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La Chine a inventé la poudre à canon et l’imprimerie, mais son invention « la plus influente » est le Gaokao, le concours anonyme, écrit Daniel Bell, professeur de théorie politique à l’université de Hong Kong. On pense souvent que c’est le Parti communiste qui assure la stabilité du système chinois, mais sa légitimité repose en dernière analyse sur la restauration de ce système après la Révolution culturelle. Il est le fondement d’une méritocratie sans équivalent dans le monde occidental, car elle draine les talents de la quasi-totalité des jeunes Chinois. Ce sont les meilleurs résultats au Gaokao qui garantissent l’accès aux universités d’élite, qui forment les plus brillants des ingénieurs et des scientifiques mais aussi des futurs apparatchiks du Parti.

Si les examens ont été d’abord inventés sous la dynastie Sui, à la fin du VIe siècle – à l’époque où l’empire romain d’Occident s’était effondré –, le principe du Gaokao fut véritablement mis en place sous les Song, du temps de nos cathédrales. Afin que l’anonymat fût garanti, les copies des candidats étaient réécrites avant d’être soumises aux examinateurs, de sorte qu’ils ne puissent pas reconnaître l’écriture. Sous les Ming (1368-1644), des quotas furent établis afin que les candidats venant de régions pauvres ne soient pas pénalisés. Sous les Qing, au XIXe siècle, le Gaokao, sclérosé, fit eau de toutes parts, si bien qu’il fut aboli en 1905 – six ans avant l’effondrement de l’empire lui-même.  

Aujourd’hui le Gaokao est « peut-être l’institution chinoise la moins corrompue », écrit Daniel Bell en rendant compte dans la Literary Review de ce livre qu’il juge « définitif ». Les deux auteurs (chinois) ne manquent pas de souligner l’énorme pression exercée par ce concours sur les familles et la société dans son ensemble. Ils montrent aussi que le système est moins égalitaire qu’il le prétend : les familles urbaines riches favorisent leur enfant (le plus souvent unique) en le plaçant dans des écoles secondaires triées sur le volet et en lui faisant donner des leçons particulières. En revanche les auteurs ne mentionnent pas l’existence du concours hypersélectif qui, à la sortie de l’université, donne accès à la haute administration et aux responsabilités politiques. Bell rappelle aussi que l’on peut faire fortune sans avoir brillé au Gaokao : tel Jack Ma, le fondateur d’Alibaba. 

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Un jour que Maurice Ravel était en train de parler de Puccini en termes enthousiastes à l’un de ses étudiants, celui-ci, avec l’impertinence de la jeunesse, se mit à ricaner. Éclatant de rage, Ravel s’assit au piano et joua de mémoire l’intégralité de Tosca, s’interrompant une cinquantaine de fois pour faire remarquer la qualité d’un passage. Puis il prit la partition pour souligner la perfection de l’orchestration. Ravel n’est pas le seul compositeur du XXe siècle à avoir fait l’éloge de Giacomo Puccini. Stravinsky, Schoenberg et Webern exprimèrent également leur admiration pour son talent. Selon le critique américain Jay Nordlinger, deux catégories de personnes aiment Puccini : d’un côté le grand public, de l’autre côté les vrais musiciens, dont font partie les compositeurs. Influencés par une partie de la critique et du monde musical, qui le considère avec dédain, les mélomanes ordinaires ont tendance à juger ses opéras faciles, vulgaires et empreints de sentimentalisme. Lorsqu’ils sont touchés malgré tout par sa musique, ils répugnent à l’avouer. 

La réputation de Puccini ne cesse cependant de s’améliorer. Ses œuvres moins connues sont redécouvertes. Son génie dramatique et musical, mieux appréhendé, est analysé en profondeur. On s’intéresse à sa vie, en cherchant à y repérer des liens avec les sujets et l’atmosphère émotionnelle de ses opéras. Au cours des dernières années, de gros livres en italien lui ont été consacrés par, respectivement, Virgilio Bernardoni et Michele Girardi, deux spécialistes de son œuvre. Le second, le plus récent, est une version considérablement revue et enrichie d’un ouvrage plus ancien du même auteur, décédé il y a quelques mois. 

Né en 1858, Giacomo Puccini est issu d’une dynastie de musiciens établie dans la ville de Lucques, en Toscane. Son père, compositeur de musique sacrée, mourut lorsqu’il avait 5 ans. Toute sa vie, il resta très attaché à sa famille. La mort de sa mère, quand il avait 25 ans, l’affecta profondément. Il commença à étudier la musique au conservatoire de sa ville natale avant de s’inscrire à celui de Milan, où il ne suivit que les cours qui l’intéressaient. Une légende veut qu’il ait découvert sa passion pour l’art lyrique lors d’une représentation d’Aïda de Verdi. Son premier opéra, Le Villi, attira l’attention du tout puissant éditeur de musique Giulio Ricordi. Les éditeurs, à l’époque, ne se contentaient pas d’établir et publier les partitions des œuvres. Ils jouaient aussi le rôle d’imprésarios. Ayant repéré le talent de Puccini, Ricordi prit celui-ci sous son aile. Il lança sa carrière, qu’il continua à soutenir durant près de trente ans. Lorsqu’il mourut, en 1912, son fils Tito prit le relais. Bien que leurs relations fussent cordiales, Puccini n’eut jamais pour Tito l’affection intense, quasiment filiale, qu’il avait pour son père. 

Deux autres personnes indissociables de la vie artistique de Puccini sont les librettistes que Ricordi lui assigna, Luigi Illica et Giuseppe Giacosa. Ils travaillaient en tandem : le premier était chargé d’élaborer les scénarios, le second de transformer le texte en vers élégants. Calme et d’un naturel conciliant, Giacosa aida à fluidifier les relations entre Puccini et Illica, qui étaient souvent tendues. Il faut aussi mentionner le chef d’orchestre Arturo Toscanini avec lequel, en dépit de quelques brouilles passagères, il resta lié toute son existence. Parce que Ricordi n’appréciait pas son style de direction sans complaisance et rigoureusement fidèle à la partition, Toscanini n’eut l’occasion de créer que trois opéras de son ami. Mais il s’en fit le champion en dirigeant ses œuvres dans le monde entier. 

Le succès vint pour Puccini avec Manon Lescaut, en 1894. Suivirent, en quelques années, trois de ses œuvres les plus célèbres : La Bohème (1896), Tosca (1900) et Madame Butterfly (1904). Puis le rythme se ralentit. Explorant des voies nouvelles, il produisit en 1908 La Fille du Far West, ensuite un « triptyque » de trois courtes œuvres avant de revenir au grand opéra avec Turandot, qu’il ne parvint pas à achever avant sa mort, en 1924 (d’un cancer de la gorge). Un final fut composé par Franco Alfano, que l’on joue aujourd’hui généralement raccourci. L’Histoire a toutefois retenu que, lors de la première, Toscanini, qui dirigeait, abaissa sa baguette après la dernière partie que Puccini avait composée lui-même. Se tournant vers le public, dans des termes variant selon les témoignages, il déclara qu’à cet endroit le maître s’était arrêté, avant de laisser le rideau s’abaisser. 

Comme Verdi, Puccini resta toujours attaché à sa région d’origine. Il ne cessa de voyager à travers le monde pour superviser les premières de ses opéras à Paris, Londres, New York, Budapest, Madrid ou Buenos Aires, se faisant dans ces villes de nombreuses relations dans les milieux littéraires et artistiques. Mais lorsque ses premiers succès lui apportèrent l’aisance financière, il fit construire, pour s’y installer, une villa à Torre del Lago, un petit bourg situé à quelques dizaines de kilomètres de sa ville natale. Il aimait y chasser le canard, un de ses passe-temps favoris avec l’automobile, dont il fut un des premiers adeptes en Italie. Cette deuxième passion lui valut d’être victime d’un accident de la route qui l’obligea à rester immobilisé de nombreux mois. Il en garda des séquelles sous la forme d’une boiterie permanente. À Torre del Lago, il passait de longues soirées au café avec des amis. Sociable, appréciant les plaisirs simples, mais aussi un certain luxe, il ne recherchait pas la gloire et détestait les mondanités. Contrairement à Verdi, la politique le laissait indifférent. Le sort des plus démunis le touchait, mais jamais il ne songea à mettre son art au service d’une cause, en particulier la cause nationale. S’il accepta d’être nommé sénateur par le régime fasciste à la fin de sa vie, c’est avec beaucoup de détachement et parce que son confrère Pietro Mascagni l’était.

En 1886, il entama une liaison avec une jeune femme à qui il donnait des leçons de musique, Elvira Gemignani. Mariée, mère de deux enfants, elle en attendit bientôt un troisième de lui. Très amoureuse, elle quitta son mari, emmenant avec elle sa fille et lui laissant leur fils. Ce n’est qu’à la mort de son époux, vingt ans plus tard, qu’elle et Puccini purent enfin se marier. Leur union ne fut pas de tout repos. Il lui était attaché et elle ne cessa jamais de le soutenir. Mais elle était dévorée de jalousie, non sans raisons. Homme sensuel et enclin à tomber amoureux, il eut de nombreuses aventures. Parfois, il ne s’agissait que d’engouements, qui s’exprimaient surtout sous forme épistolaire. Dans le cas de Sybil Seligman, épouse d’un banquier londonien, ce fut essentiellement une amitié profonde, très enrichissante pour l’un comme pour l’autre ainsi qu’en atteste leur correspondance. Mais son comportement dans ce domaine et le soupçon permanent qu’il alimentait eurent des conséquences tragiques. Injustement accusée par Elvira d’être la maîtresse de Puccini, une de leurs jeunes servantes se suicida. À la suite de cet épisode, le musicien sombra dans la dépression et ses relations avec sa femme se détériorèrent pour un temps. 

On s’est souvent interrogé sur ce qui se reflète de la personnalité de Puccini dans ses opéras. Hédoniste, il était aussi incontestablement porté à la mélancolie. Une vision sombre et pessimiste de la vie se dégage de ses œuvres. La passion amoureuse y joue un rôle central, mais elle n’y trouve jamais d’issue heureuse. Bien sûr, il s’agit là d’une règle dans l’opéra romantique, notamment italien : les femmes n’y survivent pas au dernier acte. Mimi, la jeune compagne des artistes parisiens de La Bohème, est ainsi emportée par la maladie, et Manon Lescaut, envoyée en exil, meurt d’épuisement dans les bras du chevalier des Grieux. Mais la cantatrice Tosca, avidement convoitée par le chef de la police le baron Scarpia, Cio-Cio San (Madame Butterfly), abandonnée par l’officier américain Pinkerton qu’elle a épousée, et Liù, la jeune esclave torturée sur ordre de la glaciale princesse Turandot, se suicident toutes les trois. La première par désespoir d’avoir perdu l’homme qu’elle aimait, fusillé sur instruction de Scarpia pour le meurtre duquel elle va de surcroît être arrêtée ; la seconde parce qu’elle est déshonorée et que Pinkerton est revenu pour lui prendre leur fils ; la troisième pour sauver le prince Calaf, qu’elle aime mais qui aime Turandot, en ne révélant pas son nom qu’il a mis la princesse au défi de découvrir au prix de sa vie. Turandot, de son côté, avant de tomber dans les bras de Calaf par un coup de théâtre invraisemblable, se montre d’une cruauté inhumaine. Quand les femmes ne souffrent pas, elles font souffrir. Les drames de Puccini sont d’une terrible dureté. Le chef d’orchestre Lorin Maazel avouait ne pas pouvoir regarder la dernière scène de Madame Butterfly, tant la mort de celle-ci après avoir dit adieu à son petit garçon est poignante. Une telle mise en exergue de la détresse et du malheur relève-t-elle simplement des conventions du genre ? C’est loin d’être sûr.  

Comme Julian Budden dans un excellent ouvrage de 2002, Michele Girardi analyse longuement la technique musicale de Puccini à l’aide d’extraits de partitions et de portées commentées. Au moment où le compositeur entama sa carrière, l’opéra italien était dominé par les grandes ombres de Verdi et Wagner. Le premier avait porté à son sommet le grand opéra romantique, tout en introduisant dans le genre, avec Othello, une série d’innovations qu’il développa davantage encore avec Falstaff. Wagner, de son côté, avait inauguré une toute nouvelle conception de l’opéra comme drame total, intégrant le chant et la musique en un flux continu. Pour les compositeurs de la Giovane Scuola (Puccini, Mascagni, Leoncavallo, Catalani), l’enjeu était de poursuivre la tradition de l’opéra italien tout en la renouvelant, sans imiter ces deux géants. C’est Puccini qui y parvint le mieux.           

De la tradition du bel canto, il avait hérité l’art de composer des mélodies inoubliables, conçues pour faire éclater le public en applaudissements. Il l’exploita avec brio. « Sola, perduta, abbandonata » (Manon Lescaut), « Che gelida manina » (La Bohème), « E lucevan le stelle » et « Vissi d’arte » (Tosca), « Un bel dì vedremo » (Madame Butterfly), « O mio babbino caro » (Gianni Schicchi), « Non piangere, Liù » et « Nessun dorma » (Turandot), sont des morceaux de bravoure que sopranos et ténors inscrivent systématiquement au programme de leurs récitals. Ces arias, que Puccini apprit progressivement à insérer de manière de plus en plus naturelle dans le récit, ne sont pas seulement très prenants. Ils sont aussi d’une remarquable subtilité. Des sentiments et des émotions parfois contradictoires s’y expriment, ce qui les rend difficiles à interpréter.  

Contrairement à ce qui se passe chez Verdi, où le chant entraîne l’orchestre, chez Puccini, c’est l’orchestre qui porte le chant. Mélodiste de talent exceptionnel, il était surtout un orchestrateur de génie, et c’est dans ce domaine qu’il a le plus profondément renouvelé le genre. D’une richesse peu commune, sa palette orchestrale fait entendre des sonorités nouvelles en empruntant avec intelligence aux traditions musicales étrangères, qu’il avait étudiées avec soin : japonaise (Madame Butterfly), américaine (La Fille du Far West), chinoise (Turandot). Les chœurs sont mis à contribution d’une façon inédite, inventive et variée. C’est dans le domaine de l’harmonie qu’il se montre le plus audacieux, avec un recours intense au chromatisme, l’utilisation d’accords de tons entiers et des dissonances proches de l’atonalité. L’intégration étroite de la musique et de l’action, l’utilisation qu’il fait des leitmotivs, plus souple que celle de Wagner, et l’emploi régulier des ostinatos en font par ailleurs le plus cinématographique des compositeurs. Tous ces procédés se trouvent combinés de la manière la plus accomplie dans Turandot, qui représente l’apothéose de son art. Cette œuvre d’une splendeur barbare marque la fin d’une époque. Avec elle, le grand opéra romantique italien jetait somptueusement ses derniers feux. 

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Le nom de Francis Crick est associé avec celui de son cadet James Watson, récemment décédé, à l’identification, en 1953, de la structure de l’ADN, la molécule qui contient l’information génétique utilisée par les organismes vivants pour se développer, fonctionner et se reproduire. Cette découverte fondamentale, qui a valu à ses auteurs et à leur collègue Maurice Wilkins le prix Nobel de physiologie ou médecine en 1962, ne représente pourtant qu’une partie de la contribution du chercheur anglais aux sciences du vivant. Dans les années qui suivirent, Crick joua un rôle central dans les progrès de la biologie moléculaire qui découlèrent de leur exploit. Au cours d’une seconde carrière, aux États-Unis, il contribua par une série d’intuitions, de méthodes et de travaux à l’essor des neurosciences. Qu’est-ce qui lui a permis de se distinguer à ce point dans deux domaines différents ? Cette question court tout au long de la remarquable biographie que vient de lui consacrer Matthew Cobb. Tout en étant très précis et complet sur le plan scientifique, le livre, qui évoque largement la vie privée de Crick, met en lumière les liens entre sa personnalité et sa créativité.  

Né dans une famille de classe moyenne provinciale dans l’Angleterre du début du siècle dernier, enfant à l’évidence intelligent mais, de son propre aveu, « moyennement brillant », Crick entreprit sans enthousiasme des études de physique. L’éclatement de la Seconde Guerre mondiale vint interrompre le doctorat qu’il préparait sur un sujet qu’il qualifiera plus tard comme « le plus ennuyeux qu’on puisse imaginer ». Nommé au laboratoire de recherche de la force navale de Teddington, dans la banlieue de Londres, pour y développer des systèmes de contrôle des mines, il y fit la rencontre du mathématicien, logicien et philosophe d’origine autrichienne Georg Kreisel. Avec cet homme doté d’un intellect puissant, ancien étudiant de Wittgenstein à Cambridge, il pouvait parler de tout. Sous le feu de ses critiques et de ses objections, il apprit à organiser ses idées. Personnage étrange qui, dans une lettre à la philosophe et romancière Iris Murdoch, avoue n’être intéressé que par l’argent, le sexe et les mathématiques, Kreisel ne sortit jamais de la vie de Crick, avec qui il entretint durant des décennies une abondante correspondance. Ses lettres interminables mêlaient considérations philosophiques et scientifiques, ragots, propos graveleux et aperçus très crus d’une vie sentimentale débridée. 

À l’issue de la guerre, après avoir songé à travailler dans l’industrie ou comme journaliste scientifique, Crick décida de revenir à la vie de chercheur. La lecture de l’ouvrage d’Erwin Schrödinger Qu’est-ce que la vie ? et celle d’un article du chimiste américain Linus Pauling dans lequel il décrit la technique de diffraction des rayons X à l’étude des molécules biologiques le convainquirent de se tourner vers les sciences du vivant. Les sujets qui l’attiraient, sur lesquels il aimait particulièrement discuter, étaient les problèmes situés à la frontière du vivant et du non-vivant ainsi que ceux liés au fonctionnement du cerveau. Les uns et les autres semblaient insolubles et donnaient parfois lieu à des explications irrationnelles qu’il jugeait inacceptables : toute sa vie, Crick fut un matérialiste convaincu, « agnostique inclinant vers l’athéisme », disait-il, et hostile à la religion. 

Après une formation accélérée en biologie, il rejoignit en 1949 une nouvelle unité du Medical Research Council (MRC) créée pour l’étude de la structure moléculaire des systèmes biologiques au laboratoire Cavendish de physique de Cambridge dirigé par Sir Lawrence Bragg. Elle était placée sous la houlette du cristallographe d’origine autrichienne Max Perutz, qui allait devenir un de ses meilleurs amis. Crick y étudiait la structure des protéines. Lorsque le chimiste américain du Caltech Linus Pauling proposa, pour la structure de plusieurs protéines, des modèles différents de ceux de Bragg et son équipe en montrant que ces derniers étaient incorrects, ce fut une humiliation pour les chercheurs de Cambridge, mais pour Crick une illumination. Audacieusement, Pauling avait en effet pris le parti d’ignorer certaines données des images de cristallographie qui ne lui semblaient pas pertinentes, pour construire en s’appuyant sur ses connaissances en chimie et son intuition un modèle destiné à être testé dans un second temps. Cette approche correspondait parfaitement à la tournure d’esprit de Crick, enclin depuis toujours à s’appuyer avant tout sur la logique et l’imagination. Il l’adopta immédiatement et l’appliqua tout au long de sa carrière sous le nom de « don’t worry method », toute la question étant bien sûr de distinguer à bon escient entre les données significatives et celles que l’on peut négliger.

Watson et Crick l’ont toujours affirmé : s’ils n’avaient pas identifié la structure de l’ADN, quelqu’un d’autre l’aurait bientôt fait – les idées étaient dans l’air. Pas plus que son aîné, le jeune Américain ne travaillait sur l’ADN. Ses recherches portaient sur la structure des virus. Lorsqu’ils apprirent qu’une autre équipe du MRC basée au King’s College de Londres, dirigée par Maurice Wilkins et comprenant notamment Rosalind Franklin, envisageait une structure hélicoïdale pour l’ADN, Watson et Crick décidèrent de se pencher ensemble sur la question. Watson proposa un modèle qui se révéla erroné, et ils passèrent tous les deux à autre chose. Quand parvint au laboratoire le manuscrit d’un article de Linus Pauling (à nouveau lui) qui présentait un modèle de structure également incorrect, comprenant qu’il allait rapidement réaliser son erreur et risquait de trouver le bon modèle, Bragg, bien qu’en froid avec Crick qu’il trouvait arrogant, sans avertir l’équipe de Kings’s College, autorisa les deux chercheurs à reprendre leurs travaux ainsi qu’ils le lui demandaient. Au bout de cinq semaines de labeur acharné, ils produisirent le modèle qui s’avéra être le bon : une double hélice composée de deux brins de sucres et de phosphates réunis par quatre bases s’appariant deux par deux. 

Matthew Cobb tord le cou à la légende selon laquelle Watson et Crick auraient volé à Rosalind Franklin des données, notamment celles fournies par une photo obtenue par cristallographie par diffraction de rayons X, la privant ainsi de l’honneur de la découverte : les résultats obtenus par elle et Wilkins étaient connus à Cambridge, Rosalind Franklin savait que Watson et Crick en avaient connaissance et, au moment où ils ont effectué leur découverte, elle ne travaillait plus sur la structure de l’ADN. Il reste que les deux hommes ne se sont pas conduits correctement avec elle : ils auraient dû lui demander l’autorisation d’utiliser ses données, ce qu’ils n’ont pas fait. Cela n’empêcha pas Franklin de développer des liens d’amitié avec eux, plus particulièrement avec Crick, avec lequel elle collabora intensivement par la suite.

Dans son livre de souvenirs intitulé La Double Hélice, paru en 1968, Watson donne de Franklin une image peu flatteuse, en lui prêtant un mauvais caractère et en minimisant ses compétences scientifiques. Il revint plus tard sur ce jugement, en reconnaissant ses mérites. L’ouvrage présente l’histoire de la découverte de la structure de l’ADN comme une espèce d’énigme policière, ce qui en rend la lecture plaisante. Mais il prend un certain nombre de libertés avec les faits à des fins dramatiques, et le récit qu’il présente n’est pas totalement fiable. Son ton impertinent et irrévérencieux, les portraits caricaturaux qu’il contient et le tableau sans fard ni indulgence qu’il offre de la vie dans les laboratoires choquèrent beaucoup de scientifiques, à commencer par Crick, qui s’opposa longtemps à sa publication. Il chercha même un moment à le faire interdire, avant de renoncer à l’idée. L’affaire jeta un froid entre les deux hommes, qui se réconcilièrent au bout de quelques années.

Dans les vingt années à Cambridge qui suivirent, Crick joua un rôle clé dans la plupart des développements de la génétique, en plein essor : la définition du contenu des gènes comme une information transmise sous la forme d’un code, le déchiffrement de ce code, basé sur des séries de trois bases (les codons), la distinction entre parties codantes et non codantes de l’ADN, l’élucidation du mécanisme de synthèse des protéines, qui implique trois espèces d’ARN (un autre acide nucléique). C’est à lui que l’on doit la première formulation du « dogme central de la génétique », selon lequel l’information passe de l’ADN vers l’ARN et de celui-ci vers les protéines, et jamais de ces dernières vers un des deux acides nucléiques. Durant toute cette période, son interlocuteur privilégié à Cambridge fut le chercheur d’origine sud-africaine Sydney Brenner, avec lequel il se lançait dans des « sessions folles » d’échanges d’idées.  

Divorcé en 1947 de sa première épouse, dont il eut un garçon, Crick se maria deux ans plus tard avec une artiste issue d’une famille catholique nommée Odile Speed, qui lui donna deux filles. C’est elle qui dessina la double hélice illustrant l’article du journal Nature dans lequel Watson et Crick firent part de leur découverte. Odile déchargea son mari de tous les soucis domestiques, dont il était aussi peu enclin à s’occuper que des problèmes d’organisation en général. Leur mariage était ouvert. Crick avait toujours eu de nombreuses aventures et il ne perdit pas cette habitude une fois marié. Mais leur couple était solide et ils vieillirent ensemble. Avec le temps, il avait acquis une certaine notoriété. Les journaux tabloïds firent grand cas des fêtes que le couple organisait dans sa maison de Cambridge et le cottage qu’il avait acquis à la campagne. Scientifiques et artistes s’y pressaient, buvant et dansant dans l’esprit des « swinging sixties », et la liberté de mœurs caractéristique de l’époque y régnait. Admirateur du poète californien Michael McClure, Crick s’intéressait aux drogues psychédéliques. D’un autre côté, il restait attaché aux vues eugénistes professées par beaucoup de scientifiques au début du XXe siècle. Après quelques déclarations sur ce sujet, arrivé à la conclusion qu’il n’avait ni talent ni intérêt pour les questions liées aux rapports de la science et de la société, il s’abstint sagement de toute prise de position publique en la matière. 

À la fin des années 1970, conscient que le progrès des connaissances en biologie moléculaire et génétique se faisait à présent largement sans lui, il décida de s’installer définitivement à La Jolla, en Californie, pour y mener des recherches sur le cerveau, au Salk Institute où il avait régulièrement séjourné pour des périodes limitées. Sous l’intitulé « étude de la conscience », il n’entendait pas développer une théorie générale, qui aurait toutes les chances d’être fausse, mais, plus modestement, identifier les corrélats neuronaux de la conscience, en commençant par ceux de la vision. Il le fit au cours de la vingtaine d’années suivante, en collaboration avec plusieurs chercheurs, particulièrement un jeune théoricien des neurosciences d’origine allemande, Christof Koch. On ne peut attribuer à Crick de percée décisive dans ce domaine. Mais un grand nombre de ses idées (par exemple sur le fonctionnement des réseaux de neurones, ou l’étude des neurones à l’aide de leur manipulation génétique) ont inspiré les chercheurs qui l’ont suivi.  

Crick a bénéficié toute sa carrière de conditions exceptionnelles, inimaginables aujourd’hui. Jamais il n’a dû enseigner et il n’a rédigé une demande de financement qu’une seule fois dans sa vie. Mais sa productivité intellectuelle hors du commun s’explique surtout par ses qualités propres. Matthew Cobb insiste à juste titre sur la fécondité de sa manière de travailler, en dialogue constant avec un interlocuteur : il ne réfléchissait jamais aussi bien qu’en discutant. Il souligne aussi la puissance de son approche des problèmes : mauvais expérimentateur, il était un théoricien d’un caractère particulier, qui n’avançait jamais d’explications générales mais proposait, sur des sujets bien définis, des modèles et des hypothèses pouvant être testées par d’autres, au risque de se tromper, ce qu’il fit des milliers de fois. Enfin, son esprit ne s’arrêtait jamais, il avait les idées extraordinairement claires et la capacité de les exprimer de façon concise et lumineuse, comme le montrent ses articles scientifiques, des modèles du genre.  

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Dans une bibliothèque de Kyoto, une journée pas comme les autres a été organisée le 15 novembre pour briser une règle longtemps sacrée : manger et boire dans un espace de lecture. Grâce à l’initiative d’une association locale, collations, boissons et ambiance conviviale – lectures jeunesse, ateliers créatifs, friandises – ont transformé la bibliothèque en lieu de rencontre et de partage. Exceptionnellement autorisée, cette liberté visait à créer du lien social et à attirer des enfants peu familiers de ces espaces. L’expérience, rare et strictement encadrée, soulève la possibilité de repenser le rôle traditionnel des bibliothèques. 

Lire l’article sur ActuaLitté

Au Japon, les librairies peinent à survivre : en deux décennies, leur nombre a fortement diminué et de nombreuses communes sont aujourd’hui sans enseigne. Pour enrayer cette tendance, les autorités – par l’intermédiaire du ministère de l'Économie, du Commerce et de l'Industrie (METI) – ont conçu un plan de revitalisation. Celui-ci préconise notamment la modernisation des outils avec des étiquettes IC pour améliorer la gestion des stocks, et favorise les synergies entre librairies et bibliothèques afin d’élargir l’accès au livre. Par ce dispositif, le gouvernement vise à redonner aux librairies leur rôle de piliers culturels et à stimuler l’envie de lire. 

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La branche américaine de Humanoids, Inc. a officiellement déposé le bilan en vertu du chapitre 7 de la loi sur les faillites, contraignant l’entreprise à liquider ses actifs et à cesser ses activités aux États-Unis, en raison de dettes évaluées entre 10 et 50 millions de dollars. En revanche, sa filiale française, Les Humanoïdes associés, doit poursuivre ses opérations après une restructuration – le catalogue et la distribution étant maintenus. Pour le moment, le groupe assure que la production d’ouvrages en France reste assurée, malgré ce coup dur outre-Atlantique.

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Condamné à vingt ans de réclusion pour des faits de viol, de drogue et de violences abominables, Dominique Pélicot cherche désormais à faire publier, depuis sa cellule, un recueil mêlant poèmes, récits et fragments autobiographiques. Son avocate présente ce projet comme un exutoire thérapeutique, mais la perspective d’offrir une tribune à un auteur condamné ravive un débat délicat – à l’image de l’émoi suscité en 2002 par la publication d’un ouvrage de Patrick Henry. À ce jour, aucune maison d’édition n’a accepté le manuscrit, soucieuse des implications éthiques et médiatiques d’un tel choix. 

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« Une magnifique histoire du capitalisme » selon Amartya Sen, « un livre monumental, à lire absolument », selon Thomas Piketty, « un véritable tour de force » selon Peter Frankopan… Le fort ouvrage (1 300 pages) de l’historien de Harvard Sven Beckert est, à peine paru, sur la liste des bestsellers d’Amazon.

Dans le New York Times l’historien Marcus Rediker expose l’originalité d’une approche qui, au lieu de faire débuter le capitalisme en Europe, comme le veut la tradition, en décèle l’un des premiers vagissements dans la cité portuaire d’Aden, au XIIe siècle. Des lettres de marchands juifs, précise Gideon Lewis-Kraus dans le New Yorker, en attestent l’innovation essentielle : ce ne sont plus des marchands qui sillonnent les mers au risque de leur vie, mais des entrepreneurs qui financent des expéditions marchandes, au risque non de leur vie mais de leur capital. Si l’on en voit les prodromes au XIIe siècle, le capitalisme ne s’est cependant développé, selon ce même principe, qu’à partir du XVIe. La dynamique est d’emblée globale, sinon mondiale ; elle implique « le comportement particulier de marchands dans des lieux aussi éloignés que le Caire ou Changzhou », écrit Rediker. En créant des « réseaux de confiance élaborés s’étendant sur de longues distances, ils ont contourné et surmonté les résistances qu’ils pouvaient susciter, tant de l’aristocratie foncière que, en bas de l’échelle sociale, des cultivateurs et des artisans ». L’une des premières « villes capitalistes », selon Beckert, fut Potosí, dans l’actuelle Bolivie : tandis que mouraient un quart des ouvriers descendus dans les mines d’argent, « les riches Potosiens achetaient des diamants de Ceylan, des bas napolitains, du cristal de Venise et de la porcelaine de Chine ». Comme en témoignent encore la traite des Noirs et les guerres qu’il a provoquées, l’histoire du capitalisme est aussi celle de la violence.

Pour autant, le livre ne fait pas l’unanimité. Dans le New Yorker, Gideon Lewis-Kraus juge que Beckert fait bon marché de l’énorme impact de la technologie et aussi de l’implication croissante de l’État. Et il relève une forme de contradiction : d’une main l’auteur constate l’impossibilité de définir l’« essence » du capitalisme, de l’autre il aligne les métaphores pour décrire cette « essence » : « une force quasi géologique », écrit Beckert, « un arbre qui a percé la canopée… un torrent… un tsunami… une force qui modèle le monde », qui « incarne une logique unique… une tendance à croître, s’écouler et pénétrer tous les domaines d’activité ». Pour finalement lui trouver bel et bien une « essence », celle de « produire une diversité connectée ». Au bout du compte, écrit-il, « décrire le capitalisme comme un événement toxique porté par le vent, sans forme définie et toujours en expansion – ce n’est rien expliquer du tout ». 

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Invité à la Foire du livre de Kiev, l’écrivain colombien Héctor Abad Faciolince se rend en Ukraine, déchirée par la guerre. C’est à Kramatorsk, à une vingtaine de kilomètres de la partie du Donbass occupée par la Russie, qu’un missile balistique Iskander frappe une pizzeria où il dînait avec plusieurs personnes, dont l’Ukrainienne Victoria Amelina, journaliste, écrivaine et militante des droits humains. Alors qu’ils venaient d’échanger leur place à table, Abad ayant un problème d’audition, Victoria est tuée par des éclats de métal.

Ce moment nourrit une réflexion profonde sur le rôle de l’écrivain face à l’oubli, à la barbarie et à la nécessité de témoigner. Il se sent redevable envers Amelina, dont la plume documentait les crimes de guerre, et imagine qu’elle aurait fait de même pour lui si les rôles avaient été inversés. Le livre tente de garder vivante la mémoire de celle qui, en seulement quatre jours, est devenue une présence indélébile. Son fantôme lui dicte des mots. « Les histoires doivent se sauver coûte que coûte, sauter d’un corps presque mort à un corps vivant. »

Pourquoi a-t-il accepté de se rendre dans un pays en guerre ? Il aurait eu honte de refuser l’invitation de ses jeunes éditrices ukrainiennes, qui présentaient la traduction de son roman le plus célèbre, L’Oubli que nous serons (Gallimard, 2010). Par curiosité aussi, et une certaine lassitude, confie un Abad vieillissant, confronté à la perte progressive de ses sens. Il dit avoir cherché dans ce voyage une forme de rébellion contre une mort lente, une manière de se sentir vivant. À quoi s’ajoutait un sentiment de responsabilité : face à la désinformation et aux mensonges, l’artiste n’a-t-il pas le devoir, même si les livres ne changent pas le monde, de dire la vérité, de documenter l’horreur ?

Le récit oscille entre la culpabilité d’avoir survécu (pourquoi Victoria et pas lui ?) et une réflexion sur le sens de la mort. Abad évoque les hasards tragiques, les destins croisés. Dans un entretien avec le journal El Colombiano, il cite Joseph Conrad : « On ne meurt qu’une fois, mais il y a tant de façons de mourir ». L’œuvre d’Héctor Abad Faciolince est profondément marquée par l’assassinat de son père, Héctor Abad Gómez, médecin et défenseur des droits de l’homme, tué par des paramilitaires en 1987. 

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Schopenhauer était grognon, méprisant, misanthrope et surtout misogyne, foncièrement solitaire, souvent méchant, enfin ultraconservateur voire rétrograde. Même sa mère le tenait à distance, lui écrivant qu’elle « le trouvait “horripilant, dominateur et insignifiant” – ce qui pousse à se demander ce que ses ennemis pouvaient bien dire de lui ! », ironise Terry Eagleton dans la London Review of Books. Mais toutes ces « qualités » ont informé sa philosophie à un degré presque jamais rencontré chez les autres (grands) philosophes. C’est du moins ce que veut montrer l’universitaire britannique David Bather Woods par cette biographie intellectuelle « dans laquelle il se penche davantage sur la vie de son sujet que sur sa pensée, comme toujours dans ce type de livre… Un genre très prisé des Britanniques », ironise encore Terry Eagleton. D’ailleurs Schopenhauer lui-même tournait en dérision l’approche biographique : « les semblables s’attirent, et les ragots méprisables d’un contemporain imbécile plaisent davantage que les pensées mêmes des grands esprits ». Mais David Bather Woods prévient l’objection en invoquant la circularité entre la pensée de Schopenhauer, sa personnalité et les circonstances de sa vie. « Expliquer le pessimisme philosophique de Schopenhauer par le chagrin et l’angoisse serait manifestement idiot – mais son vécu particulier peut éclairer certaines de ses thèses les plus surprenantes… et celles-ci permettent à leur tour d’interpréter certains aspects de sa vie. »

L’étude entremêle donc le récit biographique et l’analyse des grandes thèses du philosophe allemand (mort en 1860). Celles exposées dans son très complexe grand œuvre (1819, trois fois révisé), Le Monde comme volonté et comme représentation, et plus encore leurs conséquences explorées dans ses Parerga et Paralipomena (« Suppléments et Omissions», 1851), ouvrage beaucoup plus accessible. L’entrelacs entre les idées de Schopenhauer et ses propres circonstances psycho-biographiques commence avec le socle de sa théorie : son « pessimisme clairvoyant » reflète sa vision tragique de l’existence humaine dominée par la Volonté, un « vouloir vivre » universel et irrationnel qui fonde la dictature du désir et donc la souffrance ; quant à la « Représentation », c’est-à-dire la perception que nous avons du monde et sans laquelle celui-ci n’existerait pas (« Je suis le pivot du monde »), ne traduit-elle pas l’égocentrisme forcené d’un solitaire fuyant le contact avec ses semblables, traumatisé par l’expérience amère de sa jeunesse universitaire dans un Berlin ravagé par le choléra et qui en plus dédaignait ses travaux ?

Si Schopenhauer se déchaîne tant contre les philosophes rationalistes, Hegel surtout (« Un charlatan […] qui n’avait rien à dire mais le disait quand même »), c’est aussi que ce dernier refusait du monde dans ses cours alors que lui-même enseignait dans des salles presque vides. S’il légitime le « droit au suicide » au nom de sa vision tragique de l’existence, le probable suicide de Monsieur Schopenhauer père contribue à expliquer cette position très avancée pour l’époque. Idem pour sa misogynie rageuse, qui doit beaucoup au dédain que sa mère lui témoignait. Une mère par ailleurs romancière à succès et fleuron de la bonne société de Weimar, d’où l’acharnement de son fils à dézinguer les valeurs de ladite société : l’amour romantique, alors si en vogue (juste un déguisement du désir sexuel et de l’absurde volonté de procréer); le mariage bourgeois (une entrave à la liberté créatrice) ; la sanctification de la monogamie (une entrave à la liberté tout court) ; l’exaltation de la polygamie (plaidoyer pro domo !)… Il vilipende la justice punitive officielle – la terre n’est-elle pas déjà « un bagne à ciel ouvert » ? – et lui préfère les sanctions dissuasives ; mais lors d’un long voyage touristique avec sa famille dans sa jeunesse n’a-t-il pas assisté à des exécutions et visité des prisons, des bagnes et des asiles psychiatriques ? C’est donc en toute connaissance de cause que le proto-freudien Schopenhauer dénoncera ensuite le sort fait aux fous, qui ne sont que les victimes de répressions mentales contre lesquelles ils luttent en vain. Tout cela est bien triste. Mais si Arthur était né avec un tempérament joyeux au sein d’une famille heureuse et équilibrée, il n’y aurait pas eu le Schopenhauer que tant de grands esprits admireront, de Nietzsche et Freud à Kafka et Cioran.

[post_title] => Encore heureux que Schopenhauer fût triste [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => encore-heureux-que-schopenhauer-fut-triste [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2025-12-05 09:29:35 [post_modified_gmt] => 2025-12-05 09:29:35 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=133193 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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Les intelligences artificielles (notez le pluriel) sont nos enfants. Il est temps de réfléchir sérieusement aux moyens de les éduquer. Sans quoi ils risquent de faire n’importe quoi. S’il est temps, c’est que les voilà au seuil de l’adolescence, et que déjà, à bien des égards, ils semblent nous échapper. Si nous n’agissons pas rapidement, ils prendront en mains leur propre éducation – une évolution sur laquelle nous n’aurons plus aucune prise. « Notre génération d’êtres humains est la dernière à être les parents de notre progéniture IA, écrit De Kai. Bientôt ils s’élèveront eux-mêmes. »

D’origine chinoise, De Kai est né aux États-Unis. Il y a fait carrière, même s’il a noué des liens étroits avec l’université de science et de technologie de Hong Kong. C’est là qu’il a développé les outils IA de traduction qui nous sont familiers, dont Google Translate. Également pianiste et compositeur, il est imprégné des valeurs des Lumières, qu’il promeut dans son think tank américain The Future Society. 

Comme les enfants, les systèmes IA sont « malléables, vulnérables et impressionnables », résume Adrian Woolfson dans ScienceBien qu’ils ne soient pas de nature biologique, ils ont en eux une forme de « psychologie ». Et comme pour les enfants, la façon dont nous les élevons, les concevons, les entraînons, leur apprenons à agir, va déterminer leur trajectoire morale. Or aujourd’hui, « à l’aube de la civilisation IA », écrit De Kai, les systèmes en question sont largement non régulés, profondément opaques et dominés par les intérêts d’une poignée de géants de la tech, dont l’unique objet est de maximiser leurs profits. Résultat : nous sommes les victimes inconscientes d’« influenceurs artificiels » qui tendent à renforcer nos penchants malsains et nos préjugés.

L’enjeu est de définir des stratégies qui imprègnent les systèmes AI des valeurs des Lumières et leur confèrent à la fois une « empathie artificielle » et une « conscience artificielle ». Or engager une telle « hyper-évolution culturelle » est à notre portée, estime De Kai. Les moyens techniques existent, encore faut-il les développer.

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Un célèbre livre jeunesse américain, Charlotte's Web (1952), a vu son titre détourné par le Department of Homeland Security des États-Unis pour baptiser une opération d’arrestation et d’expulsion de migrants en Caroline du Nord. Ce choix a de quoi surprendre – ce roman met en scène l’amitié entre un cochon et une araignée ; l’un des thèmes centraux est la solidarité, bien loin de la violence et de la stigmatisation associées à cette opération. L’opération, menée notamment par l’Immigration and Customs Enforcement (ICE), a entraîné des interpellations nombreuses, parfois arbitraires selon des témoignages et des vidéos relayées sur les réseaux sociaux.

A lire sur ActuaLitté

Un procès s’ouvre à Berlin contre cinq hommes accusés d’une vaste escroquerie – dite « faksimile-betrug » – ayant visé des collectionneurs, majoritairement âgés. Entre octobre 2022 et mai 2025, cette bande aurait proposé de racheter des fac-similés (rééditions d’ouvrages anciens), présentés comme rares et promettant une revente lucrative. Avant tout rachat, les victimes étaient contraintes de verser une « caution », parfois élevée – jusqu’à 99 000 €. Le mécanisme était orchestré avec soin : bureaux fictifs, démarchage téléphonique, rendez-vous à domicile – un dispositif visant à inspirer confiance.

A lire sur ActuaLitté

Lors d’un « town-hall » à Samcheok (province de Gangwon‑do, Corée du Sud), une institutrice a demandé la poursuite de la construction d’une bibliothèque publique, dénonçant le manque d’accès à la lecture pour les enfants. Depuis cette prise de parole, elle fait l’objet de plaintes, de menaces (notamment des appels anonymes et des messages violents) et d’accusations à l’encontre du statut d’agente publique. Les pressions se sont poursuivies deux mois durant, provoquant pour la victime une anxiété grave ; seuls les reproches institutionnels ont été officiellement abandonnés.

A lire sur ActuaLitté

Un homme d’une cinquantaine d’années a été arrêté à Kota Bharu (Malaisie) pour avoir volé des livres dans deux bibliothèques – l’une publique, l’autre privée – puis les revendre sur Facebook. Alertée après qu’un collègue eut repéré des ouvrages mis en vente, la police a exploité des vidéos montrant le suspect dissimuler des livres dans ses vêtements. Des dizaines d’ouvrages sont portés manquants ; le préjudice global n’a pas été chiffré. L’homme a reconnu les faits pour les deux bibliothèques, et reste sous enquête.

A lire sur ActuaLitté

Le gouvernement japonais lance un plan pour soutenir les librairies face à la baisse continue du lectorat. Objectifs : moderniser les librairies (gestion des stocks via puces RFID, équipements numériques), réduire les invendus, et renforcer la coopération entre librairies et bibliothèques. L’enjeu est double : éviter la disparition des commerces de proximité et relancer l’accès au livre sur l’ensemble du territoire.

A lire sur ActuaLitté

Un exemplaire en excellent état du numéro 1 du comic Superman #1, publié en 1939, a été vendu aux enchères le 20 novembre pour 9,12 millions de dollars – soit près de 8 millions d’euros. Retrouvé en 2024 dans le grenier familial d’un trio de frères après le décès de leur mère, le comic était dissimulé sous des journaux et laissé dans une boîte. Noté 9/10 par l’organisme de cotation spécialisé (la meilleure note connue pour ce titre), il devient ainsi la bande dessinée la plus chère jamais vendue – détrônant Action Comics #1, adjugé 6 millions de dollars en 2024.

A lire sur ActuaLitté

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Il fallait un chercheur grec installé à Londres pour le découvrir : l’Occident, au sens moderne du terme, est une idée française. Elle a été formulée par Auguste Comte dans les années 1840, après qu’a émergé, dans les années 1830, la crainte toute nouvelle du pouvoir russe. Il s’agissait de nommer une « entité civilisationnelle », écrit Hans Kundnani dans le Times Literary Supplement, qui excluait la Russie. L’idée plongeait bien sûr ses racines dans un passé plus lointain, à commencer par la séparation entre l’empire romain d’Occident et celui d’Orient, berceau de la religion orthodoxe. C’est à partir des écrits de Comte que le concept de « West » a été exporté en Angleterre et aux États-Unis. L’aspect le plus nouveau était peut-être l’exclusion de la Russie, car au XVIIIe siècle, après Pierre le Grand et avec Catherine II, celle-ci était pleinement considérée comme européenne. À preuve son inclusion dans le congrès de Vienne en 1814-1815. Comte, qui avait créé la Revue occidentale, intégrait dans sa conception de l’Occident les nouveaux États d’Amérique fondés par les colons européens. L’ensemble civilisationnel ainsi constitué représentait à ses yeux « l’élite de l’humanité ». Il lui promettait un avenir radieux, imprégné de sa « philosophie positive », libéré de toute forme de conflit intérieur ou extérieur.   

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