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Un philosophe s’interroge sur le sens de la vie. Vaste programme, inépuisable en fait. Sauf à décider que la question est mal posée ou, plutôt, qu’elle ne se pose pas. C’est ce que fait Michael Hampe, professeur à l’École polytechnique de Zurich, dans un petit livre qui vient de paraître outre-Rhin. « Pourquoi ? Une philosophie de l’absence de buts » (c’est le titre) prend à contre-pied une tradition qui remonte à Aristote. D’après celle-ci, rien en ce monde qui ne porte en soi une potentialité à accomplir, rien qui n’existe donc pour une raison. L’homme n’échappe pas à la règle, bien sûr. Son but : « agir en tant qu’être raisonnable, pensant ou parlant », résume le philosophe Dieter Thomä dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung

Pour Hampe, cette conception aristotélicienne aurait mené la pensée européenne dans l’impasse. Il recommande pour sa part une vie « libérée » de « l’exigence d’avoir un but, d’être un développement, un épanouissement, une réalisation (de qui ou de quoi ?) ». Le risque de perte de repères, de dépression que pourrait entraîner une telle attitude ? Il l’écarte, en estimant, comme le rapporte Thomä, que « ce sont plutôt ceux qui poursuivent désespérément des objectifs et “orientent leur vie vers l’obtention de biens finis” pour se détourner de leur propre mort qui ont l’air désespérés ». 

Le concept clé de Hampe est celui d’« attention », forme d’engagement dépouillé de tout intérêt. On est proche de Bouddha et de Simone Weil. « L’abandon des fins a ainsi le double avantage d’aider, dans la pratique, à sortir de l’engrenage téléologique et d’ouvrir, en théorie, un accès sans préjugés au monde », poursuit Thomä, pour qui l’ouvrage de son confrère « ressemble davantage à une méditation qu’à un traité et est ésotérique dans le meilleur sens du terme, […] Hampe [ayant] en commun avec Musil le grand art de parler d’expériences mystiques et existentielles sans pour autant sacrifier la précision ».

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Comment peut-on encore oser consacrer un livre à Kafka après la monumentale biographie de Reiner Stach (dont Books s’était fait l’écho dès sa parution allemande) ? Peut-être précisément en ne s’intéressant pas avant tout à la vie de Kafka, en se proposant l’objectif plus modeste d’en éclairer un aspect particulier. C’est le choix qu’a fait Rüdiger Safranski dans un ouvrage dont la minceur (256 pages) tranche avec la longueur des trois volumes de Stach (plus de 2 000 pages en tout). L’occasion est, bien entendu, le centenaire de la mort de l’écrivain, l’un des derniers grands noms de la littérature allemande à qui Safranski ne s’était pas encore attaqué (on doit déjà à ce serial biographer, philosophe de formation, des études sur Nietzsche, Goethe, Schopenhauer, Schiller, Hoffmann, Heidegger et Hölderlin). Pas question, donc, ici de tout dire. Safranski se concentre sur le processus d’écriture de Kafka et « sur les conditions extérieures et intérieures qui permettent ce processus », résume Tilman Spreckelsen dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung. Et de préciser qu’« à cet égard, la rencontre avec Felice Bauer en 1912 revêt une importance particulière, car le début de la correspondance avec la jeune femme avec laquelle il se fiancera plus tard est “le moment d’une percée créative que Kafka n’avait pas encore vécue” – elle débouchera sur la nouvelle Le Verdict. »Pour autant, le livre de Safranski ne convainc pas vraiment, en particulier la critique littéraire du Süddeutsche Zeitung, Kristina Maidt-Zinke. Pour elle, « il se contente pour l’essentiel de paraphraser les romans et les récits de Kafka, puis de suivre les sentiers d’interprétation habituels, mélange de biographie et de psychologie : famille, conflit paternel, métier, judaïsme, aliénation au monde, sentiment de culpabilité, maladie, relations problématiques avec les femmes. »

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Einstein l’a appelé « le plus grand logicien depuis Aristote ». Kurt Gödel a publié en 1931 ses deux « théorèmes d’incomplétude », d’après lesquels, en particulier, il n’existe pas de système formel dans lequel toutes les propositions de l’arithmétique peuvent être prouvées. Dans le volume 5 de ses carnets, qui viennent d’être publiés, il propose une nouvelle interprétation de cette découverte. Dans la revue Nature, le mathématicien autrichien Karl Sigmund en profite pour raconter une curieuse histoire. Après la publication de ses théorèmes, Gödel fut invité permanent de l’Institute for Advanced Study à Princeton, qui avait accueilli Einstein. Il faisait des allers et retours entre Vienne et Princeton, ponctués de séjours dans des cliniques psychiatriques. Au cours de l’été 1939, le physicien viennois Hans Thirring, qui avait été le mentor de Gödel, profita d’un séjour de celui-ci à Vienne pour le charger, lors de son prochain retour à Princeton, d’une mission importante : demander à Einstein d’intervenir auprès du président Roosevelt afin qu’il prenne au sérieux le risque que les nazis soient les premiers à fabriquer la bombe atomique. Gödel, qui entendait emmener son épouse avec lui, se trouva confronté à d’infinies tracasseries administratives : les Allemands se méfiaient de lui. Quand finalement il reçut son passeport, l’Atlantique était devenu trop dangereux et le couple entama un long voyage vers l’est, via le Transsibérien. Quand il arriva finalement à Princeton en avril 1940, il transmit à Einstein « les bons vœux de Thirring »… mais ne dit pas un mot du message que celui-ci lui avait demandé de transmettre.

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On connaît l’histoire de la conquête espagnole du Nouveau Monde, moins celle des descendants des empereurs incas. Le dernier roman du Péruvien Alonso Cueto aborde la vie fascinante de la fille du conquistador espagnol Francisco Pizarro et de la princesse Quispe Sisa, sœur de l’Inca Atahualpa – non moins sanguinaire que les Espagnols. En 1537, Pizarro confie sa fille alors âgée de 3 ans à sa belle-sœur espagnole, Inés Muñoz. Il lui dit : « Elle sera espagnole, pas inca, pas indigène. Tu dois l’éduquer comme une Espagnole. » 

Francisca Pizarro, Huaylas Yupanqui de son nom inca, est témoin d’événements violents, menés par les ennemis de son père qui aspirent à prendre le pouvoir sur le gouvernorat de Nouvelle-Castille, le territoire que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de Pérou. Son père est assassiné ainsi que ses proches. Se sentant en danger, elle doit se réfugier dans un couvent et, plus tard, elle est obligée de s’exiler en Espagne. Sa vie fut marquée par une lutte intérieure entre deux cultures, deux mondes. Elle est forcée de se marier avec son oncle. Cueto introduit le personnage de Martín, un amour impossible, Martín dont il dit avoir souhaité qu’il fût réel. 

Dans une interview publiée sur le portail littéraire péruvien Libros a mí, Alonso Cueto soutient que Francisca n’a jamais oublié son côté indigène. Et ce qu’il trouve fascinant, « c’est sa condition de métisse, non seulement en tant que caractéristique culturelle, mais aussi en tant que condition vitale... Francisca est une rebelle, une rêveuse, secrète, cachée, mais constante. Une femme qui se rebelle contre la famille, la Couronne et le destin, qui cherche à être elle-même. »

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La dette est le socle de la civilisation (ou de l’essor économique qui en a précipité le développement). Mais elle a bien mauvaise presse, et depuis toujours. Lorsqu’elle fait son apparition dans l’Histoire sur les tablettes sumériennes du troisième millénaire avant notre ère, en même temps que l’histoire écrite elle-même, elle est aussitôt synonyme de conflits et de tourments (créanciers saisissant les épouses du débiteur ou réduisant celui-ci en esclavage, cités obtenant des remboursements par la force…). Le premier texte juridique au monde, le code d’Hammourabi (1750 av. J.-C.), porte lui aussi largement sur des questions de dettes, de garantie, de taux d’usure (20 % pour les prêts d’argent, 33,1/3 % pour les céréales). Plus tard, la problématique de l’emprunt va susciter des progrès mathématiques, comme la découverte babylonienne de l’intérêt composé, mais aussi de puissantes spéculations philosophiques. Pour Platon, le prêt d’argent a le potentiel de saccager la société, en suscitant la révolte. Pour Aristote, c’est carrément un scandale : « le prêt à intérêt fait que l’argent se multiplie lui-même, et que les riches deviennent plus riches et les pauvres plus pauvres… L’argent ne devrait pas faire de petits-enfants. » Jugé « insensé » dans la Grèce antique, « impur » dans l’Europe chrétienne (et donc réservé aux juifs), le prêt à intérêt ne se développera qu’à coup de subterfuges. Dans la Bible, où « intérêt » se dit « neshek », le même mot que « morsure de serpent », on l’interdit entre juifs mais pas envers les étrangers. Sénèque, chantre de la vie simple et pauvre, le condamne vigoureusement mais le pratique en sous-main, et devient immensément riche ! Le christianisme tente de l’interdire aux chrétiens (pas aux juifs), mais en Italie « on contourne les vaines tentatives de l’Église médiévale en requalifiant l’intérêt en commissions moins offensantes d’aspect », écrit Jamie Martin dans la London Review of Books (idem aujourd’hui avec les subtiles contorsions de la finance islamique). La Réforme viendra réconcilier théologie et pratique, avec l’appui des penseurs de l’économie moderne qui postulent, contre Aristote, que l’argent n’est pas juste un outil d’échange mais aussi de stockage de la valeur-temps. L’usage du temps doit donc être rémunéré, mais à quel niveau ? « En gros, on a assisté à une baisse tendancielle des taux d’intérêt dans l’Histoire », écrit Jamie Martin. De 33,1/3 % à Babylone, le taux maximal est passé à 12 % dans la Rome impériale, 10 % dans l’Angleterre élisabéthaine, et 4 à 6 % au XVIIe siècle, puis 0 % (voire moins) il y a peu… Le niveau des taux impacte toute la vie économique, car il détermine les choix de consommation et surtout d’investissement. Est-ce donc au seul marché de le fixer ? Existe-t-il un taux d’intérêt naturel ? Les très bas taux sont-ils bénéfiques ou toxiques ? Depuis les millénaires qu’on en débat, la question n’est toujours pas près d’être réglée.

[post_title] => L’horreur de la dette [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => lhorreur-de-la-dette [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2024-04-25 16:27:38 [post_modified_gmt] => 2024-04-25 16:27:38 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=129529 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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« Tout journal intime est une falsification, et les journaux intimes des écrivains le sont doublement : l’autocensure, le sentiment que “quelqu’un” regarde par-dessus votre épaule, l’ennuyeuse idée de la survie posthume – le soupçon que la rédaction d’un journal se fait au détriment d’un autre travail, “supérieur” : le diariste doit être conscient de tout cela. Et puis il y a cette autre falsification qui procède de la sélection des événements. » Voilà ce que notait le 16 septembre 1992 l’écrivain hollandais Cees Nooteboom dans le journal qu’il a tenu durant plus d’un demi-siècle, dont le premier volume, qui couvre les années 1970-1995, vient de paraître. Certains journaux sont visiblement conçus dans la perspective d’être publiés un jour – les journaux d’hommes politiques anglais lettrés remplis de portraits frappants et d’anecdotes savoureuses, par exemple –, d’autres sont rédigés par leurs auteurs essentiellement pour eux-mêmes. C’est clairement le cas de celui de Nooteboom, qui remplissait pour lui les deux principales fonctions généralement assignées à cette forme d’expression : instrument d’introspection, il lui permettait en même temps de garder la trace d’événements, de rencontres, de lectures, de réflexions dont le souvenir lui était utile.  

Tel qu’il nous est livré, ce journal ne révèle que très peu de choses de sa vie privée, plus particulièrement de sa vie sentimentale, un aspect de son existence sur lequel il a préféré garder la discrétion en ne reproduisant pas les passages les plus personnels qui s’y rapportent. Les trois femmes qui ont le plus compté dans sa vie, une première épouse (Fanny Lichtveld), la chanteuse Liesbeth List, qui fut ensuite sa compagne, enfin la photographe Simone Sassen, qui l’accompagna dans ses voyages et qu’il épousa après avoir vécu 37 ans avec elle, apparaissent à de nombreuses pages, mais sans que la nature de leurs rapports et de ses sentiments à leur égard soit précisée. Parce qu’elles sont directement liées aux préoccupations intellectuelles et littéraires qui remplissent les pages du journal, ses relations d’amitié sont davantage détaillées. Les quatre personnalités avec lesquelles elles sont les plus intenses, et dont la présence dans le journal est la plus constante, sont la romancière et critique américaine Mary McCarthy, l’écrivain belge flamand Hugo Claus, leur ami commun Harry Mulisch, avec qui il s’entendait bien quoiqu’il fût son grand rival sur la scène littéraire des Pays-Bas, et le philosophe allemand Rüdiger Safranski, qui composera une anthologie d’extraits représentatifs de ses œuvres. 

Même si les entrées de ce journal sont datées de nombreux endroits différents (Amsterdam, Londres, Paris, Madrid, l’île de Minorque, où il réside plusieurs mois par an), à l’exception de quelques courtes observations (« [Berlin]. Hier sur l’autobus. Deux jeune filles qui lisent Le Tartuffe »), on ne trouvera dans ces pages que très peu de ces scènes prises sur le vif qui font le charme des livres et innombrables articles pour le magazine Elsevier et le quotidien de Volkskrant qu’il a consacrés à différents pays : l’Espagne, l’Allemagne (plus particulièrement Berlin) et le Japon, mais aussi le Portugal, la Grèce, le Mexique, le Maroc, pour ne pas les citer tous. Comme le souligne Philippe Noble, éditeur de ces pages (par ailleurs traducteur de ses œuvres en français), De danser en de monnik (« Le danseur et le moine ») est fondamentalement un journal d’écrivain, centré sur la littérature et le travail d’écriture.    

On ne peut qu’être frappé à cet égard par l’étendue de la curiosité de Nooteboom et la variété de ses lectures, la voracité de son appétit pour les livres et les idées. Polyglotte, il cite souvent les auteurs qu’il lit dans la langue originale, mais aussi fréquemment, en fonction des livres et des journaux qu’il a sous la main là où il se trouve, dans d’autres langues : Adolfo Bioy Casares et Dino Buzzati en français, Paul Valéry en espagnol. Au milieu de dizaines d’auteurs de tous les pays, quelques écrivains se détachent comme autant de références fondamentales et de sources d’inspiration constantes : Proust, Nabokov, Borges et Kawabata, en raison de l’importance, dans leur œuvre, du thème du temps et de la mémoire qui court tout au long de ses propres livres, mais aussi, à un moindre degré, des personnalités tourmentées comme Kafka et Gombrowicz, qui le fascinent. (« Est-il possible d’être jaloux du malheur de quelqu’un ? Lowry, Gombrowicz. Oui, à bonne distance, lorsque l’on s’aperçoit que c’est ce malheur qui forge leurs livres. ») On découvre aussi avec un peu de surprise le sérieux de son intérêt pour la philosophie et la connaissance qu’il en possède. Lecteur de Descartes, Spinoza et Leibniz, il évoque la philosophie morale analytique très abstruse de Derek Parfit, commente le célèbre débat télévisé sur la nature humaine entre Noam Chomsky et Michel Foucault qui a eu lieu à l’université technique d’Eindhoven, discute avec Rüdiger Safranski de cet autre débat qui opposa l’existentialiste Heidegger et le rationaliste Ernst Cassirer à Davos en 1929 et la manière dont leur affrontement peut être comparé à celui du mystique et violent Naphta et de l’humaniste Settembrini dans La Montagne magique de Thomas Mann. 

Un autre sujet omniprésent est son propre travail d’écrivain. Nooteboom, qui a laissé de longues années s’écouler entre son premier roman et le second parce qu’il estimait ne pas avoir assez vécu pour produire de la fiction de qualité, ne cesse de s’interroger sur son talent. Travaillé par le doute, il a le sentiment que ce sont les circonstances qui ont gouverné sa vie, que tout ce qui lui est arrivé l’a été par accident. Il s’interroge sur la valeur de ce qu’il a produit et se désespère de ne pouvoir écrire ce à quoi il aspire. Pour reprendre toutefois rapidement courage, en essayant de se juger avec objectivité et sérénité, mais sans indulgence : « En un mot, tout ce que j’ai fait n’est pas mauvais, il y a beaucoup de choses que je n’ai pas faites, et certaines choses que j’ai faites ne sont pas bien faites. Pas tant en raison d’une faute grave, mais plutôt par manque de discipline, du fait de l’excès d’options, de mon chaos interne, de distractions extérieures (pas d’excuse pour cela) et parce que je devais gagner de l’argent (pas d’excuse non plus). » 

D’autres aspects de sa personnalité se dévoilent dans le journal, qui s’exprimaient déjà au moment où il écrivait ou s’exprimeront davantage plus tard dans son œuvre. Les détails qu’il donne sur les repas gastronomiques qu’il fait trahissent sa sensualité et son goût des plaisirs de la vie. En filigrane de ses réflexions sur l’Histoire, on perçoit à quel point, ainsi qu’il l’a souvent répété, né en 1933, il est un enfant de la Seconde Guerre mondiale. Un fait qui, combiné avec sa nationalité, explique en grande partie son cosmopolitisme et l’idéalisme européen qu’il partage avec beaucoup de compatriotes de sa génération, par exemple le journaliste Geert Mak. On sent aussi cet amour de la nature (les plantes, les animaux, les paysages) qui s’épanouira dans ses livres les plus récents. Il se manifeste notamment ici par des références récurrentes à trois constellations, Cassiopée, Orion et les Pléiades, très belles, aisément reconnaissables sur la voûte céleste et auxquelles il voue à l’évidence un amour tout particulier. Nooteboom transcrit aussi régulièrement ses rêves, aussi étranges et incongrus qu’ils le sont tous, qu’il raconte avec le sens du détail précis et insolite qui caractérise certaines scènes de ses romans et de ses récits de voyage.  

Écrits dans un néerlandais classique d’une grande qualité littéraire et d’une singulière richesse, les livres de Cees Nooteboom se distinguent par l’inventivité des images et des comparaisons dont ses descriptions sont émaillées, caractéristique qu’il attribue à sa pratique de la poésie et à la manière dont elle lui a appris à exploiter les ressources de la langue. Dans l’esprit des métaphores qu’il affectionne, on pourrait dire de son journal qu’il est un peu comme l’envers de la tapisserie bariolée que constitue son œuvre multiforme : les mêmes couleurs et les mêmes lignes y apparaissent, mais sous un aspect différent, et on y voit à nu les sources auxquelles son imagination et son esprit s’abreuvent, qui se laissent deviner seulement dans le produit abouti.    

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Un article du philosophe Bertrand Russell intitulé « La Vertu supérieure des opprimés » (1937) commence par ces mots : « L’humanité persiste à croire à l’illusion que certaines fractions de la race humaine sont moralement meilleures ou pires que les autres ».

Russell s’oppose à l’idée que les opprimés sont moralement supérieurs, non seulement parce que c’est factuellement faux, mais aussi parce que c’est dangereux. Après tout, si la rectitude morale est l’un des principaux objectifs de l’existence humaine, et si l’oppression rend les gens moralement bons, ou du moins meilleurs, l’argument contre l’oppression s’en trouve affaibli.

Trois quarts de siècle plus tard, Pascal Bruckner s’oppose à l’idée que la victime peut prétendre à l’autorité morale simplement parce qu’elle est une victime. Il avance la thèse que la victime est devenue le héros – peut-être le seul héros – de notre époque. Et comme chacun de nous peut trouver des raisons de se considérer comme une victime, cela revient à générer une sorte de massification de l’héroïsation de soi.

La soif de victimisation qui en résulte a plus d’un effet délétère. Elle rend psychologiquement fragiles et égocentriques les gens qui vivent dans un bon environnement (en tout cas par rapport aux générations précédentes), même les plus privilégiés d’entre eux, car ils sont toujours à l’affût de raisons de se sentir victimes de quelque chose. Meilleur est l’environnement, plus les raisons qu’ils se trouvent sont insignifiantes. Un regard, un mot, suffit à les traumatiser, de préférence pour longtemps, car être une victime éphémère n’a pas d’intérêt. Résilience et force d’âme sont mises à mal, elles finissent même par être considérées comme une sorte d’évitement du devoir de se sentir victime, une trahison envers soi-même. D’autant que la résilience et la force d’âme menacent les moyens de subsistance de l’armée grandissante de thérapeutes en tout genre qui exploitent la victimisation, comme les sociétés minières leurs gisements.

À un niveau plus politique, celle-ci exonère les mouvements politiques de la responsabilité d’agir en respectant les normes éthiques. Qu’un groupe ait le statut de victime justifie tout. Et comme, triste trait de l’humanité, ceux qui sont le plus enclins à manier la cruauté, la violence et le sadisme au nom d’une cause prétendument bonne, et qui sont toujours plus nombreux que nous ne le pensons, y prennent un vif plaisir, la notion de victimisation peut générer un cycle infernal : les victimes se vengent de leurs oppresseurs qui deviennent alors des victimes qui se vengent à leur tour, et ainsi de suite.

Je suis globalement d’accord avec l’idée de base de Bruckner – qui, bien sûr, n’est guère originale. Mais son livre me donne l’impression de tirer dans tous les sens, sans cible clairement définie. En canardant à tout-va dans la bonne direction, on touche forcément quelque chose qui mérite d’être touché, et Bruckner fait souvent mouche ; mais il est si passionnément impliqué dans son argumentation qu’il néglige parfois de définir ses termes ou de faire les distinctions nécessaires.

Le problème commence avec le titre : car on peut souffrir sans être une victime, et on peut être une victime sans souffrir. Un titre plus précis, quoique moins évocateur, aurait été « Je souffre donc j’ai raison » : cela aurait touché au cœur du problème. La sanctification de la souffrance ayant pour résultat de conférer à la victime un statut d’autorité morale, cela contribue en effet à excuser ou justifier l’extension de la bureaucratie managériale.

Ainsi en Grande-Bretagne nombre d’organismes se contentent de définir le harcèlement comme le sentiment d’être harcelé : on est harcelé si on pense qu’on l’est. En 1999, le Rapport Macpherson, sur le meurtre d’un jeune Noir au sujet duquel la police n’avait pas correctement enquêté, définit comme raciste un incident que la victime ou tout témoin perçoit comme raciste. Aucun élément objectif n’est requis pour prouver qu’il y a harcèlement ou racisme ; le témoignage d’un paranoïaque avéré a autant de valeur que tout autre et doit être pris pour argent comptant. Le questionner fait courir le risque de se voir retourner l’accusation. Afficher son scepticisme revient à concourir à la persécution de la personne qui s’identifie comme victime.

Cela représente un changement culturel radical. Naguère la crédibilité d’un témoin se référait à la figure imaginaire du passager du bus de Clapham, ce citoyen ordinaire plein de bon sens, dépourvu de facultés particulières et d’intérêt à défendre, qui aurait dit pareil s’il avait été témoin de la même chose ; un tel citoyen n’existe plus aujourd’hui, du moins le croit-on : on suppose que chacun de nous est sous l’emprise d’un parti pris, d’un biais idéologique. Cela donne lieu à une intarissable propension à la récrimination, car l’auteur d’une expérience désagréable doit forcément être animé des pires motifs, et cela génère le besoin d’un recours incessant à l’arbitrage de managers et, pour finir, de magistrats. Pire encore, cela crée une atmosphère de peur semblable à celle régnant dans un pays totalitaire, où un seul mot peut conduire à une dénonciation, et la dénonciation à la ruine d’une vie. Dans une telle atmosphère, ni la franchise ni le sens de l’humour n’ont la moindre chance de survie.

Les vraies victimes existent, bien sûr, mais la victimisation est rarement un phénomène du tout ou rien. Je ne donnerai qu’un seul exemple tiré de mon expérience clinique en tant que psychiatre. J’ai reçu en consultation à l’hôpital une femme d’âge moyen dont la mâchoire avait été cassée par son amant, lequel lui avait déjà cassé le bras. Ils s’étaient rencontrés au pub peu après qu’il fut sorti de prison, où il avait purgé une peine pour avoir tué sa précédente compagne. C’était un ivrogne jaloux et possessif. J’ai signifié à cette femme, aussi vigoureusement que possible, qu’elle était en danger si elle restait avec lui – la quintessence du bon sens. Avec sa permission, nous avons interdit à cet homme l’accès au service où elle était hospitalisée et lui avons trouvé un foyer sécurisé où elle pourrait résider, de préférence jusqu’à ce qu’il trouve sa prochaine amante-victime (il en trouverait certainement une). Mais à la dernière minute, au moment de quitter l’hôpital, elle a flanché. Elle a décidé qu’elle voulait rester avec lui, et la dernière fois que je l’ai vue, elle était la tendre moitié d’un heureux couple marchant bras dessus, bras dessous dans le couloir de l’hôpital. Ce qu’ils sont devenus par la suite, je n’en sais rien ; peut-être vécurent-ils heureux, mais j’en doute.

Elle était sa victime, il n’y avait aucun doute à ce sujet. Il lui avait cassé la mâchoire et le bras ; mais elle était aussi complice de sa propre victimisation. Dire qu’elle était sous l’emprise de son amant et donc pas complice de sa propre situation serait lui dénier l’autonomie de tout être humain qui se respecte, la faculté de tirer un enseignement de son expérience et d’agir autrement. Il peut nous sembler bizarre qu’elle ait fait les choix qu’elle a faits, mais cela n’empêche qu’il s’agissait bien de choix. Sur ce sujet, Bruckner, dans son chapitre sur la soif de victimisation des féministes, est très sensé.

Parfois, cependant, il se laisse embarquer par son propre argument. Ce qui peut l’amener à se tromper. Il écrit par exemple :

« [...] la criminalisation de l’avortement par la Cour suprême des États-Unis, concession faite aux chrétiens les plus conservateurs, a entraîné la perte du camp républicain aux élections de mi-mandat en 2022 et a poussé l’Ohio à inscrire le droit à l’IVG dans sa Constitution en novembre 2023. »

Il s’agit d’un grave malentendu sur la décision de la Cour suprême, qui n’a nullement criminalisé l’avortement. Elle a rendu aux États la liberté de légiférer sur l’avortement, comme l’exigeait la Constitution suivant la jurisprudence traditionnelle de la Cour. C’est la décision de celle-ci, dans l’affaire Roe contre Wade, en 1973, qui était anticonstitutionnelle. Je ne suis pas expert en matière de Constitution américaine, mais je l’ai lue, et il me semble qu’il faut en torturer le sens pour en déduire le droit à l'avortement ; à ce compte, on pourrait tout aussi bien en déduire le droit pour chaque Américain de prendre deux œufs au petit déjeuner. (Au passage, je ne crois pas que le deuxième amendement, qui garantit le droit d’avoir des armes, accorde le droit à tous les Américains de se rendre au supermarché avec une Kalachnikov.) De plus, Bruckner ne remarque pas la contradiction dans sa propre phrase : car si la Cour suprême avait criminalisé l’avortement, l’Ohio n’aurait pas pu inscrire le droit à l’avortement dans sa constitution.

Il interprète aussi de travers la loi californienne dite des « trois prises » :

« Cela s’appelle pratiquer la “tolérance zéro”, à l’image de certains États américains comme la Californie, où le bris d’une vitre entraîne une incarcération immédiate. Et trois incarcérations, une incarcération à vie. C’est le principe effrayant de la three-strikes law qui sanctionne les récidives, même de délits mineurs, et abandonne toute idée de réhabilitation. »

Ce n’est pas exact. La loi californienne (qu’elle soit fondée ou non est une autre question) stipule qu’une personne reconnue coupable de son troisième crime violent ou grave sera condamnée à une peine de prison pouvant aller de 25 ans à la perpétuité. C’est très différent de ce que dit Bruckner.

Dans ce contexte, il est étrange que l’auteur ne mentionne pas quelque chose de beaucoup plus pertinent pour soutenir son propos : à San Francisco et à Los Angeles, le vol à l’étalage, même conséquent, a été de facto légalisé. Une personne soutirant à des magasins moins de 950 dollars de marchandises par jour ne sera pas verbalisée par la police. On doit à la nature humaine que tout le monde ne profite pas de cette étonnante décision administrative, mais il n’est pas non plus surprenant de voir se développer des entrepôts de marchandises volées et que des magasins aient fermé.

Qu’est-ce qui est à l’œuvre dans cette affaire, sinon le phénomène dont ce livre traite, à savoir la sacralisation du statut de victime ? Les personnes qui dérobent les marchandises sont principalement issues de minorités ethniques et sont plutôt pauvres, et donc par là même victimes de la pauvreté et des préjugés raciaux ; les vrais criminels sont les magasins, qui tirent profit de la vente de leurs marchandises et en refusent l’accès à ceux qui n’ont pas assez d’argent pour les acheter ; le mot « vol » ne rend donc pas compte de cette activité : « restitution » conviendrait mieux.

Une bonne partie du livre de Bruckner est consacrée à la culture du ressentiment à l’échelle d’un État. Exemple type : la Russie de M. Poutine, éternellement encerclée d’ennemis (il en faut, des ennemis, pour faire le tour de la Russie). On a vu une manifestation éhontée de cette culture du ressentiment quand il a affirmé, il y a peu, que c’est la Pologne qui a provoqué son invasion par l'Allemagne nazie ; ce afin de mieux se convaincre (je suppose) que l’invasion de la Pologne par l’Union soviétique était également défensive, la Russie préservant ainsi son statut de victime immaculée, incapable d’agresser quiconque 1. Dans la droite ligne de la novlangue, l’agression devient la défense et le meurtre de masse relève de l’humanitaire. Quant au Hamas, la manière dont il a réussi à faire passer ses objectifs et comportements clairement génocidaires pour des revendications victimaires est en un sens magistrale ; que ces revendications aient été si largement crues ne donne pas cher du reste du monde. Ceux qui souffrent, même si leur souffrance est largement de leur propre fait, et qui se disent victimes bénéficient désormais d’un avantage rhétorique automatique et indiscutable, car il est très difficile de dire à quelqu’un qui souffre qu’il a tort, voire pire.

Bruckner attire notre attention sur le désir d’un individu, d’un groupe social, d’une nation de paraître le plus persécuté possible, car plus on est ou a été persécuté, plus on se croit fondé à se comporter sans vergogne. Le désir de paraître le plus persécuté possible relève de la sentimentalité, une tournure d’esprit dont le revers de la médaille est souvent la brutalité.

Pour revenir à Bertrand Russell, il écrit :

« Tôt ou tard, la classe opprimée soutiendra que sa vertu supérieure lui donne droit au pouvoir […].  Quand le pouvoir est enfin aboli au profit de l’égalité, il devient évident pour tout le monde que tout le discours sur la vertu supérieure était absurde. »

Cela n’est pas toujours vrai, car si de nombreux changements de pouvoir ont accru l’oppression, d’autres l’ont allégée. Mais le désir actuel d’accéder au statut de victime, généralement exagéré et souvent grossièrement malhonnête, ne peut conduire qu’à des conflits sans fin, à l’affaiblissement des nations et à la méconnaissance des vrais dangers, ce qui est l’argument central du livre de Bruckner.

Par Anthony Daniels. Écrivant aussi sous le nom de plume Theodore Dalrymple, cet ancien psychiatre des prisons britanniques a publié de nombreux ouvrages. Nous avons rendu compte de son dernier, sur les écrivains oubliés du Père Lachaise, dans la Booksletter précédente. Anthony Daniels a écrit cet article pour la Booksletter.

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Née à Saint-Jacques-de-Compostelle, la jeune poète et écrivaine Berta Dávila écrit en galicien. Son dernier roman, publié simultanément aussi en espagnol et en catalan, explore, confie-t-elle à la revue Mercurio, la relation complexe que chacun de nous entretient avec « la coquille » que nous construisons pour ne pas trop regarder ce qu’il y a à l’intérieur de nous-mêmes. Le récit est multidimensionnel et largement symbolique. Dans un village de Galice, habitants et touristes attendent avec impatience une éclipse solaire totale. Les personnages mis en scène, eux, ne s’intéressent guère au phénomène. Il s’agit principalement de quatre femmes, deux paires de sœurs, marquées par un deuil, qui vivent dans une maison de verre et mènent des vies parallèles, plus ou moins oniriques. L’éclipse est une métaphore, explique Diana Arrastia dans La Vanguardia, celle d’êtres qui interagissent sans se rencontrer. L’une fantasme sur un couple de poissons orange qui évoluent dans un aquarium, sorte de microcosme de la maison de verre, et se construit une relation avec des personnages de la série Urgences. Une autre fait des sculptures pour être seule tout en ayant l’impression de parler à quelqu’un. Une oie domestique « reçoit l’affection qu’elles aimeraient recevoir ». Un roman sur le réel et l’imaginaire, la solitude et l’altérité : « Tous les liens qui nous soutiennent ne sont pas profonds et significatifs, et peut-être n’ont-ils pas besoin de l’être », dit-elle.

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Depuis son apparition en Europe, le papier a été soumis à bien des usages, des moins nobles jusqu’au plus noble : sa transformation à partir du XIIIe siècle en carnet de notes. Le papier s’était alors généralisé au détriment du coûteux parchemin, d’abord parce qu’il était bon marché (car fait de vieux chiffons broyés à l’aide de la force hydraulique) ; et aussi parce que l’encre, une fois absorbée, conservait le texte aussi longtemps que subsistait son support, à la différence du parchemin que l’on pouvait gratter, réutiliser, falsifier. Réunies en cahiers, les feuilles de papier avaient ensuite connu diverses utilisations, en commençant par la tenue de comptes : c’est sur les zibaldoni que la comptabilité en partie double a vu le jour, et avec elle le capitalisme moderne. « Dans les memorialigiornaliquadernisquartofogli et autres on conservait des autographes, des listes d’amis, des informations météorologiques, et on effectuait son propre audit spirituel », résume Sukhdev Sandhu dans The Guardian. Couverts de croquis, de modèles ou de cartes nautiques commentées (portulans), les carnets papier ont accompagné l’effloraison de l’art de la Renaissance et les Grandes Découvertes. Ils ont aussi permis aux curieux de stocker sur leurs commonplace books et autres « livres de raison » toutes sortes d’idées, d’informations, de dessins, que les beaux esprits transvasaient ensuite dans d’autres carnets aux attributions spécifiques (28 catégories différentes dans le cas du philosophe Roger Bacon !) pour triturer le tout et en extraire des théories. Ainsi procédèrent Léonard de Vinci, Isaac Newton (qui a falsifié ses carnets après coup pour prouver l’antériorité de ses vues sur Leibniz), Darwin (dont les carnets retracent la découverte et la mise au point de la théorie de l’évolution), ou enfin Paul Valéry, qui considérait les 261 cahiers qu’il avait remplis chaque matin pendant plus de 50 ans comme sa « contre-œuvre », en fait son œuvre véritable. Certes, le papier et l’écriture manuelle cèdent graduellement le pas à l’écran et au clavier. De quoi tourmenter les belles âmes, qui au XIIIe siècle reprochaient aux utilisateurs de papier chiffon d’utiliser pour recueillir la parole divine une matière qui avait au préalable servi à absorber des menstrues ! Aujourd’hui les carnets sont moins des « partenaires cognitifs » que des « ego-documents », les vecteurs de cette « écriture expressive » dont on ne finit plus d’énumérer les bénéfices, psychologiques et même hygiéniques.

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Accorder des droits aux arbres, aux montagnes ou aux fleuves est une pratique encore rare, mais qui se répand. En 2017, par exemple, le Parlement néo-zélandais a reconnu au Whanganui, cours d’eau sacré pour les Maoris, la qualité d’« être vivant unique », le dotant ainsi d’une personnalité juridique. Beaucoup verront là des dérives prêtant à sourire. C’était le cas du philosophe Tilo Wesche, jusqu’à ce qu’il se penche sérieusement sur la question. Sa perplexité narquoise n’y a pas résisté. Le résultat de ses réflexions est paru outre-Rhin dans un ouvrage qui invite à repenser de fond en comble le concept de propriété. 

Wesche « définit, de façon classique, le droit de propriété comme le pouvoir autorisé de disposer exclusivement de certaines choses, explique Joseph Hanimann dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung. Il est ainsi devenu une promesse de liberté et un pilier du projet des Lumières, qui inclut également l’émancipation et la liberté face à une nature devenue disponible. Cependant, à l’ère des crises environnementales croissantes, la promesse d’émancipation se transforme en son contraire. Wesche recommande d’approfondir le projet des Lumières en révisant le concept de propriété. »

Il distingue la propriété des choses (Sacheigentum) de celle des biens (Gütereigentum). La théorie traditionnelle ne reconnaît que la première. Or, elle met dans le même sac aussi bien « les appareils ménagers, les produits du travail, les denrées alimentaires de base » que « les produits de luxe, le charbon, la terre, les arbres, bref, tout ce qui est possédable ». C’est là, pour Wesche, une conception bien pauvre. Selon lui, la propriété des biens ne donne pas, elle, tous les droits au sujet possédant. L’objet possédé en a aussi. Après tout, « les forêts ne sont pas tout à fait la même chose que les tonnelles de jardin », poursuit Hanimann. Reste un problème : la nature ne saurait faire valoir les droits qu’on lui accorde. Qui le fera pour elle ? La loi, répond Wesche. Comme pour le Whanganui néo-zélandais. Soit. Pas sûr qu’un tel déploiement philosophico-juridique résiste à la dure réalité des grands intérêts économiques.

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