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Trump n’est pas particulièrement bel homme. Sa rhétorique est hésitante et volontiers répétitive. Ses théories rudimentaires oscillent entre l’incohérence et l’inquiétant. Sa morale… Alors, quel est son secret ? Le charisme, explique Molly Worthen, qui est… historienne des religions. Ce qui lui permet d’expliciter (ou tenter de) « cette qualité propre à un individu qui le met à part du reste » et sur laquelle le sociologue Max Weber s’est penché avant elle. Le leader charismatique, proposait Weber, exerce une emprise fondée ni sur la raison ni sur la tradition mais sur l’émotion. Sa personnalité le situe en dehors du monde et lui permet, à certains moments clés de l’Histoire, de susciter chez ses admirateurs la croyance en « un futur radicalement nouveau », quitte à pulvériser les habitudes et les normes en vigueur. Molly Worthen quant à elle approche la question sous l’angle résolument religieux. Le charisme, qui dans la Grèce antique comme pour saint Paul est un don de Dieu, une grâce, permet à un être d’exception de répondre à « une urgence métaphysique » en proposant à ses concitoyens un « narratif », « une sorte de récit transcendantal qui invite les adeptes à découvrir le sens de leur vie ». Évidemment, voir Donald Trump figurer aux côtés de prophètes et de gourous révérés dans la taxonomie charismatique que propose Molly Worthen peut surprendre. Mais il arrive au « milliardaire du peuple » (comme en 2016 lors d’un meeting en Caroline du Nord) de tenir des propos quasi messianiques du genre : « Ce “big beautiful” projet, c’est tout ce que nous allons faire ensemble. Et vous allez être si fiers. Et vous allez être si heureux. Et vous allez gagner. » Voyez aussi comme Trump sacralise sa propre richesse (une bénédiction divine) ou encore l’échec de l’attentat contre lui (c’est le Tout-Puissant qui a fait dévier la balle mortelle vers son oreille, au grand bénéfice de l’Amérique). Le charisme – « à la fois un phénomène et un concept » – n’a rien pourtant de spécifiquement américain, « mais son histoire aux États-Unis est particulièrement intéressante… Le pays est un véritable champ d’expérience pour les entrepreneurs métaphysiques », résume Molly Worthen qui étaye sa théorie en évoquant une série d’exemples, depuis la prophétesse puritaine du XVIIe siècle Anne Hutchinson jusqu’aux télévangélistes d’aujourd’hui, en passant par le père des mormons, Joseph Smith, ou des prescripteurs culturels comme Oprah Winfrey. Tous ces gens ont en commun de refléter « la dialectique entre personnalité et contexte du moment ». (À vrai dire, pour que le message reçoive le meilleur accueil en nos jours de déclin religieux, il faut en parallèle maîtriser les « moyens de distribution » technologiques, TV ou réseaux sociaux.) 

Cette idée que le charisme politique « repose fondamentalement sur une expérience religieuse » ne convainc pas forcément tout le monde. John G. Turner fait valoir dans la Los Angeles Review of Books que « des leaders comme Eisenhower ou Reagan débordaient de charisme sans qu’ils aient pour autant cherché à transmettre le moindre message transcendantal ». Les liens entre politique et religion demeurent mystérieux, même s’il faut se souvenir que dans « culte de la personnalité » il y a « culte » – et qu’en Corée du Nord, par exemple, la naissance des leaders vénérés est accompagnée de prodiges, qu’eux-mêmes font des miracles, qu’ils sont immortels, etc. Et puis Max Weber n’a-t-il pas postulé que lorsqu’une société se sécularise et se bureaucratise, les élans spirituels sont nécessairement redirigés vers d’autres domaines, notamment la politique ? Mais Molly Worthen n’en démord pas. Tout en reconnaissant « qu’il faut tolérer une certaine flexibilité dans la définition du charisme », elle affirme qu’en dépit du recul du religieux aux États-Unis, « les instincts spirituels des Américains d’aujourd’hui continuent à les orienter vers des leaders qui ont le don de proposer un projet transcendant ». Des leaders qui – sauf Kennedy et Reagan bien sûr – « sont par ailleurs dépourvus en général de charme physique et du moindre talent oratoire ». Ils sont hélas souvent dénués aussi de sens moral – moralité et transcendance ne marchant pas toujours de pair (voir le sulfureux gourou Maharaj Ji, fraudeur fiscal et prédateur sexuel). Cette regrettable déconnexion explique que le divin don du charisme amène au pouvoir aussi bien des libérateurs que de futurs tyrans. Voilà donc les Américains prévenus… 

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Qu’aurait pensé Herberto Helder de la biographie que vient de lui consacrer João Pedro George ? Le poète portugais a passé la deuxième partie de son existence de plus en plus reclus, fuyant la publicité et laissant planer le mystère autour de sa personne. N’aurait-il pas été contrarié à l’idée qu’on raconte sa vie ? Ce n’est pas tout à fait sûr. S’il refusait les demandes d’entretien, répugnait à être photographié et déclinait les honneurs, notamment le prestigieux prix Pessoa qui lui avait été attribué, c’est parce qu’il craignait qu’une notoriété bon marché ne fasse oublier ce qui seul comptait à ses yeux : son œuvre. Souvent présenté comme le plus important poète portugais de la seconde moitié du XXe siècle, et très étudié, il n’aurait pas à s’inquiéter à cet égard. Il était de surcroît lui-même un grand lecteur de biographies. « Les plus véridiques, disait-il même, sont celles qui sont rédigées lorsque les amis de la personne sont encore vivants, parce qu’elles permettent d’offrir un portrait sans complaisance, avec tous les défauts et toutes les qualités. » 

Le livre de João Pedro George satisfait pleinement ce critère. Pour l’écrire, son auteur a rencontré quelque 70 personnes qui ont connu le poète, dont sa veuve, qui l’a accompagné et soutenu durant ses quarante dernières années (il est mort à 84 ans), sa fille – son fils a refusé de collaborer à un projet qu’il aurait, selon lui, désavoué –, quelques-unes des très nombreuses femmes avec lesquelles il a eu des aventures et plusieurs de ses amis. Leurs témoignages sont cités quasiment in extenso, tout comme une grande quantité de lettres du poète, d’une remarquable qualité d’écriture et très éclairantes. Le procédé n’est pas sans inconvénient. L’ouvrage, très long (846 pages sans les notes – le texte initial en comptait le double), n’est pas exempt de répétitions et de contradictions, George se refusant à trancher entre les différentes interprétations de certains faits et préférant laisser les documents parler d’eux-mêmes. 

Herberto Helder est né à Funchal, capitale de l’île de Madère, en 1930. Il a toujours revendiqué avec fierté des origines juives qu’aucun document n’atteste, mais qui pourraient être authentiques : le Portugal ne manque pas de descendants de « nouveaux chrétiens » (juifs convertis), et sa mère portait un prénom juif. Cette femme est de loin la personne la plus importante de son enfance et sans doute de sa vie. Sa mort, lorsqu’il était âgé de 8 ans, le laissa d’autant plus dévasté qu’il s’en estimait responsable. Après la naissance de sa deuxième sœur, les médecins avaient fortement déconseillé à sa mère d’avoir un troisième enfant. Mais elle voulait un garçon. Son décès est attribué à une anémie consécutive à cette ultime grossesse. La figure de la mère ne cessera de hanter sa poésie.  

Il développa dès son enfance un amour profond de la nature et un intérêt pour les manifestations de l’irrationnel étrangères à la religion organisée, qu’il renia rapidement. À ses yeux, « les arbres, les plantes, les fleurs, les pierres, les collines, les montagnes, les abîmes, les ombres, les lumières cachaient une présence sacrée ». Il était très sensible « aux énigmes, aux mythes, aux légendes, aux prophéties, au discours biblique, à la religiosité populaire […], à la foi instinctive des paysans et des marins parlant de miracles, de fantômes et d’apparitions ». 

Ses relations avec son père durant son enfance n’étaient guère cordiales et restèrent toujours mauvaises. Une fois ses études secondaires terminées, après une brève période à Lisbonne essentiellement passée dans les cafés et les maisons de passe, il entra à l’université de Coimbra, pour étudier le droit, dit-il à son père, ce qu’il ne fit en réalité jamais : inscrit à la faculté de pédagogie, il bifurqua vers les lettres, la matière qui l’intéressait le plus. À Coimbra, les étudiants menaient une vie bohème de « misère sympathique », disait-on, largement arrosée. Elle ne l’empêcha pas de donner libre cours à ses ambitions littéraires. Dès sa jeunesse commencèrent à se manifester les traits qui allaient s’exprimer dans son œuvre : « son intérêt […] pour les vagabonds, les mendiants, les illettrés, les fous, les ivrognes, les prostituées (dont beaucoup étaient l’objet de son amitié et de son affection), et sa fascination un peu romantique et mystifiée pour les perdants, les étrangers, les excentriques, les personnages insolites ». Toute sa vie, des poètes maudits comme Rimbaud et Baudelaire, ou des personnalités étranges comme Alfred Jarry, continuèrent à l’inspirer.   

De retour à Madère, il fit son entrée sur la scène littéraire locale en publiant ses premiers poèmes. Il s’installa bientôt à Lisbonne, où il en publia de nombreux autres. Peu après la parution de son premier recueil, en 1959, bien que fraîchement marié, il quitta le Portugal en solitaire pour mener une vie itinérante et misérable à Paris, en Hollande et en Belgique, à Bruxelles et Anvers. Dans son ouvrage autobiographique en prose Les Pas en rond, il évoque cette existence nomade. Dormant n’importe où, il subsista grâce à une grande variété de petits métiers : ouvrier à l’usine des Forges de Clabecq, serveur dans une brasserie, chargé des polycopies dans une imprimerie, presseur de déchets de papier, coupeur de légumes dans un restaurant bon marché, rabatteur de marins auprès des prostituées du port d’Anvers. Les a-t-il vraiment tous exercés ? Ce qui est sûr est qu’après quelques mois, à bout de ressources et dans un état de grande détresse, il se fit rapatrier au Portugal aux frais de l’administration du consulat d’Anvers, qui lui réclama par la suite le remboursement des dépenses, qu’il dut acquitter. 

À Lisbonne existait un milieu littéraire nombreux et actif : toute une communauté d’écrivains, d’intellectuels, de critiques et de journalistes, dont quelques-uns seulement étaient connus en dehors des frontières du Portugal, qui s’observaient attentivement, se jalousaient souvent, commentaient élogieusement les œuvres de leurs amis ou se critiquaient impitoyablement. Ils se rencontraient pour d’interminables « tertulias » (discussions littéraires) dans une série de cafés où Helder a passé une partie considérable de son existence : le Café Gelo, le Monte Carlo, le Café Expresso, Toni dos Bifes et de nombreux autres. Dans le premier cité, le plus fameux, on trouvait notamment des personnes opposées au régime autoritaire d’António Salazar. Helder ne fut jamais un militant. Cela ne l’empêcha pas de retenir l’attention de la PIDE, la redoutée police politique du régime. Bien qu’il fût décrit comme présentant des « caractéristiques communistes », c’est pour des raisons liées aux bonnes mœurs qu’il fut inquiété à deux reprises. En 1968, il fut condamné pour avoir contribué à la publication d’un roman du marquis de Sade. À cette occasion, il ne se distingua guère par son courage, en acceptant d’indiquer à la police, qui l’ignorait, le nom du traducteur. Quelques mois plus tard, son livre Apresentação do Rosto (« Présentation du visage ») fut interdit par la censure pour obscénité. 

L’année suivante, il quittait à nouveau le pays pour s’installer en Angola, où il travailla durant quelque temps comme journaliste pour la revue Notícias. Au cours d’un reportage, il fut victime d’un très grave accident de voiture et faillit mourir. De retour à Lisbonne, il travailla successivement comme correcteur dans une maison d’édition et pour la radio nationale portugaise. À Luanda, il avait fait la connaissance de celle qui allait devenir sa deuxième femme après son divorce. Fille d’un blanc et d’une mulâtresse, sans prétentions intellectuelles mais dotée d’une forte personnalité, Olga fut sa compagne totalement dévouée durant ses quatre dernières décennies. Ils avaient opté pour un mariage ouvert, ce dont il profita doublement, étant porté sur le voyeurisme. 

João Pedro George consacre de nombreuses pages à la vie sentimentale et sexuelle d’Herberto Helder, qui est exceptionnellement remplie et extraordinairement complexe. Entre les liaisons durables, les passions intermittentes et les aventures éphémères, souvent conduites simultanément, on s’y perd presque. George justifie l’attention accordée à cet aspect de sa vie par la place qu’occupent l’érotisme et le sexe dans sa poésie, un peu comme dans certaines œuvres produites par le surréalisme, un mouvement auquel ses textes font souvent penser. Helder était un homme séduisant et séducteur, qui aimait beaucoup ses amis, dit un témoin, mais encore plus les femmes de ses amis. Mentant abondamment par omission, il compartimentait sa vie. Longtemps, les compagnons de ses journées ignorèrent l’existence d’Olga. Ils s’étaient installés à Cascais, sur la côte à quelques kilomètres de Lisbonne, où il se rendait chaque matin et menait sa vie dans les cafés, pour ne revenir que le soir à son domicile, où sa femme l’attendait. Il n’avait aucun sens de la responsabilité paternelle. En quittant le Portugal pour ses vagabondages dans le nord de l’Europe, il avait abandonné sa femme enceinte de sa fille. Et en partant en Angola, il avait laissé à Lisbonne son fils Daniel, qu’il avait eu d’une de ses maîtresses. 

Dans sa correspondance, il se présente régulièrement comme déprimé. Ce n’était sans doute pas toujours vrai au sens clinique, mais il était incontestablement de tempérament dépressif. Il était aussi hypocondriaque, convaincu qu’il mettait sa vie en danger s’il ne dormait pas huit heures par jour, fumeur compulsif, superstitieux, attaché à certains rituels, enclin à la phobie et hanté par l’idée de la mort. Son souci de la perfection littéraire tourna progressivement à l’obsession, l’encourageant à corriger ses poèmes à l’infini, y compris dans les ouvrages publiés : il existe aujourd’hui un marché pour les livres annotés de sa main, qui se vendent très cher. Les dernières années de sa vie, il ne quitta pratiquement plus sa maison de Cascais. Jamais, toutefois, il ne coupa complètement les ponts avec le reste du monde, comme J. D. Salinger ou Thomas Pynchon. Sa dévotion absolue envers son œuvre et son souci de la postérité le poussaient à garder des rapports avec ceux qui étudiaient ou critiquaient ses écrits, dont il cherchait à influencer le jugement lorsqu’il l’estimait erroné. 

Il est tentant de rapprocher Herberto Helder de la figure dominante de la poésie portugaise moderne, Fernando Pessoa. Entre les deux écrivains, les points communs ne manquent pas. Tous deux, observe George, étaient « fascinés par l’occultisme […], l’hermétisme de l’Égypte ancienne, la magie, l’alchimie, la cabale, l’astrologie, l’ésotérisme, le mysticisme, la théosophie, le spiritisme et même la chiromancie ». On trouve dans leurs écrits un certain nombre de thèmes identiques, qui les obsédaient : l’enfance, la folie, la souffrance comme source de création artistique, le sens de l’activité poétique et la nature même de la poésie. De leurs poèmes émane le même mélange d’intimité et de distance qui contribue à créer une impression d’impersonnalité. La poésie de Pessoa est toutefois plus intellectuelle et éthérée, celle d’Helder à la fois plus charnelle et physique, et plus rhétorique et baroque : « Elle abuse des comparaisons et des métaphores, emploie un vocabulaire qui se distancie de l’usage quotidien du langage tel qu’on le trouve dans les livres et les journaux, son style est plus abrupt et décousu, use des adjectifs d’une manière étrange et exaltée, établit des rapports étroits entre des mots sans la moindre relation de parenté apparente ». Dans la vie d’Helder comme dans celle de la plupart des poètes portugais contemporains, suggère João Pedro George, Pessoa se présentait en vérité comme une sorte de Némésis, un rival ou un adversaire effrayant auquel il est impossible de se mesurer en espérant sortir vainqueur de la confrontation. Il lui préférait le grand Camões, sans doute en partie parce qu’il est plus éloigné de lui dans le temps, et qu’il est donc plus difficile de les comparer. 

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TRUMPERIES – L’écrivain nigérian Wole Soyinka, premier Africain à recevoir le prix Nobel de littérature en 1986, a annoncé que le consulat américain à Lagos a annulé son visa de non-immigrant, lui demandant de remettre son passeport pour la procédure, au motif que « de nouvelles informations » avaient émergé après la délivrance. À 91 ans, Soyinka ironise sur cette mesure, se disant « très satisfait » et invitant les institutions à ne plus le convier aux États-Unis puisqu’il se considère « interdit d’entrée ». Il relie cette décision à ses critiques publiques de l’ex-président Donald Trump, qu’il avait comparé au dictateur ougandais Idi Amin Dada, et à un contexte plus large de durcissement des visas pour les Nigérians.

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LIBRAIRIA – Une charte éthique vient d’être adoptée par la European and International Booksellers Federation (EIBF) afin d’encadrer l’usage de l’intelligence artificielle dans le secteur du livre. Elle pose 11 principes visant à préserver la créativité humaine, la transparence des algorithmes et la protection des droits d’auteur. L’organisation insiste sur le fait que l’innovation technologique ne doit pas se substituer aux métiers du livre, mais les accompagner, dans le respect de valeurs culturelles et humaines.

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FRANCE-EGYPTE – Un accord inédit entre le Groupe Madrigall (via sa filiale des Éditions Gallimard) et l’égyptien Diwan Publishing permet l’impression locale au Caire d’une sélection de vingt-trente titres de la collection poche Folio. Grâce à ce dispositif, les importations coûteuses sont réduites et les ouvrages sont accessibles en Égypte à des prix compris entre 3 € et 10 €, rendant la littérature française plus abordable. Le catalogue composé de classiques et de textes contemporains vise à répondre à l’absence d’éditeur francophone local et à relancer un marché affecté par des dévaluations monétaires prolongées.

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BEL PAESE – Une nouvelle initiative dans la région du Latium accorde à chaque résident de moins de trente ans — ainsi qu’aux élèves — un bon de 10 € à utiliser chez les libraires et exposants pour l’achat de livres. Ce dispositif vise à encourager la lecture, promouvoir la culture citoyenne et renforcer la cohésion sociale, en positionnant l’accès à l’écrit comme un levier d’émancipation.

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LE BON DOCTEUR – Un manuscrit jusqu’ici inconnu de Dr. Seuss, intitulé Sing the 50 United States!, a été découvert dans les archives de la bibliothèque Geisel Library de l’université de Californie à San Diego. Cette œuvre complète — la première depuis What Pet Should I Get? en 2015 — invite les jeunes lecteurs à nommer les cinquante États en rime, dans le style ludique de l’auteur. Prévue pour le 2 juin 2026, sa sortie coïncide avec le 250e anniversaire des États-Unis, et s’accompagne d’un tirage initial de 500 000 exemplaires ainsi que d’un programme de distribution à destination des élèves américains.

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LONDON CALLING – Basée à Londres, la librairie Dar al-Taqwa, ouverte en 1985 par l’éditeur Samir el-Atar, est aujourd’hui menacée de fermeture. Située face à la station Baker Street et fondée pour pallier le manque d’ouvrages islamiques accessibles au Royaume-Uni, elle demeure un repère pour chercheurs, étudiants et convertis. Toutefois, la diminution de clients en boutique et la montée des achats en ligne fragilisent son activité, et une campagne de dons a été lancée pour éviter sa disparition.

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[post_title] => La revue de presse d'ActuaLitté [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => la-revue-de-presse-dactualitte-2 [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2025-11-06 18:52:19 [post_modified_gmt] => 2025-11-06 18:52:19 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=133008 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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Sur le marché du catastrophisme, la concurrence est vive, mais les acteurs sincères. Ainsi de l’Américain tourmenté Roy Scranton, né en 1976, déjà auteur d’un « Apprendre à mourir dans l’Anthropocène » (2015) et de « Nous sommes condamnés. Et maintenant ? » (2018). Son non moins ténébreux « Impasse » prolonge cette réflexion. Comme la plupart des catastrophistes, Scranton est obsédé par le changement climatique, passant sous silence ou minimisant d’autres motifs d’inquiétude légitime. La catastrophe est certaine, puisque même les moyens de la contrer vont contribuer à la précipiter, soutient-il. Le progrès est une illusion et l’optimisme un biais cognitif qui fausse les perspectives.

Mais si le monde est foutu, tout n’est pas perdu. Il existe peut-être une planche de salut, un ultime recours : le « pessimisme éthique ». Sans plus d’illusions sur notre sort, qui est scellé, acceptons notre lot d’êtres souffrants et donnons du sens à une vie qui reste possible en développant nos facultés de compassion et notre attachement à l’équité. Le pessimisme ainsi compris « consiste à embrasser un espoir radical et paradoxal : celui que la vie pourrait encore valoir d’être vécue après la fin du monde ».  

« La prose de Scranton est érudite et dense, elle produit de longues phrases qui serpentent dans la philosophie, l’histoire et les études en sciences sociales », écrit la journaliste new-yorkaise Rhoda Feng dans le Times Literary Supplement. Elle est séduite par les idées de l’auteur, mais si « pour un lecteur patient, l’effet est immersif, cela risque de détourner ceux qui sont en quête d’une argumentation rationnelle ou de préconisations politiques claires ». 

[post_title] => Optimiste ? Vade retro satana ! [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => optimiste-vade-retro-satana [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2025-11-06 18:04:27 [post_modified_gmt] => 2025-11-06 18:04:27 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=133005 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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Christophe Colomb était-il un navigateur de génie ou un truqueur, un saint ou un pervers polymorphe, un idéaliste ou un génocidaire ? Son image a tant été tirée à hue et à dia par la postérité, qui plus est entre des extrêmes particulièrement extrêmes… En effet, « tout ce qui concerne sa biographie ou sa réputation posthume a donné lieu pendant 500 ans à un foisonnement d’interprétations, de spéculations, d’affabulations » écrit Andrés Reséndez dans le New York Times. Autant de « vies » post mortem, de constructions étonnantes que l’historien Matthew Restall déconstruit méticuleusement, révélant au passage les arrière-pensées derrière tant de « mystères inventés afin de mieux les résoudre à coup de prétendues solutions, la plupart formidablement imaginatives et étonnamment déconnectées de la réalité historique ». Le premier de ces mystères, c’est le foisonnement des mystères eux-mêmes, car contrairement à la légende, la vie de Christophe Colomb est – hormis pour sa jeunesse – très bien documentée. 

Au grand dam de bien d’autres lieux, c’est ainsi à Gênes que le futur navigateur est indubitablement né, en 1451, d’un père d’abord fromager puis tisserand. Mais sans doute pour occulter la modestie de ses origines, Christophe lui-même les a revêtues d’un brouillard qui favorisera les élucubrations ultérieures et dont plusieurs pays, depuis la Suisse ou la Norvège jusqu’à la Grèce, profiteront pour le revendiquer. Ensuite il a tôt navigué, c’est sûr – mais ni en tant que prince pirate grec au service des Turcs, ni jusqu’en Islande. Son visage même est un mystère – le fameux portrait par Piombo au Metropolitan Museum est en fait celui d’un ecclésiastique. Ce mystère-là permet toutefois de lui assigner au choix un nez aquilin (qui conforte les origines grecques !) ou bien juif (au bénéfice d’une autre légende, infondée). Ce n’est qu’en 1474 qu’on retrouve la trace certaine de Colomb, à Lisbonne. Pendant dix ans, il y a appris à naviguer et aussi à lire. Il s’est marié là (avantageusement) et y a entamé sa grande carrière d’explorateur de l’Atlantique en présentant au roi du Portugal João II un projet pour atteindre les Indes par l’ouest – mais le roi portugais a préféré miser sur le prometteur contournement de l’Afrique. 

Alors Colomb, devenu veuf, est parti tenter sa chance en Espagne, où il a conçu un fils (hors mariage ou non, selon que l’on souhaite ou non voir en lui un bon catholique), et a soumis au couple royal espagnol un projet aussitôt déféré à un comité d’ecclésiastiques et d’experts réunis à Salamanque. Selon Matthew Restall, tout le monde dans ce comité savait bien que la Terre était ronde, même si les ecclésiastiques étaient contraints de soutenir le contraire. La contribution nouvelle de Colomb fut de démontrer, chiffres fallacieux à l’appui, que la planète sphérique était beaucoup plus petite qu’on ne le croyait depuis Ptolémée, et donc que le succès d’un voyage par l’ouest était plus assuré. Les experts resteront sceptiques, et les rois catholiques hésiteront pendant dix ans avant que, par crainte que les Portugais ne leur dament le pion, ils donnent enfin leur feu vert. 

Mais la postérité va encore se diviser sur le traitement de cet épisode majeur. Les Espagnols, soucieux de légitimer leurs prétentions sur l’Amérique du Sud, vont faire le maximum pour s’attribuer rétrospectivement 100 % du succès de Colomb. Le très hispanique Don Cristóbal Colón sera fait amiral et célébré pour une découverte due à son talent mais aussi à son équipage 100 % espagnol – et bien sûr au soutien financier des souverains, de la souveraine Isabelle surtout, embobinée (sinon séduite) au point d’avoir mis ses bijoux au clou pour financer l’expédition ! Les nombreux rivaux de l’Espagne présenteront quant à eux Colomb tantôt comme un génie malmené à Salamanque par des obscurantistes, tantôt comme un tricheur se prévalant du savoir d’autrui et qui aurait même été accompagné dans son premier voyage par « un pilote mystère ». Puis, au quatrième voyage, en 1498, les choses vont se gâter – d’abord pour Colomb lui-même, accusé d’exactions et rapatrié de force, mais plus encore pour son image posthume. Les amis de l’Espagne (et de l’amiral) comme Las Casas vont bien chercher à faire de lui un champion du catholicisme, un croisé venu sauver les âmes des sauvages, qu’on tentera même au XIXe de faire canoniser ! 

L’effort est d’autant plus louable que dans l’autre camp on noircit Colomb tant qu’on peut : il n’était qu’un soudard avide de s’enrichir et surtout l’instigateur d’épouvantables massacres, pillages et viols ; pire encore, c’est lui qui aurait en personne apporté aux Antilles ou rapportée en Espagne la syphilis. On ira même jusqu’à lui prêter une sexualité bestiale aux confins de la zoophilie avec une prédilection pour les lamantins, ces pseudo-sirènes ! 

Ce qui n’empêchera pourtant pas une autre récupération, très surprenante : au XIXe les États-Unis feront du navigateur le véritable découvreur de l’Amérique du Nord (où il n’a jamais mis les pieds). Colomb, qui est en effet blanc, chrétien, esclavagiste et capitaliste, et surtout européen mais heureusement pas anglais, sera promu « non pas père de la nation (c’est Washington) mais grand-père ». D’où l’efflorescence du culte colombien aux États-Unis avec statues, ronds-points, célébrations diverses, et ces fresques grandioses qui couvrent les murs du Capitole. Hélas, cette vision-là est aujourd’hui battue en brèche par les dénonciateurs du « suprématisme blanc », et les étudiants détruisent ou décapitent les statues de l’ex-héros à qui mieux mieux.Mais l’image du navigateur, dispersée entre gloire et opprobre comme ses restes mortels le sont entre Saint-Domingue et l’Espagne, connaîtra sans doute encore d’autres mutations. Positives ou négatives ? Ce n’est pas la matière qui manque, et le passé est imprévisible…

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Le film Cléopâtre avec Elizabeth Taylor a failli capoter car le staphylocoque doré avait fait de l’actrice un festin. Sans une trachéotomie et l’administration de méticilline elle aurait succombé. Cet antibiotique semi synthétique, qui venait d’être commercialisé, n’aurait pas sauvé Elizabeth Taylor aujourd’hui, car la bactérie lui résiste.

D’après les autorités de santé américaines, la résistance aux antibiotiques tue plus d’un million de personnes chaque année et est une cause indirecte de la mort de cinq millions d’autres. Or la recherche de nouveaux antibiotiques patine, car non rentable : les laboratoires se focalisent sur des médicaments à prendre sur la durée, si possible à vie, alors qu’un antibiotique doit agir en quelques jours. C’est « la marchandise anticapitaliste par excellence », écrit le biologiste britannique Liam Shaw dans son livre. Celui-ci est largement inspiré par son indignation face aux pratiques commerciales de l’industrie pharmaceutique, qui a contribué à favoriser la résistance aux antibiotiques en menant des campagnes commerciales offensives favorisant leur utilisation indiscriminée, tant chez l’homme que chez les animaux de ferme. L’un des paradoxes de la situation actuelle est que même les antibiotiques efficaces et qui ne coûtent rien ou presque manquent dans les pharmacies des hôpitaux des pays pauvres, où plus d’un million de personnes meurent chaque année de tuberculose.Liam Shaw fait un remarquable travail d’historien, estime Andrey R. Glynn dans la revue Sciencemais n’engage pas la discussion dans un domaine de recherche essentiel, celui des substituts possibles aux antibiotiques, notamment les phages (virus qui tuent les bactéries). Porté par son indignation, l’auteur pousse le bouchon trop loin, estime le médecin Druin Burch dans la Literary Review. Maintes fois formulée, l’annonce de la mort des antibiotiques reste prématurée. Eux aussi font de la résistance. 

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Witold Gombrowicz, « vaguement comte, mais authentiquement aristocrate » selon Ernesto Sábato, débarque à Buenos Aires en 1939, invité en tant que journaliste pour le voyage inaugural du Chrobry, un paquebot battant pavillon polonais. Le bateau retourne en Europe, mais quand Gombrowicz apprend que la Pologne vient d’être envahie par les nazis, il décide de rester. Il a 35 ans. L’auteur de Ferdydurke, une satire jubilatoire, va passer 24 ans en Argentine, transformant son exil en un happening littéraire aussi transgressif que désopilant.

Mercedes Halfon a mené une véritable enquête pour restituer la vie de l’écrivain en Argentine, en prenant ses distances à l’égard de ce qu’il raconte dans son journal et de la biographie publiée par Rita, sa veuve. Trois scènes de 1947 exhumées par Mercedes Halfon illustrent ce génie de la provocation. Tout d’abord, la traduction collective de Ferdydurke au café Rex, où il passait ses après-midis à jouer aux échecs : « une réécriture hallucinée truffée de néologismes menée par des Latino-Américains ne parlant pas un mot de polonais et par Gombrowicz lui-même, dont l’espagnol, appris dans les bars du port, est approximatif », résume la revue culturelle Cuadernos HispanoamericanosPuis sa conférence « Contre les poètes » à la librairie Fray Mocho, où il déclare : « Les vers ne m’intéressent pas du tout, ils m’ennuient ». Enfin, avec la fabrication de l’unique numéro de Aurora, Revue de la Résistance, où il s’en prend au temple culturel de l’élite argentine, la revue Sur, dont Borges était l’un des piliers. 

Gombrowicz a longtemps vécu dans des pensions sordides, d’où il s’échappait de nuit faute de pouvoir payer, venait en pique-assiette aux repas d’enterrement d’inconnus, prenait des emplois de fortune et parcourait les bars du port de Buenos Aires en quête de jolis garçons. Ayant été recruté comme employé par la Banque polonaise, où il resta sept ans, c’est là qu’en 1951 il écrivit, sous le regard crispé de ses collègues, son deuxième roman, Trans-Atlántico, où apparaît l’un des premiers personnages ouvertement gays de la littérature. Son Diario (1953 -1969) devient son chef-d’œuvre : un journal corrosif où il joue à déconstruire sa propre légende. 

« Gombrowicz était odieux, misogyne, difficile, mais aussi fascinant, drôle, lumineux », confie Mercedes Halfon au journal argentin Página 12. « Il faisait entrer la vie dans la littérature, et la littérature dans la vie. » Quand il quitte le pays en 1963, il a marqué le monde des lettres argentines. Il ne revint jamais et mourut en France en 1969. Aujourd’hui, Buenos Aires célèbre sa mémoire : la bibliothèque « Gombroteca », la librairie « Witolda », et des congrès internationaux perpétuent l’héritage de cet « imposteur qui, en vivant et en écrivant à contre-courant, a fait de l’exil une forme suprême de liberté. »

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Avant de devenir la brillante université de recherche que l’on connaît, en tête des classements internationaux en compagnie de Cambridge et des grands établissements des côtes est et ouest des États-Unis, Oxford fut longtemps le lieu de formation des élites dirigeantes britanniques – elle le demeure largement. Parmi les plus anciens des 36 colleges autonomes qui la composent aujourd’hui, le plus fameux est Christ Church. Il peut s’enorgueillir d’avoir compté parmi ses étudiants treize futurs Premiers ministres, dont William Gladstone, Sir Robert Peel et Anthony Eden. Ce fut aussi le college du philosophe John Locke ou encore de Charles Dodgson, alias Lewis Carroll, dont Alice au pays des merveilles reflète certains aspects de la vie sur le campus. 

Surnommé The House par ses résidents, Christ Church se distingue par son architecture grandiose. Il fut créé en 1524 par le cardinal Thomas Wolsey, conseiller d’Henri VIII. Fermé après la disgrâce de Wolsey, il fut ensuite refondé par le roi lui-même. Ses étudiants, parmi lesquels beaucoup d’enfants d’aristocrates, sont largement issus des prestigieuses public schools (collèges privés) d’Eton et Westminster. Les professeurs et chercheurs n’y sont pas appelés fellows, comme dans les autres colleges, mais students. Dans son dernier livre, Richard Davenport-Hines raconte l’histoire de Christ Church, en prenant pour fil conducteur la manière dont y fut pratiquée durant quelques décennies la discipline qui est la sienne : l’histoire moderne et contemporaine. Après avoir résumé l’histoire du college, il présente une galerie de portraits de huit historiens récents qui y ont exercé leurs talents. L’exercice rappelle le classique The Dons. Mentors, Eccentrics and Geniuses de Noel Annan (les dons sont les membres éminents du corps professoral).  

« L’étude de l’histoire enrichit les esprits, fortifie l’imagination et élargit l’expérience indirecte des princes, des nobles et des hauts fonctionnaires », elle montre « par le précepte et l’exemple ce qu’est un bon gouvernement et un mauvais, les vertus et les vices des dirigeants, les raisons des succès et des échecs des États ». Telle était la conception qu’on se faisait du rôle de l’histoire dans l’Angleterre des Tudor à la naissance de Christ Church, observe Davenport-Hines. Les historiens de l’Antiquité grecque et romaine comme Thucydide et Tacite se sont surtout intéressés à des événements situés dans leur passé récent. Les dons étaient convaincus qu’ils devaient suivre leur exemple, sans hésiter à porter des jugements sur les faits qu’ils rapportaient et à faire appel à leur propre expérience pour les interpréter. Cette idée continua à s’imposer longtemps. « L’histoire n’est pas contenue dans les livres et les documents, écrit R. G. Collingwood en 1936. Elle vit seulement […] dans l’esprit de l’historien lorsqu’il les critique et les interprète. » Dans le même esprit, l’historien de Cambridge E. H. Carr déclare en 1951 : « Il n’y a pas d’histoire sans cadre d’interprétation […]. Et celui-ci est le produit de l’esprit de l’historien. »

Les huit profils présentés par Davenport-Hines sont assez divers. Arthur Hassall et Frederick York Powell, qui enseignèrent à Christ Church avant la Première Guerre mondiale, se voyaient avant tout comme des professeurs, chargés de former des gentlemen cultivés. Mais ils assuraient cette tâche de manière différente. Très classiquement, Hassall s’employait à « choisir des sujets et imaginer des thèmes d’essais, établir des listes de lecture », puis, après avoir écouté ses étudiants lui lire leurs travaux, à « noter les omissions, corriger les faiblesses de l’argumentation et les inférences erronées, élucider des points factuels douteux, poser des questions ». Powell, réputé pour sa capacité à assimiler une quantité impressionnante de livres en absorbant une page entière d’un seul coup d’œil, entretenait informellement chaque jeudi soir les étudiants qui venaient le visiter. À toute vitesse, d’une voix riche et profonde, il s’exprimait  sur les sujets les plus variés : « Rabelais, l’escrime, Dante, le métier de soldat, les tragédies grecques, la poésie élisabéthaine, les techniques d’émaillage, le brigandage, le folklore, Thomas Cromwell, le génie des artistes de music-hall, les estampes japonaises, l’art de la guerre en Inde, la littérature persane ou le dernier roman de José Maria Eça de Queirós ».  

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, deux figures pareillement contrastées étaient celles de Roy Harrod et Keith Feiling. Plus économiste qu’historien, le premier est l’auteur d’une biographie de Keynes qui fit autorité jusqu’à la publication de celle de Robert Skidelsky. Féru de philosophie, admirateur du logicien Frank Ramsey, de tempérament dépressif et tourmenté, il faisait de la poursuite de la vérité la tâche suprême. C’était à ses yeux une entreprise exigeant « zèle, patience, imagination, l’acceptation de déceptions répétées et de frustrations et une persévérance jamais relâchée ». 

Mentor de plusieurs Premiers ministres et ministres des Affaires étrangères anglais et du Commonwealth, ainsi que de hauts fonctionnaires de différentes administrations, conservateur bon teint, Feiling est connu pour son History of the Tory Party, livre dans lequel il célèbre « la divinité de l’État, le caractère naturellement sacré de l’ordre, l’unité organique du souverain et du peuple et l’autorité incontestable attachée à l’œuvre du temps – sans laquelle une nation sombrerait dans une morne barbarie ». 

La personnalité la plus riche, à laquelle Richard Davenport-Hines consacre le plus de pages, est Hugh Trevor-Roper (Lord Dacre), de loin le meilleur historien et l’écrivain le plus brillant. S’inscrivant dans le sillage des « aristocrates pessimistes » comme Tocqueville, Trevor-Roper était mal à l’aise avec les orthodoxies, qu’elles soient religieuses, politiques ou universitaires, et se méfiait du pouvoir sous toutes ses formes. Dans le sillage des grands historiens whigs (libéraux progressistes), il mettait l’accent sur les processus plutôt que les événements : « L’intérêt de l’histoire ne réside pas dans l’étude des périodes, mais des problèmes, et, avant tout […], celui de l’interaction entre les forces sociales ou les faits géographiques têtus et les forces qui luttent contre eux : celles de l’esprit, de la conscience et des passions aveugles de l’homme ». 

Comme un certain nombre de students ou anciens students de Christ Church, Trevor-Roper, durant la Seconde Guerre mondiale, a travaillé pour le Secret Intelligence Service (SIS), dont il a même dirigé une section. À la demande des forces d’occupation en Allemagne, sur la base d’entretiens avec des survivants du bunker de Hitler, il rédigea l’ouvrage pour lequel il demeure le plus connu, Les Derniers Jours de Hitler. Ce livre, rappelle Davenport-Hines, « n’a cessé d’être réimprimé depuis sa publication au début de 1947. Il assura à Trevor-Roper une place parmi les intellectuels et commentateurs qui dominèrent le discours public dans le quart de siècle qui suivit la guerre ». Son œuvre couvre un champ impressionnant de périodes et de problèmes, dont il a souvent profondément renouvelé l’étude. Elle comprend des écrits polémiques dans lesquels la vivacité de sa plume sarcastique fait merveille. Il était un épistolier prolifique et de grand talent. L’extraordinaire récit qu’il fait de l’élection du Premier ministre Harold Macmillan à la chancellerie d’Oxford donne un aperçu édifiant des intrigues qui faisaient l’ordinaire de la vie universitaire et de ses propres qualités manœuvrières dans ce domaine. 

Sous des dehors affables, Hugh Trevor-Roper demeurait le plus souvent « opaque, impersonnel, réticent ». Il affichait une attitude « sceptique, dépréciative, dédaigneuse ». Convaincu d’être plongé dans un monde hostile, doutant qu’on puisse l’aimer, il n’accordait que parcimonieusement sa confiance. Richard Davenport-Hines attribue ce trait au traumatisme d’une enfance sans affection auprès de parents au comportement distant et glacial. 

Il semble que peu de dons aient eu une vie personnelle épanouie et heureuse. J. C. Masterman, un autre historien de Christ Church qui a également travaillé pour le SIS pendant la guerre, « considérait vraisemblablement les échanges de fluides corporels comme une menace pour le contrôle de soi-même » suggère Davenport-Hines. Dans l’univers strictement masculin des colleges, les relations homosexuelles restaient souvent platoniques. 

Les différents colleges d’Oxford ne commencèrent pas tous en même temps à admettre des jeunes filles en premier cycle. À Christ Church, ce fut en 1980. La première femme chargée d’enseignement y avait été nommée en 1978, la première student un an plus tard. Durant des siècles, la culture étudiante d’Oxford est restée bâtie sur la conversation masculine : « La conversation était le moyen par lequel les amis masculins échangeaient et altéraient leurs opinions […], donnaient forme aux ambitions tactiques de leur carrière, stimulaient leur curiosité intellectuelle, satisfaisaient leurs besoins émotionnels. » Quant aux dons de Christ Church, « [ils] dînaient généralement ensemble dans le hall, puis se retiraient dans la salle commune faiblement éclairée, dont les murs lambrissés étaient ornés de tableaux de Cuyp, Frans Hals et Gainsborough. Là, s’ils n’étaient pas trop nombreux, ils s’asseyaient à une même table […] et se livraient à des démonstrations d’esprit, d’érudition cérémonieuse et de répliques badines. » La médisance n’était pas absente. « Les dons passent trop de temps à critiquer le travail des autres », déclarait J. C. Masterman. Dans une lettre à Trevor-Roper, Robert Blake, le huitième historien du livre, auteur d’une biographie de Disraeli, écrit sarcastiquement  : « Qui allons-nous démolir à présent ? » 

La vie dans les colleges comportait des aspects peu reluisants, dépeints dans les romans de l’époque comme Retour à Brideshead d’Evelyn Waugh : les rivalités féroces, la misère affective, la veulerie, l’arrogance et les manières brutales et cruelles de jeunes privilégiés. Cela n’a pas empêché beaucoup d’anciens étudiants d’Oxford d’exprimer une forte nostalgie pour les années qu’ils y ont passé, d’évoquer en termes émus la majesté des bâtiments, la beauté des cloîtres, le charme des pelouses et des bassins, la poésie du son des cloches, la joyeuse liberté des manières, l’excitation intellectuelle des longues soirées de discussion. Cette nostalgie émane du livre de Richard Davenport-Hines, d’autant plus puissante que son objet est un Oxford qui a en partie disparu.    

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TRUMPERIES – Le 21 octobre 2025, l’ancien président américain Donald Trump a poursuivi en justice quatre journalistes du The New York Times, le journal lui-même et l’éditeur Penguin Random House, estimant qu’un livre (« Lucky Loser ») et des articles le diffamaient. Sa plainte initiale, réclamant 15 milliards de dollars, avait été rejetée pour vice de forme : il revient cependant avec une version amendée conforme aux exigences judiciaires.

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LIBERTÉ – Depuis dix ans, l’éditeur sino-suédois Gui Minhai demeure dans l’ombre : enlevé en Thaïlande en 2015 puis détenu en Chine, il incarne le basculement de la liberté éditoriale face à la censure d’État. Son arrestation illustre l’emprise croissante sur les acteurs du livre dans l’espace sinophone, au-delà des frontières. 

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DESESPERIANT – Un manuel – apparemment rédigé entièrement par une intelligence artificielle – consacré à l’élevage de poules a dû être retiré d’une bibliothèque du Michigan : bourré de conseils absurdes (notamment nourrir les volailles avec des bonbons), il illustre les dérives possibles de l’édition automatisée. 

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NO FUTURE ? – À 78 ans, le romancier Stephen King, dont la carrière s’étend sur plus de soixante romans et des dizaines de millions d’exemplaires vendus, évoque pour la première fois la fragilité de son avenir d’écrivain : « À mon âge, on n’est plus sous garantie. On ne peut rien tenir pour acquis. » Fier de continuer deux projets — un nouvel opus de la saga The Talisman et une enquête de son héroïne récurrente Holly Gibney — il affirme qu’il n’ira « pas jusqu’à prendre sa retraite demain », tout en souhaitant « encore surprendre les gens » plutôt que « radoter ». 

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LIBRAIRIE – Le géant Amazon défie la loi Lang : il propose désormais une remise de 5 % sur les livres retirés en point-relais, une stratégie jugée par les libraires comme un affront à l’esprit de la loi de 1981, qui protège le prix unique du livre pour garantir la diversité du réseau de librairies. 

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Lorsque le cœur s’arrête, le cerveau n’est plus alimenté en oxygène et cesse de fonctionner en quelques minutes. Inventée au milieu du XXe siècle, la réanimation cardiopulmonaire (RCP), si elle est pratiquée à temps, permet de restaurer tout ou partie des fonctions cérébrales. Les Anglo-Saxons parlent de « ressuscitation ». En milieu hospitalier, les techniques de « ressuscitation » se sont beaucoup perfectionnées, si bien qu’un nombre croissant de malades ainsi « ressuscités » peuvent raconter ce qu’ils ont vécu, ou ce qu’ils croient avoir vécu. Ce sont les « expériences de mort imminente ». Beaucoup disent s’être senti flotter au-dessus de leur corps, d’autres passer dans un tunnel, d’autres encore disent avoir revécu en un éclair quantité d’épisodes de leur vie, souvent sous un angle moral (je ne me suis pas bien comporté). Le phénomène fait l’objet de recherches plus ou moins actives depuis la publication en 1975 du livre du philosophe Raymond Moody La Vie après la vie (disponible en poche). 

Professeur associé de médecine à l’université de New York et auteur de livres à succès sur ce thème (dont un traduit en français), Sam Parnia propose une synthèse des derniers travaux sur les expériences de mort imminente, travaux dont il est souvent le principal coordinateur. Nous avons tort de penser la vie et la mort en termes binaires, soutient-il. La RCP révèle l’existence d’une « zone grise », qui témoigne du fait que le corps et l’âme mènent en réalité deux vies séparées, comme la main et le gant, dit-il. 

En rendant compte avec un humour feutré du dernier livre de Parnia dans la New York Review of Books, son collègue Nitin K. Ahuja, professeur associé de médecine à l’université de Pennsylvanie, émet quelques doutes sur la valeur de certains de ces travaux et plus encore sur le parti pris dualiste de l’auteur, discrètement mais clairement persuadé que notre âme survit après la mort. En même temps, il reconnaît l’intérêt, pour la science, d’ouvrir les fenêtres sur des domaines de recherche aux frontières du démontrable. 

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