WP_Post Object ( [ID] => 123909 [post_author] => 48457 [post_date] => 2022-10-27 07:30:18 [post_date_gmt] => 2022-10-27 07:30:18 [post_content] =>«J’abhorre tellement la vue des enfants que j’ai toujours eu le plus grand respect pour le personnage d’Hérode », écrit lord Byron dans une lettre de 1811. Il ne pouvait anticiper ce qui se passe aujourd’hui : une réticence croissante des femmes à procréer, et ce aussi bien dans les pays pauvres ou semi-pauvres que dans les riches. Amorcé en Europe peu après la boutade du poète, le mouvement a conquis la quasi-totalité de la planète. En Chine, le nombre moyen d’enfants par femme est tombé à 1,16, bien au-dessous du seuil de remplacement (2,08). Même en Inde, il est désormais inférieur à ce seuil. Avec 1,8, la France peut se targuer d’être nettement au-dessus de la moyenne européenne (1,59 dans l’Union). Mais un sondage récemment publié en dit long : 30 % des Françaises entre 18 et 49 ans ne veulent pas d’enfants ; elles sont 38 % chez les plus instruites (CSP+) 1. Leurs motivations affichées sont, dans l’ordre : « Un enfant n’est pas nécessaire à mon épanouissement » (50 %) ; « J’ai envie de rester sans responsabilités parentales » (48 %) ; « le réchauffement climatique » (39 %) ; « les crises politiques et sociales dans le monde » (37 %) ; « la surpopulation » (35 %) ; « la crainte des effets de la grossesse sur mon corps » (34 %)…
« Le cerveau est l’organe reproducteur le plus important », souligne le démographe Wolfgang Lutz. C’est bien là, dans le cerveau des femmes, que se joue l’avenir de la population, non seulement française mais mondiale. « À partir du moment où une femme évolue dans un contexte social qui lui permet de recevoir une éducation et d’envisager une carrière, elle projette une famille de taille réduite. Il n’y a pas de retour en arrière », explique-t-il. Comme l’illustre ce sondage, dans les pays riches viennent s’ajouter des craintes de caractère plus global. Justifiée ou non, la peur du réchauffement climatique se fait sentir, surtout chez les plus jeunes. Aux États-Unis, cela se traduit par la prise de parole d’organisations telles que les BirthStrikers (grévistes de la reproduction) ou Ginks (acronyme de Green Inclination No Kids). « Est-il encore acceptable d’avoir des enfants ? » a lancé la jeune députée démocrate Alexandria Ocasio-Cortez. Quant à la crainte de la surpopulation, les Françaises peuvent se rassurer : la population mondiale, qui atteint désormais 8 milliards, va immanquablement commencer à baisser (dès les années 2060 ou après 2100, selon les experts).
Nous nous dirigeons vers une planète moins peuplée mais surtout rapidement vieillissante, dans laquelle la pyramide des âges va peu à peu se transformer en pagode, comme l’illustre la figure p. 19 à propos du Japon, pays dont la population est la plus âgée au monde. Des chercheurs estiment qu’en 2045 un quart des Japonais souffriront de diverses formes de dégénérescence cérébrale. Dans tous les pays riches, la proportion des plus de 65 ans par rapport à la population active augmente rapidement. Même en France, malgré un taux de fécondité favorable, elle devrait dépasser 50 % en 2050. Vous disiez : réforme des retraites ?
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WP_Post Object ( [ID] => 123918 [post_author] => 48457 [post_date] => 2022-10-27 07:30:11 [post_date_gmt] => 2022-10-27 07:30:11 [post_content] =>Les choses vont vite. Dans un éditorial annonçant un précédent dossier sur la population mondiale, en décembre 2013, nous écrivions : « La Terre a dépassé le cap des 7 milliards d’habitants. » D’après l’ONU, le cap des 8 milliards est atteint ce 15 novembre 2022. Nous annoncions déjà la baisse de la population mondiale à venir, mais, depuis lors, les projections de l’ONU sont concurrencées par celles d’autres groupes de démographes, ce qui introduit une forte marge d’incertitude quant à la date à laquelle cette inversion de tendance doit se produire. Ce nouveau dossier présente l’état des discussions sur le sujet et se penche sur les raisons des discordances entre experts. En cause, principalement, la difficulté d’analyser et de prévoir le comportement des femmes, qui jouent bien sûr le rôle central dans cette affaire. Les projections des experts onusiens sont aussi influencées par des considérations politiques. Dans les pays riches, l’un des facteurs à prendre désormais en compte est le néomalthusianisme d’une nouvelle génération d’écologistes, atterrés par la dégradation de la planète. Leurs angoisses sont-elles entièrement justifiées, et faut-il par ailleurs craindre le vieillissement des populations qui s’annonce un peu partout ? On trouvera pour finir deux points de vue iconoclastes, l’un affirmant qu’il n’y a tout simplement pas de crise, l’autre proclamant que la démocratie est en péril. Les paris sont ouverts. — Books
Dans ce dossier :
WP_Post Object ( [ID] => 124006 [post_author] => 48457 [post_date] => 2022-10-27 07:30:05 [post_date_gmt] => 2022-10-27 07:30:05 [post_content] =>Si vous ignorez encore que l’on célèbre depuis 2021 le 150e anniversaire de sa naissance et cette année le centenaire de sa mort, c’est que vous vivez sur une autre planète. Car Marcel Proust est partout. Dans les musées, dans les festivals littéraires, en effigie sur des boîtes de madeleines et des carnets, mais surtout dans les librairies. Inédits, brouillons, écrits de jeunesse, cahiers, essais, dictionnaires, pastiches, florilèges, abécédaires, romans, bandes dessinées, anthologies, uchronies – sans compter les rééditions de son œuvre, de ses lettres et d’ouvrages classiques anciennement parus : c’est une avalanche, un déluge, un tsunami, une orgie ajoutée à une bibliographie déjà monstre.
Si pour l’un de ses récents commentateurs lire La Recherche « c’est prendre un moyen de transport inconnu pour un voyage d’une longueur peu ordinaire », tandis que pour un autre « c’est traverser l’Océan, et c’est très facile, il suffit d’adapter sa respiration », j’imagine que pour la vaste majorité de ceux qui désirent tutoyer ce sommet, c’est proche de l’alpinisme, il faut s’accrocher, ne pas dévisser. Ni de ses pages, ni des piles des libraires qui, avec plus de 80 nouveaux titres en deux ans, ont dû pousser leurs murs.
L’avantage, avec Proust, c’est bien entendu son côté corne d’abondance. Il aborde tellement de sujets avec tellement de richesse, fait preuve d’une telle connaissance d’une multitude de domaines en miroir avec son époque que sa matière à gloses est infinie, un « réservoir de sujets universitaires », disait l’académicien Dominique Fernandez. Aussi, ajoutez n’importe quel thème à Proust et… – la Normandie, la connaissance esthétique, la sexualité, la ponctuation, le temps, les arts, la langue française, Ruskin – et vous obtenez quelques nouveaux opus proustomanes, sinon proustolâtres. Même chose avec À la recherche… – de Céleste Albaret, du Paris de Marcel Proust, de Proust lui-même. Ce qui prouve qu’en matière de titres (il y a aussi Un amour de Proust, Proust du côté juif et Marcel Proust, du côté de la mère) peu d’écrivains pensent pouvoir faire mieux que l’auteur de Jean Santeuil. L’autre avantage avec lui, c’est qu’il appartient au XXe siècle et que, plus le temps passe, plus notre siècle se montre incapable de se passionner pour ce qui le précède de trop loin.
Impossible, pourtant, de ne pas s’interroger sur cette proustophilie aveugle, unanime, martelée au canon sans discernement. Car si Proust, mort à 51 ans seulement, incarne par sa vocation et son sacerdoce, de manière hyperbolique et absolue, la littérature à laquelle il s’est dévoué corps et âme jusqu’à en devenir l’icône par excellence, difficile de ne pas voir dans cette hyperproduction éditoriale spectaculaire, cette commémoration démesurée, un hénaurme symptôme. De quoi ? Eh bien, de manière tout à fait inversée, de la haine, de la perte, de l’oubli ou de la possibilité même de la littérature telle qu’il la concevait. Avec ses longueurs interminables et ses sinuosités labyrinthiques. Ses décrochages temporels et ses flash-back. Ses références cryptées et ses obscurités. Avec aussi toute sa charge d’entre-soi, de parisianisme, de snobisme épouvantables. Avec surtout son poids de cruauté et de crudité si politiquement incorrectes et si subtilement sociophobes : toutes choses insupportables autant qu’incompréhensibles aux éditeurs, critiques et autres « bookstagrameurs » assermentés pour qui ce qui s’écrit doit désormais faire simple, être accessible à tous, sans chichis excessifs de sens, de vocabulaire ou de syntaxe. Aussi, lorsqu’à l’occasion d’une recherche sur Internet s’affiche cette question automatique prévue par Google – « Pourquoi faut-il lire Proust ? » – et qu’on lit que « pour échapper au stress d’une vie quotidienne entièrement tournée vers le futur, son œuvre vient à point en ce qu’elle nous rappelle qu’il est important de faire silence, d’être présent et d’apprécier le monde autour de nous », on se dit que, pas de doute, devant tant de misère et de platitude, Proust se retourne à mort dans sa tombe.
— Cécile Guilbert est essayiste et romancière. Son dernier livre, Roue libre (Flammarion, 2020), a reçu le Grand Prix de la critique de l’Académie française.
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WP_Post Object ( [ID] => 124010 [post_author] => 48457 [post_date] => 2022-10-27 07:29:59 [post_date_gmt] => 2022-10-27 07:29:59 [post_content] =>Le film Blonde, du réalisateur australien Andrew Dominik, est enfin sorti – sur Netflix. Après des mois de teasing, une projection lors de la dernière Mostra de Venise, des années (plus d’une décennie !) d’écriture, de réécriture et de montage du projet, le mythe Marilyn Monroe est réactivé à grande échelle. Ce carton annoncé, lui-même tiré d’un best-seller – la biographie romancée de la star signée Joyce Carol Oates 1 –, interroge.
Première question : voir ou ne pas voir ce film ? La réponse n’est pas simple. D’abord, parce que tout le monde en parle et que, par un effet mécanique, on a vite l’impression de l’avoir déjà vu. Ensuite, parce que regarder un film de trois heures sur petit écran et avachi sur un canapé est objectivement une punition pour tout cinéphile ou quiconque ayant des problèmes de dos. Profitons donc de cette chronique pour adresser une supplique au cinéma mondial : peut-on arrêter de produire des films boursouflés de trois heures dont l’intrigue tiendrait facilement en une heure dix ? Si vous n’agissez pas au nom du septième art, faites-le pour les personnes aux lombaires fragiles, merci.
Cette nouvelle adaptation du roman (une première version catastrophique était sortie sur les écrans américains en 2001) et son succès nous confrontent par ailleurs à un étrange phénomène pop : la permanence d’une icône. Comment expliquer la longévité du mythe Marilyn ?
Une « icône » est avant tout le symbole d’une période, d’un mouvement. Il s’agit d’une figure lointaine qui entre pourtant dans tous les foyers, d’un visage intouchable mais répliqué des millions de fois sur papier glacé. En 1957, Edgar Morin, analysant l’âge d’or du cinéma hollywoodien, écrivait : « L’histoire des stars [a] recommencé à sa mesure l’histoire des dieux. » 2 Ainsi étaient créées de nouvelles idoles, mélanges de divinisation, d’humanisation brutale et d’inaccessibilité. On faisait les stars comme on produisait les films, en les destinant à une consommation de masse plus ou moins durable. Marilyn Monroe est justement la quintessence de cette figure imaginaire et fabriquée, du blond platine au grain de beauté qui se déplaçait tantôt au-dessus, tantôt au-dessous des lèvres peintes de Norma Jean Baker (son nom de baptême). En faisant d’elle un personnage romanesque il y a plus de vingt ans, Joyce Carol Oates ne s’est pas contentée de dessiner un merveilleux portrait de femme sur près de 1 000 pages. Elle a, à travers le personnage tragique de Norma dépassée puis dévorée par son double, tendu un miroir à la société américaine du XXe siècle. Dans cette époque fascinée par l’image et la consommation de masse, l’industrie du spectacle a imprimé sur nos rétines des visages et des corps de femme façonnés par le regard masculin. Blonde évoque avec brio la pauvreté de ces projections et la violence qui leur est inhérente.
Dans un monde post-#MeToo, Marilyn Monroe devient l’archétype de la proie féminine sacrifiée sur l’autel du box-office. Au risque de l’enfermer dans un nouveau statut, celui de martyre ? C’est ce que reprochent les critiques les plus sévères à l’égard du film. Ainsi pouvait-on lire dans The Guardian, sous la plume de Leslie Felperin : « Ce portrait de Monroe accentue sa souffrance et son angoisse, pour en faire une sainte féministe morte pour nos péchés scopophiles. […] Peut-être ne s’agit-il pas tant d’une œuvre que d’un rituel religieux des temps modernes, le chemin de croix de Monroe, la Passion de Marilyn. » Le livre de Joyce Carol Oates parvenait au contraire à faire de son héroïne une femme complexe et combattive, malgré ses failles et ses traumas. Le cinéma serait-il condamné à échouer là où brille la littérature ? Vous l’aurez compris, ce livre est à mes yeux un chef-d’œuvre. Pointe alors une dernière question, difficile : peut-on réellement apprécier un film tiré d’un ouvrage qu’on a profondément aimé ? Pour y répondre, je n’ai plus qu’à cliquer sur « play ».
— Floriane Zaslavsky est sociologue. Elle a publié avec la journaliste Célia Héron Dernier Brunch avant la fin du monde (Arkhê Éditions, 2020).
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WP_Post Object ( [ID] => 124014 [post_author] => 48457 [post_date] => 2022-10-27 07:29:55 [post_date_gmt] => 2022-10-27 07:29:55 [post_content] =>On ne cesse de parler de fake news et de désinformation. Mais que sont devenues les news et l’information tout court ? Sont-elles toujours ce bastion de la démocratie – le fameux quatrième pouvoir – garant de notre liberté de conscience et d’opinion, pourvoyeur de vérités factuelles qui édifient le citoyen et dérangent les puissants ?
Le moins que l’on puisse dire, c’est que la mythologie du métier de journaliste a du plomb dans l’aile. Déjà précarisés et sous la constante pression d’impératifs de rendement, les journalistes professionnels sont en compétition avec des « citoyens-journalistes » qui s’improvisent reporters sur les plateformes, les réseaux et les flux, à coups de vidéos, de live streams, de reels, de podcasts et autres threads. Et, comme si cela ne suffisait pas, non seulement on ne leur fait pas confiance, mais en plus ils sont détestés, harcelés et même menacés.
À cet égard, la lutte frénétique engagée contre la désinformation, à grand renfort de fact-checking, de « décodages », de « désinfox » et consorts, apparaît comme une attitude défensive visant à restaurer une dignité perdue. La désinformation est assurément une nuisance, occasionnellement dangereuse, mais elle représente un phénomène minoritaire touchant une proportion infime des consommateurs d’information. Les gens ne se détournent pas des journalistes à cause d’escrocs et de manipulateurs : au contraire, ces entrepreneurs du mensonge ne font que profiter d’une faille présente de longue date dans les métiers de l’information, qui n’a fait que s’accentuer au fil des dernières décennies.
Et c’est peut-être grâce à Donald Trump que nous y verrons enfin plus clair. En effet, l’ex-président des États-Unis a bâti l’essentiel de sa campagne électorale et de sa présidence sur le mépris de la presse, mais d’une façon si outrageante et décomplexée qu’elle devrait forcer la profession à enfin se ressaisir. C’est en tout cas l’analyse de trois professeurs en sciences de la communication dans leur livre News After Trump, qui offre un état des lieux également pertinent pour les pays européens, où souffle un même vent de défiance à l’égard des pourvoyeurs officiels de connaissances et de faits 1.
De fait, Trump lui-même n’est que le symptôme – il est vrai particulièrement virulent – d’une dynamique de fond beaucoup plus complexe que sa seule personnalité. Mais, en s’attaquant directement aux journalistes, en les appelant à maintes reprises « les ennemis du peuple », en favorisant les canaux alternatifs de communication, en mentant effrontément, en affichant une attitude raciste et sexiste, Trump a mis en évidence les ambiguïtés et les embarras d’une profession qui avait rarement eu, jusque-là, à s’interroger sérieusement sur son rôle et sa pertinence.
Les auteurs soulignent la tendance de la profession, face à Trump, à se replier sur ses mythes fondateurs tels que l’objectivité, le détachement et la neutralité. Or, cette vision « standard » du journalisme est précisément ce qui a été mis à mal par un président qui a su en faire un usage cynique : d’une part, fabriquer un bouc émissaire élitiste, donneur de leçons, menteur et déconnecté du peuple, permettant de disqualifier d’emblée toute critique à son égard ; d’autre part, bénéficier d’une couverture constante par ceux-là mêmes qui sont identifiés comme des « ennemis », transformant ainsi en spectacle permanent des comportements inacceptables – et, à force de répétitions, normalisant ceux-ci dans l’opinion publique.
Alors que faire ? News After Trump demande aux journalistes un effort d’introspection et un engagement moral. Il leur faudra sans doute renoncer au grand récit du journalisme héroïque d’antan et s’acclimater à une « culture des médias » dont ils ne seraient plus le centre, ni ce pilier fantasmatique de la démocratie, armé uniquement de faits objectifs – grand récit qui ne convainc plus personne. Une chose est sûre : le départ de Trump ne dispensera pas d’avoir à effectuer ce travail de refondation. Dans cette optique, déboulonner les fake news les unes après les autres est le combat le plus facile. Regagner la confiance dans les vraies news sera une tout autre affaire.
— Sebastian Dieguez est chercheur en neurosciences au laboratoire de sciences cognitives et neurologiques de l’Université de Fribourg, en Suisse. Il est l’auteur de Total Bullshit ! Au cœur de la post-vérité (PUF, 2018).
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WP_Post Object ( [ID] => 124035 [post_author] => 48457 [post_date] => 2022-10-27 07:29:45 [post_date_gmt] => 2022-10-27 07:29:45 [post_content] =>Depuis ferklempt (numéro d’octobre 2010), Daniel Pennac a traité gracieusement pour Books cent « mots manquants ». Nous sommes convenus d’un commun accord de nous arrêter là. Dans le prochain numéro, il tirera les leçons (inattendues) de cette expérience.
Le mot annoncé dans notre dernier numéro était pålegg. Il désigne cette institution norvégienne consistant à agrémenter une tranche de pain d’une petite montagne de victuailles. (Contrairement à ce que nous avions suggéré, il ne s’agit jamais d’un sandwich.)
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WP_Post Object ( [ID] => 124082 [post_author] => 48457 [post_date] => 2022-10-27 07:29:39 [post_date_gmt] => 2022-10-27 07:29:39 [post_content] =>Dans un pays où l’on adore les classements en tout genre et les récompenses, on ne s’étonnera pas de trouver parmi les meilleures ventes de livres les œuvres lauréates des deux principaux prix littéraires – le prix Akutagawa et le prix Naoki. Que ce soit le roman de Takase Junko couronné par le premier ou le recueil de nouvelles de Kubo Misumi primé par le second, les deux ouvrages résonnent l’un comme l’autre avec les préoccupations des Japonais. Ces derniers se montrent beaucoup plus attentifs à leur bien-être personnel alors qu’il y a peu ils faisaient d’abord attention aux autres. Cette évolution fondamentale se retrouve dans l’œuvre de Takase, qui s’intéresse aux rapports entre trois employés issus de la même entreprise. La romancière s’est fait une spécialité de ces histoires où « les humains apparaissent comme effrayants », rappelle Asahi Shimbun, le second quotidien du Japon. Les cinq nouvelles de Kubo Misumi n’échappent pas non plus à la dégradation des rapports humains : ses protagonistes se trouvent dans des situations d’impuissance et de repli sur soi. Mais, comme le souligne Asahi Shimbun, son recueil ne se contente pas d’exprimer la souffrance. « Si nous […] regardons le ciel nocturne, les étoiles scintillent encore et brillent sur nous. Elles nous disent que nous ne sommes pas seuls. Ce livre est comme une étoile pour nous », estime-t-il.
Dans « La vie d’aujourd’hui », la mangaka Masuda Miri, qui se met elle-même en scène, entraîne le lecteur à travers de petits récits dans la profondeur de sa vie intérieure, ce qui fait dire à Asahi Shimbun que son ouvrage est « un croisement entre un essai et un roman, qui donne la sensation de lire de la littérature pure ». À ses yeux, cela explique pourquoi ce manga rencontre un tel succès auprès du public. De la même manière, il est intéressant de noter que les Japonais accordent un réel intérêt aux ouvrages de Higuchi Keiko où elle décrit la « réalité du vieillissement » dont elle fait elle-même l’expérience. Dans un pays où près d’un tiers de la population a plus de 65 ans, l’existence d’un livre de cet acabit revêt « une grande importance », estime le journal. Surtout qu’« il est rare que quelqu’un ayant “l’aura” d’une experte comme Higuchi ose traiter le sujet de manière abordable en dehors du cadre auquel elle appartient » [elle est surtout connue pour son engagement féministe]. C’est là où l’on prend conscience que les lecteurs japonais cherchent des réponses aux profondes transformations de leur société. – Claude Leblanc
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WP_Post Object ( [ID] => 124169 [post_author] => 48457 [post_date] => 2022-10-27 07:29:34 [post_date_gmt] => 2022-10-27 07:29:34 [post_content] =>Le roman est à la peine, du moins chez les moins jeunes, dit-on. L’âge aidant, avec un cerveau et un emploi du temps sursaturés et un vague sentiment d’urgence, la lecture dite « utile » (essais, histoire, etc.) prend le pas sur celle de plaisir, la fiction notamment, présumée futile. Il existe cependant un moyen de conjuguer accroissement du savoir et divertissement : la lecture de biographies.
Romans et bios sont cousins. Comme le romancier, le biographe doit maîtriser « l’art d’insérer le lecteur dans un univers singulier, dans des esprits étranges et des corps encore plus étranges », dit Lytton Strachey, un des maîtres anglais du genre. Mais si les deux types d’auteurs aspirent à « l’authenticité », le premier se fie à « l’exactitude de sa propre vision », selon la romancière britannique Virginia Woolf, prêchant pour sa paroisse, tandis que le second est assujetti aux documents qu’il a pu dénicher. Résultat : la reine Victoria peinte par Lytton Strachey1 est « solide, réelle, palpable » (c’était à l’époque la reine la mieux documentée de l’Histoire) ; comme héroïne, elle est pourtant « limitée ». Emprisonnée par la masse des faits et des témoignages, la compacte et véridique Victoria n’enflamme pas autant l’imaginaire qu’une figure fictive mais emblématique – Emma Bovary, par exemple.
N’est-ce pas pire encore pour les biographes modernes, submergés d’informations de toute nature et de toute provenance ? Paradoxalement, non. Car leur art s’enrichit d’une nouvelle composante : celle de détecter dans le tsunami de données « le fait créatif, le fait fertile, celui qui suggère et fait naître quelque chose », disait déjà au début du XXe siècle le même Lytton Strachey. Mieux encore, par sa sélection des faits qu’il juge importants, révélateurs ou scandaleux, le biographe témoigne non seulement de son talent et de sa pensée propres, mais aussi de l’environnement moral et politique dans lequel il opère. À la différence des personnages de roman, les héros des biographies sont (souvent) revisités au fil du temps, et les nouveaux regards que l’on porte sur eux disent quelque chose de l’évolution des mœurs. Les premières biographies de l’admirable Thomas Jefferson mentionnaient à peine qu’il avait des centaines d’esclaves, encore moins qu’il avait fait six enfants à l’une d’elles. Aujourd’hui, les statues du contestable Jefferson n’en mènent pas large. « Les faits historiques ne sont pas comme les faits de science, ils sont soumis au changement d’opinion… Voyez comme la vision du sexe a changé sous nos yeux mêmes », note Virginia Woolf avec prescience (que dirait-elle aujourd’hui ?). Les peccadilles d’hier sont les crimes d’aujourd’hui – et vice versa.
[post_title] => Le passé, l’avenir de la lecture ? [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => le-passe-lavenir-de-la-lecture [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2022-10-27 07:29:34 [post_modified_gmt] => 2022-10-27 07:29:34 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=124169 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
WP_Post Object ( [ID] => 124197 [post_author] => 48457 [post_date] => 2022-10-27 07:29:28 [post_date_gmt] => 2022-10-27 07:29:28 [post_content] =>On peut, bien sûr, ne pas aimer – ou mal connaître – les mangas. On peut s’interroger sur la passion des jeunes générations pour ces bandes dessinées peuplées de personnages aux grands yeux adeptes de la bagarre et des arts martiaux. On peut être désorienté par le fait de commencer un album par la fin et de devoir lire les cases de droite à gauche. On peut être hermétique à cet univers souvent réduit par le profane à des titres comme Dragon Ball, One Piece et autres Naruto.
Mais il en est d’autres genres, de tout genre d’ailleurs – même Le Capital de Marx a été adapté en manga ! La Cantine de minuit s’inscrit dans cette veine différente. Une « cantine », donc, comme cadre de l’action. Un lieu sans prétention, au décor minimaliste voire inexistant, fréquenté essentiellement par des habitués. Les tribulations de la vie quotidienne, et en particulier les histoires d’amour, sont à l’honneur, les tracas sont partagés – on parle de fiançailles rompues, de déceptions amoureuses au sein de couples homos ou hétéros, de divorce. On pleure un amour perdu, comme le marin, à l’air bourru mais au cœur tendre, de l’extrait ci-dessous. Tous les protagonistes sont des personnages d’aujourd’hui : hôtesses de bar, masseurs de sauna, tenancières de boîte de nuit, mais également secrétaires, fonctionnaires, scénaristes. On croise même une auteure de mangas d’horreur, une dominatrice d’un club sado-maso et un bonze intérimaire – autant de noctambules familiers de Kabukichô, un quartier chaud de Tokyo où se situe la ruelle qui abrite la cantine.
Si ce petit monde se retrouve dans ce lieu ouvert aux heures les plus noires de la nuit, propices aux confidences, c’est aussi et surtout grâce au chef – un vieil homme qui répond au seul nom de « patron » – et à tous les plats qu’il concocte, déclinant à l’infini les richesses de la cuisine japonaise du quotidien. Officiellement, la carte ne propose que de la soupe miso au porc et du saké, mais il suffit au client de demander et le voilà servi selon ses désirs.
Dans ce 12e opus, l’auteur narre vingt-sept nuits, qui courent de la 310e à la 337e (la première nuit apparaît dans le premier volume, sorti en France en 2017). À chaque nuit son plat – au nom parfois mystérieux, comme l’itawaza (un pâté de poisson) ou le youlinji (des morceaux de poulet frits), parfois plus familier, comme les udon (des pâtes épaisses) à la sauce bolognaise ou le foie de lotte.
Pour qui n’est pas habitué aux bandes dessinées japonaises, sans doute ne convient-il pas de s’attarder sur la simplicité du trait, mais de s’intéresser au contenu de ces historiettes qui forment une véritable chronique sociale. Le « patron » présente chaque nouvel arrivant, par exemple : « Tsakuda était le fils cadet d’une famille de bonzes. Son métier était auteur pour enfants, mais il travaillait aussi comme bonze intérimaire. » Au fil des cases, Tsakuda nous apprendra, tout en se régalant de nouilles sômen, qu’il peut, dans la même journée, s’occuper de funérailles ici, d’une commémoration là, et le soir d’une veillée funèbre ailleurs encore. Au passage, il informe la compagnie qu’il est gay.
Les sujets sont abordés sans tabou, que ce soit la hantise des jeunes femmes de vieillir seules, le manque de confiance en soi, les mariages arrangés ou les divorces. Les échanges sont toujours francs mais jamais brutaux, les situations parfois difficiles mais jamais désespérantes. Il n’est question ni de politique, ni de la situation internationale dans les échanges entre les personnages, dont plusieurs sont récurrents : le vieux monsieur bien mis, l’homme à la casquette adepte des réflexions crues, la fille très enveloppée. L’actualité pointe quand même son nez avec la pandémie de Covid, qui voit le restaurant fermer pendant plusieurs mois et ses habitués se désespérer. La réouverture les rassérénera, même si elle n’est que partielle – horaires limités, pas d’alcool. Mais la possibilité de se retrouver à nouveau autour du comptoir, d’enlever le masque et de philosopher sur la vie dans le bruit des baguettes et des « slurp » de contentement clôt l’ouvrage sur une note optimiste. Le réconfort infuse dans les esprits, dans les estomacs et dans ces pages.
— O. C.
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WP_Post Object ( [ID] => 124058 [post_author] => 48457 [post_date] => 2022-10-27 07:28:56 [post_date_gmt] => 2022-10-27 07:28:56 [post_content] =>Dire que ce roman était attendu serait un euphémisme. Et qu’il a déçu, plus encore. « Celui qui continue de le lire après 50 pages est courageux, celui qui le garde en main après 200 pages est fou. Celui qui en lit les 900 pages est probablement un critique littéraire », note dans Die Zeit Adam Soboczynski, lui-même critique de son état. Der Schlaf in den Uhren est ce que les Allemands appellent un « roman mammouth », un pavé, tout comme l’était celui dont il est censé être la suite, La Tour, paru en 2008 et qui avait connu un prodigieux succès outre-Rhin : lauréat du prix du Livre allemand (le plus prestigieux du pays), il s’était écoulé à près de 1 million d’exemplaires, avait fait l’objet d’une quinzaine de traductions (dont l’une en français, chez Grasset) et d’un téléfilm en deux parties. D’un coup, il avait installé son auteur, Uwe Tellkamp, au firmament des lettres allemandes : on comparait sa prose à celle de Thomas Mann et on voyait dans La Tour des Buddenbrook revisités, plus ambitieux encore, puisqu’il y était question non seulement de la décadence d’une famille bourgeoise mais de celle de tout un pays, la RDA, à travers les destins d’une pléiade de personnages d’un quartier de Dresde.
En 2011, Tellkamp avait laissé entendre qu’il y aurait une suite. On l’espérait dès 2012. En 2020, elle fut annoncée pour 2021. Elle est finalement sortie au printemps 2022, s’installant d’emblée en tête des ventes.
Même s’il n’a pratiquement plus rien publié depuis 2008, Tellkamp ne s’est pas pour autant fait oublier. Et, pour beaucoup, c’est là tout le problème. En 2018, lors d’une table ronde, il a dit déplorer qu’en Allemagne on soit traité avec condescendance et exclu dès lors qu’on émet une opinion s’écartant de la pensée de gauche dominante, notamment sur l’accueil des réfugiés de guerre syriens. Il a affirmé en outre que plus de 95 % de ces réfugiés venaient non pas pour des raisons politiques mais pour bénéficier du système social. Il a aussi défendu le mouvement populiste Pegida et n’a pas fait mystère de sa proximité avec la Nouvelle Droite allemande. Autant de déclarations et d’accointances qui lui ont valu la réprobation de l’establishment médiatico-éditorial.
D’ailleurs, pour Xaver von Cranach, du Spiegel, si la publication du roman a tant tardé, c’est aussi parce les opinions politiques de Tellkamp embarrassaient son éditeur, Suhrkamp, le Gallimard allemand. « Aujourd’hui, le roman est donc là et cela signifie que Suhrkamp l’a jugé publiable. Il l’est dans le sens où il n’y a rien d’anticonstitutionnel dedans. Mais il ne l’est pas dans le sens où il est vraiment illisible. » Ce reproche, on le retrouve dans une bonne partie des commentaires de la presse allemande. Dans le Frankfurter Rundschau, Judith von Sternburg parle d’un « colosse qui ressemble à un grand livre, mais qui n’est qu’un amas de textes, sans doute triés encore et encore, et sans doute aussi raccourcis, édités, et pourtant aucun roman n’en est sorti. Ce n’est qu’une ruine de roman. » Quant à Adam Soboczynski, dans l’article du Zeit déjà cité, il déclare : « Peut-être n’est-ce jamais une bonne idée d’utiliser un roman pour illustrer une thèse. Mais ici, c’est particulièrement exaspérant. »
La thèse en question ? Essentiellement que l’ancienne RDA n’est pas morte en 1989, mais « s’est dissoute dans la RFA comme un cube de bouillon dans un ragoût », résume Thomas Assheuer dans un autre article du Zeit. Ainsi la Stasi n’a-t-elle pas vraiment disparu mais pris une forme nouvelle, plus subtile. « Le socialisme et le libéralisme se fondent en un Léviathan qui contrôle tout, un monstre monstrueux. »
L’intrigue se déroule au moment de la réunification, mais le narrateur est censé écrire en 2015, au moment de la crise des réfugiés. Il y avait déjà dans La Tour des moments d’échappées oniriques. Dans son nouvel opus, Tellkamp bascule résolument du côté du fantastique. L’Allemagne, par exemple, n’y est même plus l’Allemagne mais se nomme désormais « Trevia », et son organisme le plus puissant, le mystérieux « département des mille et une nuits », tire, en secret, toutes les ficelles, manipulant médias inféodés et politiciens arrivistes.
On s’en doute : pas un article ou presque qui n’ait crié au complotisme. L’une des rares voix dissonantes a été celle du critique Michael Hametner dans Der Freitag (journal libéral de gauche) : pour lui, même si certaines choses sont ratées, on ne saurait parler d’un échec, pas plus, du reste, que de révisionnisme ou de théorie du complot. Il conclut son article par un appel à laisser passer « la première vague de commentaires violents » et épidermiques. Car, selon lui, l’œuvre mammouth de Tellkamp mérite qu’on l’examine à tête reposée.
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