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Si vous lisez l’espagnol et ne dédaignez pas les romans mettant en scène des situations et des personnages complexes, vous ne serez pas déçu ! Le narrateur, Diego Duocastella, est de retour à Barcelone après sept années passées en Italie. Avant de prendre ses fonctions de directeur du nouveau musée de la Mémoire contemporaine, ce célibataire insouciant revient à Poblet, un village imaginaire proche de Cadaqués où sa famille possède une résidence secondaire. Il y rencontre les Pons, un couple nouvellement arrivé, formé par un entrepreneur d’origine modeste et la séduisante Laura, issue d’une famille aisée. Les Pons s’installent dans le village avec leurs trois enfants et Berta, l’énigmatique sœur de Laura. Des relations érotico-amicales se tissent entre les quatre personnages, auprès desquels le narrateur fait resurgir le souvenir d’amis et notamment de femmes qui ont compté dans sa vie.

Inspiré par Les Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos, le Catalan Gonzalo Torné nous plonge dans un univers psychologique multidimensionnel où « les dynamiques de pouvoir et les différences de classe s’infiltrent sous la surface des relations personnelles », écrit le critique littéraire espagnol Domingo Ródenas de Moya dans El PaísC’est aussi une critique subtile de la bourgeoisie catalane. Un roman dans la lignée de Henry James, Iris Murdoch ou Saul Bellow, estime-t-il.

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En Allemagne, les super-riches restent mal connus, bien plus que dans d’autres pays. La faute, selon la journaliste Susanne Billig, à « un manque flagrant de données ». « L’État allemand, écrit Billig dans un article paru sur le site de la radio publique Deutschlandfunk, n’aide guère à la transparence. Il n’existe aucune statistique officielle sur la fortune. D’où l’impossibilité de répondre avec certitude à des questions même banales. Personne ne sait combien de milliardaires et de multimilliardaires il y a exactement en Allemagne, qui fait partie du cercle des super-riches, combien de milliards ils possèdent exactement, quelle part cela représente dans la fortune totale du pays et si leur richesse est constituée d’entreprises, d’actions ou de biens immobiliers. »

C’est pour combler ces lacunes que la journaliste de gauche Julia Friedrichs s’est lancée dans une enquête dont le résultat, « Crazy Rich. Le monde secret des super-riches », vient de paraître outre-Rhin. Un ouvrage que salue Billig et qui montre « comment les immenses fortunes façonnent la psyché des possédants, mais aussi la société et la démocratie ». 

Friedrichs a mené des centaines d’heures d’entretiens avec les membres de cette élite de la richesse, dont beaucoup ont préféré garder l’anonymat. Pour Melanie Mühl du Frankfurter Allgemeine Zeitung, le résultat est moins neuf que révélateur. Dans le magazine Focus, le sociologue Rainer Zitelmann, qui s’est aussi intéressé au sujet, lui reproche, pour sa part, un biais en faveur des héritiers et au détriment des self-made men. Ainsi du personnage le plus sympathique de l’ouvrage, « Sebastian », incarnation du « bon riche ». Il a si honte des milliards qu’on lui a légués que, « pour cacher sa richesse à ses amis, il vit dans un appartement de 45 m2 avec un petit balcon. »

[post_title] => Pour vivre riches, vivons cachés [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => pour-vivre-riches-vivons-caches [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2024-10-17 17:55:17 [post_modified_gmt] => 2024-10-17 17:55:17 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=130503 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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L’humanité doit beaucoup au petit royaume de Lydie, sur la côte d’Asie Mineure : c’est là qu’au VIe siècle avant notre ère ont été institués et la monnaie métallique et le monopole royal sur sa frappe. « Monnaie et État sont alors devenus synonymes », écrit l’économiste irlandais David McWilliams, pour leur bénéfice mutuel et supposément le nôtre. La collaboration – on pourrait presque dire la symbiose – entre monnaie et État n’a-t-elle pas entraîné l’essor du commerce inter-peuplades, donc la diminution des conflits (« car pour commercer, il faut d’abord déposer la lance », disait l'anthropologue Marcel Mauss), donc la prospérité des citoyens et le développement de la puissance étatique, donc l’urbanisation, donc… ?

Si la thèse n’a rien d’original, l’auteur a en tout cas le mérite de l’étayer d’informations insolites, comme celle-ci : avec des pièces de valeur reconnue et d’un transport facile, on a pu payer les dots d’épouses de plus en plus lointaines et diversifier le pool génétique ! À Athènes, la force du tétradrachme d’argent a permis aux citoyens de vivre à 75 % d’importations et de cultiver leur esprit et les arts. À Rome, les sesterces (et la spéculation) ont financé l’expansion géographique et celle du pouvoir impérial. Au Moyen Âge, la centralisation monétaire et politico-religieuse a coïncidé avec le progrès technologique (notamment la charrue métallique) et l’explosion consécutive de la productivité agricole. En Sicile, les Normands qui avaient appris de la mathématique arabe comment jongler entre monnaies, poids et denrées, ont connu « la réussite géostratégique la plus spectaculaire du XIIe siècle ». Enfin les marchands et banquiers italiens qui ont pris leur relais ont mis au point la comptabilité en partie double qui fit émerger la Renaissance et le capitalisme. 

Mais l’alliance monnaie-pouvoir étatique n’engendre pas que le meilleur : dès que « l’État commence à tricher avec la valeur de sa monnaie », écrit Simon Hunt dans The Standard, le pire n’est pas loin. C’est d’ailleurs en évoquant ce pire que David McWilliams est à son meilleur, notamment grâce à sa sélection d’exemples. Ainsi, parmi les 210 causes invoquées pour justifier la chute de Rome, celle qu’il privilégie est l’effondrement de la monnaie impériale, malgré les efforts du tant décrié Tibère qui avait sauvé l’empire et son trône en se portant « prêteur en dernier ressort » lors d’une crise financière. Mais sous Gallien, au IIIe siècle, la teneur en argent du denier romain, en principe de 60 %, était tombée à 4 %. L’empereur fut assassiné et on connaît la suite… Enfin si l’Empire aztèque a facilement succombé, ce n’est pas seulement parce qu’il était moins bien armé que les conquistadors mais aussi « parce qu’il n’était doté que d’un système monétaire rudimentaire ». À noter que la déréliction d’une monnaie n’est pas forcément provoquée par l’incompétence du pouvoir en place (comme ce fut le cas pour l’assignat révolutionnaire), mais résulte parfois d’interventions extérieures. Les Anglais, financiers experts, ont ainsi fabriqué de faux « continentals », la monnaie des indépendantistes américains, pour torpiller l’insurrection de leur colonie (sans grand succès d’ailleurs, au contraire : conscient du rôle crucial de la monnaie, Hamilton a fait du dollar la colonne vertébrale de l’État fédéral et la clé du succès économique de l’ex-colonie). Lénine, lui, avait projeté d’inonder la Russie de faux roubles, mais le régime tsariste s’est effondré avant. L’idée a pourtant été reprise à l’autre bout du spectre politique, par Hitler. Il avait réuni au camp de Sachsenhausen une centaine de spécialistes juifs pour fabriquer de faux billets de 10 £ qu’il comptait larguer au-dessus de Londres afin de détruire la foi des Anglais en leur monnaie et leurs gouvernants. Mais quand les billets – d’une perfection absolue – ont été prêts, les bombardiers étaient requis ailleurs (c’est tout de même avec ces contrefaçons qu’ont été payées la rançon de Mussolini ou la relocalisation en Amérique du Sud de bien des hiérarques nazis !). La monnaie repose sur – et inspire – la confiance en l’État, et la déprécier est un sacrilège. Dante, digne fils de l’ultra prospère Florence, relègue d’ailleurs conjointement dans le huitième (et pire) cercle de son Enfer le traître Simon et le faussaire Adamo : l’un, pour avoir provoqué la chute de Troie en incitant les assiégés à y faire entrer le fameux cheval, l’autre parce qu’il avait voulu décrédibiliser le florin florentin afin que Brescia triomphe enfin de sa grande rivale.

[post_title] => La monnaie, cette rusée [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => la-monnaie-cette-rusee [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2024-10-17 17:53:36 [post_modified_gmt] => 2024-10-17 17:53:36 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=130500 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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Nous avons la mémoire courte. Souvenons-nous, tout de même : le principal dissident chinois des années 2000, Liu Xiaobo, est mort en détention en 2017. Il était incarcéré depuis neuf ans, son dernier fait d’armes ayant été de contribuer à rédiger et à diffuser la « Charte 08 », inspirée de la « Charte 77 » des écrivains dissidents tchécoslovaques diffusée trente ans auparavant. Dans The New York Review of Books, l’essayiste américain Ian Johnson, de retour aux États-Unis après avoir passé deux décennies dans la Chine de Xi Jinping, salue la biographie « définitive » de Liu, sous la plume du sinologue Perry Link et d’un coauteur chinois anonyme.

Liu est né en 1955. Dans sa prime jeunesse, il avait participé avec un parfait suivisme aux persécutions et humiliations de la Révolution culturelle. Son esprit rebelle s’est révélé lorsqu’il fit des études d’esthétique ; il prit alors le contrepied de la doxa communiste d’après laquelle l’art est objectif et doit refléter l’engagement politique. Devenu une vedette de la contre-culture à une époque où le régime tolérait ce type d’opposition, il se complut dans un narcissisme qui rappelle celui de certains intellectuels français. Il changea complètement d’attitude après un voyage en Europe et aux États-Unis à la veille de Tian’anmen. Revenu à la hâte en Chine pour se mêler aux événements, il harangua les étudiants radicalisés pour tenter de les raisonner : « Ce n’est pas la démocratie [que vous promouvez]. C’est la haine. La haine ne peut conduire qu’à la violence et à la dictature […], ce dont la démocratie chinoise a d’abord besoin c’est de se débarrasser de la haine et de la mentalité de voir partout des ennemis ; ce dont nous avons le plus besoin c’est de calme, de raison et de dialogue […] et par-dessus tout, de tolérance ! » Les étudiants révoltés le traitèrent de poule mouillée.

Emprisonné au lendemain de Tian’anmen au faux motif qu’il en aurait été l’un des instigateurs, il fut relâché deux ans plus tard et entama une longue carrière de dissident au nom de la démocratie et de la justice sociale. Alors qu’il aurait eu maintes occasions de quitter le pays et de s’installer à l’étranger, note Ian Johnson, il tint à rester sur place. Cela lui valut encore trois ans de camp de travail, avant son arrestation définitive en 2008. Il se vit décerner le prix Nobel de la paix en 2010. 

[post_title] => Le Navalny chinois [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => le-navalny-chinois [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2024-10-17 17:51:32 [post_modified_gmt] => 2024-10-17 17:51:32 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=130497 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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Quelques jours après la mort d’Emmy Noether, en 1935 à l’âge de 53 ans suite à une opération chirurgicale qui semblait s’être bien déroulée, Albert Einstein, jugeant que le simple entrefilet que le New York Times avait consacré à son décès ne lui rendait pas justice, écrivit à la rédaction du journal une lettre dans laquelle il notait ceci : « Au jugement de la plupart des mathématiciens compétents […] Fräulein Noether était le génie mathématique créatif le plus considérable produit depuis que les femmes ont accès aux études supérieures ». Einstein avait eu l’occasion de prendre personnellement toute la mesure du talent hors pair de la mathématicienne une vingtaine d’années auparavant, lorsque, n’ayant pas encore émigré aux États-Unis, ils vivaient et travaillaient tous les deux en Allemagne. Alors qu’il était en train de concevoir la théorie de la relativité générale, Noether, à la demande de ses maîtres à l’université de Göttingen David Hilbert et Felix Klein, avait aidé ceux-ci à résoudre un sérieux problème posé par les équations de la gravitation dans cette théorie : en apparence, elles violaient le principe de conservation de l’énergie. 

Ce n’est cependant pas cette contribution qu’Einstein relevait dans sa lettre, mais l’importance des travaux de Noether en algèbre. Ce faisant, il rejoignait le jugement de Noether elle-même, qui considérait l’article dans lequel elle synthétisait les idées qui se sont révélées si utiles pour la validation de la relativité générale comme le produit d’une excursion en dehors de son véritable champ d’intérêt. Les deux théorèmes contenus dans cet article ont été longtemps oubliés. Redécouverts dans les années 1970, ils sont aujourd’hui considérés par les physiciens comme fondamentaux pour leur discipline, du fait de leurs applications dans de nombreux domaines. Quant aux travaux de Noether en algèbre, comme le savent tous les mathématiciens, ils ont contribué à révolutionner celle-ci en profondeur. 

De nombreux livres ont été consacrés à Emmy Noether, son œuvre mathématique et sa vie. Ils mettent en lumière sa personnalité singulière, la nature de sa créativité et les difficultés qu’elle a rencontrées pour se faire reconnaître dans le monde universitaire. Deux des meilleures biographies parmi les plus récentes sont celle de la mathématicienne italienne Elisabetta Strickland (2024) et l’ouvrage publié en 2022, deux ans avant sa mort prématurée, par l’auteur suisse germanophone Lars Jaeger. 

Emmy Noether était née à Erlangen, au centre de l’Allemagne, dans une famille juive de classe moyenne. Son père, Max Noether, était mathématicien et professeur à l’université de la ville. Elle était l’aînée de quatre enfants. Peu intéressée par les travaux domestiques, de toutes les activités traditionnellement pratiquées par les jeunes filles à l’époque, elle n’aimait que la danse. Après avoir étudié l’anglais et le français, à l’enseignement desquels elle était censée se destiner, elle décida de se tourner vers les mathématiques. L’université n’étant pas ouverte aux jeunes filles, elle suivit les cours à titre d’étudiante libre, à Erlangen tout d’abord, puis à l’université de Göttingen, où enseignaient les mathématiciens Felix Klein, David Hilbert et Hermann Minkowski. De retour à Erlangen après que les restrictions à l’accès des jeune filles y eurent été levées, elle y passa un doctorat sous la direction de Paul Gordan. Sa thèse, reçue summa cum laude, portait sur les systèmes d’invariants dans certaines classes de polynômes. Elle s’inscrivait dans le cadre de l’approche traditionnelle de l’algèbre qui était celle de Gordan. De 1908 à 1915, Noether enseigna à l’université d’Erlangen sans être payée, parfois en remplacement de son père, dont elle supervisa même les travaux de deux doctorants. 

En 1915, elle était appelée à Göttingen par Klein et Hilbert. C’est peu après son arrivée qu’elle aida à résoudre le problème auquel les deux mathématiciens et Einstein étaient confrontés. En physique, il existe des principes fondamentaux appelés « lois de conservation » qui affirment la constance de certaines grandeurs au cours de l’évolution d’un système. Les plus connues, qui sont les premières à avoir été découvertes, sont les lois de conservation de l’énergie, de la quantité de mouvement, du moment cinétique et de la charge électrique. Ainsi qu’Hilbert le fit remarquer, il semblait qu’une caractéristique singulière de la théorie de la relativité générale était que la loi de conservation de l’énergie ne s’y appliquait pas. Emmy Noether résolut le problème en montrant, à l’aide de deux théorèmes, l’existence d’une correspondance réciproque entre différentes lois de conservation et différents types de symétries impliquant chacune une forme particulière d’invariance (pour les trois premières citées, par exemple, les invariances par translation dans le temps, translation dans l’espace et rotation dans l’espace). Le premier théorème a des applications en mécanique classique (newtonienne) et en relativité restreinte ; le second en relativité générale mais aussi, on le découvrira par après, dans tous les autres domaines où appel est fait à des symétries de jauge locales, comme le modèle standard des particules élémentaires. La portée générale de l’approche de Noether ouvrait à ses théorèmes un vaste champ potentiel d’applications en physique. 

En dépit de l’appui résolu de Klein et Hilbert, Emmy Noether ne parvint pas à être immédiatement nommée à Göttingen. Un certain nombre de professeurs, surtout d’histoire et de philologie, ne souhaitaient pas la voir rejoindre leurs rangs. La légende veut qu’à l’occasion d’une discussion houleuse, Hilbert, faisant valoir à quel point le fait que la candidate soit une femme était dépourvu de pertinence dans le contexte, faisant référence à un lieu où la séparation des sexes était de rigueur, se soit furieusement exclamé : « Messieurs, nous sommes ici dans une université, pas dans un établissement de bains ». Il est possible que la sympathie notoire d’Emmy Noether pour le socialisme et l’Union soviétique, ainsi que son ascendance juive, aient contribué à renforcer les réticences de certains membres du corps professoral. 

Durant quelques années, elle fut donc obligée de donner à Göttingen des cours formellement attribués à Hilbert, toujours sans être rétribuée. Finalement admise à l’examen d’habilitation à enseigner, elle obtint en 1922 un poste honoraire de professeur associé avant de se voir accorder, un an plus tard, une charge d’enseignement de l’algèbre. À 41 ans, elle touchait pour la première fois un (modeste) salaire pour son travail. Jusque-là, elle avait chichement vécu de l’aide financière de sa famille puis, à la mort de son père, du petit héritage qu’il lui avait laissé. En 1931, elle était enfin nommée professeur associé à plein titre. Au cours des dix-huit ans qu’elle a passés à Göttingen (1915-1933), Noether s’est constamment retrouvée entourée d’étudiants brillants qui ont fini par former une sorte d’école. En 1933, l’arrivée des nazis au pouvoir la contraignit à quitter l’Allemagne. Au départ peu inquiète, elle finit par se convaincre qu’elle avait intérêt à s’exiler. Dans un premier temps, elle songea à s’installer à Oxford. Prise par le temps, elle accepta une invitation du collège d’études supérieures pour jeunes filles Bryn Mawr, en Pennsylvanie. Elle y enseigna jusqu’à sa mort, tout en donnant des cours à l’Institute for Advanced Study de Princeton. 

Toute la seconde et la troisième parties de la carrière d’Emmy Noether (1920-1935) furent consacrées à des travaux d’algèbre abstraite, domaine dans lequel son apport s’est avéré décisif. L’algèbre abstraite, ou algèbre générale, porte, non sur les nombres, comme l’algèbre élémentaire, mais sur les structures mêmes de l’algèbre. Une de ces structures est celle de groupe, dont l’idée a été introduite au XIXsiècle par le mathématicien français Évariste Galois, tragiquement mort dans un duel à l’âge de 20 ans. Une autre est celle d’anneau. 

Le concept d’anneau a été forgé sous un autre nom par Richard Dedekind. Ainsi baptisé par David Hilbert, l’anneau peut être défini comme un ensemble d’éléments pouvant faire l’objet de deux opérations analogues à l’addition et la multiplication pour les nombres entiers. Ces éléments peuvent être des nombres (entiers, rationnels, réels ou même complexes), mais aussi des objets non numériques tels que des polynômes, des matrices carrées, des fonctions ou des séries. Entre autres réalisations, Emmy Noether a identifié un type particulier d’anneau aujourd’hui baptisé « anneaux noethériens ». Suprême consécration, sur le modèle de « cartésien », « newtonien » ou « riemannien », l’adjectif « noethérien » est aujourd’hui très utilisé en algèbre et de nombreux objets mathématiques portent des noms qui le comprennent.     

Les mathématiques étaient la seule passion d’Emmy Noether et le principal sujet dont elle parlait. Jamais elle ne s’est mariée ni a eu d’enfants et on ne lui connaît aucune liaison amoureuse. Naturellement corpulente, très myope, elle prit davantage de poids encore avec les années du fait de mauvaises habitudes alimentaires qu’expliquait notamment sa pauvreté. Peu soucieuse de son apparence, elle négligeait complètement sa mise et portait les vêtements qu’elle jugeait les plus commodes pour donner cours. Elle parlait volontiers fort et, dans les moments d’exaltation, sa chevelure nouée en chignon pouvait se défaire sans qu’elle se préoccupe de la remettre en place. Ses leçons étaient extrêmement peu structurées et pouvaient jeter ses étudiants dans un profond désarroi. Mais ceux qui parvenaient à la suivre en étaient récompensés. Généreuse de son temps et de ses idées, elle soutenait et encourageait ses étudiants et ses collègues, discutait sans arrêt et intensément avec eux, rédigeait des introductions à leurs travaux et leur laissait le crédit d’idées qui étaient largement les siennes ou qu’elle avait fortement inspirées. Sur les quelques photos qu’on a gardées d’elle, observe Lars Jaeger, son visage est invariablement souriant et souvent carrément radieux. 

Il est commun de présenter Emmy Noether comme une des dernières représentantes de cette lignée de mathématiciennes et de physiciennes qui ont réussi à s’imposer dans leur domaine à une époque où l’idée qu’une femme puisse être savante apparaissait incongrue : Émilie du Châtelet, Laura Bassi, Sophie Germain, Ada Lovelace. Lars Jaeger rapproche aussi sa figure de celle de sa contemporaine Lise Meitner, qui partageait avec elle la caractéristique d’être juive dans un monde universitaire allemand où l’antisémitisme était répandu. Ni féministe avant la lettre, ni judaïste pratiquante, Emmy Noether ne se voyait pas avant tout comme une femme ou une juive, mais comme une mathématicienne. C’est également ainsi que la percevaient ses collègues et ses étudiants, impressionnés par ses formidables capacités intellectuelles. À sa mort, deux de ses collaborateurs à Göttingen devenus ses amis les plus proches, le Russe Pavel Alexandrov et le Néerlandais Bartel Leendert van der Waerden, publièrent l’un et l’autre de très beaux hommages. Dans son article des Mathematische Annalen, van der Waerden résume ainsi le principe fondamental qui, affirme-t-il, a guidé Emmy Noether dans l’ensemble de ses travaux : « Toutes les relations entre les nombres, les fonctions et les opérations deviennent transparentes, largement applicables et pleinement productives […] lorsqu’elles ont été séparées des objets particuliers auxquels elles s’appliquent et reformulées en tant que concepts universels ». 

Dans les affaires humaines et les savoirs qui en traitent (les sciences humaines et, jusqu’à un certain point, la philosophie), l’abstraction et la généralisation sont, au mieux des armes à double tranchant, au pire des tendances délétères. Mais, en mathématiques, elles sont l’instrument par excellence de la découverte. Emmy Noether maîtrisait ces procédés à un degré superlatif. C’est ce qui lui a permis de produire les résultats de recherche d’une immense portée pour lesquels, assurément, elle aurait aimé qu’on se souvienne d’elle avant tout.     

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Et si la « singularité » chère à Ray Kurzweil – ce moment où la fusion de l’IA et de l’intelligence humaine multipliera « nos capacités des millions de fois » – était déjà parmi nous ? Le pape du transhumanisme prévoyait l’événement pour 2045, et ses prédictions sont parfois exactes (n’avait-il pas annoncé que l’ordinateur battrait l’homme aux échecs en 1997, et ça s’est produit en 1998). Mais dans certains domaines, notamment celui du renseignement militaire israélien, cette fusion « aux effets cumulatifs exponentiels » fonctionne déjà, comme l’expose « le brigadier général Y.S ».

Il sait de quoi il parle. Il est en effet le patron de l’unité ultra-secrète 8200, qui traque le Hamas et le Hezbollah et choisit les cibles des bombardements à l’aide de logiciels comme Lavender et The Gospel (!). Le problème des grandes oreilles aujourd’hui n’est pas de collecter des données mais bien de les décrypter, analyser, croiser – bref de les faire parler presque malgré elles. Dans l’ex-RDA, la sinistre Stasi en faisait de même, bourrant constamment ses fameux dossiers (presque un pour deux adultes est-allemands) de toujours plus d’informations, la plupart inutiles. Hormis quelques pépites que la Stasi (principal employeur de la RDA !) avait le temps et surtout les moyens de détecter dans le fatras. Les services secrets israéliens, eux, doivent opérer bien plus efficacement et dans l’urgence. Désormais ils savent identifier les membres des organisations ennemies et surtout suivre leurs allées et venues. Qui fait partie d’une boucle WhatsApp suspecte ? Qui change régulièrement de numéro de portable ? Qui possède des armes ? Et surtout : qui n'a pas dormi chez lui depuis au moins deux jours ? Quand quelqu’un cochant ces cases-là et quelques autres retourne à son domicile, c’est pour s’y faire bombarder en même temps que sa famille et ses voisins. Les logiciels déterminent le ratio cible/victimes collatérales, et la décision dépend ensuite de l’importance de la cible... et des circonstances (on suppose qu’après le 7 octobre on tolérait, par vengeance, des ratios consternants).

Le brigadier général Y.S est un technophile enthousiaste, limite messianique, qui voit dans cette alliance des deux intelligences, la digitale et la biologique, la clé de la tranquillité des nations – grâce notamment à la mise en place de « frontières digitales », infranchissables clandestinement. Israël est à la pointe de ce rapprochement, pour lequel le Talmud a quasiment inventé un concept, « Havruta » (collaboration homme-machine), ainsi qu’une image : celle des deux couteaux qui s’aiguisent mutuellement en se frottant l’un contre l’autre. Non seulement l’IA peut chaque jour traiter plus de données, chaque jour plus nombreuses, mais elle peut les analyser plus intelligemment afin de « mieux choisir les cibles militaires potentielles en évitant les goulots d’étranglement d’origine humaine », écrivent Harry Davies et Bethan McKernan dans The Guardian.

Exemple d’un de ces goulots : les renseignements israéliens avaient reçu un document en arabe révélant les contours de l’opération du 7 octobre, mais ils n'avaient pas pris en compte cette information qui n’avait pas été convenablement déchiffrée à temps. Grâce au deep learning, les systèmes analytiques vont vite devenir parfaitement arabophones. Clausewitz disait que « la guerre était le royaume de l’incertitude ». De moins en moins vrai, tendanciellement, mais ce n’est pas gagné. Le péan techno-optimiste du brigadier Y.S en a d’ailleurs, par sa parution même, apporté une preuve cocasse : une fausse manœuvre sur Amazon a révélé l’identité ultra-secrète de l’infortuné maître-espion. Elle est révélée par The Guardian (à savoir : Yossi Sariel). Cette bourde, ce n’est pas le cerveau-machine, infaillible presque par définition, qui l’a commise, mais celui d’un pauvre humain maladroit – en l’occurrence, ce même Yossi Sariel.

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En France, personne ou presque n’en a jamais entendu parler. En Allemagne, c’est l’équivalent d’un Jean-Jacques Goldman, un chanteur dont la popularité a traversé les décennies. Herbert Grönemeyer fait désormais l’objet d’une biographie qui, dès sa parution, a pris place parmi les meilleures ventes outre-Rhin. Elle a la particularité d’avoir été écrite par un vrai écrivain, Michael Lentz, lauréat en 2001 du prestigieux prix Ingeborg-Bachmann, auteur, par ailleurs, d’une thèse sur la poésie sonore, professeur à l’université de Leipzig et ami du chanteur.

Lentz retrace le parcours de Grönemeyer qui s’est d’abord fait connaître du grand public en tant qu’acteur dans le film culte Das Boot, sorti en 1981. Ce n’est que trois ans plus tard, après quatre albums passés inaperçus, que le cinquième, 4630 Bochum, le propulse sur le devant de la scène musicale allemande. Il s’en écoule 2,5 millions d’exemplaires, ce qui, à en croire Wikipédia, en fait le troisième album le plus vendu de l’histoire allemande. Lentz raconte des anecdotes inédites : comment, par exemple, ainsi qu’il le rapporte dans un entretien à la Südwestrundfunk, le jeune Grönemeyer, grâce à sa très bonne technique vocale, « pouvait faire semblant de chanter en anglais » ou en français, sans rien comprendre aux paroles. Il dévoile aussi les secrets de fabrication du chanteur, qui ne met pas ses textes en musique, mais en texte une musique qui lui préexiste. « Les sons disent et racontent déjà quelque chose, souvent l’essentiel. Il en résulte une ambiance, une image, une atmosphère. Le texte explique ensuite, exécute, complète et s’adapte en étant lié à des contraintes formelles comme la mesure et le nombre de syllabes, le rythme et les unités de temps. »

Au bout du compte, Lentz propose une analyse en profondeur de l’œuvre de Grönemeyer, peut-être un peu trop, à en croire Ina Beyer dans une critique parue sur le site de la Südwestrundfunk. L’ouvrage suppose, d’après elle, « un lecteur hautement résistant à la théorie musicale ». Heureusement, note-t-elle, il existe une solution pour alléger cette lecture parfois un peu ardue : « l’entrecouper de temps à autre d’une chanson de Grönemeyer ».

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Lors d’un séjour en Argentine, l’écrivaine colombienne Laura Ortiz Gómez, locataire d’une maison délabrée et insalubre au loyer exorbitant, évoque dans son roman Indócil un événement peu connu : la grève des locataires à Buenos Aires en 1907, appelée « la grève des balais ». 

Laura Ortiz Gómez décrit une Argentine dont l’oligarchie revendique et finance l’anéantissement de milliers d’Indiens lors des fameuses « Campagnes du désert » à la fin du XIXe siècle. L’objectif : récupérer leur territoire pour le peupler avec l’immigration européenne. Mais contrairement à l’espoir de voir s’installer des Anglais et des Allemands pour « améliorer la race », les nouveaux arrivants étaient des Espagnols et des Italiens pauvres, installés dans des « conventillos », maisons collectives surpeuplées. Nombre d’entre eux étaient animés d’idées anarchistes, remettant en cause la propriété privée.

Indócil raconte l’histoire d’amour et l’étincelante rébellion de Vira et Olena. Armées de leurs balais, elles déclenchent une grève « transformant la poussière en poésie et les murs en témoins d’une révolution ». C’est une fable chorale qui donne voix à des personnages insolites. Chaque chapitre correspond à un personnage différent comme l’histoire de la jeune fille indienne Tehuelche, racontée avec la voix de ses os enfouis dans un mur de la maison.  

L’influence et le rôle de l’anarchisme dans les mouvements sociaux de l’époque sont un thème central. L’auteure explique dans un entretien à El País Colombia ses recherches approfondies sur la Federación Obrera Regional Argentina (FORA), une organisation anarchiste cruciale dans l’histoire de la classe ouvrière du pays. En récupérant ces récits, Ortiz Gómezoffre une vision plus complexe et nuancée des luttes sociales en Argentine, en mettant en lumière la manière dont les idées anarchistes ont imprégné et façonné les discours et les actions de résistance contre les injustices structurelles du pays.

Sur une note plus anecdotique et personnelle, Laura Ortiz Gómez raconte dans la même interview son expérience en tant que locataire dans le quartier de San Telmo, à Buenos Aires : « J’ai vécu récemment dans une maison du début du XXesiècle qui était vraiment délabrée, mais les conditions de location étaient usuraires. Il y avait des dégâts des eaux, les égouts bouchés et les propriétaires ne voulaient jamais s’occuper des réparations. De plus, les loyers augmentaient sans plafond légal et, en raison de l’inflation, une augmentation de 60 % tous les six mois était habituelle. La question des locataires et des loyers m’a obsédée. Je me suis demandé comment il était possible que, dans une ville où il y a tant de mobilisation, tant de protestations, il n’y ait pas d’espace pour la défense des locataires. »

Après Sofoco (« J’étouffe »), son premier recueil de nouvelles (Barrett, 2021), Indócil est son premier roman.

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Les chimpanzés mâles ne sont pas connus pour cultiver leurs sentiments paternels. En ont-ils, d’ailleurs ? Peu probable, car ils ne distinguent pas leurs propres enfants de ceux des autres. Il n’en va pas de même chez l’humaine espèce. Avec certes des hauts et des bas au fil de son histoire, elle se caractérise par un indéniable investissement paternel, qui semble aujourd’hui atteindre un sommet. Il ne faudrait pas pour autant en conclure que nous soyons seuls au monde ; chez diverses espèces animales, y compris chez les poissons, nous voyons les mâles s’occuper de leurs petits. Dans la gent mammifère, la proportion est de 5 %, nous apprend l’anthropologue Sarah Blaffer Hrdy dans son dernier ouvrage. Chez les singes même, il existe des espèces coopératives. Non forcément que les pères concentrent leurs attentions sur leurs propres enfants, mais ils contribuent à la nourriture et à la sécurité des enfants du groupe.

Ce qui fait notre spécificité, rappelle Sarah Hrdy, c’est qu’au fil des centaines de milliers d’années de notre ascendance, nous avons fabriqué les enfants qui de toutes les espèces animales mettent le plus de temps à acquérir l’autonomie. Il est peu à peu devenu impossible pour une mère de subvenir seule à leurs besoins. Les pères, mais aussi les autres adultes du groupe, ont été réquisitionnés.

Les progrès de l’endocrinologie apportent un éclairage supplémentaire : les pères qui pouponnent voient grimper leur production d’hormones maternantes, prolactine et ocytocine, et dégringoler leur testostérone. Idem pour les pères homosexuels.

Sarah Hrdy pense que la révolution néolithique (l’invention de l’agriculture) a fait régresser l’investissement paternel en vigueur chez les chasseurs-cueilleurs. Les transformations de la vie sociale que nous connaissons depuis des décennies sont en train de faire remonter le niveau d’investissement paternel au niveau des sociétés pré-néolithiques, peut-être même un cran au-dessus. 

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De tous les grands cinéastes, Ingmar Bergman est celui dont il est le plus difficile de séparer la personnalité, la vie et l’œuvre. Ses films ont un caractère éminemment autobiographique : beaucoup de situations qu’il a mises en scène lui ont été inspirées par des souvenirs d’enfance ou des épisodes de sa vie d’adulte. Les thèmes récurrents de son cinéma (le désir, l’infidélité, la jalousie, la culpabilité, l’humiliation, la solitude, l’incommunication, la souffrance, la mort, le mal, l’au-delà) sont le produit direct de son âme tourmentée et de sa vision tragique du monde. Presque toujours, il se projetait dans ses personnages, souvent plusieurs à la fois dans une même histoire. Ses films ont été tournés avec une vingtaine de collaborateurs toujours les mêmes, qui étaient ses amis, au premier rang desquels les acteurs Gunnar Björnstrand, Max von Sydow et Erland Josephson, ainsi que les actrices Ingrid Thulin, Harriet Andersson, Bibi Andersson et Liv Ullmann – les trois dernières furent d’ailleurs ses compagnes. 

Des centaines de livres et d’articles ont été consacrés à son art. Beaucoup font référence à sa vie, souvent telle qu’il l’a lui-même racontée. Mais s’il s’est abondamment exprimé à son propre sujet, c’est en des termes d’une fiabilité très relative. Son beau livre de souvenirs Laterna Magica est une sorte d’autobiographie romancée. Les trois récits inspirés par l’histoire de ses parents qu’il a rédigés lorsqu’il a cessé de réaliser des films sont explicitement des fictions. Et ce qu’il a dit de son travail dans son second livre de souvenirs, Images, ainsi que dans les centaines d’entretiens qu’il a donnés tout au long de son existence, est à prendre avec précaution. L’historien britannique du cinéma Peter Cowie connaît très bien Bergman, qu’il a eu l’occasion de rencontrer à plusieurs reprises. En 1982, alors que le cinéaste vivait encore (il est mort en 2007 à l’âge de 89 ans), il lui a consacré une première biographie. Le nouvel ouvrage qu’il vient de faire paraître intègre les informations contenues dans ses carnets de travail, publiés depuis lors, et sa correspondance, devenue accessible. 

Ingmar Bergman, on le sait, est né et a grandi dans une famille suédoise protestante austère et rigoriste. Son père était un pasteur intransigeant sur les questions religieuses et sa mère, à laquelle il était très attaché, une femme autoritaire. Son enfance n’a pas été aussi douloureuse qu’il l’a souvent prétendu. Si son frère aîné était régulièrement battu, lui-même a moins souffert de châtiments physiques que de punitions vécues comme humiliantes. Ses premières années n’ont par ailleurs pas manqué de moments agréables avec ses parents, et même d’instants de grand bonheur auprès de sa grand-mère maternelle. À l’âge de 16 ans, il fut envoyé en Allemagne dans le cadre d’un échange d’élèves. Il eut l’occasion d’y assister à un meeting d’Adolf Hitler qui l’impressionna beaucoup et pour lequel il éprouva ensuite, comme beaucoup de ses compatriotes, une admiration dont il eut par après profondément honte. Son terrible sentiment de culpabilité rétrospective est à l’origine de la décision qu’il prit alors de tourner complètement le dos à la politique.     

Étudiant en lettres, Bergman se tourna très vite vers le théâtre. Il monta plusieurs pièces avec une compagnie universitaire, en écrivit lui-même un certain nombre et entama une carrière de directeur. Engagé dans une liaison tumultueuse avec une militante de gauche, il coupa les ponts pour un temps avec ses parents. L’ampleur de son travail pour le théâtre et l’importance qu’il avait pour lui sont un aspect souvent un peu négligé de son histoire. Tout au long de sa vie, il réalisa quelque 170 productions pour la scène, la radio et la télévision. Le théâtre, a-t-il dit un jour, était pour lui comme une femme loyale, le cinéma comme une maîtresse exigeante. Vingt ans après, il nuancera ce propos en déclarant à son biographe être devenu, à cet égard, bigame. Les auteurs qu’il a le plus régulièrement mis en scène sont les grands représentants du répertoire dramatique : August Strindberg, en premier lieu, un de ses maîtres, dont l’influence sur son cinéma – notamment sa peinture sombre des rapports de couple – est très forte ; Shakespeare et Ibsen, mais aussi Molière (Don Juan), Pirandello, Tchekhov et, parmi les contemporains, Edward Albee et Tennessee Williams. Ses mises en scène se distinguaient par leur invention et leur qualité d’exécution. Il les a réalisées aux théâtres municipaux d’Helsingborg, Göteborg et Malmö, ensuite surtout au Théâtre dramatique royal de Stockholm. En 1976, ulcéré suite à un contentieux avec le fisc suédois (l’affaire, née d’un excès de zèle de l’administration, se termina très rapidement par le retrait de la plainte pour fraude fiscale déposée contre lui), il quitta la Suède pour quelque temps. Établi à Munich, il y dirigea une dizaine de productions sur la scène du Nouveau Théâtre de la Résidence.  

C’est comme scénariste au sein d’un studio qu’il commença à travailler pour le cinéma. Il était alors marié avec une chorégraphe. En 1946, il réalisait son premier film. Une quinzaine suivront au rythme étourdissant d’un ou deux par an durant dix ans, marqués au début par l’influence du cinéma muet scandinave, du réalisme poétique de Marcel Carné et du néoréalisme italien, mais dans lesquels son style très personnel s’affirme de plus en plus. En 1955, Sourires d’une nuit d’été, une de ses rares comédies, le faisait remarquer au Festival de Cannes. La célébrité à laquelle il accéda alors n’eut aucun impact sur le rythme frénétique de son activité créatrice et le chaos chronique de sa vie sentimentale. Au cours des années 1956 et 1957, il réalisa ainsi coup sur coup deux de ses chefs-d’œuvre : la fable médiévale Le Septième Sceau, puissante méditation sur la mort, d’une esthétique expressionniste et gothique (les images du chevalier jouant aux échecs avec la mort – cape noire et visage de clown blanc – sont légendaires), et Les Fraises sauvages, réflexion sur le sens d’une vie gâchée par l’égoïsme prenant la forme d’un récit réaliste entrecoupé de séquences oniriques. Durant la même période, il mettait en scène cinq pièces au théâtre de Malmö. À ce moment, son troisième mariage était en train de se défaire, et, tout en ayant une liaison intense avec Bibi Andersson, il faisait la connaissance de sa future quatrième femme (une pianiste de concert), ainsi que de celle qui allait devenir plus tard sa cinquième et dernière épouse, avec qui il vécut durant vingt-quatre ans jusqu’à ce qu’elle décède, le laissant très affecté. De 1957 à 1982, date de sortie de Fanny et Alexandre, largement inspiré par son enfance, Bergman réalisa encore une vingtaine de films d’un caractère expérimental (Persona) ou intimiste (Scènes de la vie conjugale). Après cela, il ne travailla plus que pour la télévision. Les dernières années de sa vie, il ne quitta plus l’île de Farö, où il avait fait construire une maison. 

Bergman fait partie des réalisateurs qui introduisent des thèmes inédits à l’écran tout en inventant de nouvelles formes d’expression. La matrice de son cinéma, résume Peter Cowie, c’est « le conflit entre la vie et la mort, la foi et le doute, la lumière et les ténèbres, le sadisme et la souffrance, la vengeance et la magnanimité, l’espoir et le désespoir, et par-dessus tout Dieu et les démons qui s’opposent à lui ». On ajoutera : la difficulté du rapport entre les êtres : entre les hommes et les femmes, mais aussi entre les femmes. Au seuil de la vieLe Silence, PersonaCris et chuchotements, Sonate d’automne mettent en scène des femmes entre elles. Et les personnages de femmes des films de Bergman, on l’a souvent relevé, sont plus riches, plus intéressants, plus finement appréhendés et dépeints que les personnages masculins, souvent un peu caricaturaux – c’est largement du point de vue des femmes que l’histoire est racontée. Sans s’attarder parce que ce n’est pas son objet dans ce livre, Cowie évoque aussi les caractéristiques formelles de ses films, qui ont tellement impressionné les autres réalisateurs et sont à l’origine d’images inoubliables. Le recours systématique à des gros plans de visage, par exemple : le célèbre regard face caméra d’Harriet Andersson dans Monika, plein de défi et de tristesse, le visage rayonnant et apaisé du vieux Victor Sjöström dans l’avant-dernier plan des Fraises sauvages, lorsque le personnage qu’il incarne revoit en rêve ses parents au bord d’un lac. Ou l’usage souverain qu’il faisait de la lumière, avec l’aide de ses deux chefs opérateurs successifs : Gunnar Fischer, héritier de la tradition expressionniste, et Sven Nykvist, le maître de l’éclairage naturel. 

Lors d’un voyage à Rome, Bergman eut l’occasion de rencontrer Federico Fellini. Les deux hommes tombèrent dans les bras l’un de l’autre. Leur admiration mutuelle n’a rien d’étonnant. Si différents que soient leur cinéma et leur caractère, ils avaient plus d’un point commun. Ils partageaient la même fascination pour leur enfance, le rêve, le cirque, les clowns, le spectacle, la femme, le sexe et le rivage de la mer. Et tous deux émaillaient leurs films d’éléments fortement présents dans leurs souvenirs et leur imaginaire : chez Bergman les miroirs, les ours en peluche, les horloges et les pendules, le son de la corne de brume et une série de prénoms revenant constamment (Alma, Anna, Isak, Karin – c’était celui de sa mère). 

L’image d’Ingmar Bergman qui ressort du récit de sa vie n’est pas sans ombres. Le producteur Carl Anders Dymling, qui fut son mentor, le décrivait comme « un homme de tempérament nerveux vivant avec passion, extrêmement sensible, colérique, parfois impitoyable dans la poursuite de ses objectifs, soupçonneux, têtu, capricieux et imprévisible ». Ses explosions d’impatience sur les plateaux étaient légendaires. Victimes de ses mouvements d’humeur, les comédiens et les techniciens avec lesquels il aimait travailler lui sont cependant restés indéfectiblement fidèles. Enclin à tomber passionnément amoureux sans préavis, il a souvent rompu sans délicatesse avec ses femmes et ses compagnes. La plupart sont pourtant demeurées ses amies. De son propre aveu, il fut un père absent. S’il veilla à assurer la sécurité matérielle des neuf enfants nés de ses mariages et de sa liaison avec Liv Ullmann, il ne fut affectivement vraiment proche que de sa première fille. La cinéaste Margarethe von Trotta, qui a réalisé un film sur lui, attribue ceci à son attachement à sa propre enfance. Lui-même disait n’avoir quitté la puberté qu’à l’âge de 58 ans. Lucide sur les failles de sa personnalité, il n’a jamais cherché à les cacher. « [Bergman], observe la réalisatrice Jane Magnusson, n’est pas le premier père négligent, mari infidèle ou artiste mégalomane – il est simplement plus honnête. » Quatre ans avant sa mort, Ingmar Bergman accordait à la journaliste Marie Nyreröd une série d’entretiens dans lesquels il se livrait avec beaucoup de sincérité et de franchise. Tout en reconnaissant n’avoir jamais investi le moindre effort dans la vie de famille, il y fait l’éloge des femmes avec lesquelles il a été marié ou a vécu, personnes merveilleuses, dit-il, qui lui ont toutes beaucoup appris. Il procède aussi à l’inventaire des « démons » qui l’ont tourmenté toute sa vie et qu’il a peu à peu appris à dompter : l’irrépressible sentiment d’une catastrophe à venir, la terreur de l’échec, la peur sous toutes ses formes, la propension à se mettre dans des états de rage incontrôlable. Il mentionne également deux démons qui l’ont toujours épargné. L’un est l’ennui, l’autre le vide et le néant : jamais sa créativité et son imagination ne l’ont abandonné, il en remercie le sort et beaucoup le feront avec lui.

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