WP_Post Object ( [ID] => 131522 [post_author] => 48457 [post_date] => 2025-03-13 17:14:46 [post_date_gmt] => 2025-03-13 17:14:46 [post_content] =>Voici 101 ans un génial biologiste russe âgé de 30 ans exposait ses raisons de penser que la vie est apparue sur Terre dans un milieu abiotique, privé d’oxygène. Alexandre Oparine contredisait la théorie dominante d’après laquelle la vie était apparue au sein de la photosynthèse. C’est le chloroplaste des plantes qui était considéré comme le laboratoire originel. Instruit par les phénomènes de fermentation anaérobie et par la découverte de composés organiques dans les météorites, Oparine avait compris que l’environnement primitif de la Terre devait receler beaucoup de composés organiques. Il proposait que la vie a émergé de la synthèse et de l’accumulation de composés organiques qui formèrent des gouttelettes ressemblant à du gel à partir desquelles ont évolué peu à peu les premiers organismes, de type bactérien.
Convaincu de la justesse de la théorie darwinienne de l’évolution, Oparine jugeait que tous les êtres vivants descendent forcément d’un ancêtre commun. Il n’évoque pas le rôle des gènes, car à l’époque la théorie de Mendel était encore considérée comme anti-darwinienne.
Oparine ne s’est jamais inscrit au Parti communiste mais était soutenu par les principaux biologistes soviétiques et publia en 1936 un second ouvrage portant le même titre, dans lequel il affine beaucoup son hypothèse originelle. Ses travaux « visionnaires », écrit le biologiste mexicain Antonio Lazcano dans Science, continuent d’inspirer les recherches actuelles sur l’origine de la vie sur Terre – laquelle demeure un complet mystère.
[post_title] => La mystérieuse origine de la vie [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => la-mysterieuse-origine-de-la-vie [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2025-03-13 17:14:47 [post_modified_gmt] => 2025-03-13 17:14:47 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=131522 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
WP_Post Object ( [ID] => 131519 [post_author] => 48457 [post_date] => 2025-03-13 17:13:04 [post_date_gmt] => 2025-03-13 17:13:04 [post_content] =>Y a-t-il un remède au raidissement des opinions politiques, observable des deux côtés de l’Atlantique ? Le psychologue social américain Kurt Gray pense que oui. Mettant à profit un éventail d’expérimentations, il juge que l’indignation face à ce que nous considérons comme des scandales doit s’interpréter avant tout comme une réaction de défense. « Nos réflexes moraux révèlent une motivation innée de nous protéger et de protéger autrui », résume la neuroscientifique Leor Zmigrod dans Nature. Les tenants de la droite ou de la gauche s’affrontent moins sur des principes, comme ils le croient, que sur l’identité des victimes qu’ils cherchent à défendre. Ainsi aux États-Unis les démocrates veulent une réglementation plus stricte en matière d’environnement pour protéger les écosystèmes, tandis que les républicains veulent alléger la réglementation pour empêcher des pertes d’emplois dans les industries fossiles. La motivation morale des uns et des autres étant de même nature, cette division est donc aussi source d’espoir.
Gray a une vision positive de notre espèce. Il pense qu’à l’âge de pierre nos ancêtres étaient, de même qu’aujourd’hui, moins motivés par le désir d’agresser que par celui de se protéger. Il est aussi un moraliste convaincu. Il récuse l’idée qu’il pourrait exister des actions immorales non dommageables, développée par son collègue Jonathan Haidt dans son livre The Righteous Mind (« Le cerveau vertueux »). Mais il pense aussi, comme Haidt, que ce n’est pas l’épreuve des faits qui vous fait changer d’avis. Ce qu’il convient de faire, c’est de s’approprier les récits de victimisation développés par le camp adverse et tenter de les faire partager par son propre camp. Good luck, conclut Leor Zmigrod, qui prépare un livre sur « le cerveau idéologique ».
[post_title] => L’animosité politique est-elle réductible ? [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => lanimosite-politique-est-elle-reductible [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2025-03-13 17:13:05 [post_modified_gmt] => 2025-03-13 17:13:05 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=131519 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
WP_Post Object ( [ID] => 131516 [post_author] => 48457 [post_date] => 2025-03-13 17:10:55 [post_date_gmt] => 2025-03-13 17:10:55 [post_content] =>À l’occasion du cinquantième anniversaire de la mort de Franco, l’historien Julián Casanova en propose une nouvelle biographie. Au lieu de se concentrer uniquement sur le personnage, il replace son histoire dans le cadre de celle de l’Europe et des États-Unis. Une approche qu’il qualifie de « télescopique », nouvelle en Espagne. La grande question est de savoir pourquoi ce dictateur sanguinaire a pu maintenir son emprise pendant quatre décennies. « Il n’était pas un militaire extraordinairement doué », explique l’historien dans un entretien sur le site d’information Eldiario.es. Contrairement à Hitler et Mussolini, il n’était pas non plus un orateur charismatique. Mais il a su organiser « le culte de son pouvoir et de sa personnalité ».
Et puis il a eu de la chance. En 1936, Manuel Azaña, le président de la République, le relègue aux îles Canaries, espérant ainsi l’éloigner de la scène espagnole. Grave erreur : de là, il passe au Maroc, où se trouvent les forces de choc les plus efficaces et les plus sauvages de l’armée espagnole. C’est au Maroc que Franco écrit à Hitler pour lui demander de l’aider à faire entrer les troupes en Espagne. Un coup de maître qui marginalise son principal concurrent, le général Emilio Mola. Celui-ci mourra en 1937 dans un accident d’avion. Contrairement à Staline, Franco n’a pas eu besoin de tuer ses rivaux, tous décédés en diverses circonstances. Dans ce pays très catholique, il a aussi, dès le départ, bénéficié du soutien de l’Église. Il a su habilement rester à l’écart de la Seconde Guerre mondiale et son anticommunisme viscéral lui attirera plus tard les bonnes grâces des États-Unis, sans lesquels son régime n’aurait peut-être pas survécu. Quant au fond de sa personnalité, « nous en savons très peu, dit Julián Casanova. Nous n’avons pas de lettres ni de conversations. Il parlait de lui à la troisième personne et était très distant de ses amis. » Il est mort dans son lit et fut enterré comme un pharaon. Il continue d’être célébré par Vox, le parti espagnol d’extrême droite.
[post_title] => Une dictature consommée [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => une-dictature-consommee [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2025-03-13 17:10:56 [post_modified_gmt] => 2025-03-13 17:10:56 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=131516 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
WP_Post Object ( [ID] => 131513 [post_author] => 48457 [post_date] => 2025-03-13 17:08:53 [post_date_gmt] => 2025-03-13 17:08:53 [post_content] =>Les PC, iPad et autres Kindle ont bien des mérites, mais aussi quelques désavantages – comme celui de sonner la fin du cabinet de lecture, le studiolo tel qu’on le célébrait à la Renaissance, puis longtemps après. Andrew Hui, professeur à Yale-Singapour, en fait le creuset de l’humanisme moderne. Hélas, « l’ère digitale fait disparaître les livres, et avec eux le besoin de les disposer et de les consulter dans un bureau chez soi », déplore Michael O’Donnell dans The Wall Street Journal. En effet, pourquoi sacrifier de l’argent et de l’espace pour réunir et abriter une bibliothèque digne de ce nom alors qu’on peut loger des centaines de livres digitaux, bon marché et qu’on lit n’importe où et n’importe quand, dans un petit quadrilatère de plastique ? Mais les mérites du studiolo, minutieusement recensés par Andrew Hui, parlent haut et fort.
Pour commencer, c’est une pièce agréable, généralement située au dernier étage, tranquille et bien éclairée, gorgée d’objets et de belles reliures. On en a parfois fait un objet d’art en soi, comme le prouve le « studiolo de Gubbio » du duc de Montefeltro à Urbino, « une des plus exquises constructions du monde », aujourd’hui transposée au Metropolitan Museum de New York. D’ailleurs les artistes de la Renaissance ont souvent repris pour décor voire comme motif ces studioli remarquables – par exemple celui de saint Jérôme (en fait saint Augustin) peint par Carpaccio pour la Scuola di San Giorgio degli Schiavoni à Venise. Nombre d’écrivains ont aussi décrit avec délectation le studiolo où ils lisent et écrivent – Pétrarque, Montaigne, Machiavel, d’autres encore… Le Prospéro de Shakespeare jugeait le sien aussi « vaste qu’un duché entier ». Car le lieu est en lui-même magique, à la fois tourné vers l’extérieur (Montaigne dans sa tour se réjouissait d’observer « ses gens » à la tâche), mais clos sur l’intérieur – entouré d’une sorte de Gore-Tex intellectuel où la circulation ne s’opère que dans un seul sens. Andrew Hui insiste sur ce concept de « privacy » (qu’on ne peut surtout pas traduire par « privauté »), sorte « d’intimité poreuse » à laquelle seuls de rares privilégiés (masculins, tous) ont accès. Même si, en effet, la puissante et lettrée Isabelle d’Este s’est construit un magnifique studiolo, le cabinet de lecture – et les prérogatives allant avec – sont en principe l’apanage des hommes. Ainsi le riche polymathe génois Leon Battista Alberti se targuait « de n’avoir jamais autorisé son épouse à pénétrer dans ce lieu, ni en ma présence ni en mon absence ». Il faudra attendre le XXe siècle pour que Virginia Woolf revendique pour ses consœurs le droit « à une pièce toute à elles » (et les revenus concomitants). Quant aux « amis » reçus dans un studiolo, il s’agit bien sûr des grands auteurs. Après s’être dignement vêtu, le soir venu Machiavel se consolait de son triste exil en allant « dialoguer » avec eux tous. « C’est ici que j’ai établi ma Rome, mon Athènes, ma patrie spirituelle. C’est ici que j’ai réuni tous mes amis, passés et présents, ceux que j’ai côtoyés comme ceux qui moururent il y a des siècles et que je ne connais que par leurs livres… Je suis là où je souhaite être », écrivait-il. À la Renaissance, la diffusion des livres imprimés a en effet explosé (dès 1600, il y en avait déjà 180 millions en circulation), et leur usage « auparavant réservé au dialogue des mystiques avec Dieu, va alors s’élargir au dialogue avec les grandes voix de l’Antiquité ».
À l’instar de la Bibliothèque de Babel que Borges imagine infinie et vaste comme l’univers, le studiolo et son contenu permettent de transvaser le monde entier dans l’âme de l’usager du lieu, qui du coup peut s’affranchir de toute implication physique. Ce qui n’est pas sans danger : si Don Quichotte a sombré dans la folie, c’est à cause de son enfermement dans un studiolo mental peuplé de romanesques chevaliers. « Sa bibliothèque, où il était tombé de la bibliophilie dans la bibliomanie, offre une allégorie formidablement presciente d’une technologie digitale devenue hors de contrôle », dit Andrew Hui. Le studiolo d’aujourd’hui est un objet bourré de composants électroniques, moins beau et moins délectable que son ancêtre de pierre, mais bien plus performant et démocratique – et beaucoup plus dangereux mentalement.
[post_title] => Mais où est donc passé le cabinet de lecture ? [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => mais-ou-est-donc-passe-le-cabinet-de-lecture [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2025-03-13 17:08:54 [post_modified_gmt] => 2025-03-13 17:08:54 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=131513 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
WP_Post Object ( [ID] => 131509 [post_author] => 48457 [post_date] => 2025-03-13 17:04:34 [post_date_gmt] => 2025-03-13 17:04:34 [post_content] =>Est-ce vraiment le largage, au mois d’août 1945, de deux bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki qui a mis fin à la Seconde Guerre mondiale dans le Pacifique ? En lisant le dernier livre de l’historien britannique Richard Overy, on comprend que cette terrifiante démonstration de puissance n’a été qu’un des éléments qui poussèrent les Japonais à cesser les combats. On réalise aussi à quel point la décision du commandement américain de recourir à l’arme atomique s’inscrivait dans le prolongement d’une campagne de bombardements massifs des villes japonaises à l’aide de bombes incendiaires, dont l’un, celui de Tokyo, fut tout aussi meurtrier : le nombre exact de victimes ne sera jamais connu, mais il est estimé à quelque 100 000, soit le même ordre de grandeur qu’à Hiroshima et Nagasaki. Dans un gros livre précédent, Richard Overy avait étudié l’application, sur le front européen, des concepts de « bombardement stratégique » (visant des infrastructures) et de « bombardement de zone » (sur des aires entières plutôt que des objectifs précis). Il a ensuite publié une monumentale histoire générale du conflit sur les différents théâtres d’opération. Dans le sillage de ces deux livres, Rain of Ruin, beaucoup plus court, se concentre sur les derniers mois de la guerre contre l’empire du Soleil-Levant, sur lequel il jette une lumière nouvelle.
L’idée que les moyens aériens étaient appelés à jouer un rôle clé dans une possible guerre entre les États-Unis et le Japon fut introduite dans les plans stratégiques américains de défense contre une offensive japonaise dans le Pacifique peu après la Première Guerre mondiale. L’objectif était, en combinant blocus naval et attaques aériennes, de se passer d’une invasion terrestre jugée condamnée d’avance, tant pour des raisons logistiques que du fait de la férocité avec laquelle les troupes japonaises allaient défendre le territoire du pays. Bien qu’ayant pris de plus en plus d’importance dans les versions successives de ces plans stratégiques, le principe ne séduisait cependant qu’une partie de l’état-major. Au cours des années 1920, l’idée fut abandonnée au profit de celle de l’utilisation des avions en simple soutien aux forces terrestres. La construction des bombardiers lourds B-17 fut arrêtée. C’est le président Franklin Roosevelt qui, après la conférence de Munich en septembre 1938, ressuscita l’intérêt pour les bombardements aériens. À son initiative, et avec l’appui de son nouveau chef d’état-major le général George Marshall, la fabrication des B-17 fut relancée et le développement d’un bombardier plus puissant et à plus longue portée, le B-29, fut approuvé. Lorsque la guerre avec le Japon éclata, ces avions furent tout d’abord utilisés à partir de bases situées en Inde et en Chine. Sans grand succès, et avec de très lourdes pertes d’aviateurs, en raison d’accidents causés par de mauvaises conditions météorologiques et les multiples problèmes techniques qui affectaient les B-29.
La situation changea en 1944, lorsque les troupes américaines eurent conquis les îles Mariannes, d’où les B-29 commencèrent à décoller. À la tête des forces aériennes de bombardement du Pacifique, un officier particulièrement déterminé fut nommé : le major général Curtis LeMay. Au bout de quelques mois, celui-ci modifia la tactique utilisée, qui passa du bombardement de cibles industrielles, de jour et à haute altitude, en formation, à des raids de nuit, à basse altitude, en vol séparé, visant délibérément à calciner le centre des villes à l’aide de bombes incendiaires. Ce type de bombardement indiscriminé, qui se traduit nécessairement par la mort de civils en quantité massive, avait été pratiqué au cours des années précédentes par la Royal Air Force britannique en Europe, dans l’objectif de démoraliser la population allemande. Sans résultat sur ce plan, et à la désapprobation explicite des autorités militaires américaines, qui le condamnaient officiellement. Ceci ne les empêcha pas d’y recourir eux-mêmes au Japon après avoir étudié la meilleure manière de procéder : les villes japonaises étaient jugées particulièrement inflammables et des tests d’efficacité furent menés sur des maquettes de quartiers ouvriers construits dans le style du pays.
Durant la nuit du 9 au 10 mars 1945, une flotte de 275 bombardiers américains largua plus de 1 600 tonnes de bombes incendiaires sur le centre de Tokyo. Rapidement, aidées par un vent violent, les flammes se propagèrent dans toute la ville. Les témoignages rapportés par Overy ont le caractère de visions dantesques : « Dans la chaleur intense, les étincelles remplissaient l’atmosphère, mettant le feu aux vêtements et aux cheveux qui devenaient autant d’objets combustibles. » Au total, 276 000 bâtiments disparurent complètement, sur une surface de plus de 40 kilomètres carrés. Le nombre de personnes qui périrent en trois heures est supérieur à celui des civils tués en un seul jour dans n’importe quelle guerre du XXe siècle. Durant les cinq mois qui suivirent, 66 villes furent bombardées de la même manière, pour un bilan total de quelque 300 000 morts. Jamais Curtis LeMay ne manifesta le moindre regret d’avoir, pour reprendre les termes de ses Mémoires, « roussi, ébouillanté et cuit à mort » des dizaines de milliers d’innocents.
On peut se demander ce qui a poussé l’armée de l’air à s’engager dans de telles opérations. Une des raisons était le souhait d’offrir aux forces aériennes le moyen de s’affirmer, par une contribution décisive à la victoire, face à l’armée de terre et à la marine. Richard Overy mentionne aussi l’évidente envie de venger l’humiliation de l’attaque de Pearl Harbor et les atrocités commises par les troupes japonaises, notamment lors de la prise des Philippines. Il faut aussi tenir compte de la haine et du mépris éprouvés dans les rangs de l’armée et la population américaine pour un peuple jugé, pour reprendre les mots du président Harry Truman dans son journal, composé de « sauvages, impitoyables, sans merci et fanatiques ». Conscientes du caractère critiquable de telles actions, les autorités américaines ont cependant toujours veillé à les distinguer des bombardements indiscriminés de la Royal Air Force en Allemagne, et à les présenter comme ciblées sur des objectifs industriels et des sites de production de matériel de guerre, « malheureusement petits et disséminés » dans des réseaux d’ateliers urbains, « étroitement liés aux maisons des ouvriers ». Cette campagne de bombardement des villes, observe Overy, a de toute évidence préparé le terrain pour l’« apothéose de destruction indiscriminée » qu’ont été les deux attaques atomiques d’août 1945 : « En infligeant des dommages massifs dans des zones urbaines civiles à l’aide de bombes classiques incendiaires, on rendait le seuil du bombardement atomique plus facile à franchir. »
L’histoire de la mise au point de la bombe atomique a été racontée à de nombreuses reprises. Richard Overy la résume à grands traits : la décision de Roosevelt de lancer un programme de recherche, la création du centre de Los Alamos et son fonctionnement sous la direction du général Groves et de Robert Oppenheimer, l’essai réussi « Trinity » et l’enthousiasme qu’il a suscité. Il retrace aussi les étapes du processus de décision ayant conduit au lancement, le 6 août 1945, d’une bombe à l’uranium de 15 kilotonnes sur Hiroshima et, trois jours plus tard, d’une bombe au plutonium d’un type plus sophistiqué (à implosion) de 21 kilotonnes sur Nagasaki. Une liste de villes pouvant servir de cibles avait été établie, dont l’ancienne capitale Kyoto fut exclue à l’initiative du secrétaire d’État à la guerre Henry Stimson. Un groupe de scientifiques engagés dans le projet, emmenés par Leo Szilard, tenta de persuader les autorités de procéder à une explosion de démonstration pour convaincre les Japonais de se rendre, mais ils ne furent pas écoutés. Richard Overy souligne le caractère « entièrement militaire » de la conception des deux opérations, dont l’exécution fut un peu contrariée dans le cas de la seconde : Nagasaki n’était qu’un deuxième choix et n’a été bombardée qu’en raison de la combinaison de problèmes techniques et de mauvaises conditions météorologiques au-dessus de la cible initialement prévue, Kokura. Il décrit aussi les effets des deux explosions. Ainsi, à propos d’Hiroshima : « L’impact au sol éclipsa jusqu’aux horreurs de l’incendie de Tokyo. Dans un rayon d’1,5 kilomètre […] des corps entiers furent vaporisés […] par la chaleur intense [...]. Le souffle ajouta une nouvelle vague de blessures occasionnées par les fragments de verre, de pierre et de bois. […] Beaucoup de ceux qui avaient été blessés, [...] trop faibles pour échapper à la tempête de feu, furent carbonisés par les flammes, comme à Tokyo. » Bien que la bombe fût plus puissante, les destructions furent moins importantes à Nagasaki, en raison de la topographie locale. Initialement évalué à respectivement 70 000 morts (Hiroshima) et 40 000 (Nagasaki), le bilan total à moyen terme de ces deux attaques a plus tard été porté par des experts japonais à 140 000 et 70 000 morts.
Contrairement à ce qui a été parfois soutenu, Overy estime que l’objectif de ces deux bombardements n’était pas essentiellement d’impressionner les dirigeants soviétiques. Il conteste aussi l’idée qu’ils ont eu un effet immédiat et déterminant. Les autorités japonaises mirent du temps à comprendre et admettre que leur pays avait été frappé par une arme d’un type inédit. L’impact sur la fin des hostilités ne fut pas décisif, mais un ingrédient au sein d’un cocktail de facteurs. Une partie du gouvernement japonais songeait depuis un certain temps à arrêter les combats. L’Empereur lui-même était acquis à cette idée. Isolé par le blocus naval, meurtri par les bombardements, le pays était exsangue, sans ressources pour continuer l’effort de guerre et même pour survivre. La production de matériel de guerre avait vertigineusement baissé. La population était affamée, et l’on craignait des rébellions et des révoltes. À l’initiative de certains militaires, des contacts avaient été pris avec les Soviétiques dans l’espoir qu’ils servent de médiateurs. Lorsque le 8 août, à l’issue de la conférence de Potsdam, l’URSS entra également en guerre contre le Japon, il n’en fut naturellement plus question. L’invasion de la Mandchourie par les troupes soviétiques ne fit au contraire que fortifier le sentiment du gouvernement japonais, terrifié à l’idée de voir le patrie connaître le sort des pays d’Europe de l’Est, qu’il fallait mettre fin à la guerre.
Le problème auquel se heurtaient les partisans de la paix en son sein était de nature culturelle et psychologique. Dans la déclaration de Potsdam adoptée dix jours avant le lancement de la première bombe atomique, les alliés en appelaient à une reddition sans conditions du Japon. Mais l’idée de capitulation était totalement étrangère à la mentalité japonaise. Depuis des siècles, le pays n’avait pas connu la défaite et le culte de l’honneur obligeait à se battre jusqu’à la mort. Une partie des militaires y était d’ailleurs résolue et tenta un coup d’État, qui échoua. Le souci de préservation de la continuité historique et spirituelle du pays exigeait aussi que l’Empereur demeurât sur le trône, ce que les Américains finirent par accepter. Sous la forme de deux édits exceptionnels appelés « décisions sacrées », Hirohito « termina » donc la guerre sans que les mots « défaite » ou « capitulation » fussent employés. L’objectif du gouvernement des États-Unis et de l’armée américaine en lançant une campagne de bombardements massifs sur les villes japonaises, puis les deux bombes atomiques, était de mettre fin à la guerre le plus rapidement possible, en évitant de devoir effectuer un débarquement qui se solderait inévitablement, estimaient-ils, par la perte d’un demi-million de jeunes Américains. Était-il nécessaire pour cela de recourir à des procédés qui violaient, même à l’époque, le droit de la guerre, et impliquaient la mort de très nombreux civils, ce que le gouvernement n’ignorait pas, même s’il présentait le plus souvent ces bombardements comme visant des objectifs industriels et militaires ? La question, conclut en bon historien Richard Overy, « n’est pas de savoir si c’était nécessaire ou non, mais pour quelle raison il a été jugé à l’époque que ce l’était ».
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WP_Post Object ( [ID] => 131469 [post_author] => 48457 [post_date] => 2025-03-05 19:09:27 [post_date_gmt] => 2025-03-05 19:09:27 [post_content] =>Comme dans beaucoup de pays du monde occidental, les universités britanniques filent un mauvais coton – du moins dans les départements de sciences humaines et sociales. Le commentateur de droite Matt Goodwin propose une synthèse du problème. Alors qu’elles promouvaient naguère la recherche de la vérité, elles « donnent la priorité aux groupes représentant des minorités ». Résultat : l’essor d’une « monoculture » qui ne s’intéresse qu’à « un ensemble très étroit d’idées qui se conforment à une vision du monde spécifique ». Pour faire carrière, les jeunes universitaires sont fortement incités à rester dans la ligne, résume dans la Literary Review Fram Dinshaw, un Britannique émigré au Canada. Nourris d’idées à la mode sur le racisme, le colonialisme et le genre, chouchoutés, consultés sur les enseignements à prodiguer, les étudiants sont « amenés à privilégier la conformité sur l’investigation, la tranquillité moutonnière sur l’indépendance d’esprit », écrit Fram Dinshaw. Les universités vantent « l’excellence » tout en récusant toute forme d’élitisme.
En Grande-Bretagne le phénomène est renforcé par le coût de l’accès à l’enseignement supérieur. Le fait que les étudiants soient devenus des clients contribue à abaisser le niveau. Les universités sont dirigées par une bureaucratie surdimensionnée dont les intérêts sont sans rapport réel avec la mission d’enseignement. Beaucoup de sujets qui fâchent sont mis sous le boisseau, comme les atteintes aux droits de l’homme en Chine, en raison de l’argent que les universités récoltent auprès de leurs étudiants chinois et des accords juteux qui les lient avec des universités chinoises. Mais l’auteur semble un peu court sur les moyens de faire évoluer les choses, et Fram Dinshaw doute que l’establishment universitaire accorde la moindre attention à ce brûlot.
[post_title] => La malédiction des universités britanniques [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => la-malediction-des-universites-britanniques [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2025-03-05 19:09:28 [post_modified_gmt] => 2025-03-05 19:09:28 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=131469 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
WP_Post Object ( [ID] => 131466 [post_author] => 48457 [post_date] => 2025-03-05 19:07:35 [post_date_gmt] => 2025-03-05 19:07:35 [post_content] =>Rousseau attribuait la cruauté des Anglais au fait qu’ils mangeaient du « rosbif ». Il est surprenant de penser qu’en Europe, jusque vers la fin du XVIIIe siècle, la médecine est restée fondée sur les principes du corpus hippocratique, à l’époque d’Aristote et de la théorie des humeurs de Galien, à l’époque de Marc Aurèle. La nourriture faisait le corps mais aussi l’esprit. Le tempérament de chacun reposait sur l’équilibre entre quatre humeurs corporelles : le sang, le phlegme, la bile noire et la bile jaune. Ce qui créait quatre catégories de personnes : les sanguins, les « phlegmatiques », les mélancoliques et les colériques. L’équilibre variait selon les climats et les pays en fonction du type de nourriture préféré et la médecine pouvait le modifier astucieusement. Melons et concombres, froids et humides, à forte teneur en phlegme, étaient déconseillés aux phlegmatiques. En raison de leur forte teneur en bile jaune, les colériques devaient éviter les oignons, lesquels étaient au contraire conseillés aux phlegmatiques. Dans la pièce de Shakespeare, le mari de la « mégère apprivoisée » enlève la viande de son menu, pour la rendre plus docile.
Ces sages conseils s’inscrivaient dans une conception très large d’un état idéal fondé sur une morale de modération dans tous les domaines, y compris l’exercice, le sommeil et la gestion de ses excréments. Ceux qui s’en écartaient prenaient des risques. Si bien que le conseil des médecins pouvait être légitimement rejeté, au vu d’un adage remontant à l’empereur Tibère, selon lequel « chacun peut être son propre médecin ».
En fouillant cette histoire complexe, l’historien des sciences Steven Shapin observe qu’avant l’invention de la médecine scientifique et l’émergence de savants nutritionnistes obsédés par les « calories » et les « protéines » prévalait une médecine que l’on qualifierait aujourd’hui de préventive. L’objet de la médecine scientifique, certes beaucoup plus puissante, est aussi plus étroit. D’une certaine façon, écrit dans Nature l’historienne de l’alimentation Lizzie Collingham, le courant actuel consistant à promouvoir une alimentation morale, modérée, respectueuse de l’environnement, associée à divers conseils d’exercices physiques, renoue avec les traditions les plus anciennes.
[post_title] => Les bons côtés de la médecine d’antan [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => les-bons-cotes-de-la-medecine-dantan [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2025-03-05 19:07:36 [post_modified_gmt] => 2025-03-05 19:07:36 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=131466 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
WP_Post Object ( [ID] => 131463 [post_author] => 48457 [post_date] => 2025-03-05 19:05:21 [post_date_gmt] => 2025-03-05 19:05:21 [post_content] =>Les macro-puissances règnent sur le monde, mais le monde s’en porte-t-il vraiment mieux ? Armen Sarkissian, ancien président de la République d’Arménie, plaide quant à lui en faveur des micro-puissances, plus agiles, plus déterminées et (relativement) inoffensives. Il s’appuie sur l’exemple d’une dizaine d’entre elles, sur un total de 150 aujourd’hui (contre une vingtaine en 1945) : Singapour, minuscule cité-État « au succès sans équivalent dans l’histoire moderne » ; ou le Qatar, passé en quelques décennies de « somnolent petit village de pêcheurs » à opulent pivot géopolitique du Moyen-Orient ; ou les Émirats arabes unis, dont on ne compte plus les prouesses économiques, architecturales, spatiales, écologiques même ; ou l’Estonie, parangon de l’État digital ; ou encore la Suisse, le Botswana, l’Irlande, la Jordanie, Israël… Cas par cas, l’auteur analyse les avantages de départ de certains de ces différents pays (diamants au Botswana, énergies fossiles dans le golfe Persique, généreuses diasporas pour Israël ou l’Arménie…), mais aussi leurs handicaps et – l’essentiel selon lui – les processus politiques ayant abouti à leur réussite. Ce qui permet de mettre en lumière, derrière les considérables différences, les facteurs communs de succès : « sentiment d’identité, détermination, et une gouvernance politique compétente, visionnaire et pragmatique […] capable de réagir avec agilité tandis que les grandes puissances demeurent indécises face aux évolutions économiques, géopolitiques ou technologiques », résume le Financial Times. On peut encore ajouter : dextérité diplomatique (nécessité fait loi !), constance politique (« les grandes puissances recherchent la domination, les petites la stabilité ») et capacité d’innovation (« sur les 10 premières nations du Bloomberg Innovation Index, 8 sont des micro-États »).
Et quid de l’Arménie, que l’auteur a dirigée quelques années, puis présidée de 2018 à 2022 ? Cette nation ultra ancienne, la première de la chrétienté, s’est (re)lancée dans la vie indépendante, en 1991 juste après l’explosion de l’URSS, avec beaucoup d’atouts : « une population cohérente et unie […], une diaspora très aidante […], d’importantes installations industrielles – dont une centrale nucléaire – […] et un sage président, Levon Ter-Petrossian ». Le parallèle avec Israël s’impose : deux petits pays ancrés dans leur religion et une longue et douloureuse histoire (pogroms et génocides, l’arménien ayant servi de « modèle » à Hitler), de graves problèmes originels (la question palestinienne et celle du Haut-Karabagh), mais pouvant pareillement s’appuyer sur une puissante diaspora et de puissants alliés. Hélas, la comparaison s’arrête là. En 2022, Armen Sarkissian jette l’éponge car il ne dispose pas des pouvoirs nécessaires pour pratiquer une diplomatie dynamique, cajoler la diaspora et transformer son pays. L’Arménie, regrette-t-il, a agencé sa Constitution en fonction « d’intérêts privés » et n’a pas opté pour un modèle efficace de développement comme l’israélien ou l’irlandais, plutôt pour un « no-model model » qui a réduit l’Arménie « à n’être plus qu’une petite oligarchie insulaire ». Ce physicien d’origine, ex-créateur de jeux vidéo et businessman, se consacre désormais à la géopolitique et à la promotion des micro-États dont il reconnaît qu’en dernière analyse la réussite dépend principalement de la qualité de leur gouvernance et donc de celle de leur leader. Peut-être l’Histoire lui redonnera-t-elle l’occasion de confirmer en personne cette théorie.
[post_title] => Heurs et malheurs des petits États [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => heurs-et-malheurs-des-petits-etats [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2025-03-05 19:05:22 [post_modified_gmt] => 2025-03-05 19:05:22 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=131463 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
WP_Post Object ( [ID] => 131460 [post_author] => 48457 [post_date] => 2025-03-05 19:03:25 [post_date_gmt] => 2025-03-05 19:03:25 [post_content] =>À 24 ans, le poète ukrainien Artur Dron est déjà célèbre dans son pays. Étudiant en journalisme à l’université de Lviv, il s’est engagé dès l’invasion russe vers Kiev en février 2022 et est resté sur le front depuis lors, au sein de la 125e brigade de défense territoriale. Il a été récemment blessé par un drone russe. Ce recueil de poèmes est le deuxième traduit en anglais. Sa poésie est rédigée dans une langue simple et directe. Elle évoque les sentiments des jeunes hommes au combat. Leur vulnérabilité cachée : « Dans le village / une femme crie “mon fils !” / Et chacun d’entre nous de tourner la tête ». La conviction que leur sacrifice a un sens : « Seuls la neige / et les soldats tombent / les soldats tombent, les enfants grandissent ». Sa poésie est imprégnée d’une foi catholique intense. « Ma vision du monde est enracinée dans mes convictions chrétiennes, confie-t-il au site Literary Hub. J’inclus souvent des motifs bibliques dans ma poésie. Non que je suppose que tous mes lecteurs les reconnaîtront, mais parce que c’est ainsi que je m’exprime de manière authentique. » Il dit aussi : « Mes poèmes sont écrits sur le front, mais ils ne sont pas sur la guerre. Ils sont sur des gens qui aiment plus qu’ils n’ont peur. »
[post_title] => Dans les tranchées [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => dans-les-tranchees [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2025-03-05 19:03:26 [post_modified_gmt] => 2025-03-05 19:03:26 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=131460 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
WP_Post Object ( [ID] => 131457 [post_author] => 48457 [post_date] => 2025-03-05 19:00:00 [post_date_gmt] => 2025-03-05 19:00:00 [post_content] =>Oublié sous le régime du général Franco en raison de ses prises de position pro-républicaines, occulté par une partie de la gauche qui n’appréciait pas sa dénonciation des violences commises par certaines factions d’extrême gauche durant la guerre civile, Manuel Chaves Nogales a récemment été redécouvert. On a dit qu’il était le plus grand journaliste espagnol du XXe siècle. La formule est risquée, dans un pays comme l’Espagne où existe une robuste et florissante tradition de journalisme littéraire. Mais il fut certainement un des meilleurs journalistes de la première moitié du siècle. Ses écrits jettent une lumière éclairante sur l’histoire de la Seconde République espagnole, la guerre civile, la révolution communiste en Russie, l’essor du nazisme en Allemagne, la défaite de la France face à l’Allemagne et la bataille d’Angleterre.
Au cours des dernières années, María Isabel Cintas Guillén, une universitaire, a rassemblé en cinq volumes les milliers d’articles parus sous sa signature dans des journaux du monde entier et publié une première biographie. Les écrivains Andrés Trapiello et António Muñoz Molina ont attiré l’attention sur ses grands livres, qui avaient disparu des rayons des librairies sous le franquisme. Et l’historien Francisco Cánovas Sánchez vient de publier un essai biographique dans lequel, après avoir résumé sa vie en une centaine de pages, il examine la manière dont il a rendu compte des grands épisodes historiques dont il a été témoin.
Né à Séville en 1897, Manuel Chaves Nogales a grandi dans un milieu littéraire et journalistique. Son père, chroniqueur officiel de la ville, était membre de l’Académie royale sévillane des belles-lettres. Son oncle fut le directeur du journal local El Liberal. Séville était alors une ville très provinciale et conservatrice, dominée par l’aristocratie terrienne et l’Église. Dans ses premiers articles, Chaves Nogales parle de la vie qu’on y mène, notamment des racines du folklore andalou tel qu’il s’exprime dans les célèbres processions religieuses, et de réalités sociales comme l’exploitation des femmes et des ouvriers agricoles. Des années plus tard, en 1935, Séville réapparaîtra dans ce qui demeure aujourd’hui son livre le plus célèbre, une biographie romancée du matador Juan Belmonte, dont il décrit l’enfance dans les rues de la ville : « Juan est une très petite chose, la rue, par contre, est trop grande, tumultueuse et variée. C’est une rue aussi grande et aussi variée que le monde. Juan ne le sait pas, mais la vérité est que ce qu’il veut, errer librement, être le maître de la rue, est aussi difficile qu’être le maître du monde. » Le livre continua à être disponible dans l’Espagne de Franco, en raison d’un malentendu. On le prenait pour un ouvrage sur la tauromachie, sujet qui n’intéressait pas particulièrement Chaves Nogales. Dans son esprit, il s’agissait d’un essai d’histoire sociale, le récit de la vie d’un garçon pauvre devenu riche et célèbre, en même temps qu’un échantillon de ce journalisme de qualité littéraire qu’il pratiquait et dont il défendait le principe.
En 1919, il rencontrait une jeune femme nommée Ana Pérez Ruiz, qu’il épousa et qui lui donna quatre enfants. En même temps que pour El Liberal, il se mit à travailler pour le journal La Voz de Cordoue et El Sol de Madrid. Peu après, il s’installait dans la capitale. Il y fournira des contributions à plusieurs journaux parmi lesquels l’Heraldo de Madrid, dont il finira par devenir rédacteur en chef. Sous le régime dictatorial du Premier ministre du roi Alphonse XIII Miguel Primo de Rivera, toutes les publications étaient soumises à une censure que les rédactions contournaient notamment à l’aide de récits de fiction. Chaves Nogales fut un des premiers journalistes à utiliser l’avion pour réaliser ses reportages. En 1928, il entreprit un périple aérien de 16 000 kilomètres à travers l’Europe, qui le conduisit de la France à l’Italie en passant par la Suisse, l’Allemagne, la Lettonie, la Tchécoslovaquie, la Russie et l’Autriche. Voici la manière dont il décrit ses impressions de la Russie vue du ciel : « Survoler le territoire russe […] c’est […] comme suivre un itinéraire avec le doigt sur une carte. Sur des milliers de kilomètres, il n’y a pas le plus petit changement de décor. La terre russe est une vaste plaine très distincte des zones montagneuses et il n’y a pas de ces accidents constants en Espagne où la plaine, le plateau et la montagne alternent tous les cent kilomètres. » Son séjour dans ce pays lui donna l’occasion de découvrir le régime communiste issu de la révolution russe et de la terrible guerre civile qui s’ensuivit. « Chaves Nogales, observe Cánovas Sánchez, reconnaît les efforts des dirigeants communistes pour construire une nouvelle société, garantir aux femmes les pleins droits et améliorer le système économique mais, d’un autre côté, il critique le développement de la bureaucratie, la négligence des besoins élémentaires [de la population], les violations des droits et des libertés. » Entre autres faits caractéristiques, il souligne la quantité effrayante d’enfants abandonnés dans les rues et la redoutable efficacité de la police soviétique. Il reviendra plus tard sur la Russie communiste dans un livre intitulé Le Double Jeu de Juan Martínez, récit romancé de la tournée réalisée dans ce pays, au moment où éclatait la révolution d’octobre, par un danseur de flamenco qu’il avait rencontré à Paris. Mêlant personnages réels et inventions de situations, le livre est écrit d’une manière qui anticipe, a-t-on dit, les techniques du « nouveau journalisme » de Tom Wolfe et de Norman Mailer.
Manuel Chaves Nogales put également observer les conséquences de l’essor du nazisme en Allemagne. Dans une série de reportages réalisés en 1933, il décrit la manière dont le régime a profondément transformé la société allemande : « Depuis l’arrivée au pouvoir d’Hitler, toutes les énergies spirituelles de la nation […] s’appliquent à préparer la guerre de demain ». Il met en lumière l’importance de l’endoctrinement de la jeunesse et l’impact de la propagande de Joseph Goebbels, « un type ridicule, grotesque, [qui] a la même capacité de suggestion et de domination que tous les grands illuminés, les fanatiques d’une seule idée incarnée : Robespierre ou Lénine ». L’ampleur de la répression des dissidents politiques et leur envoi dans les camps de concentration ne lui échappent pas, tout comme la volonté du régime d’« extirper méthodiquement les juifs » du pays.
Au moment où il écrivait ces lignes, suite à la démission forcée de Primo de Rivera et à l’appel lancé par trois grands intellectuels, José Ortega y Gasset, Gregorio Marañón et Ramón Pérez de Ayala, la république avait été réinstaurée en Espagne. Devenu membre, sous le nom de « Larra », en hommage au grand journaliste du XIXe siècle Mariano José de Larra, de la loge Danton de la franc-maçonnerie espagnole, Chaves Nogales avait été nommé directeur exécutif du journal Ahora, dont il était en réalité le directeur de facto. Ahora, indique Cánovas Sánchez, était « le représentant d’une bourgeoisie moyenne républicaine et non cléricale de commerçants, fonctionnaires, intellectuels et patrons de petites entreprises, penchant vers la gauche ou la droite selon les fluctuations politiques du moment ». Le journal accueillait des contributions de nombreux écrivains et intellectuels fameux : Antonio Machado, Valle-Inclán, Pío Baroja, Miguel de Unamuno, Eugenio d’Ors, Azorín. Proche de la ligne du gouvernement de centre gauche de Manuel Azaña sans en être le porte-parole, il défendait la légalité et le respect de la volonté populaire et prônait le refus de la violence.
Le 17 juillet 1936, des régiments stationnés au Maroc sous l’autorité du général Franco se soulevèrent contre le gouvernement. Bientôt, le pays se trouva divisé en deux : une région contrôlée par le gouvernement républicain comprenant notamment Madrid, la Catalogne, le Pays basque et une partie de la Castille ; une autre aux mains des militaires rebelles. Chacun des deux partis se livrait à de graves exactions chez l’adversaire, particulièrement meurtrières dans le cas des actions menées par leurs factions extrémistes. Les troupes franquistes bénéficiaient du soutien logistique et militaire de l’Allemagne et de l’Italie. Privée de l’aide possible de la France et de l’Angleterre en raison de la politique de « non-intervention » de ces deux pays, ne pouvant compter que sur le maigre appui des « brigades internationales », l’armée républicaine finit par être défaite. Lorsque le gouvernement républicain quitta Madrid assiégée pour Valence, Chaves Nogales se résolut à fuir la ville. Il savait que cette décision allait être controversée, mais il se sentait menacé. « Je savais par des confidences dignes de foi, qu’avant même que commence la guerre civile, un groupe fasciste de Madrid avait décidé […] de procéder à mon assassinat à titre de mesure préventive contre le possible triomphe de la révolution sociale, sans préjudice de ce que les révolutionnaires, anarchistes et communistes me considéraient de leur côté comme parfaitement digne d’être fusillé. »
Ces lignes figurent dans l’introduction d’À feu et à sang, l’ouvrage qu’il rédigea à Paris où il s’est réfugié avec sa famille en quittant l’Espagne. Avec beaucoup de réalisme, il y raconte le déroulement des combats et les atrocités auxquelles se livrèrent aussi bien les milices populaires que les troupes de Franco. Dans les Chroniques de la guerre civile, publiées dans une série de journaux européens et américains, il esquisse une analyse des raisons qui ont permis à un coup militaire de se transformer en un affrontement général. Et dans La Défense de Madrid, il décrit l’effort héroïque des Madrilènes sous le commandement du général républicain José Miaja pour sauver la capitale : « Hommes, femmes et enfants travaillent fébrilement, arrachant les pavés et remplissant de terre les sacs dont ils disposent. Quand ils n’ont plus de sacs, ils remplissent de terre des sachets en papier improvisés, des barils usagés, des pots […], tout ce qu’ils ont sous la main. Toute la journée, ils travaillent frénétiquement […] avec une ténacité […] de fourmis. Les aviateurs ennemis qui observent constamment doivent avoir le sentiment que Madrid est une fourmilière […] affolée. »
Observateur sagace, Chaves Nogales, affirme Cánovas Sánchez, n’en a pas moins commis certaines erreurs d’appréciation. Il a par exemple sous-estimé les capacités de Franco, ce qui l’a conduit à prédire à tort une fin rapide des combats. Sans doute en raison de son expérience de la Russie soviétique et de l’Allemagne hitlérienne, il avait par ailleurs tendance à analyser la guerre civile comme un affrontement entre le fascisme et le communisme, quand la réalité était plus compliquée : « Les forces politiques qui appuyaient la république étaient […] nombreuses : socialistes, libéraux, communistes, trotskystes, […] anarchistes ». Et il en allait quelque peu de même, ajoute-t-il, de l’autre côté.
Manuel Chaves Nogales était un homme de centre gauche, libéral, démocrate et attaché au régime républicain. Une partie de la gauche espagnole reproche aujourd’hui à ceux qui saluent son courage et sa lucidité d’instrumentaliser son souvenir pour nourrir l’idée de l’existence d’une « troisième Espagne » qui, selon elle, n’aurait jamais existé. Peu de choses, certes, réunissaient certaines personnalités souvent regroupées sous ce nom. À part le refus de l’extrémisme et de la violence, cependant, ce qui n’est tout de même pas rien. Ce que montre surtout cette polémique, en plus du manichéisme de certains, c’est à quel point, plus de 80 ans après, les cicatrices de la guerre civile demeurent vives en Espagne.
En exil, Chaves Nogales publia des textes sur les pays qui l’avaient accueilli. Dans L’Agonie de la France, il dépeignit la « profonde crise idéologique, morale et politique de la France » à l’issue de la « drôle de guerre » et de la reddition de l’armée française : un sombre tableau qui a été comparé aux témoignages contemporains de Marc Bloch et Jean Guéhenno. Puis il décrivit l’Angleterre sous les bombardements dans les chroniques qu’il rédigea à Londres, où il s’était installé après l’invasion de la France par l’armée allemande, pour échapper à la Gestapo qui pourchassait les républicains réfugiés. Il y travailla pour de nombreux journaux latino-américains et la BBC et y créa une agence de presse. C’est là qu’il mourut à presque 47 ans, loin de sa femme et de ses enfants qu’il avait mis à l’abri en Espagne en quittant Paris, de complications de l’opération chirurgicale d’un cancer de l’estomac, quelques semaines avant le débarquement allié en Normandie qu’il attendait avec impatience.
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