dans un monde épris de la condition de victime, le traumatisme serait-il devenu une garantie de prestige, une médaille de courage ? Le fait même de poser la question peut choquer : peut-être est-il grotesque de débattre de la valeur symbolique de la souffrance quand tant de réparations et de remèdes manquent à l’appel. Autant de questions compliquées que l’on s’empresse de mettre sous le tapis lorsque vient le moment de se divertir. Nous prenons place devant les nouveaux épisodes de musculeux super-héros Marvel qui ressassent leurs problèmes avec leur papa et autres sagas d’héroïnes littéraires énigmatiques qui cachent une blessure.

Ce ne sont ni les guerres ni les violences sexuelles qui ont fait émerger l’idée de mémoire traumatique, mais les chemins de fer anglais, quelque six décennies avant que Woolf n’emprunte son tortillard de Richmond à Waterloo. Dans les années 1860, un médecin avait identifié un ensemble de symptômes chez certaines victimes d’accidents ferroviaires. Sigmund Freud et Pierre Janet ont ensuite affirmé que l’esprit lui-même pouvait être blessé. Le syndrome a resurgi dans les tranchées de la Grande Guerre, cette fois sous la forme du choc de l’obus (« obusite ») qu’incarne le vétéran suicidaire Septimus Warren Smith dans Mrs Dalloway, le roman de Woolf. Les soldats victimes d’obusite étaient parfois qualifiés d’« invalides moraux » et envoyés devant la cour martiale. Au cours des décennies suivantes, l’étude du traumatisme est « tombée dans l’oubli », écrit la psychiatre Judith Herman. Il a fallu attendre la guerre du Vietnam pour que les séquelles du front soient, pour ainsi dire, « redécouvertes ». Le TSPT a été identifié en tant que tel et, grâce à la structuration politique des mouvements féministes, le diagnostic a été étendu aux victimes de viol et d’agression sexuelle. Dans les années 1990, la théorie du traumatisme en tant que champ d’investigation culturelle – dont la critique littéraire Cathy Caruth fut une pionnière – a décrit une expérience qui submerge l’esprit, fragmente la mémoire, provoque comportements obsessionnels et hallucinations. Dans le débat public, ces idées ont reçu un imprimatur scientifique avec l’ouvrage de Bessel Van der Kolk, Le corps n’oublie rien. Ce dernier soutient que les souvenirs traumatiques sont physiologiquement repérables et s’inscrivent dans une partie plus ancienne et plus primitive du cerveau.

« Si les Grecs ont inventé la tragédie, les Romains la correspondance et la Renaissance le sonnet, déclarait l’écrivain Elie Wiesel, notre génération a inventé un nouveau genre littéraire, le témoignage. » La consécration du témoignage sous toutes ses formes – Mémoires, poésie confessionnelle, récits de survivants, talk-shows – a fait passer le traumatisme d’un signe de faiblesse à une source d’autorité morale, voire d’expertise. Ces vingt dernières années, une nouvelle vague de littérature est apparue sur le sujet, avec des best-sellers et des Mémoires en tout genre : caustiques (la série de romans d’Edward St Aubyn sur le personnage de Patrick Melrose), sentimentaux (Extrêmement fort et incroyablement près, de Jonathan Safran Foer), passionnés (Examens d’empathie, de Leslie Jamison), d’une sincérité époustouflante (Mémoires anonymes parus sous le titre Jours d’inceste) ou tout cela à la fois (les six volumes de Mon combat, de Karl Ove Knausgaard). Sur Internet, des moteurs de contenus étaient prêts à acheter 150 dollars la confession. « On était en 2015, et tout le monde était un critique pop écrivant à partir de son expérience, se souvient Larissa Pham dans le recueil d’articles Pop Song 8. Le meilleur moyen pour une jeune auteure ambitieuse de faire entendre sa voix était de décider lequel de ses traumatismes elle pourrait monétiser, de l’anorexie à la dépression en passant par le racisme ordinaire ou, comme dans mon cas, une tristesse mêlant les trois. »

Le traumatisme a fini par être admis comme une catégorie globale. Les débats d’experts n’ont eu que peu d’effet sur son statut – y compris les critiques apportées à la théorie de la mémoire traumatique de Van der Kolk, d’après lesquelles aucune recherche empirique ne la corrobore. Cela me fait penser à ce sonnet du poète américain Terrance Hayes : « J’ai pensé que nous pourrions célébrer/ le fil de fer enroulé autour de la blessure du sentiment. » Ce fil de fer autour de la blessure pourrait bien être le fil conducteur du traumatisme, un concept qui s’enfonce si profondément dans la chair qu’il devient difficile d’en distinguer la contingence historique. L’idée selon laquelle l’empreinte du traumatisme est une caractéristique intemporelle de notre espèce, laissant ses traces dans le cerveau, ignore le fait que le traumatisme a changé depuis l’époque des premiers chemins de fer. Les premiers flash-back traumatiques datent d’après l’invention du cinéma. Les mots qui nous viennent lorsque nous évoquons notre souffrance sont-ils jamais totalement les nôtres ?

La théorie du traumatisme trouve son incarnation romanesque la plus parfaite dans Une vie comme les autres, de Hanya Yanagihara 9, un livre consacré à l’un des personnages de papier les plus maudits. Jude, qui doit son prénom au saint patron des causes perdues, a été abandonné enfant. Il va avoir à subir, entre autres horreurs, un viol par des prêtres, la prostitution infantile, la torture et une tentative de meurtre par un homme qui le kidnappe, des coups et blessures et une autre tentative de meurtre commise par un amant, sans oublier l’amputation des deux jambes. Jude est un homme à la consistance ambiguë, sans désirs, quasi muet sur son histoire. « Post-sexuel, post-racial, post-identité, post-passé, lui lance un ami taquin. Le post-homme ; Jude, le postier. » Le lecteur complétera la liste : Jude, le post-traumatique. Chez Jude, le traumatisme l’emporte sur toutes les autres identités. La blessure évacue la personnalité, la refaçonne à sa propre image. L’histoire tourne autour des soins et de l’attention que prodigue à Jude un cercle d’amis, qui se battent pour le protéger de ses tendances autodestructrices ; une sollicitude que pourraient lui envier certains nouveau-nés. Ce dévouement a de quoi déconcerter le lecteur, qui est invité à s’investir lui aussi en tant que témoin des incessantes mortifications de Jude. Mais est-il si facile de s’arracher à cette silhouette tracée à la craie, à cette incarnation d’une entrée du DSM ? La logique de l’intrigue-traumatisme veut qu’il suffise d’évoquer la blessure pour croire qu’un corps, une personne l’a portée.

La foi peut s’essouffler. Invoquer un traumatisme promet l’accès à une pièce interdite bien gardée ; or, de plus en plus, on a l’impression de pénétrer dans une chambre de motel plutôt standard, avec tous les signes d’un taux d’occupation élevé. Dans la deuxième saison de la série Ted Lasso, la révélation des traumatismes subis par le héros dans son enfance ne fait qu’appauvrir sa personnalité ; son allégresse singulière, presque sinistre, n’était qu’un mécanisme de protection. Ted Lasso révèle son passé à son thérapeute, comme le fait un autre personnage avec sa mère (les scènes s’entrecoupent). Il se trouve que les deux événements traumatiques se sont produits le même jour. Leurs révélations croisées débouchent sur des constats classiques sur le père (faillible), le secret (pas bien) et les rancœurs accumulées (pas bien non plus). Mais elles donnent surtout à entendre le grincement de la mécanique de l’intrigue. À mesure que le public s’habitue, un seul traumatisme risque de ne plus suffire. Il faut rivaliser avec Job, avec Jude. Dans la série WandaVision, l’héroïne doit affronter le meurtre de ses parents, celui de son jumeau et la mort, de ses propres mains, de son bien-aimé qui ressuscite avant d’être tué à nouveau. Le tout ­agrémenté d’une intrigue secondaire qui contient une bombe à retardement.

Le traumatisme est devenu la toile de fond, mais la tyrannie de l’arrière-plan est elle-même un phénomène relativement récent. Lequel, comme toute convention à succès, a tendance à passer inaperçu. Or il n’a pas toujours été nécessaire de déterrer le passé des personnages pour éclairer leur personnalité. Ceux de Jane Austen ne sont pas transpercés par des réminiscences soudaines ; ils ne cherchent pas à faire resurgir des souvenirs partiels et obsédants. Un rideau pèse sur l’enfance, écrit Nicholas Dames dans « Mois amnésiques » 10,qui décrit une tradition d’« oubli agréable », dans laquelle les personnages ne mobilisent de leur passé que les détails susceptibles de leur servir (et, implicitement, de servir le récit). Il en va de même pour Dorothea Brooke (Middlemarch, de George Eliot), Isabel Archer (Portrait de femme, de Henry James), ou encore Mrs Ramsay (La Promenade au phare, de Virginia Woolf). Les maîtres de l’âge d’or d’Hollywood étaient tout à fait capables de donner vie à des personnages sans avoir recours à de sinistres flash-back sur les tourments de leur jeunesse. Alors que les personnages d’aujourd’hui sont créés pour être expédiés dans le passé, à l’affût de leurs propres traumatismes. 

L’Enfant qui voulait disparaître, de Jason Mott, qui a reçu le National Book Award de la fiction en 2021, s’ouvre avec un lent panoramique sur la silhouette d’une femme assise dans une vieille robe délavée : « Les fils de l’ourlet se sont détachés, eux aussi. Ils pendouillent désormais dans toutes les directions possibles. Au bout de sept années de dur labeur, le tissu élimé de la robe semble ne plus pouvoir tenir encore bien longtemps sans complètement se déchirer. » Il est tentant d’y voir la description même de l’intrigue-traumatisme, aussi usée que la robe. Le narrateur, un romancier à succès en pleine tournée promotionnelle, est talonné par une apparition qui représente à la fois un jeune garçon noir tué par la police et un enfant qui a vu la police tirer sur son père et l’abattre. Malgré la gravité des thèmes qu’entend explorer Mott, ceux-ci disparaissent sous une série d’effets bon marché et d’allusions faussement détournées à un traumatisme enfoui dans le passé du narrateur : épisodes d’amnésie, grossiers lapsus freudiens, conseils avisés mais mal compris prodigués par un thérapeute. Une fois mis au jour, le traumatisme semble étrangement déconnecté de l’histoire, aussi tangentiellement relié à elle que les deux trames de Ted Lasso, conduisant aux mêmes homélies confuses (le deuil hante, le traumatisme vous rattrape), sans servir le propos autrement plus fort de Mott sur la violence policière vue comme une forme de terrorisme et la douloureuse perpétuation du deuil qu’elle engendre. Mott utilise toutes les combines de l’intrigue-traumatisme, comme s’il voulait créer un suspense capable de nous happer. Mais la machinerie n’a rien de subtil et finit par couler l’histoire elle-même.

Jentends grommeler ici et là. N’est-il pas injuste de reprocher aux récits d’un traumatisme de dépeindre ses effets – moi annihilé, imagination paralysée, immobilisme et répétition ? Notre expérience, il est vrai, ne peut être totalement détachée des conventions culturelles de l’époque ; ces dernières servent à interpréter la première. Et pourtant, les récits de survivants et les travaux de chercheurs suggèrent une bien plus grande diversité que le récit-type. Même si la définition du TSPT est de plus en plus confuse – « un fourre-tout de symptômes sans lien entre eux », écrit David J. Morris dans « Les heures empoisonnées » 11. L’idée de ce que le TSPT entraîne, de la peine qu’il inflige, semble, elle, de plus en plus étroite et pauvre. La postface d’un récent manuel intitulé « Les histoires sont ce qui nous sauve » livre ce conseil : « Ne vous échinez pas à vous en débarrasser complètement. Oubliez les heureux dénouements. Vous perdrez. Échapper à un traumatisme revient en quelque sorte à nager contre le courant » 12.

Mettre en doute le rôle du traumatisme, nous dit-on, c’est opprimer : ce n’est « souvent rien d’autre qu’une forme de résistance aux mouvements en faveur de la justice sociale », écrit Melissa Febos dans « Le travail du corps » 13. Selon elle, tous ceux qui regardent d’un mauvais œil les récits personnels d’un traumatisme reproduisent le « rôle classique de l’agresseur : nier, discréditer et marginaliser la victime pour se couvrir ou éviter de perdre du pouvoir ». Les survivants d’un traumatisme et les chercheurs qui ont décrit des expériences ou présenté des arguments allant à l’encontre de la vulgate voient souvent leurs témoignages niés et rejetés. Dans les années 1990, la psychologue Susan A. Clancy a mené une étude sur des adultes victimes d’abus sexuels dans leur enfance. Ils ont évoqué les souffrances et séquelles à long terme du TSPT, mais, à sa grande surprise, beaucoup ont déclaré que les abus sexuels n’avaient pas été en eux-mêmes traumatisants, ne serait-ce que parce que beaucoup étaient trop jeunes pour comprendre pleinement ce qui se passait et que l’abus était déguisé en affection, en jeu. L’angoisse est venue plus tard, avec la prise de conscience de ce qui s’était passé. Pour avoir présenté ces résultats, Clancy a été cataloguée comme une alliée des pédophiles, une négationniste du traumatisme. Traité pour un TSPT, l’ancien correspondant de guerre en Irak David J. Morris s’est vu dissuader de se demander si une forme de sagesse pouvait résulter de son expérience. Les médecins l’ont admonesté, dit-il, « pour s’être écarté des règles strictes de la cure thérapeutique ». Il en est venu à penser que la médica­lisation du traumatisme empêchait peut-être les anciens combattants d’exprimer leur indignation morale face à la guerre, la réduisant à un ensemble de symptômes à gérer. 

Qu’importe si d’embarrassantes études montrent que la grande majorité des gens se remettent bien d’événements traumatiques et que la résilience est beaucoup plus fréquente que le TSPT. Dans un article récemment paru dans Harper’s, le romancier Will Self suggère que les principaux bénéficiaires du modèle du traumatisme sont les théoriciens du traumatisme eux-mêmes, qui se voient octroyer une sorte de chaire à vie, se vouant jusqu’à la fin de leurs jours à une mission de « témoignage » et d’interprétation. 

George A. Bonanno, directeur du laboratoire « Perte, traumatisme et émotion » à l’université Columbia et auteur de « La fin du traumatisme » 14, formule les choses de façon moins abrupte : « Les gens ne semblent pas vouloir abandonner l’idée que tout le monde est traumatisé. »

Lorsque Virginia Woolf a écrit sur sa propre expérience d’abus sexuels dans l’enfance, elle s’est contentée d’une description prudente d’elle-même comme étant « la personne à qui les choses arrivent ». Le masque du traumatisme ne s’ajuste pas parfaitement à tous les visages. Dans son roman graphique Maus, Art Spiegelman s’efforce de comprendre son père autoritaire, un survivant de l’Holocauste. « Je pensais que c’était la guerre qui l’avait rendu comme ça », raconte-t-il. Sa belle-mère, Mala, lui répond : « Je suis passée par les camps. Tous nos amis sont passés par les camps. Personne n’est comme lui ! » Mala ne laissera par la logique bien ordonnée de l’intrigue traumatique prendre le pas sur la connaissance qu’elle a de son mari et de la vie. Il y a d’autres Mala qui doutent. Je me mets à les voir partout, parfois tapies au sein du récit conventionnel du traumatisme, attachées à le défaire de l’intérieur.

De multiples scénarios se rebellent contre le corset de l’intrigue-
traumatisme, mêlant scepticisme, humour ou fantastique, avec une conscience aiguë du genre et des attentes du public. Dans la série Netflix Feel Good, la protagoniste (Mae, une comédienne aux prises avec une addiction à la drogue et des réminiscences déconcertantes) ne trouve ni diagnostic ni traitement simple adaptés aux sentiments complexes qu’elle nourrit à l’égard de son passé. (« Les gens sont obsédés par les traumatismes de nos jours, regrette-t-elle. Ils n’ont que ce mot à la bouche. ») Après avoir découvert qu’elle a été droguée et agressée sexuellement, l’héroïne de la série I May Destroy You, créée par Michaela Coel, trouve elle aussi que les interprétations thérapeutiques toutes faites laissent à désirer ; dans certains de ses volets les plus intéressants, la série montre comment le fait de se concentrer sur nos histoires douloureuses peut nous rendre aveugles à la souffrance des autres. Les conversations portant sur le traumatisme dans le recueil de nouvelles « Afters », d’Anthony Veasna So 15, sont lestées d’exaspération, de moqueries, de lassitude. « Arrêtez d’utiliser le génocide pour avoir le dernier mot dans la conversation », lancent des enfants américains d’origine cambodgienne à leurs parents réfugiés.

Le goût des histoires sur les traumatismes subis par des Noirs se fait étriller dans « New York, mon village », d’Uwem Akpan 16, et Affamée, de Raven Leilani 17. En parcourant les propositions de nouveaux « livres-cadeaux sur la diversité », Edie, le personnage de Leilani – qui est l’une des seules employées noires de sa maison d’édition –, tombe sur une litanie de « récits d’esclaves » (sic) : « Une jeune domestique métisse se bat pour obtenir une part de l’héritage de son père ; une amitié entre une esclave marron et l’institutrice blanche altruiste qui lui apprend à lire ; une mulâtresse ressuscite les morts par la magie de ses tourtes aux tripes »… à quoi s’ajoute « un drame domestique sur une servante noire qui, tel le chat de Schrödinger, est à la fois vivante et morte ». 

La série Reservation Dogs, située sur un territoire indien de l’Oklahoma, bouscule l’attente du spectateur pour qui une histoire d’autochtones doit forcément être liée à un traumatisme. Bear, un adolescent de 16 ans, est abordé avec ses amis par les membres d’un gang rival, qui stoppent leur voiture et commencent à tirer. Le corps de Bear tremble sous l’impact, se débat et tombe avec une lenteur angoissante. Il a été balayé… par une pluie de paintball. C’est une belle parodie de la scène de la mort du sergent Elias interprété par Willem Dafoe dans Platoon. Comme s’il ne suffisait pas de jouer sur un classique du genre traumatique, Bear a plus tard la vision d’un guerrier autochtone à cheval, transperçant la brume. « J’étais à la bataille de Little Bighorn », lance-t-il, comme s’il s’apprêtait à jouer son couplet sur l’adversité et l’héroïsme. Avant d’indiquer : « Je n’ai tué personne, mais je me suis battu avec bravoure. » Et de préciser encore : « En fait, je ne me suis pas battu, mais j’ai franchi cette colline comme un chef. »

« Mon traumatisme », ai-je déjà entendu prononcer, avec une étrange note caressante doublée de quelque chose de dur, de protecteur. (Est-ce une touche d’humour noir de la part de Yanagihara que de montrer Jude lisant Pour introduire le narcissisme de Freud ?) Le résultat est souvent une histoire facile à schématiser, un moi qui se diagnostique aisément. Mais, dans des mains plus habiles, l’intrigue-traumatisme n’est qu’un point de départ, dont le milieu et la fin sont à chercher ailleurs. Avec cette perspective plus large, nous quittons le registre thérapeutique pour entrer dans un répertoire générationnel, social et politique. Lequel offre à son tour une porte d’entrée dans l’Histoire et dans un langage commun. « Bégayer, être blessé, bafouiller – le langage de la douleur, la douleur que nous partageons avec les autres, écrit Cristina Rivera Garza dans “En deuil. Textes d’un pays blessé” 18, un livre sur la violence au Mexique. Là où il y a de la souffrance existe aussi l’impératif politique de dire : “Tu me fais souffrir, je souffre avec toi.” » On retrouve dans ce traitement la trace et l’influence des romans de Toni Morrison, qui envisageait son travail comme un moyen de combler les omissions et les oblitérations des archives. Mais aussi celles de Saidiya Hartman, qui aborde l’écriture de l’Histoire comme une forme de soins prodigués aux morts. Pensez aux personnages d’historiens dans « Les chansons d’amour de W. E. B. Du Bois », d’Honorée Fanonne Jeffers 19, et No Home, de Yaa Gyasi 20. Dans ces romans, « mon traumatisme » n’est plus que le premier barreau d’une échelle. Qui ­verra-t-on d’autre si on la monte ? Dans No Home, un étudiant appelé Marcus écrit sur son arrière-grand-père condamné aux travaux forcés dans l’Alabama, durant la période suivant la guerre de Sécession. Pour en parler, il se rend compte qu’il doit évoquer les lois racistes Jim Crow. Mais comment en parler sans faire allusion à l’histoire de sa famille qui, pour y échapper, a fui lors de la « grande migration », et à leur vie dans les villes du Nord, puis à la « guerre contre la drogue » – et ainsi de suite ? 

Me vient une image tirée d’Absalon, Absalon !, de William Faulkner : deux piscines reliées par un « mince cordon ombilical », l’une alimentée par l’autre. On laisse tomber un caillou dans l’une d’elles. Des ondulations brouillent sa ­surface, puis l’autre bassin – celui qui n’a pas englouti le galet – se met à bouger à son rythme.

Quel filet d’eau nous relie à la dame en pleurs de Woolf ? Elle sur qui reposa un temps le destin du roman anglais – la femme entourée de ses oursins, perchée sur le bord de sa chaise, son manteau encore sur le dos, attablée devant une soucoupe ? Pourquoi a-t-on autant de plaisir à imaginer ces oursins si étranges et pourtant si révélateurs ? Je n’échangerais pas un seul d’entre eux contre tout un lot d’horribles secrets du passé de la dame. C’est ce genre de détail qui attise la curiosité si néces­saire à la lecture : non pas un appétit narratif dévorant, mais cette façon aléatoire, presque inconsciente, que nous avons de nous nourrir de l’observation des inconnus, d’assembler des bribes, de savoir et de ne pas savoir. 

Lexpérience de l’incertitude et de la connaissance partielle est l’un des grands plaisirs méconnus de la fiction. Pourquoi Hedda Gabler nous hante-t-elle ? Pour qui Jean Brodie se prend-elle ? Que veut Sula Peace ? 21 Son enfance est émaillée d’incidents tragiques, dont chacun pourrait former la trame d’une intrigue traumatique : elle voit un petit garçon se noyer, sa mère brûler vive… Mais Sula n’est pas la somme de ces drames ; dès sa première apparition dans le roman, elle commet un acte de violence soudain et spectaculaire qui ouvre le champ de son destin. Là où l’intrigue du traumatisme nous fournit des serrures avec leurs clés, Morrison ne prend même pas la peine de nous raconter ce qu’il advient de Sula pendant la décennie où elle disparaît de la ville (et, par la même occasion, du roman). La raison d’être de Sula n’est pas que nous l’approuvions ou la jugions. 

Le critique Stephen Greenblatt utilise l’expression d’« opacité stratégique » pour décrire la façon dont Shakespeare dépouille ses personnages d’explications causales, ce qui les rend plus complexes. Les sources de l’époque fournissent au Roi Lear et à Hamlet des motivations bien lisibles ; retirer ces motivations de l’histoire libère une énergie qu’entraverait l’explication conventionnelle. La pièce n’est pas la seule à libérer cette énergie. Celle-ci vient aussi du public, de la force de notre imagination qui se précipite pour combler le vide. Dans Mr. Bennett and Mrs. Brown, Woolf décrit la pulsion qui conduit à imaginer la vie privée des autres comme l’art de la jeunesse – c’est une question de survie – et aussi celui du romancier, jamais las de ce travail, qui se prend à imaginer la vie intérieure d’une vieille dame sitôt qu’il la voit pleurer dans le wagon d’un train. Mais ce territoire est aussi celui du lecteur. En relisant la description que j’ai faite plus haut de la vieille femme, je me rends compte que le manteau est de mon fait. En imaginant la scène, j’ai placé sur ses épaules un manteau que j’ai possédé, une harde parfaitement inesthétique qui aujourd’hui me manque – comme une vieille armure. Je suis à la fois confuse et émue de le retrouver ici. Les histoires sont pleines de nos empreintes digitales et de nos vieux manteaux ; nous en sommes les cocréateurs. D’où, peut-être, en présence d’un arrière-plan trop marqué, le sentiment d’une perte de substance, de notre propre inutilité, d’un gaspillage de notre faculté d’intuition.

L’intrigue-traumatisme aplanit, déforme, réduit le personnage à son symptôme, tout en se voulant édifiante et en insistant sur son autorité morale. Sa simplicité réconfortante se paie d’un prix non négligeable. Elle se fiche de ce que nous savons et nous demande de l’oublier aussi – d’oublier le plaisir de ne pas savoir, d’oublier ce que la souffrance a d’indicible, d’oublier les drôles de singularités d’une personnalité et, surtout, l’attrait et la nécessité d’un oursin bien placé. 

— Parul Sehgal est une critique littéraire américaine. Après une carrière au New York Times, elle a rejoint l’équipe éditoriale du New Yorker.
— Cet article a été publié par The New Yorker le 27 décembre 2021. Il a été traduit par Delphine Veaudor. 

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