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La reine Élisabeth II confia un jour à François Hollande avoir rêvé, petite fille, de devenir une actrice. Lorsqu’il lui fit remarquer qu’en un sens elle l’était, elle répondit, semble-t-il : « Oui, mais toujours dans le même rôle. » L’observation du président français ne manquait pas de justesse, de même que la réponse de la reine. « La fonction de monarque, relève Craig Brown dans le livre qu’il vient de consacrer à celle-ci, est intrinsèquement théâtrale : où que vous alliez, quoi que vous fassiez, le public est toujours là, attendant d’être surpris, ou rassuré, ou charmé, ou déçu. Le monarque doit jouer le seul et unique rôle qu’il est né pour jouer. » Se sachant donc en représentation permanente, la reine n’a jamais cherché à se soustraire aux obligations que ceci impliquait, par exemple celle de sourire de façon continue durant de longues heures. 

À la fin de sa vie, elle eut l’occasion de réaliser son ambition de jeunesse au sens littéral, en acceptant de jouer son propre rôle. En 2012, lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Londres, elle apparut en compagnie de Daniel Craig dans une fausse séquence de film de James Bond. Dix ans plus tard, à l’occasion du jubilé de platine marquant ses 70 ans de règne, elle tourna avec un plaisir évident un petit film de quelques minutes la montrant en train de prendre le thé avec l’ours Paddington, célèbre personnage de la littérature enfantine et de films d’animation. Une fois la prise de vue terminée, l’acteur Simon Farnaby, qui interprétait le rôle d’un valet de pied, la félicita : « C’était fantastique […], vous êtes une très bonne actrice. » « Naturellement, répondit-elle, j’ai fait cela toute ma vie. » « Vous voulez dire, jouer le rôle de la reine ? », demanda-t-il, l’obligeant à préciser : « Vous savez […], Paddington n’est pas réel […], mais moi je suis la reine. » 

Du jour où, en 1953, l’archevêque de Canterbury a posé la couronne royale sur sa tête, Élisabeth II, à ses propres yeux comme à ceux du monde, s’est totalement confondue avec son état de reine. Tout le monde s’accorde à reconnaître qu’elle a accompli avec stoïcisme les tâches de représentation officielle qui lui étaient dévolues (en sept décennies de règne, on estime qu’elle a conversé, fût-ce très brièvement, avec quelque 4 millions de personnes) et qu’elle a exercé avec efficacité les prérogatives reconnues au monarque constitutionnel britannique, qui relèvent, non du pouvoir, mais de l’influence : le droit et le devoir d’être consulté, de conseiller, d’encourager et de mettre en garde le gouvernement. 

Parce qu’elle était extrêmement réservée, sa personnalité n’a cessé de faire l’objet d’interrogations. Craig Brown n’a pas la prétention d’en faire une analyse approfondie. Même s’il est organisé selon un plan chronologique, son livre n’est pas non plus une biographie. Comme il l’avait fait dans un précédent ouvrage sur sa sœur la princesse Margaret (enfant terrible de la famille royale, réputée pour son franc-parler, son arrogance, sa vie sentimentale mouvementée et son association avec le milieu artistique et bohême), Brown propose un portrait éclaté de la reine, une mosaïque d’observations et d’anecdotes inégalement significatives mais qui, prises ensemble, s’avèrent éclairantes, et doublement :autant qu’Élisabeth II, le sujet du livre est l’étrange fascination qu’elle n’a cessé d’exercer sur les citoyens britanniques, l’obsession qu’ils avaient pour elle, la place centrale qu’elle occupait dans leur imagination.  

On apprend ainsi qu’à l’estimation d’un certain Brian Masters, qui a écrit un livre à ce sujet, un tiers des Anglais ont à un moment ou l’autre de leur vie fait un rêve où elle apparaissait. Plus d’une fois, le rêveur se trouvait dans une situation embarrassante, nu, ou dans une posture ridicule. À côté de ses propres rêves, Craig Brown raconte ceux de quelques personnalités : Kingsley Amis, Graham Greene, Henry Channon, C. S. Lewis, Judi Dench, la princesse Margaret, Boris Johnson. 

Combinée avec la terreur de commettre une maladresse, l’image de respectabilité austère de la reine et l’aura qui entourait sa personne expliquent un autre phénomène étrange : mis en sa présence, presque tout le monde perdait ses moyens. C’est ce que le présentateur de radio Terry Wogan appelait « l’effet royal », qu’il définissait de la manière suivante : interrogé par la reine, « vous dites la première chose qui vous passe par la tête et le souvenir de votre stupidité vous poursuit jusqu’à la tombe ». Aucune forme de mérite ou de célébrité ne semblait immuniser contre cette malédiction. Parmi ceux qui en ont été victimes, Brown cite le dramaturge Harold Pinter et le musicien Phil Collins. 

En dépit de son extrême politesse, la reine ne faisait rien, il est vrai, pour mettre à l’aise ses interlocuteurs. Lorsque quelqu’un lui était simplement présenté (les entretiens avec ses Premiers ministres – elle en eut quinze – et les chefs d’État étrangers se déroulaient bien sûr différemment), l’échange durait rarement davantage que quelques secondes. Après avoir demandé à la personne en face d’elle si elle venait de loin (« Have you come far ? ») et ce qu’elle faisait dans l’existence, la souveraine commentait la réponse obtenue d’un lapidaire « really ? »« interesting » ou « very interesting », dont on était censé comprendre qu’il mettait fin à la rencontre. À tort ou à raison, la banalité de ses propos a souvent été interprétée comme le signe qu’elle n’avait rien à dire. 

« L’effet royal » jouait également face à la foule. Supposée honorer les spectacles auxquels elle assistait, sa présence avait pour effet paradoxal de les perturber. Parce que le public détournait son attention de la scène pour la fixer sur elle, ou, paralysé par le respect, gardait un silence mortel aux moments où il aurait dû éclater de rire. Se rendait-elle compte, se demande par ailleurs Brown, à quel point le monde autour d’elle exhalait une odeur de peinture fraîche ? Lorsqu’elle se rendait quelque part, « tout ce sur quoi elle posait les yeux était plus propre, brillant, neuf, grandiose […] que quelques jours auparavant ».  

Une section du livre porte sur les règles d’étiquette. Aussi attachée au respect des préséances que sa mère et sa sœur, Élisabeth II tenait à ce qu’elles fussent rigoureusement respectées. Qui, à la cour, devait faire la révérence (pour les femmes) ou incliner la tête (pour les hommes) et devant qui ? Les usages reposaient sur la distinction entre les personnes de sang royal et celles qui avaient intégré la famille royale par mariage. Les divorces et remariages, ainsi que l’introduction de personnes roturières, obligèrent à réécrire les règles à deux reprises.  

Une plaisanterie courante au sein du personnel du palais était que le plus important pour Élisabeth II était « ses chevaux, ses chiens, le prince Philip et ses enfants, dans cet ordre ». La formule est un peu injuste : on croit savoir qu’elle consultait son mari avant toute décision importante et à quel point son avis comptait pour elle ; et bien des photos la montrent en mère aimante. Mais elle contient quelque chose de vrai. Dans une vie réglée au millimètre, le monde des courses hippiques l’excitait en raison de ce qu’il recèle de suspense et d’imprévisibilité. À deux occasions seulement dans son existence on l’a vue courir en public, et c’était sur un champ de courses. Sa passion pour cette forme de compétition la conduisit un jour à se comporter avec un surprenant manque de compassion. Lorsque l’entraîneur de ses chevaux fut provisoirement mis hors d’état de travailler après une chute et une opération du cœur, dans un premier temps, elle refusa peu charitablement de le garder à son service. Face au scandale dans le monde hippique, son contrat fut prolongé d’un an, avant qu’il ne change d’employeur. Cette sécheresse de cœur n’avait rien d’habituel chez elle. Lors de l’attentat à la bombe perpétré par l’IRA qui, en 1979, coûta la vie à Lord Mountbatten, la fille de celui-ci, un de ses petits-enfants et un garçon irlandais qui les accompagnait moururent également dans l’explosion. Le frère jumeau du petit-fils de Mountbatten tué fut gravement blessé. La reine l’emmena au château de Balmoral où elle s’occupa de lui avec une sollicitude maternelle. 

L’explication de son attachement profond à ses chiens avancée par Craig Brown est d’une nature assez semblable : ils l’affranchissaient des contraintes d’une existence enchaînée par un strict formalisme : « Dans une vie aussi planifiée et organisée, dictée par l’ordre, les conventions, le devoir et la dignité, n’était-ce pas le tempérament anarchiste de ses corgis qui lui plaisait tellement ? Ils ne lui offraient ni respect, ni admiration et à peine un peu d’obéissance. Ils étaient imprévisibles, agressifs, exigeants et insouciants [...], des dictateurs à quatre pattes […], des voyous déchaînés […]. Contrairement aux êtres humains, ils n’étaient pas impressionnés par Sa Majesté. » Lors d’entretiens plus longs que d’habitude, les corgis lui fournissaient aussi un sujet de conversation lorsqu’elle était mal à l’aise ou sentait son interlocuteur embarrassé. En 2014, elle reçut un chirurgien tout juste revenu de zones de guerre en Syrie, si traumatisé par les horreurs qu’il avait vues qu’il était incapable d’ouvrir la bouche. « Puis-je vous aider ? », lui demanda la reine. Et elle se mit à lui parler de ses corgis, dont ils s’occupèrent ensemble durant une demi-heure. 

Bien d’autres sujets sont évoqués dans A Voyage Around the Queen : la manière dont Élisabeth II a traversé la crise déclenchée par la mort de la princesse Diana et les multiples scandales familiaux qui ont entaché ses dernières années ; son aversion, exprimée en privé, à l’égard des dictateurs qu’elle était protocolairement obligée de recevoir (Idi Amin Dada, Bachar al-Assad ou Nicolae Ceausescu, dont la visite à Londres fut pour elle un vrai cauchemar) ; ses relations avec Margaret Thatcher, moins tendues qu’on l’a quelquefois soutenu ; l’évolution de sa prononciation de l’anglais, devenue moins châtiée et maniérée avec le temps ; les six versions qui ont été données de sa rencontre avec un intrus parvenu jusqu’à sa chambre ; les discussions autour de la désignation du « poète-lauréat » – Cecil Day-Lewis, John Betjeman et Ted Hughes portèrent ce titre, mais Philip Larkin ne l’obtint pas, en raison de la crudité de certains de ses poèmes. Et son portrait par Lucian Freud, qu’elle ne trouvait guère réussi. Peu de temps après qu’il fut terminé, elle était invitée à visiter une exposition de toiles du peintre, une série de ces nus particulièrement réalistes qui sont sa marque de fabrique. « Lucian Freud ne vous a-t-il pas portraiturée ? », lui demanda la gérante de la galerie. « Oui, répondit-elle, puis, baissant la voix, mais pas comme cela. »  

Durant les dernières années de son règne, il fut de plus en plus question d’une possible abdication en faveur de son fils le prince Charles ou de son petit-fils le prince William. À l’ancien directeur du Daily Telegraph Max Hastings, qui exprimait ses inquiétudes au sujet de sa succession, un de ses proches répondit : « Mais vous ne comprenez pas [vous, les journalistes] : elle aime être reine. » Elle le fut donc jusqu’à son dernier jour.Craig Brown n’est pas un admirateur naïf de la monarchie. S’il n’évoque pas, comme il aurait pu le faire, les questions que soulève l’immense fortune des Windsor, il rappelle à quel point une bonne partie des rituels cérémoniaux associés à la Couronne britannique constituent en réalité ce que l’historien Eric Hobsbawm appelait des « traditions inventées » : ils ont été introduits durant le règne de la reine Victoria ou par la suite. Avec le sourire, il met en lumière tout ce que l’engouement des Anglais pour la famille royale peut avoir d’exagéré et de ridicule. Mais l’image d’Élisabeth II qui ressort de son livre est positive et attachante. C’est celle d’une femme qui a fait son métier de reine avec retenue et un grand sens du devoir, raison pour laquelle, dans le petit film réalisé en son honneur,  l’ours Paddington lui exprime sa gratitude : « Merci pour tout. »

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« Écrire, ça me casse les couilles », résumait Beckett. En gros, ses confrères sont du même avis, sauf ceux qui jurent trouver à l’exercice un étrange et masochiste plaisir. Alors, pourquoi écrit-on ? Réponse de Jules Renard, mais qui vaut pour presque tout le monde : dans l’espoir « du succès d’estime, qui m’attend, et du succès d’argent qui m’attend aussi – mais avec moins d’impatience ». Qu’aurait-il dit aujourd’hui, où l’écriture d’un roman, pour pénible qu’elle soit, n’est que la première étape d’un long, long chemin de croix ? On publie en effet chaque année 80 000 à 100 000 livres en France, dont 12 000 romans. Les journalistes littéraires – 200, 300 maximum – ne peuvent donc n’en critiquer qu’une infime partie. Le sort du reste, de l’immense reste, est du ressort des médias numériques : blogs d’influenceurs, sites spécialisés, interventions sur les réseaux sociaux… Les identifier, leur mettre un texte sous le nez et les aguicher d’une façon ou d’une autre demande des efforts qui font pâlir ceux requis par l’écriture elle-même, et mobilise des talents dont bien des auteurs sont démunis. Car rares sont les émules de Léon Bloy, qui parcourait Paris avec une charrette pleine d’exemplaires de sa prose, ou de Restif de La Bretonne, ce virtuose de l’intégration verticale qui non seulement écrivait mais fabriquait aussi le papier sur lequel il imprimait ses œuvres, puis collait des affiches pour les vanter avant de les colporter lui-même.

Aujourd’hui les auteurs – surtout ceux de premiers romans qui ne désespèrent pas d’en publier un second – doivent assumer directement les tâches de promotion s’ils veulent sortir d’un fatal anonymat, car « il est très difficile d'être connu quand on n’est pas connu » disent volontiers les éditeurs ! « Un écrivain qui se lance doit désormais être non seulement écrivain mais aussi un authentique influenceur sur les médias sociaux, s’il veut être compétitif dans l’économie de l’attention », assène Jon Roth dans Esquire. Le débutant doit donc être moralement « prêt à exposer des parties de sa vie qui n’ont rien à voir avec la production culturelle », explique Kyle Chayka, dont l’ouvrage examine les implications de cet impératif. En gros, il s’agit d’établir un rapport d’intimité entre l’auteur et le lecteur potentiel, de « générer “une énergie” autour de sa propre personne », et de créer ou d’intégrer une communauté – ce qui suppose une excellente maîtrise des réseaux sociaux et de leur fonctionnement.

Or, problème dans le problème, ceux-ci se sont donnés un nouveau maître : l’algorithme, qui a pour unique dessein « de vous retenir le plus longtemps possible sur un site, fût-ce au prix d’un aplatissement de la culture ». Le résultat, poursuit Chayka, est l’équivalent culturel de la junk food : « quelque chose qui malgré vous sollicite vos sens, mais juste par la perfection de sa composition chimique ». Évidemment, nous voilà loin de la littérature. Mais un écrivain optimiste devrait en conclure que l’IA pourrait bientôt l’aider (voire le remplacer) dans la création d’un texte impeccablement calibré pour séduire un lectorat aux choix déterminés à leur tour par l'IA. L’heureux écrivain n’aurait alors plus qu’à attendre ses droits d’auteur pour aller les dépenser.

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Le pays le plus peuplé d’Afrique (230 millions d’habitants) n’est pas le plus libéral. Une loi de 2014, acclamée par la majeure partie de la population, criminalise les « relations amoureuses » entre deux personnes de même sexe. De lourdes peines de prison sont prévues. Depuis lors le harcèlement d’homosexuels au Nigéria est devenu monnaie courante. Il a donc fallu du courage à Chukwuebuka Ibeh pour écrire ce (premier) roman, écrit Estelle Shirbon dans le Times Literary Supplement. Il met en scène le parcours du jeune Obiefuna, qui découvre son penchant et est envoyé en pension par un père furieux. Ses émois à l’école, « ses interactions périlleuses avec d’autres garçons et le tumulte intérieur qui en résulte sont évoqués avec finesse », écrit Shirbon, qui émet des réserves sur d’autres passages. Entré à l’université, Obiefuna est confronté aux effets « immédiats et cruels » de la loi de 2014. Depuis lors une législation encore plus répressive a été adoptée en Ouganda, observe Shirbon.

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La célèbre tour de Babel peinte par Bruegel l’Ancien impressionne par son architecture surréaliste avant l’heure en forme de spirale. À l’instar de ses contemporains, le peintre associait cet épisode de la Bible à l’extraordinaire expansion de la ville d’Anvers au cours du XVIᵉ siècle. « Le commerce du monde entier » se trouvait dans cette ville, selon l’expression du diplomate vénitien Bernardo Navagero. Un essor dû à l’ensablement du Zwin, ancien bras de la mer du Nord, vers 1500, qui avait rendu Bruges inaccessible par bateau, faisant d’Anvers le port commercial le plus important d’Europe. On pouvait y acheter de tout : de la laine anglaise, des épices, du papier, des pierres précieuses, de la soie, du sucre, de l’ivoire, de l’or, de la porcelaine chinoise, du vin et bientôt des livres…

Dans un ouvrage qui vient d’être traduit en français, Michael Pye, historien et journaliste britannique, explore « les années fastes » d’Anvers : « ces quelques décennies fugaces pendant lesquelles elle a brillé de mille feux », souligne The London Review of Books. Un succès surprenant, car Anvers n’avait pas de cour, ni d’évêque, ni de dynastie régnante. « Une tolérance pragmatique » faisait de cette ville cosmopolite un endroit propice aux affaires. C’est là que prend racine la financiarisation de la vie, et qu’apparaît, en 1531, la première bourse au sens moderne. Le vent tourne dans les années 1560, avec l’avènement de la Réforme. « Les ingrédients magiques qui faisaient le succès d’Anvers se sont dissous rapidement », écrit The Guardian. En 1585, la ville est mise à sac par les troupes de Philippe II d’Espagne. Vers 1600, les rues sont quasi désertes. Les forces vives ont fui vers le nord. Amsterdam devient le nouvel Anvers. 

[post_title] => Le siècle d’or d’Anvers [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => le-siecle-dor-danvers-2 [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2024-10-30 19:51:12 [post_modified_gmt] => 2024-10-30 19:51:12 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=130597 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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Malgré d’indéniables avancées, les intouchables restent la lie de la société indienne, toujours dominée par un système de castes rigide. « La plupart des Dalits restent pauvres. Ils sont ouvriers agricoles, assurent des travaux serviles et sont cantonnés dans des habitations séparées », écrit l’historien Gyan Prakash dans The New York Review of Books. Leur statut est pourtant un sujet politique depuis un bon siècle. Ils ont été formidablement défendus par l’un des leurs, B.R. Ambedkar. Quatorzième enfant d’une famille d’intouchables du centre de l’Inde, il bénéficia de la passion de son père pour l’instruction, passion acquise au sein de l’armée coloniale britannique. Élève brillant, il décrocha une bourse pour l’université de Columbia aux États-Unis, où il obtint un doctorat (il en obtint un second à la London School of Economics).

La biographie de 800 pages que lui consacre le journaliste Ashok Gopal relate admirablement son itinéraire intellectuel et politique, estime Prakash. Influencé par le philosophe John Dewey, fasciné par les principes de la Révolution française, il fit sienne la devise « Liberté, égalité, fraternité », qu’il parvint à promouvoir jusqu’à la faire inscrire dans la Constitution de l’Inde nouvellement indépendante en 1949. Mais déjà il avait prévu ce qui devait arriver : « En politique nous aurons l’égalité, mais dans la vie économique et sociale nous aurons l’inégalité […]. Nous continuerons de nier le principe “un homme une valeur”. » Anticipant un avenir qui reste d’actualité soixante-seize plus tard, il dit aussi en 1948 : « La démocratie en Inde n’est qu’une couche de fumure sur le sol indien, qui est essentiellement non démocratique ».

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Parce qu’il a vraisemblablement vu le jour en 1524 (la date exacte n’est pas connue), on célèbre cette année le 500e anniversaire de la naissance de Camões. Parmi les initiatives prises à cette occasion figure la publication d’une nouvelle biographie, par Isabel Rio Novo. Reconstituer l’existence d’un homme qui a vécu il y a cinq siècles n’est pas chose aisée, surtout lorsqu’elle fut aussi tumultueuse que la sienne. Confrontée à chaque instant à des incertitudes, Isabel Rio Novo distingue avec subtilité, dans ce qu’on raconte à son sujet, ce qui peut être prouvé et doit être tenu pour certain, ce qui est probable, vraisemblable ou simplement possible et ce qui n’est clairement que pure hypothèse. Ceci tout en décrivant de manière suggestive l’environnement matériel, social et culturel dans lequel il a vécu, dans un récit qui, sans avoir rien de romancé, se lit, selon l’expression consacrée, comme un roman. 

Comme Dante, Cervantès, Shakespeare et Goethe, Camões est un symbole de son pays. À l’instar des trois premiers, il a contribué à consolider la langue nationale sous sa forme moderne. Écrivain du XVIe siècle, il est l’auteur le plus important de la littérature portugaise avec Eça de Queiroz au XIXe siècle et Fernando Pessoa au XXe. Son œuvre la plus connue, Les Lusiades, poème épique qui chante les exploits du navigateur Vasco de Gama et les grandes découvertes, a joué un rôle central dans le développement du sentiment patriotique portugais. 

Composées de plus de huit mille vers organisés en strophes de huit décasyllabes qui font se succéder deux rimes croisées et deux rimes plates, Les Lusiades contiennent des descriptions de la nature et des passions humaines d’une grande puissance et d’une exceptionnelle beauté, qui font penser à Homère. Son œuvre lyrique est aujourd’hui plus susceptible encore de nous toucher, et c’est certainement par elle qu’il convient de l’approcher. Dans ses sonnets, on entend sa voix vibrant de passion amoureuse, comme dans ceux de Shakespeare, et ses regrets de mauvais garçon, comme dans les poèmes de François Villon.  

Luís de Camões descendait d’une famille de gentilhommes (« fidalgos ») d’origine galicienne, par une branche cadette, désargentée. Toute sa vie fut marquée par la tension entre les privilèges que lui valait son appartenance à la noblesse et la nécessité d’assurer sa subsistance. Plusieurs villes (Porto, Coimbra, Santarém, Lisbonne) ont été proposées comme lieux possibles de sa naissance. Sans qu’on puisse l’attester à l’aide de documents, il est sûr qu’il a fait des études supérieures très poussées, sans doute à l’université de Coimbra. Son œuvre le montre, il avait une connaissance vaste et profonde de la littérature classique grecque et latine : Virgile, Horace, Cicéron, Pline l’Ancien, Ovide. Les œuvres des auteurs modernes italiens (Dante, Pétrarque, L’Arioste, Le Tasse) lui étaient familières. Il maîtrisait parfaitement les règles de la versification, la prosodie et la métrique. Et ses connaissances en géographie, botanique et astronomie étaient solides. Il avait une mémoire extraordinaire. À l’époque, les livres étaient rares, encombrants, lourds et difficiles à transporter. Or il a eu une vie extrêmement aventureuse et pleine de péripéties. Durant une vingtaine d’années « d’exil, de campagnes militaires et de longs voyages », sa prodigieuse mémoire lui a servi de bibliothèque. 

Lorsque Camões s’y est installé à l’âge de 20 ans, Lisbonne, capitale d’un empire maritime, était grouillante de vie : « [Il y] croisait des marins à la peau crevassée par le soleil ; des soldats dont le visage exhibait des cicatrices ; des prêtres et des frères cachés dans leurs habits sombres ; des jeunes nobles se déplaçant avec une suite de pages et d’esclaves. Les rues et les places débordaient de gens. Maures, Castillans, Catalans, Galiciens, Flamands, Vénitiens, juifs convertis, […] esclaves de toutes les couleurs venus d’Afrique, d’Inde ou du Brésil. » Durant plusieurs années, il mena sur les bords du Tage une double existence. D’un côté, celle de ces jeunes aristocrates lettrés qui fréquentaient assidûment le palais royal, offrant des poèmes amoureux aux dames de la noblesse. Son érudition, ses talents d’improvisateur et son esprit « irrévérencieux et mordant » le distinguaient au sein de cette population dans laquelle il comptait des amis et des parents. Sa seconde vie se passait dans les tavernes et les lieux de débauche où, en compagnie des marins et des truands, il fréquentait des prostituées auxquelles il dédiait des poèmes autant qu’aux dames de la noblesse et aux services desquelles il recourait. 

Il fut, semble-t-il, follement amoureux d’une certaine Catarina de Ataíde, sans que leurs relations ne débouchent sur un mariage, parce que l’intéressée ne le souhaitait pas ou que sa famille s’y opposait. Plein de dépit et animé par un puissant sentiment d’injustice, peut-être aussi pour une autre raison (il affirma par la suite y avoir été contraint), il s’engagea comme soldat pour servir en Afrique. Il resta deux ans au Maroc. Au cours d’un combat naval contre les Maures au large de Gibraltar, il perdit un œil : sur le portrait le plus authentique qu’on a gardé de lui, une sanguine de Fernão Gomes, sa paupière droite se ferme sur une orbite vide. De retour à Lisbonne, il fut impliqué dans une rixe avec le demi-frère du veuf de Catarina, qui, entretemps, s’était mariée et était décédée. Incarcéré, il bénéficia d’un pardon royal accordé suite à une supplique dont un réseau d’amis et de parents avait pris en charge les frais. Libéré de prison, il fut envoyé comme soldat en Inde.

Le voyage de Lisbonne à Goa en doublant le cap de Bonne-Espérance était celui qu’avait effectué Vasco de Gama un demi-siècle plus tôt. Camões s’est abondamment servi de ses impressions pour raconter le périple du grand navigateur dans Les Lusiades. C’était un voyage long, pénible et périlleux. Isabel Rio Novo décrit l’entassement, dans un espace réduit, de la population mélangée présente à bord du bateau : soldats, administrateurs et officiers, prêtres et missionnaires, marchands et aventuriers de toutes sortes, orphelines envoyées en Inde pour y contracter mariage, femmes exilées et prostituées. Elle évoque l’hygiène inexistante, la nourriture insuffisante et les provisions pourries, les maladies causées par les carences alimentaires ou propagées par les animaux vivants emportés pour compléter l’ordinaire des repas. Les tempêtes, aussi, les pluies torrentielles et les vents furieux. 

À Goa, où il débarqua au bout de six mois de navigation, Camões reprit rapidement ses vieilles habitudes. Pour une part, il menait la vie des soldats de garnison, sommairement logés, parcimonieusement payés, qui passaient leurs soirées dans les bordels où se bousculaient des prostituées indiennes, noires, mulâtres, chinoises, quelquefois européennes. Parmi ses compagnons figuraient toutefois quelques personnes cultivées avec lesquelles il conversait avec plaisir. Au milieu de ces occupations, suggère Isabel Rio Novo, il a certainement dû avoir des moments de solitude et de recueillement, qu’elle imagine en ces termes : « Durant les extraordinaires nuits de Goa, calmes, sans brise, le ciel semble plus vaste et chargé d’étoiles. Le parfum puissant des arbres de l’Inde, comme celui du jasmin arabe dont les fleurs s’ouvrent la nuit et se referment quand vient le jour, imprègnent l’atmosphère. […] Ce sont des nuits qui appellent la consolation d’un vers. »

En 1554, Camões participa à une expédition militaire à l’extrémité de la Corne de l’Afrique et dans le détroit d’Ormuz. À ce moment, il avait sans doute commencé à écrire Les Lusiades. Il passa ensuite quelque temps en prison, parce qu’il était soupçonné d’être l’auteur d’écrits satiriques dénonçant les mœurs dissolues et la corruption de l’entourage du vice-roi des Indes – peut-être aussi en raison de dettes non payées. Après une deuxième campagne en Indonésie, à Ternate et dans les Moluques, de retour à Goa, il bénéficia de la nomination d’un nouveau vice-roi, D. Francisco Coutinho, qui devint son protecteur et lui assura quelques années de vie paisible en compagnie d’amis comme le botaniste Garcia de Orta. En 1562, il était envoyé à Macao au titre de « prestataire des défunts ». Cette fonction consistait à dresser l’inventaire des biens des personnes décédées, les convertir en monnaie et ramener les sommes ainsi constituées aux héritiers restés à Goa, entre lesquels elles étaient partagées. Il resta à Macao deux ou trois ans. Lors du voyage de retour, son bateau fit naufrage au large du delta du Mékong. La légende veut qu’il se soit échappé de l’épave du navire en nageant d’un seul bras, tenant au bout de l’autre le manuscrit des Lusiades. Il a bien préservé le manuscrit, mais de manière sans doute moins spectaculaire. Le sauver était assurément sa priorité, plutôt que sa maîtresse chinoise, qui a sombré avec le navire, ou que les registres des biens des défunts et l’argent dont il était dépositaire, qui disparurent dans les flots. La perte de cet argent lui valut de nouveaux ennuis, parce qu’il fut accusé de l’avoir volé. Pour établir son innocence, il devait retourner au Portugal. En 1567, il s’embarqua donc pour Lisbonne. Arrivé au Mozambique, il dut rester deux ans dans ce pays, plus misérable que jamais, dans l’attente que ses amis réunissent les moyens financiers nécessaires pour effectuer la dernière partie du voyage. Il mit toutefois à profit cette période d’immobilisation forcée pour terminer Les Lusiades.

En 1570, il débarquait à Cascais. Ravagée par la peste, Lisbonne était fermée. Le roi Sébastien  1er, monté sur le trône en 1557 et à qui Les Lusiades sont dédiées, s’était établi avec sa cour à Sintra. Quand la ville reprit sa vie normale, en 1571, Camões put commencer à s’occuper de la publication de son œuvre. Le moment était favorable. Le roi Sébastien appréciait le poème. De surcroît, « toute l’Europe résonnait des exploits des navigateurs portugais, qui s’étaient lancés sur des mers inconnues, avaient révolutionné les connaissances en astronomie, sur les vents et les courants ainsi que les techniques de navigation, découvrant de nouvelles plantes, des animaux exotiques, d’autres races, d’autres cultures, d’autres croyances ». Pour pouvoir imprimer un ouvrage dans le Portugal du XVIe siècle, il fallait obtenir une triple autorisation de l’Église, du Saint-Office (l’Inquisition) et de l’administration royale. Les Lusiades ne contenaient rien de politiquement subversif. Mais les dieux de l’Olympe y apparaissaient, et le poème comprenait des passages érotiques. Le responsable de la censure, le frère Bartolomeu Ferreira, était un homme intelligent et érudit. En collaborant avec lui, Camões obtint que les références aux divinités grecques fussent interprétées comme des conventions littéraires. Les passages érotiques, tout en allusions subtiles et sans rien de cru, passèrent au prix de quelques coupes. 

Reconnu un immense poète, Camões n’en devint pas pour autant plus riche. Une rente modeste lui fut accordée, qui n’était toutefois pas payée régulièrement. Il finit ses jours dans une grande pauvreté, entretenu par quelques amis. Sa santé compromise par les épreuves endurées tout au long de son existence se dégrada. Il mourut en 1580, atteint de la peste, a-t-on dit, mais plus vraisemblablement des conséquences d’une syphilis ancienne qu’il avait peut-être contractée à Lisbonne avant de s’embarquer pour l’Afrique.   

« Camões, rappelle Isabel Rio Novo, fut un homme de son époque, qui pensait et vivait dans l’univers des valeurs et des préjugés de son temps. Pour lui, Dieu existait, et c’était le Dieu chrétien et catholique […]. Jamais il ne s’est exprimé contre l’Inquisition ni n’a protesté contre l’esclavage. Son système astronomique était celui de Ptolémée, dans lequel la Terre se trouve au centre de l’univers. » Pourtant ses passions, ses joies, ses tristesses et la beauté de ses vers nous touchent encore profondément. 

Il a connu la pauvreté, la faim, l’exil, la solitude, la maladie et de grandes souffrances physiques et morales. Mais il ne rendait personne responsable de ses misères, qu’il attribuait lucidement à ses erreurs. Sa notoriété tardive n’a pas suffi à atténuer une mélancolie et une nostalgie qui se sont accentuées avec l’âge et les années. Il avait du monde une vision fataliste qu’exprime bien le quatrain placé par Isabel Rio Novo en exergue de son livre, auquel le troisième des quatre vers donne son titre : si la vérité, l’amour, la raison et le mérite sont ce qui rend les âmes fortes et sûres, écrit-il, les puissances qui régissent la confusion du monde sont « la fortune, l’occasion, le temps et la chance ». 

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Pendant la Révolution culturelle, nous avions deux maoïstes à l’école de médecine. Le premier a lancé une brique à travers la fenêtre d’un poste de police pour précipiter la Révolution. Il a ensuite harangué le magistrat au tribunal pendant une heure, exigeant qu’il adopte la « Pensée-Mao-Tsé-toung », avant que celui-ci ne l’interrompe pour dire que tout cela était très intéressant, mais que c’était l’heure du déjeuner. Emmené par deux policiers parce qu’il refusait de quitter le tribunal, cet étudiant en médecine a crié qu’il était victime du fascisme ; ce qui laisse supposer que son imagination ne lui laissait pas saisir grand-chose de la réalité du fascisme.

Le deuxième cas est autrement sérieux. Il s’agissait d’un communiste sud-africain qui avait été emprisonné et torturé dans son pays avant d’être autorisé à le quitter. Cela lui conférait à la fois épaisseur et prestige. Dans son appartement d’étudiant, il avait une sorte de crèche de Noël, avec des personnages tels que le Dr Norman Bethune et Mao Tsé-toung à la place de Marie, Joseph et les rois mages1. Il parlait du matérialisme dialectique et de l’utopie chinoise avec la calme autorité de l’évangélique qui sait qu’il a été sauvé et que Dieu l’aime. C’était la première fois que je me rendais compte que certaines croyances politiques comportent un fort aspect religieux.

Le maoïsme était cependant beaucoup plus présent en France qu’en Angleterre et la sociologue Julie Pagis a mené dans cet excellent livre une enquête scrupuleuse sur un groupuscule maoïste qui ne s’est démembré qu’en 1980. L’historien britannique Sir Lewis Namier, qui croyait beaucoup à l’étude des détails historiques, disait que dans une goutte de rosée on peut voir toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, et le livre de Julie Pagis est écrit dans cet esprit. Cet épisode obscur et jusqu’à présent inexploré ouvre sur des questions beaucoup plus larges, dont certaines ont une signification pérenne. 

L’auteure est elle-même fille de soixante-huitards, du genre ruraux et éleveurs de chèvres, aux idéaux desquels elle reste fidèle, voyant dans la vie bourgeoise une sorte d’infection morale débilitante contre les effets de laquelle il faut toujours se tenir sur ses gardes. Mais malgré ce préjugé banal et profondément conventionnel, elle est une chercheuse honnête qui va là où la recherche la mène : dans les sombres recoins des possibilités humaines. 

Le groupe s’est formé autour d’un personnage mystérieux, un homme appelé Fernando qui prétendait être un réfugié politique d’Espagne, où il aurait été engagé dans des activités antifranquistes. De sa biographie, ses adeptes ne savent presque rien, si ce n’est qu’il a passé deux ans à Pékin en tant que correcteur de la traduction espagnole des œuvres de Mao, ce qui lui confère une sorte d’autorité apostolique. Sa maîtrise du français et de la doxa maoïste sont d’autres atouts dans la construction de son leadership charismatique. Il sait tout, il comprend tout, sa parole est définitive et incontestable. 

Il a rassemblé autour de lui un petit nombre de disciples, pour la plupart de jeunes adultes insatisfaits de leur vie et en quête d’un but transcendantal. Ce sont des idéalistes prêts à sacrifier leur vie à une cause. Ils sont issus de milieux sociaux variés, allant de la haute bourgeoisie au prolétariat, unis par leur désir d’une réponse utopique à tous les problèmes de l’existence humaine. Ils sont divisés par des tensions sur lesquelles Fernando joue comme un musicien sur une flûte, afin de mieux asseoir sa domination absolue. Bien que son empire soit minuscule, il divise et gouverne avec autant de rigueur que n’importe quel empereur sur un vaste territoire.
Formant un collectif théoriquement égalitaire dans un monastère désaffecté de la banlieue parisienne, ses disciples cherchent constamment à obtenir son approbation et lui fournissent ainsi un levier pour l’exercice d’une totale domination. Tantôt l’un, tantôt un autre semble bénéficier de la haute considération de Fernando, mais celle-ci est toujours précaire, le saint devenant soudain le pire des pécheurs, et inversement. 

L’excellence du livre tient à l’appréhension quasi romanesque des personnages – à l’exception de Fernando lui-même : comme tout leader charismatique, il reste délibérément mystérieux, comme surplombant toute forme de personnalité privée, ne laissant émerger que des détails très minces et imprécis de sa vie antérieure. Il s’est présenté comme une sorte de déité maoïste, sortie en armes du cerveau de Jupiter.  Comme si tout récit de son développement intellectuel aurait risqué de constituer une faiblesse, une dérogation à son inhérente perfection. 

Il aurait été facile de dépeindre ses disciples comme des êtres risiblement abusés, faibles et stupides. Ils étaient abusés et stupides, bien sûr, autant qu’ignorants et incurieux de la réalité de la Révolution culturelle qu’ils portaient aux nues et romançaient, mais cela n’en faisait pas des êtres totalement inestimables. Ils avaient de bonnes intentions et ont souffert pour leurs idéaux, aussi ridicules qu’ils aient pu être, ruinant dans certains cas pour toujours, ou pour de nombreuses années, leurs chances de mener une carrière normale et prospère. Leur folie n’était certainement pas la conséquence d’une incapacité intellectuelle : l’un d’eux avait été étudiant en médecine à Lyon, par exemple (l’alma mater de Frantz Fanon), un autre doctorant en anthropologie. Leur soumission volontaire et abjecte à l’influence d’un homme maîtrisant un schéma intellectuel jargonnant censé tout expliquer, mais dépourvu de toute originalité, est loin d’être inédite : une telle sujétion est en effet un phénomène bien connu, maintes fois reproduit dans l’histoire de l’humanité. Si ses disciples avaient été californiens plutôt que français, ils seraient probablement entrés dans l’ashram d’un faux saint homme hindou. C’est la tentative de compréhension de ce phénomène – la dialectique entre le gourou charismatique et ses disciples – qui donne à ce livre sa signification et son intérêt, et si finalement l’auteure ne parvient pas à l’expliquer, on ne peut pas lui en vouloir, car l’être humain, malgré les dernières avancées des neurosciences, reste ce qu’il a toujours été, et que j’espère il sera toujours, c’est-à-dire mystérieux. 

La teneur générale du livre est plus tragique que comique. Les disciples de Fernando, à l’instar des étudiants populistes russes qui, dans les années 1870, abandonnèrent leurs études pour « aller au peuple », ont pris un emploi dans des usines embauchant de nombreux travailleurs immigrés, et ont mené une vie plus dure qu’eux dans la mesure où, lorsqu’ils ne travaillaient pas, ils passaient de nombreuses heures en séances d’autocritique destructrice, brisant les relations nouées entre eux et conduisant à un épuisement mental et physique chronique. 

Ils donnaient leur salaire au collectif, en fait en grande partie à Fernando, qui pouvait ainsi se rendre au Portugal quand il le souhaitait, laissant la communauté à la charge de son dernier lieutenant désigné. Ses disciples étaient pris comme des insectes dans une toile d’araignée, d’une manière qui me rappelle la situation difficile de certains de mes patients piégés par un culte religieux. Ces patients vivaient dans la rue dans un état lamentable, causé par la dépendance à l’alcool ou à la drogue, avant d’être recueillis dans une camionnette itinérante par des membres d’une de ces sectes qui leur ont offert le salut. Ils ont effectivement été sauvés par la secte, présidée par un gourou charismatique : ils ont cessé de boire ou de se droguer et ont vécu dans la maison commune de la secte. Laquelle les a ensuite embauchés dans l’une de ses entreprises, mais sans salaire, en échange de nourriture et d’un logement. Il leur était difficile de partir car, n’ayant pas travaillé de manière déclarée, ils n’avaient pas droit aux allocations de chômage et ils étaient depuis longtemps éloignés de leur famille et de leurs amis qui auraient pu les aider. Ils ont dû choisir entre rester au sein de la secte ou retourner dans la rue.

Le parallèle avec le mode opératoire de Fernando est étroit sans être complet. Un point important de similitude est l’isolement délibéré des membres des sectes, maoïstes et religieuses, par rapport aux personnes de leur vie antérieure. À la manière d’un mari jaloux qui veut occuper toutes les pensées de sa femme, la secte est devenue le centre exclusif de leur existence.

Pagis saisit très bien l’extraordinaire capacité de l’esprit humain, une fois sous l’emprise d’une idéologie forte, à ignorer tout signe négatif. Très tôt, l’une des membres du collectif, la femme de Fernando, a dénoncé ce dernier en raison de sa jalousie sexuelle, de son infidélité et de sa violence en état d’ébriété. Mais lorsqu’elle s’est enfuie avec leurs enfants, le reste du collectif s’est livré à des contorsions mentales pour mettre en cause son individualisme petit-bourgeois. (Je me souviens avoir cohabité avec un étudiant, un communiste qui était le chef de ce qu’il croyait être le seul véritable parti marxiste-léniniste au monde, qui comptait une trentaine de membres, et qui dénonçait les lieder de Schubert pour leur pessimisme petit-bourgeois.)

Cela suggère que l’une des causes du développement, du succès et de la persistance des cultes charismatiques est l’absence totale de sens de l’humour ou de l’absurde. L’auteure a examiné les archives complètes du collectif de Fernando, que ses membres appelaient « l’Organisation ». Ses activités étaient enregistrées dans les moindres détails – témoignage s’il en est de leur immense sentiment d’importance. On n’y décèle aucune trace d’humour ou d’ironie. La solennité est (ou peut-être) la mère de beaucoup de cruauté.

Les membres de l’Organisation s’espionnaient et se dénonçaient mutuellement avec férocité ; les conjoints plaçaient la loyauté envers l’Organisation, et donc envers les intérêts fantasmés de la classe ouvrière, au-dessus de la loyauté envers leur partenaire. L’Organisationétait un nid de totalitarisme dans une société relativement libre (c’est-à-dire libre en comparaison de la plupart des autres). Ce livre nous rappelle que le totalitarisme a ses attraits pour certaines personnes et qu’il peut être embrassé volontairement, d’en bas. 

Ayant suivi le collectif jusqu’à sa dissolution, Julie Pagis était déterminée à en savoir le plus possible sur le mystérieux Fernando, et le chapitre « Démystifier le prophète » se lit comme un roman policier (au meilleur sens du terme). Elle établit avec plus ou moins de certitude que Fernando n’a jamais été un militant antifranquiste, qu’il s’est porté volontaire comme parachutiste en 1952, qu’il a fait l’objet d’une enquête des autorités espagnoles au début des années 1960 pour avoir abandonné femme et enfants, et qu’il a séjourné en Chine en tant que correcteur de la traduction espagnole des œuvres de Mao. Elle envisage la possibilité qu’il ait été un espion des services secrets espagnols, américains ou chinois, sans parvenir à une conclusion définitive. S’il a été un tel espion, il a fait preuve d’une dévotion héroïque à l’égard de son employeur. Malgré les immenses et louables efforts de l’auteure, Fernando (mort d’un cancer en 2008) reste une énigme. Tout comme la nature de son charisme, qui lui a permis de dominer – on pourrait presque dire d’ensorceler – un petit groupe de personnes intelligentes et idéalistes, les incitant, à une petite échelle, à perpétrer le mal les uns contre les autres. Qu’avait-il de si extraordinaire ? Il me semble que c’était un raseur prolixe dénué d’humour. Le maréchal Mobutu Sese Seko a dit un jour qu’il faut être deux pour être corrompu, et de la même manière, il faut un dirigeant et des dirigés pour que le charisme s’exerce.  

S’il n’y a pas de réponses définitives aux questions que cet excellent livre soulève, ce n’est pas une critique à l’égard de l’auteure, bien au contraire. Ceux qui disent « Plus jamais ça ! » ne connaissent rien à l’Histoire.

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On croyait connaître la vie de Cervantès. Mais, en fouillant dans les archives du royaume de Valence, un chercheur a découvert récemment qu’à son retour des cinq années passées en prison à Alger (il avait été capturé par un navire turc), ayant fait escale à Valence sur la route de Madrid, il y témoigna dans un procès criminel en défense de quatre hommes faussement accusés d’avoir agressé un jeune pêcheur, présumé mort. La romancière Begoña Valero s’empare de cet épisode pour tisser un roman historique de 650 pages. 

Racontés en parallèle, le récit de la captivité du soldat Cervantès à Alger et celui du procès, qui a lieu en 1580, finissent par se rejoindre. La romancière nous plonge dans la vie trépidante de ces deux grands ports méditerranéens, l’Alger du « beylerbey » (sorte de vice-roi), vassal du sultan turc de Constantinople, et la Valence de l’empire de Philippe II. Au procès, Cervantès vient appuyer la démarche d’un marchand majorquin, ami des accusés, qui mène l’enquête afin de les sauver de la potence. La romancière met en scène ce personnage mais aussi son épouse, ainsi que l’amie du pêcheur disparu et une prostituée du bordel des « Fembres Pecadrius », une zone située en dehors des murs de la ville, où la prostitution était légale.

« C’est le plus beau cadeau que la littérature pouvait m’offrir : raconter une histoire inconnue sur l’auteur de L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche », dit Begoña Valero sur le portail espagnol Todo Literatura.

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Sexe et christianisme ont toujours fait plutôt mauvais ménage – à ce jour y compris. Mais, explique le spécialiste de l’histoire de l’Église à Oxford Diarmaid MacCulloch, le christianisme s’est aussi largement défini par rapport au sexe (en gros, il est contre – le sexe féminin étant, dit Tertullien, le « portail du démon »). En 660 pages truffées d’érudition théologique, MacCulloch expose comment le christianisme naissant puis triomphant s’est construit tout en clarifiant son ambigu rapport à la sexualité, en un cheminement laborieux qui réplique, avec un sérieux décalage, les évolutions des sociétés chrétiennes. Cette ambiguïté, postule l’auteur, procède de la double tradition dont le christianisme est issu : le judaïsme et l’hellénisme, avec leurs approches respectives de la sexualité. 

Ainsi la Bible se focalise sur la question de la fidélité du peuple d’Israël à son Dieu unique et très jaloux, dont la fidélité sexuelle de la femme est la réplique terrestre et le symbole (à part ça, le judaïsme ancien est plutôt décontracté en matière sexuelle, quoique circonspect vis-à-vis de la fornication, de la zoophilie et du célibat). En face, la tradition grecque penche quant à elle vers l’idéalisme platonique ou la modération pythagoricienne, mâtinés de quelques concessions à la nature. Cette confrontation initiale se reflète dans les violents débats des premiers temps du christianisme sur la nature de Jésus-Christ et son degré de « physicalité ». Elle explique aussi quantité de débats subsidiaires, notamment sur la virginité de Marie (« Les théologiens se sont écharpés sur les modalités de la conception, sans exclure aucun orifice et avec un total mépris pour la biologie », ironise The Economist). Bien d’autres conflits relatifs au sexe ont ensuite agité le proto christianisme : circoncision judaïque ou baptême ? Mariage ou célibat (Jésus, qui n’avait pas une grande opinion de la vie familiale, et saint Paul penchaient pour le second) ? Clergé monastique ou marié ? Rôle des femmes dans la première église ? Une question a particulièrement divisé les premiers chrétiens : celle du plaisir sexuel dans le mariage. La tolérance a fini par prévaloir – les époux ont bien « une dette sexuelle l’un envers l’autre » –, mais assortie de conditions : les copulations doivent s’effectuer avec modération, et uniquement dans un but procréatif. Beaucoup de néo-chrétiens préconisaient néanmoins des solutions beaucoup plus radicales, comme la continence absolue (Enkrateia) voire la castration préventive à la façon d’Origène.

Il fut par ailleurs difficile de s’accorder sur d’autres problématiques, plus culturelles que théologiques, comme l’inceste, la polygynie, l’homosexualité, le divorce, le remariage des veuves, la prostitution (« Il faut bien qu’il y ait des égouts pour empêcher qu’une ville empeste », dira saint Thomas d’Aquin). Les différentes branches du christianisme ont d’ailleurs divergé sur certaines d’entre elles, en particulier le mariage des clercs. Il restera toléré dans l’Église d’Orient, les hautes fonctions restant cependant réservées aux moines. En Occident, le mariage, d’abord considéré comme un contrat (« l’alliance de deux hommes : les pères respectifs des deux époux »), obtiendra le statut de célébration religieuse puis de sacrement. Mais à partir du XIIe siècle, les membres du clergé devront rester célibataires, quoique pour des raisons davantage socio-économiques que théologiques. Après Luther, qui n’avait quant à lui rien contre le sexe et avait épousé une nonne, le clergé protestant retrouvera le droit de se marier. Ce débat-là ne semble pas définitivement clos, à la différence de celui – extrêmement sérieux – sur le sexe des anges. Décrits d’abord dans la Bible comme des prédateurs sexuels, puis dans l’iconographie médiévale en troubles androgynes (peut-être des sortes d’eunuques, suggère Diarmaid MacCulloch), les anges semblent en effet avoir désormais disparu de l’affiche… 

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Ils portent des noms de dieux, mais souffrent de maux bien humains : Junon et Jupiter vivent à Leipzig. Lui est écrivain et atteint de sclérose en plaques. Elle est danseuse, comédienne aussi, et le soigne avec dévouement, tentant de rendre son quotidien supportable. Les fins de mois sont difficiles : « le couple ne peut survivre économiquement que parce que Jupiter remporte de temps en temps un prix littéraire et Junon une bourse de théâtre », rapporte Christian Mayer dans le Süddeutsche Zeitung. La nuit, ils font chambre à part, l’état de Jupiter les y oblige. Junon, qui a la cinquantaine et se demande combien de bonnes années il lui reste, en profite pour discuter avec d’autres hommes sur Internet. Beaucoup ne sont que des escrocs qui cherchent à lui soutirer de l’argent. Elle le sait et se joue d’eux. Jusqu’au jour où elle tombe sur un jeune Nigérian, qui semble différent des autres. 

Voilà à peu près l’intrigue de Hey guten Morgen, wie geht es dir?, le roman qui vient de remporter le dernier Prix du livre allemand. Le titre peut se traduire ainsi : « Bonjour, comment ça va ? », l’une de ces phrases d’accroche typiques des « arnaqueurs sentimentaux » qui prolifèrent en ligne, font mine de s’éprendre de leur interlocutrice, en général assez âgée, avant de lui demander une somme importante. 

L’un des intérêts du roman, selon Mayer, est sinon d’inverser la répartition des rôles entre le manipulateur et sa victime, du moins d’en brouiller les contours. Autre point fort : son ton. Martina Hefter, l’autrice, dont Mayer relève les nombreux points communs avec la Junon du livre (elle aussi est mariée à un écrivain atteint de sclérose en plaques), « fait preuve d’un optimisme de défi qui l’emporte sur la tendance si répandue à se plaindre. Elle écrit l’histoire de deux survivants. Dans le mythe antique, Jupiter, le supermacho débauché, prenait toutes les libertés, tandis que la brave Junon, déesse du mariage, boudait jalousement sur l’Olympe. Il en va tout autrement dans ce roman, dans lequel une femme prend son destin en main. » 

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