WP_Post Object ( [ID] => 132220 [post_author] => 48457 [post_date] => 2025-06-19 17:01:27 [post_date_gmt] => 2025-06-19 17:01:27 [post_content] =>Un matin glauque de janvier 1947 dans un faubourg de Los Angeles est découvert le corps affreusement mutilé d’une jolie femme de 22 ans. Le corps vidé de son sang d’Elizabeth Short a été chirurgicalement coupé en deux à la taille. Elle a subi plusieurs profondes entailles au visage, aux seins et à la cuisse. Plusieurs morceaux de chair ont été enlevés. La partie basse du corps est placée à 30 centimètres de la partie haute, les intestins soigneusement noués derrière les fesses. C’est le « Dahlia noir », dont James Ellroy a tiré son bestseller, dont Brian De Palma a fait un film, une histoire qui a été vampirisée par des journalistes, des écrivains, des cinéastes, des musiciens, des peintres et même des voyagistes spécialisés dans le nécrotourisme.
La romancière catalane Beatriz García Guirado se penche à son tour sur ce sujet macabre, non pour en faire un nouveau roman mais un ouvrage mêlant plusieurs genres, dans lequel, au lieu de se concentrer sur le mystère d’un assassin jamais retrouvé (316 suspects et 28 faux aveux), elle explore le mythe créé autour de la victime, à laquelle elle tente de s’identifier. Les journaux à sensation de l’époque ont imaginé quantité d’histoires non vérifiables, d’après lesquelles elle aurait été torturée, se serait prostituée, et ainsi de suite. C’était en réalité une pauvre fille, qui rêvait d’être actrice, mais tirait le diable par la queue. « Elle avait travaillé comme serveuse, comme modèle pour chapeliers, explique l’auteure au journal Diario de Sevilla, elle allait de coloc en coloc, cherchant à s’en sortir sans savoir ce qu’elle pouvait trouver. Elle avait 22 ans et était perdue, c’était une personne ordinaire. » Sa célébrité post-mortem, largement fantasmée, peut être lue comme « une métaphore du Los Angeles d’après-guerre », dit encore Beatriz García Guirado. Son livre « autopsie la société patriarcale […] d’une époque enfiévrée par le true crime et les féminicides », lit-on dans le quotidien El País.
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WP_Post Object ( [ID] => 132217 [post_author] => 48457 [post_date] => 2025-06-19 16:58:53 [post_date_gmt] => 2025-06-19 16:58:53 [post_content] =>Formidable nouvelle : il y avait au moins un(e) idéaliste chez Facebook. En l’occurrence, Sarah Wynn-Williams, une jeune diplomate néo-zélandaise qui avait pu observer de près les débuts du printemps arabe, donc mesurer l’extrême importance de Facebook dans son déclenchement. Elle avait ensuite réussi – laborieusement – à convaincre les sbires de Mark Zuckerberg « qu’une révolution est en cours, une révolution qui a pour nom Facebook » et donc de l’embaucher pour aider la firme à gérer ses responsabilités politiques. Mais elle découvrira vite que « Mark Zuckerberg ne percevait pas du tout Facebook comme une force explosive sur le point de bouleverser et de redéfinir la politique à travers le monde » – juste comme un moyen de faire du fric en « incitant les gens à perdre du temps sur Internet » ! Pire, il « se contrefiche de la politique » excepté dans ses deux grands marchés, les US et la Chine, où il cajole les pouvoirs en place. C’est ainsi qu’en Amérique, après avoir été démocrate il a presto viré trumpiste ; et qu’en Chine il n’a pas hésité, malgré ses dénégations au Congrès, à se plier aux exigences de la censure locale. Wynn-Williams est tout spécialement ulcérée par la « négligence » de Facebook en 2017 en Birmanie, quand les massacreurs de Rohingyas ont pu impunément utiliser le réseau pour rallier leurs troupes. Facebook n’avait alors qu'un seul « fact-checker » birmanophone, un sous-traitant qui plus est – aujourd’hui la fonction « fact-checking » a été carrément supprimée.
Sept ans durant, Wynn-Williams protestera (un peu) mais fera le dos rond avant de se retrouver sur la touche puis d’être éjectée en 2024. L’intrépide lanceuse d’alerte – qui avait déjà survécu, ado, à une attaque de requin – décide alors de publier un livre pour raconter (drôlement) ses multiples déconvenues, car Zuckerberg traite les chefs d’État « non stratégiques » par-dessus la jambe, et surtout pour dénoncer le système Facebook. Tout y passe : les mensonges de Zuckerberg, son utilisation cynique du pouvoir de Facebook lors des campagnes électorales, l’implacabilité du management « qui attend des troupes le sacrifice de leur vie entière »… Mais ce déballage de faits éventés ne suffit pas à expliquer le grand succès de l’ouvrage, qui doit beaucoup – sinon tout – à l’invraisemblable passion mise par Facebook à l’interdire. « Quand de furieux démentis ont été publiés, quand les employés de Facebook ont été incités à poster des commentaires négatifs sur les réseaux sociaux, quand l’autrice a été interdite de promotion, les gens ont commencé à acheter son livre », rigole James Ball dans The Spectator. Cette surréaction insensée s’expliquerait par les attaques ad hominem contre le top manager de Facebook : obsédé par sa propre image au point de booster frauduleusement ses propres chiffres d’audience sur… Facebook, vénal, complice de prédation sexuelle (y compris contre Wynn-Williams elle-même), cruel, manipulateur, d’une vanité puérile (il faut laisser Zuckerberg gagner aux jeux de société), indifférent à tout ce qui ne touche pas au compte d’exploitation, même aux grandes questions sociales ou de santé mentale… Bref, assène encore James Ball, « c’est le livre rêvé de tout employé revanchard : mesquin, venimeux, et par conséquent épatant ».
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WP_Post Object ( [ID] => 132214 [post_author] => 48457 [post_date] => 2025-06-19 16:57:03 [post_date_gmt] => 2025-06-19 16:57:03 [post_content] =>L’État de droit et le respect des lois et traités internationaux filent un mauvais coton, par les temps qui courent. Mais à cet égard, il y a le visible et le moins visible. La sociologue américaine Brooke Harrington s’est immergée dans le monde feutré des gérants de (très grandes) fortunes et en tire un « livre court (120 pages) mais puissant », écrit Brian Tanguay dans la California Review of Books. Pour mener à bien son enquête, elle a commencé par dépenser 50 000 dollars pour suivre une formation débouchant sur un certificat l’autorisant à devenir elle-même gestionnaire de fortune. Forte de ce statut, elle a consacré près de huit ans à interroger des professionnels, ses nouveaux collègues, et s’est rendue dans dix-huit des paradis fiscaux les plus prisés. Elle s’est fait tout expliquer par le menu : comment les paradis fiscaux permettent aux vraiment très riches de dissimuler l’essentiel de leur fortune de façon à la mettre à l’abri non seulement du fisc mais de leurs créanciers. Elle décrit un monde de gens qui se sentent habilités à naviguer à l’écart des lois qui s’imposent aux citoyens ordinaires. Qui se sentent habilités aussi, pour certains d’entre eux, à peser sur les échéances politiques et la gestion publique. D’aucuns n’hésitent d’ailleurs pas à revendiquer ce statut. Tel Peter Thiel, cité par Harrington, qui a publié en 1997 un livre intitulé « L’individu souverain ». Il se décrit lui-même ainsi : « À la tête de ressources considérables, hors d’atteinte de nombreuses formes d’obligation, l’individu souverain réorganisera l’administration des États et reconfigurera les économies. » La mission confiée fin 2024 par Donald Trump à Elon Musk reflétait cette philosophie, estime Brian Tanguay.
Pour autant, Harrington n’est pas anticapitaliste. « L’offshore est dommageable pour le capitalisme », déclare-t-elle dans un entretien publié sur le site de son université, Dartmouth College. Elle évalue à 700 trillons de dollars par an (entreprises + particuliers) le manque à gagner que crée l’offshore pour les finances publiques. Surtout, dit-elle, « si l’offshore est tellement dangereux, c’est qu’il délégitimise le respect du droit. En permettant aux ultra-riches de contourner les règles qui s’imposent à chacun de nous, il délégitimise le processus démocratique. »
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WP_Post Object ( [ID] => 132211 [post_author] => 48457 [post_date] => 2025-06-19 16:55:08 [post_date_gmt] => 2025-06-19 16:55:08 [post_content] =>La conquête progressive des plaines de Patagonie par les colons soutenus par l’armée argentine est l’un des épisodes les plus noirs de la colonisation. Aujourd’hui, les statues des « héros » de ladite conquête sont régulièrement maculées de peinture rouge. Faudrait-il aussi maculer ou déboulonner les statues de Darwin ? Témoin d’atrocités lors de ses expéditions de zoologue et de botaniste à partir du Beagle, le navire qui le transportait depuis l’Angleterre, le jeune biologiste était sans en être conscient imprégné des préjugés de son époque. Alors que le général Juan Manuel de Rosas promettait d’« exterminer les barbares » (les Mapuches), Darwin écrit que la guerre « produira certainement de grands bénéfices ; elle ouvrira d’un coup 400 à 500 milles de bonne terre pour la production du bétail ». Il évoque au passage, sans autre commentaire, « le spectacle, que mon guide contemplait avec une grande satisfaction, d’un squelette, dont pendaient des lambeaux de peau desséchée, d’un Indien suspendu à un arbre ». Arrivé en Terre de Feu, séparée de la Patagonie par le détroit de Magellan, il décrit ainsi les Haush : des gens « dont les signes et expressions sont moins intelligibles pour nous que ceux des animaux domestiques ; qui ne possèdent pas l’instinct de ces animaux, ni ne semblent en mesure de se vanter de la raison humaine ».
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WP_Post Object ( [ID] => 132207 [post_author] => 48457 [post_date] => 2025-06-19 16:52:44 [post_date_gmt] => 2025-06-19 16:52:44 [post_content] =>Les économistes et journalistes américains rappellent volontiers la façon dont Valéry Giscard d’Estaing, lorsqu’il était ministre des Finances du général de Gaulle, dénonça un jour le « privilège exorbitant » que confère au dollar son statut singulier : monnaie nationale de la plus grande puissance économique mondiale, il est en même temps la principale monnaie de réserve dans le monde. Cette expression devenue célèbre a servi de titre en 2011 à un livre de l’historien de l’économie Barry Eichengreen sur l’histoire du dollar. Elle figure en bonne place dans deux ouvrages récents qui s’interrogent sur son avenir : King Dollar, par le chroniqueur économique Paul Blustein, et Our Dollar, Your Problem, de l’ancien économiste en chef du FMI et professeur à Harvard Kenneth Rogoff (voir la Booksletter du 9 mai 2025). S’ils diffèrent par leurs conclusions, ces deux livres couvrent le même terrain et les analyses qu’ils contiennent se recoupent largement.
Le dollar est de loin la principale monnaie utilisée pour le commerce international. Plus des trois quarts des transactions entre pays sont effectuées en dollars. Si les pays européens utilisent l’euro pour les échanges qu’ils ont entre eux, ils continuent à recourir essentiellement au dollar dans leur commerce avec le reste du monde. Quasiment 90 % des échanges financiers entre banques se font aussi en dollars. Les réserves des banques centrales dans le monde entier sont constituées à 60 % de dollars, et presque 70 % des obligations d’État détenues internationalement sont libellées en dollars.
Cette domination du dollar sur l’économie et la finance mondiale est un phénomène vieux d’un siècle. Elle a progressé de pair avec la puissance industrielle, économique et militaire des États-Unis. Au cours de l’Histoire, la monnaie de référence a toujours été celle d’un État puissant sur le plan commercial. Le peso espagnol, le florin hollandais et la livre sterling anglaise ont successivement joué ce rôle. En 1925, le dollar détrônait la livre comme première monnaie mondiale. Sa domination s’est consolidée avec les accords de Bretton Woods de 1944, qui établissaient un système de taux de change fixe entre les différentes monnaies et le dollar, dont la valeur était fixée par rapport à une certaine quantité d’or. L’érosion progressive du système de Bretton Woods au cours des années 1960 en raison de la forte inflation du dollar, puis son abandon définitif en 1971 suite à la décision du président Richard Nixon de mettre fin à sa convertibilité en or (c’est à cette occasion que son secrétaire au Trésor John Connally prononça les mots qui servent de titre au livre de Rogoff) auraient logiquement dû affaiblir son règne. Il n’en fut rien. Dans un monde de taux de change flottants, le dollar conserva sa suprématie. Il la renforça même avec la dérégulation des marchés boursiers et la financiarisation de l’économie au cours des années 1980 et 1990.
Aucun des développements présentés comme susceptibles de mettre fin à l’emprise du dollar (la crise pétrolière de 1973-1974, le développement industriel spectaculaire du Japon puis de la Chine, la création de l’euro, la crise financière de 2008) n’eut d’effet significatif sur lui. En 1960, les États-Unis représentaient 40 % du PIB mondial. Avec quelque 25 % aujourd’hui, ils demeurent la première puissance économique du monde mais sont talonnés par la Chine. Leurs échanges avec le reste du monde ne constituent plus que 8 % du commerce international. Autrefois excédentaire, leur balance commerciale est à présent fortement déficitaire. Jadis créditeurs du monde, ils en sont devenus le plus gros débiteur. Après être passé par plusieurs périodes de budgets publics à l’équilibre, l’État fédéral est lourdement endetté, une forte proportion des bons du Trésor américains étant détenue à l’étranger, plus particulièrement par le Japon et la Chine. Mais rien n’y fait : le dollar demeure la monnaie la plus appréciée du monde et la plus utilisée.
Pour quelles raisons ? Paul Blustein et Kenneth Rogoff en énumèrent quelques-unes : la puissance politique et militaire des États-Unis, la taille de leur économie, la sécurité qu’offre un système juridique très développé et fiable en cas de litige, une tradition de stabilité des prix, la profondeur et la forte liquidité, surtout, d’un marché financier sans équivalent dans le monde. Il faut aussi mentionner l’effet de réseau qui fait du dollar une sorte de lingua franca de l’économie, l’équivalent dans ce domaine de l’anglais en matière linguistique : plus des gens l’utilisent, plus il est avantageux de l’utiliser.
Une autre raison importante est l’absence de concurrent. Quelle monnaie pourrait exercer au niveau mondial les trois fonctions d’unité de compte, d’instrument de paiement et de réserve de valeur aujourd’hui efficacement assurées par le dollar ? L’euro, de plus en plus employé dans les transactions internationales, a souvent été mentionné. Mais la crise de 2010 a montré sa fragilité et, en l’absence d’un État garantissant pleinement sa valeur et d’une véritable politique budgétaire commune, on voit mal comment il pourrait aisément se substituer au dollar sur la scène mondiale. Davantage que le yen japonais, confiné dans un rôle marginal, on cite souvent au nombre des prétendants le renminbi (yuan) chinois. Depuis peu autorisée à fluctuer légèrement par rapport au dollar, la monnaie chinoise reste cependant pour l’instant arrimée à celui-ci, et c’est en dollars que sont largement constituées les réserves de devises étrangères de la Chine. Le renminbi continue par ailleurs à faire l’objet d’un contrôle des changes. Il est certes utilisé de manière croissante au niveau régional. Mais, même si sa politique sur ce point est en train de changer, la Chine s’est longtemps montrée assez réticente à internationaliser sa monnaie.
Régulièrement, des économistes idéalistes ressuscitent l’idée d’une véritable monnaie internationale, présentée pour la première fois par John Maynard Keynes à la conférence de Bretton Woods sous le nom de « bancor », sans succès puisqu’elle fut aussitôt rejetée par les Américains. Une version très affaiblie de ce concept existe aujourd’hui sous la forme des « droits de tirage spéciaux » du FMI. Il ne s’agit pas d’une véritable devise, mais d’un instrument monétaire pouvant être utilisé comme avoir de réserve, basé sur un panier de monnaies : le dollar et les quatre autres devises importantes au niveau mondial (euro, livre, yen et renminbi). Transformer cet instrument très lié en pratique au dollar en une monnaie à part entière ne serait guère facile.
Parmi les candidats au remplacement du dollar le plus souvent évoqués figurent les monnaies numériques. Il en existe de plusieurs sortes, qui se distinguent par des traits importants. La première à apparaître fut le bitcoin. Basé sur la technologie de la « blockchain » qui fait de chaque échange une ligne de calcul vérifiée de manière secrète, protégée et décentralisée, il est explicitement conçu pour effectuer des transactions de personne à personne en se passant de tout intermédiaire bancaire. Sur le même modèle, plusieurs centaines de cryptomonnaies ont vu le jour. Parce qu’elle n’est déterminée que par le marché, leur valeur peut varier de manière spectaculaire. Certaines de ces cryptomonnaies, dites « stables », sont par contre indexées sur des monnaies traditionnelles, comme le dollar, ou d’autres actifs. C’était notamment le cas de la libra dont le cas est longuement étudié par Paul Blustein. Elle fut rapidement abandonnée, parce que l’organisme émetteur (Facebook, aujourd’hui Meta) n’inspirait pas confiance. Enfin, en s’appuyant sur la même technologie, certaines banques centrales, par exemple celle de Chine, ont émis leur propre monnaie numérique, à la fois stable et garantie par une puissance publique étatique. Tout en prenant note du développement possible de ces monnaies d’un type nouveau, Blustein et Rogoff demeurent sceptiques quant à leur capacité de détrôner le dollar. La mise en circulation d’une grande quantité de monnaies numériques de banques centrales pourrait déstabiliser le système financier. Quant aux cryptomonnaies, on peut s’interroger sur leur usage. Dans l’état actuel, elles semblent essentiellement employées pour des transactions illégales, voire criminelles, et comme outils de spéculation.
Aux yeux des deux auteurs, le plus grand danger pour l’avenir du dollar est lié aux politiques mises en œuvre par les États-Unis. Au cours des dernières années, ceux-ci ont mis à profit de plus en plus régulièrement le contrôle sur les échanges mondiaux que leur assure la maîtrise du dollar pour appliquer de lourdes sanctions économiques à des pays dont ils désapprouvaient la conduite, à commencer par la Russie et ses partenaires commerciaux. Une telle « militarisation » de leur monnaie a certainement contribué à détourner du dollar certains des pays visés ou qui pourraient l’être. S’ils venaient à y recourir de manière systématique et inconsidérée, cette désaffection pourrait se renforcer. Les pays regroupés sous l’étiquette de « BRICS » ont d’ailleurs déjà commencé à se détacher du dollar en utilisant leur propre monnaie pour les transactions qu’ils effectuent entre eux.
On s’interrogera aussi sur certaines directions prises en matière de politique économique. Les bénéfices qu’apporte aux États-Unis le statut privilégié du dollar auxquels faisait référence Valéry Giscard d’Estaing sont très réels : il leur permet d’emprunter à des taux d’intérêt avantageux, de soutenir « sans larmes », comme le disait l’économiste français Jacques Rueff, des déficits importants, d’influencer les marchés financiers internationaux et même de surveiller attentivement toutes les transactions qui s’opèrent sur les marchés du monde entier. Ainsi que le fait remarquer Kenneth Rogoff, l’omniprésence du dollar a aussi parfois des avantages pour les pays qui s’en déclarent victimes. On se souviendra par exemple des puissantes « lignes de crédit » en dollars mises en place par la banque fédérale américaine durant la crise de 2008, sans lesquelles les banques centrales européennes auraient été incapables de sauver de la faillite les banques privées du vieux continent.
Le statut enviable du dollar ne va cependant pas sans inconvénients pour les États-Unis eux-mêmes. Un de ceux-ci est connu sous l’appellation de « dilemme de Triffin », d’après le nom de l’économiste belge qui l’a identifié : un pays dont la monnaie nationale sert de monnaie de réserve internationale est condamné à se trouver en situation de déficit commercial, ce qui, à terme, en érodant la confiance dans sa monnaie, ne peut que contribuer à ruiner le statut de celle-ci. Robert Triffin a formulé cette proposition à l’époque où le régime de Bretton Woods était en vigueur. Mais la situation de l’économie américaine aujourd’hui n’est pas sans analogie avec celle qu’il avait sous les yeux. Expliquer le déficit de la balance commerciale uniquement par le statut du dollar, observe cependant Rogoff, est insuffisant. D’autres facteurs entrent en ligne de compte, notamment l’équilibre entre épargne et investissement et ce qui l’affecte, à commencer par l’importance du déficit budgétaire.
Parmi ceux que lient étroitement le déficit commercial des États-Unis et la situation du dollar figurent les membres de l’administration actuelle. La demande internationale de dollars, affirment-ils, a pour effet, en le surévaluant, de faciliter les importations et de rendre les exportations plus difficiles, ainsi que d’encourager la délocalisation des activités de production. « Le statut de devise de réserve [du dollar], résumait en une formule frappante le vice-président J. D. Vance, est une forme de subside massif aux consommateurs américains et de taxe massive sur les producteurs américains. » C’est sur la base de cette hypothèse que l’économiste Stephen Miran a conçu le programme de taxes douanières très élevées aux conséquences imprévisibles mis en œuvre par Donald Trump dans les semaines qui ont suivi son retour à la présidence. On sait à présent qu’il n’est qu’un volet d’un plan plus vaste visant à dévaluer le dollar tout en maintenant sa suprématie, en forçant, par l’intermédiaire des tarifs douaniers, les pays partenaires commerciaux des États-Unis à réévaluer leur monnaie et ceux qui détiennent de la dette publique américaine à l’échanger contre des obligations à 100 ans sans la moindre valeur. Scott Bessent, de son côté, secrétaire au Trésor, appelle de ses vœux le développement de l’usage privé des cryptomonnaies. Et Donald Trump a donné instruction pour que soit constituée une réserve de cryptomonnaies privées à la banque fédérale. Le déficit des dépenses publiques ne cesse par ailleurs de croître, et les dernières propositions de budget présentées au Congrès sont de nature à le creuser encore. Aux yeux des deux auteurs, l’explosion de la dette des États-Unis est l’élément qui menace le plus sérieusement la monnaie du pays.
Kenneth Rogoff est d’avis que le dollar a atteint le pic de sa domination il y a quelques années et perdra progressivement sa prééminence. Paul Blustein ne voit pas son règne cesser avant longtemps, « sauf dans le cas où le gouvernement des États-Unis prendrait des décisions catastrophiques ». Mais c’est une perspective qu’il est loin d’exclure. Le dollar conservera-t-il son statut privilégié ? Va-t-il perdre sa suprématie « non dans un bruit assourdissant mais avec un gémissement », pour reprendre un vers célèbre de T. S. Eliot ? Ou comme on fait faillite selon la tout aussi célèbre formule d’Ernest Hemingway, « graduellement et puis soudainement » ? L’avenir est ouvert à plus d’un scénario et il n’est pas impossible (mais pas certain non plus) que nous sachions bientôt lequel se réalisera.
[post_title] => Quel avenir pour le dollar ? [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => quel-avenir-pour-le-dollar [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2025-06-20 07:21:22 [post_modified_gmt] => 2025-06-20 07:21:22 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=132207 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
WP_Post Object ( [ID] => 132167 [post_author] => 48457 [post_date] => 2025-06-12 09:47:18 [post_date_gmt] => 2025-06-12 09:47:18 [post_content] =>Trois jours après la première grève générale lancée contre la junte militaire dont il avait pris la direction, le général argentin Leopoldo Galtieri imagine une opération de diversion : ordonner le débarquement de l’armée aux îles Malouines, occupées par les Britanniques depuis 1833. Échec cuisant : 649 morts du côté argentin (255 du côté britannique). Signée le 14 juin 1982, la capitulation entraîne la démission de Galtieri. La junte tombe un an et demi plus tard.
Dans Demasiado lejos, le romancier Eduardo Sacheri, qui est aussi professeur d’histoire, met en scène le quotidien d'une poignée d’habitants de Buenos Aires vivant la guerre des Malouines sous le feu de la désinformation et d’un triomphalisme délirant – avant de sombrer dans l’abattement. Nous pénétrons dans un bar où se déchaînent les passions politiques, dans l’atmosphère feutrée d’une ambassade où l’on décide de la politique étrangère, dans l’intimité d’une famille de banlieue qui voit le fils partir au front.
« Les Malouines et l’équipe nationale de foot sont les seuls points d’accord sur l’identité argentine » soutient un Sacheri désabusé. Il destine néanmoins son roman « à ceux qui essaient de ne pas se laisser éblouir », écrit le journal argentin Perfil. « Un roman essentiel pour comprendre un épisode qui continue de résonner dans la mémoire collective argentine. »
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WP_Post Object ( [ID] => 132164 [post_author] => 48457 [post_date] => 2025-06-12 09:45:18 [post_date_gmt] => 2025-06-12 09:45:18 [post_content] =>On doit déjà à l’historien de la littérature Tilmann Lahme plusieurs ouvrages sur la famille Mann (Books s’était fait l’écho de l’un d’eux, paru il y a dix ans). Voilà qu’il publie un nouveau livre consacré cette fois à Thomas, centre incontestable de cette galaxie dysfonctionnelle, dont on fête cette année les cent cinquante ans de la naissance. Petit problème : autant la famille Mann prise dans son ensemble (c’est le sujet de son ouvrage de 2015) avait rarement été traitée comme telle, autant la vie de Thomas Mann semble avoir été scrutée sous toutes ses coutures par des dizaines de biographies. À quoi bon en ajouter une énième ? Parce qu’en réalité, il y a encore beaucoup d’aspects mal connus de la vie du grand écrivain. En l’occurrence, comme le résume le Frankfurter Allgemeine Zeitung, « Tilmann Lahme a mis la main sur des documents jusqu’ici inédits et montre sous un jour neuf certaines choses que l’on croyait savoir ». Il s’intéresse tout particulièrement à l’homosexualité de Thomas Mann, qui n’est plus un secret pour personne, mais n’avait jamais encore été explorée aussi à fond. On a, en général, tendance à penser que Mann s’en est plutôt bien accommodé, qu’il couchait volontiers avec sa femme Katia et menait une existence de bon père de famille. Or, Lahme met au jour non seulement la souffrance engendrée par son désir inassouvi, mais la peur qu’il éprouvait d’être découvert et de voir sa réputation détruite.
[post_title] => Thomas Mann, inépuisable [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => thomas-mann-inepuisable [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2025-06-12 09:45:19 [post_modified_gmt] => 2025-06-12 09:45:19 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=132164 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
WP_Post Object ( [ID] => 132161 [post_author] => 48457 [post_date] => 2025-06-12 09:42:42 [post_date_gmt] => 2025-06-12 09:42:42 [post_content] =>C’est l’affaire d’espionnage la plus sensationnelle de la guerre froide, et sans doute d’après : en 1992, Vladimir Mitrokhine, un agent du KGB, passe à l’Ouest avec toute sa famille et des milliers de documents de la « Première Direction Générale » du KGB, celle du Renseignement Extérieur (la PGU). Dans le lot, tous les réseaux de taupes et d’agents dormants soviétiques en Occident. Puisqu’une large sélection des informations recueillies a été publiée en 1999, on pourrait croire que tous les secrets autour de cette affaire sont désormais éventés. Sauf que subsistaient jusqu’à ce jour deux grandes interrogations : comment, et surtout pourquoi, Mitrokhine a-t-il fait tout cela ? Gordon Corera, journaliste spécialiste des services secrets à la BBC, lève aujourd’hui le double voile.
Mitrokhine était un agent opérationnel pas trop bien vu qu’on avait mis au placard en 1956. Mais le placard en question, le bureau des archives de la Loubianka, n’était rien de moins que le cœur nucléaire du KGB, institution ultra-bureaucratique « dont tout le fonctionnement reposait entièrement sur le papier », et qui pour le seul PGU produisait environ 3 millions de documents par an. Mitrokhine, qui avait une formation d’archiviste, avait alors mesuré « l’horreur de la vérité » et entrepris de recopier sur des bouts de papier les informations qu’il savait les plus sensibles – l’identité des taupes recrutées ou envoyées à l’étranger – et surtout les secrets les plus hideux d’un employeur désormais détesté. Il cachait ses bouts de papier dans ses chaussures pour les sortir. Dans sa datcha, le week-end venu, il reconstituait grâce à sa mémoire phénoménale des condensés qu’il enterrait ensuite dans des récipients – non pas des bouteilles de champagne, comme Soljenitsyne, mais des bidons de lait. Puis, en 1972, énorme coup de chance : le KGB décide de transférer dans un immeuble moderne en plein bois, à Iassenevo, dans la périphérie de Moscou, les 300 000 dossiers du PGU. L’opération va durer 10 ans – et c’est Mitrokhine lui-même qui en est chargé ! En cachette de tous, sa famille incluse, l’homme va pouvoir extraire peu à peu, avec une passion maniaque, toute la mémoire vive des 50 dernières années du PGU du KGB (ne lui échappent que quelques dossiers ultra classifiés, notamment les assassinats).
En 1991, l’URSS implose et l’anarchie politique et surtout économique explose tandis que les hommes du KGB s’emparent des commandes du pays, qu’ils dépouillent méthodiquement. L’écœurement de Mitrokhine ne connaît plus de limites. Il décide de sauter le pas pour se rendre par le train, déguisé en moujik, dans la capitale de la Lituanie nouvellement indépendante. À Vilnius, il frappe d’abord à la porte de l’ambassade américaine, avec un échantillon de ses documents. Mais les Américains sont perplexes. Ils se sont déjà fait avoir par de faux defectors qui ont semé une terrible pagaille dans leurs services, et la CIA est en plus divisée entre les naïfs, qui jugent que seule l’URSS communiste était leur ennemie, et les méfiants qui craignent la résurgence sous un nouveau déguisement de l’inaltérable impérialisme russe. Et puis comment croire qu’un homme seul et un peu bizarre comme Mitrokhine ait pu, comme il le prétendait, recueillir tous les secrets du KGB ? Éconduit par la CIA, Mitrokhine se retournera alors vers les services secrets britanniques, notoirement plus confiants…
En mars 1992, l’archiviste est exfiltré vers l’Angleterre depuis un port lituanien avec son épouse ainsi que leur fils et la belle-mère (tous deux handicapés) et une cargaison de documents que lui seul – c’est sa grande garantie – peut convenablement déchiffrer. Toutes les taupes russes passées et présentes dans la plupart des pays de l’Ouest sont mises au jour, pour la plus grande humiliation de la CIA qui découvre non seulement l’ampleur de sa gaffe mais aussi l’étendue des dommages – et leur continuation (lors des nouvelles et amicales « réunions de liaison » entre ex-ennemis, les agents du nouveau FSB en ont profité pour installer des micros jusque dans les bureaux du Sénat américain !). Les barbouzes déchiffrent vite le « comment » de la machination Mitrokhine, quoiqu’ils ne comprennent toujours pas (ou feignent de ne pas comprendre) le « pourquoi ». Or si l’homme a « trahi », c’était afin d’échanger sa connaissance unique du KGB contre la possibilité d’expliquer au peuple russe les 30 millions d’arrestations depuis le début des années 1930 (et peut-être 7 millions de morts), soit « les décennies de répression et de mensonges », comme dit Alan Judd dans The Spectator. Les Russes, espère Mitrokhine, seraient alors incités à se débarrasser une fois pour toute de l’hydre de la dictature policière. Mais il y a maldonne. Le MI6 comme la CIA se fichent de la mission sacramentelle de Mitrokhine, et ne s’intéressent qu’aux dommages infligés chez eux par les services soviétiques. Les deux volumes publiés en 1999 ne contiennent d’ailleurs pas grand-chose sur les turpitudes commises en Russie, où l’ouvrage ne sera même pas publié. Mitrokhine meurt en 2004 complètement désabusé. Les espions ne sont tous que des menteurs…
[post_title] => Quand les archives se font dynamite [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => quand-les-archives-se-font-dynamite [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2025-06-12 14:35:36 [post_modified_gmt] => 2025-06-12 14:35:36 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=132161 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
WP_Post Object ( [ID] => 132155 [post_author] => 48457 [post_date] => 2025-06-12 09:39:01 [post_date_gmt] => 2025-06-12 09:39:01 [post_content] =>Vous souvenez-vous du projet Orion ? C’était dans les années 1950 et 1960, quand l’US Air Force et la NASA ont financé des recherches sur un vaisseau spatial propulsé par une cascade d’explosions nucléaires. « Le plus cinglé de tous les projets de vol interstellaire jamais conçus », écrit le journaliste scientifique américain Ed Regis. Bien que généralement présentée comme irréalisable, l’idée de coloniser des planètes dans d’autres systèmes solaires n’a pas désarmé. Témoin l’article interminable qu’y consacre Wikipédia. Témoin aussi Geoffrey A. Landis, de la NASA, pour qui un vaisseau propulsé par laser pourrait être lancé dans les 50 prochaines années : « Je pense que nous finirons par réussir, ce n’est qu’une question de quand et qui », assure-t-il. Les motivations ? Le besoin de rêver, mais aussi l’espoir d’échapper au destin inexorable de notre planète, d’ici un petit milliard d’années.
C’est absurde, explique en détail Ed Regis, auteur de plusieurs livres de vulgarisation scientifique. L’étoile la plus proche est 9 000 fois plus loin que Neptune. Nous, pauvres humains, ne sommes pas adaptés à de longues périodes dans l’espace, ni physiologiquement ni psychologiquement, résume Richard Dunn dans le Times Literary Supplement. Regis s’interroge sur cette « rhétorique émotionnelle, romantique, extravagante et métaphorique » et juge que nous avons mieux à faire : nous atteler à résoudre les problèmes auxquels nous sommes confrontés sur la planète actuelle. Le titre de son livre est un jeu de mots : « starbound » veut dire à la fois « à destination des étoiles » et « enchaînés à notre propre étoile », le Soleil.
[post_title] => Le fantasme du voyage interstellaire [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => le-fantasme-du-voyage-interstellaire [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2025-06-12 09:39:02 [post_modified_gmt] => 2025-06-12 09:39:02 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=132155 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
WP_Post Object ( [ID] => 132151 [post_author] => 48457 [post_date] => 2025-06-12 09:36:35 [post_date_gmt] => 2025-06-12 09:36:35 [post_content] =>« Démocratie » n’est pas le premier mot qui vient à l’esprit lorsque l’on pense à l’Amérique du Sud. Ceux qui lui sont spontanément associés sont plutôt « pronunciamento », « coup d’État » ou « dictature ». N’est-ce pas dans cette région du monde qu’a été inventé et a fleuri le « roman de dictateur », genre littéraire singulier illustré, au XXe siècle, par des œuvres fameuses d’Alejo Carpentier, Augusto Roa Bastos, Gabriel García Márquez et Mario Vargas Llosa ? C’est ce que rappelait l’écrivain nicaraguayen Sergio Ramírez au cours d’un entretien avec le directeur de l’Académie royale espagnole Santiago Muñoz Machado réalisé à l’occasion de la parution du très gros livre (1 000 pages) que ce dernier vient de consacrer à l’histoire de la démocratie en Amérique latine, plus précisément en Amérique hispanophone – le Brésil n’y est mentionné qu’en passant. Sous un titre qui rend hommage au chef-d’œuvre d’Alexis de Tocqueville, Muñoz Machado, qui est juriste, ainsi qu’il l’avait fait dans un ouvrage précédent sur la diffusion de la langue espagnole en Amérique du Sud, prend pour fil conducteur de son récit l’histoire des Constitutions qui se sont succédé dans les différents pays du continent, de leur naissance à nos jours.
L’histoire de la démocratie en Amérique latine est longue mais pas très riche : tout au long des XIXe et XXe siècles, des régimes basés sur ses grands principes (séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, reconnaissance des libertés et droits fondamentaux, souveraineté populaire) n’y ont fonctionné que par intermittence, durant de courts intervalles de temps. Lorsqu’ils ont acquis leur indépendance, durant le premier tiers du XIXe siècle, les pays de cette région s’étaient pourtant dotés de Constitutions d’esprit libéral. Dans des proportions variables, elles combinaient des éléments de la Constitution des États-Unis de 1787, des Constitutions françaises de 1791, 1793 et 1795, ainsi que de l’éphémère Constitution de Cadix de 1812, adoptée par l’Espagne après qu’elle se fut libérée de l’occupation des troupes de Napoléon, qui aurait dû s’appliquer de manière égale des deux côtés de l’Atlantique mais fut abrogée à peine entrée en vigueur. Dans une moindre mesure, elles reflétaient aussi l’esprit du système de monarchie constitutionnelle britannique qu’avaient pu observer en Angleterre, où ils avaient vécu, plusieurs grands théoriciens de l’indépendance (Francisco de Miranda, Andrés Bello, Servando Teresa de Mier), ainsi que Simón Bolívar.
Le développement d’institutions démocratiques fut toutefois immédiatement entravé par l’inexistence d’États constitués, qui ne furent pleinement formés que très progressivement. Longtemps, des questions restèrent ouvertes au sujet de trois éléments qui permettent à un État d’exister. Qui exerce la souveraineté et quelle part en détiennent respectivement l’État central et les États fédérés (provinces) dans le cas des pays à régime fédéral ? Sur quel territoire ? En dépit de la clarté théoriquement apportée par le principe uti possidetis juris, en vertu duquel les nouveaux pays conservaient le territoire qu’ils possédaient avant leur émancipation de l’Empire espagnol, des conflits de frontières opposèrent au bout d’un certain temps le Pérou et la Bolivie, l’Argentine et le Chili, ainsi que l’Argentine, le Brésil, l’Uruguay et le Paraguay. Et quelle était la population concernée ? Adoptées par l’élite créole, les Constitutions libérales s’appliquaient en principe à toute la population, mais celle-ci restait en pratique divisée en groupes de statut ou de condition variables, dont de nombreux autochtones indiens, certains vivant dans les républiques créoles, d’autres en marge de celles-ci, des métis et des esclaves ou descendants d’esclaves, à mesure que l’esclavage fut aboli.
Le principal frein à l’application des Constitutions libérales et à l’entrée en vigueur de régimes démocratiques fut l’émergence et la persistance d’un phénomène qui caractérise la vie politique sud-américaine tout au long du XIXe siècle, le « caudillisme ». Souvent issus de l’armée, mais aussi parfois anciens grands propriétaires terriens, arrivés au pouvoir par l’intermédiaire d’un putsch ou par des voies légales, les caudillos avaient en commun d’exercer un pouvoir autocratique s’affranchissant de toute contrainte constitutionnelle en violation claire du principe de la séparation des pouvoirs et, souvent, dans le mépris des libertés fondamentales : « La dépression économique, l’effondrement de la loi et de l’ordre, la militarisation de la société contribuèrent à l’existence du caudillo, chef charismatique qui promouvait ses propres intérêts [...] et entretenait un réseau de clients auxquels il concédait des faveurs et accordait son patronage. » Les pages que Muñoz Machado consacre à cette phase de l’histoire politique de l’Amérique latine contiennent une galerie de portraits de ces figures hautes en couleur que furent les caudillos du XIXe siècle, personnages souvent fantasques et excentriques : José Gaspar Rodríguez de Francia (Paraguay), José Antonio Páez (Venezuela), Juan Manuel de Rosas (Argentine), Rafael Carrera (Guatemala), Antonio López de Santa Anna et Porfirio Díaz (Mexique) et bien d’autres, moins connus.
Au XXe siècle, Rafael Trujillo (Saint-Domingue), Alfredo Stroessner (Paraguay), Anastasio Somoza (Nicaragua), Augusto Pinochet (Chili), Jorge Rafael Videla (Argentine) poursuivront de manière moins pittoresque et particulièrement impitoyable et cruelle cette tradition d’autoritarisme musclé, dans un contexte géopolitique marqué par l’influence déterminante de la politique étrangère des États-Unis sur le devenir du continent sud-américain.
Dans les dernières années du XIXe siècle, la révolution cubaine emmenée par José Martí avait entraîné l’accession à l’indépendance de Cuba, seule colonie espagnole à ne pas s’être encore émancipée. La fin de la présence de l’Espagne dans le Nouveau Monde coïncida avec le renforcement, sous une forme différente, de celle des États-Unis, en conformité avec une politique impérialiste dont la première manifestation remonte à la formulation, en 1823, par le président James Monroe, de la fameuse doctrine qui porte son nom : elle définit l’ensemble du continent américain comme zone d’influence exclusive des États-Unis. À dater de ce moment, ceux-ci ne cesseront d’interférer dans la vie politique de leurs voisins du sud à l’aide d’une diplomatie volontariste, en soutenant des dirigeants autoritaires et par l’intermédiaire d’interventions conduisant à des changements de régime, par exemple le renversement du gouvernement socialiste de Salvador Allende au Chili, en 1973. La raison d’être ou le prétexte de cette politique était la lutte contre le communisme, dont l’expansion en Amérique du Sud contribua par ailleurs également à y ralentir le développement de la démocratie libérale.
À côté des dictatures militaires, des traits récurrents de l’histoire politique de l’Amérique latine au XXe siècle, rappelle Muñoz Machado, furent les révolutions et le populisme. Parmi les révolutions, deux marquèrent cette histoire d’une empreinte particulièrement profonde. La première est la révolution mexicaine de 1910-1920, qui, au prix d’une longue période d’affrontements sanglants, mit définitivement fin à l’ère des caudillos dans ce pays et y installa pour longtemps au pouvoir le parti étrangement appelé « Parti révolutionnaire institutionnel ». La seconde est la révolution cubaine de Fidel Castro, importante parce qu’elle servit de source d’inspiration et de modèle à de nombreux mouvements révolutionnaires et de guérillas marxistes à travers le continent : Tupamaros en Uruguay, Montoneros en Argentine, Sandinistes au Nicaragua, Sentier lumineux au Pérou.
Produit de la réaction politique à de fortes inégalités économiques, le populisme hispanoaméricain, de son côté, se caractérisait par le rejet des élites, la méfiance à l’égard des corps intermédiaires, des politiques sociales et de redistribution économique généreuses, un nationalisme vigoureux et un culte du chef providentiel pouvant prendre la forme de l’adoration religieuse, comme dans le cas du leader argentin Juan Perón et de sa première femme, Eva. Le péronisme, que Muñoz Machado analyse longuement, constitue à ses yeux la forme la plus aboutie de populisme et un paradigme pour tous ceux qui, en Amérique hispanophone, se réclament d’une forme de démocratie populaire plus juste que la démocratie libérale. En Argentine, il a survécu à la mort de Perón avec, par exemple, Carlos Menem.
Ailleurs sur le continent, le populisme fut notamment incarné par Lázaro Cárdenas au Mexique et Getúlio Vargas au Brésil. Muñoz Machado qualifie de « néo-populistes » les gouvernements de gauche et de centre gauche qui sont apparus en Amérique latine à partir des années 1980, avec la disparition de l’affrontement entre dictatures militaires et mouvements révolutionnaires marxistes : ceux des époux Kirchner en Argentine, d’Evo Morales en Bolivie, de Luiz Inácio Lula da Silva en Brésil, de Ricardo Lagos et Michelle Bachelet au Chili, d’Óscar Arias au Costa Rica, de Rafael Correa en Équateur, d’Alan García au Pérou, de Daniel Ortega au Nicaragua, d’Hugo Chávez au Venezuela.
Arrivés au pouvoir en utilisant les instruments de la démocratie représentative, ces dirigeants s’y sont maintenus par des moyens loin d’être toujours démocratiques. La lutte contre le néolibéralisme et la « globalisation » et la défense des droits des populations indiennes sont des points communs de leurs politiques. Exception faite d’Evo Morales, Muñoz Machado identifie chez eux, comme d’ailleurs autrefois dans le justicialisme de Perón, la présence d’une « matrice chrétienne » de valeurs. Il déplore la prédilection de beaucoup d’entre eux pour le « néo-constitutionnalisme », la doctrine qui entend pallier les faiblesses et les insuffisances de la démocratie représentative en promulguant des Constitutions fondées sur d’autres principes que ceux de la démocratie libérale.
Aux yeux d’un constitutionnaliste, les produits de cette philosophie ont un caractère assez monstrueux. La Constitution équatorienne de 2008 comprend 444 articles, la Constitution bolivienne de 2009 en compte 411, celle du Venezuela de 1990 en contient 350. Loin de se contenter d’établir les grands principes de fonctionnement des institutions, ces textes se présentent comme de longs catalogues de droits individuels et collectifs et la nature y devient sujet de droit à plein titre. « Les nouvelles Constitutions, observe Muñoz Machado, sont des textes entachés de naïvetés. Elles sont surchargées de concepts qui témoignent d’une connaissance très partielle de la manière dont fonctionne la machinerie de l’État. » Pour cette raison, elles sont d’ailleurs décrites par certains commentateurs comme autant d’échantillons de « constitutionnalisme expérimental ». Surtout, les dirigeants en place ont souvent profité de l’adoption de ces textes pour consolider leur pouvoir en jugulant l’opposition et en assurant par des moyens non démocratiques leur réélection continue, en violation du principe de l’alternance : « La conséquence la plus visible du nouveau constitutionalisme a été le renforcement des régimes autocratiques. » L’introduction de dispositions aidant à prendre en compte les intérêts des populations indiennes, le nécessaire respect de la nature et certaines particularités des sociétés sud-américaines témoigne d’une volonté légitime. Mais, dans l’esprit de Muñoz Machado, celle-ci devrait pouvoir se concrétiser de manière juridiquement plus rigoureuse. Et si des éléments de démocratie directe sont susceptibles de compléter les institutions de la démocratie représentative, souligne-t-il, il est regrettable qu’ils soient instrumentalisés à leur bénéfice personnel par les gouvernants. Tous les pays de la région n’ont pas adopté cette approche. Plusieurs d’entre eux adhèrent encore aux principes constitutionnels de la tradition de démocratie libérale, tels qu’ils se sont enrichis après la Seconde Guerre mondiale. Mais cette tradition, conclut-il, a visiblement beaucoup de peine à s’acclimater en Amérique latine et à s’y exprimer de façon concrète et en pratique.
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