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Et si la « singularité » chère à Ray Kurzweil – ce moment où la fusion de l’IA et de l’intelligence humaine multipliera « nos capacités des millions de fois » – était déjà parmi nous ? Le pape du transhumanisme prévoyait l’événement pour 2045, et ses prédictions sont parfois exactes (n’avait-il pas annoncé que l’ordinateur battrait l’homme aux échecs en 1997, et ça s’est produit en 1998). Mais dans certains domaines, notamment celui du renseignement militaire israélien, cette fusion « aux effets cumulatifs exponentiels » fonctionne déjà, comme l’expose « le brigadier général Y.S ».

Il sait de quoi il parle. Il est en effet le patron de l’unité ultra-secrète 8200, qui traque le Hamas et le Hezbollah et choisit les cibles des bombardements à l’aide de logiciels comme Lavender et The Gospel (!). Le problème des grandes oreilles aujourd’hui n’est pas de collecter des données mais bien de les décrypter, analyser, croiser – bref de les faire parler presque malgré elles. Dans l’ex-RDA, la sinistre Stasi en faisait de même, bourrant constamment ses fameux dossiers (presque un pour deux adultes est-allemands) de toujours plus d’informations, la plupart inutiles. Hormis quelques pépites que la Stasi (principal employeur de la RDA !) avait le temps et surtout les moyens de détecter dans le fatras. Les services secrets israéliens, eux, doivent opérer bien plus efficacement et dans l’urgence. Désormais ils savent identifier les membres des organisations ennemies et surtout suivre leurs allées et venues. Qui fait partie d’une boucle WhatsApp suspecte ? Qui change régulièrement de numéro de portable ? Qui possède des armes ? Et surtout : qui n'a pas dormi chez lui depuis au moins deux jours ? Quand quelqu’un cochant ces cases-là et quelques autres retourne à son domicile, c’est pour s’y faire bombarder en même temps que sa famille et ses voisins. Les logiciels déterminent le ratio cible/victimes collatérales, et la décision dépend ensuite de l’importance de la cible... et des circonstances (on suppose qu’après le 7 octobre on tolérait, par vengeance, des ratios consternants).

Le brigadier général Y.S est un technophile enthousiaste, limite messianique, qui voit dans cette alliance des deux intelligences, la digitale et la biologique, la clé de la tranquillité des nations – grâce notamment à la mise en place de « frontières digitales », infranchissables clandestinement. Israël est à la pointe de ce rapprochement, pour lequel le Talmud a quasiment inventé un concept, « Havruta » (collaboration homme-machine), ainsi qu’une image : celle des deux couteaux qui s’aiguisent mutuellement en se frottant l’un contre l’autre. Non seulement l’IA peut chaque jour traiter plus de données, chaque jour plus nombreuses, mais elle peut les analyser plus intelligemment afin de « mieux choisir les cibles militaires potentielles en évitant les goulots d’étranglement d’origine humaine », écrivent Harry Davies et Bethan McKernan dans The Guardian.

Exemple d’un de ces goulots : les renseignements israéliens avaient reçu un document en arabe révélant les contours de l’opération du 7 octobre, mais ils n'avaient pas pris en compte cette information qui n’avait pas été convenablement déchiffrée à temps. Grâce au deep learning, les systèmes analytiques vont vite devenir parfaitement arabophones. Clausewitz disait que « la guerre était le royaume de l’incertitude ». De moins en moins vrai, tendanciellement, mais ce n’est pas gagné. Le péan techno-optimiste du brigadier Y.S en a d’ailleurs, par sa parution même, apporté une preuve cocasse : une fausse manœuvre sur Amazon a révélé l’identité ultra-secrète de l’infortuné maître-espion. Elle est révélée par The Guardian (à savoir : Yossi Sariel). Cette bourde, ce n’est pas le cerveau-machine, infaillible presque par définition, qui l’a commise, mais celui d’un pauvre humain maladroit – en l’occurrence, ce même Yossi Sariel.

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En France, personne ou presque n’en a jamais entendu parler. En Allemagne, c’est l’équivalent d’un Jean-Jacques Goldman, un chanteur dont la popularité a traversé les décennies. Herbert Grönemeyer fait désormais l’objet d’une biographie qui, dès sa parution, a pris place parmi les meilleures ventes outre-Rhin. Elle a la particularité d’avoir été écrite par un vrai écrivain, Michael Lentz, lauréat en 2001 du prestigieux prix Ingeborg-Bachmann, auteur, par ailleurs, d’une thèse sur la poésie sonore, professeur à l’université de Leipzig et ami du chanteur.

Lentz retrace le parcours de Grönemeyer qui s’est d’abord fait connaître du grand public en tant qu’acteur dans le film culte Das Boot, sorti en 1981. Ce n’est que trois ans plus tard, après quatre albums passés inaperçus, que le cinquième, 4630 Bochum, le propulse sur le devant de la scène musicale allemande. Il s’en écoule 2,5 millions d’exemplaires, ce qui, à en croire Wikipédia, en fait le troisième album le plus vendu de l’histoire allemande. Lentz raconte des anecdotes inédites : comment, par exemple, ainsi qu’il le rapporte dans un entretien à la Südwestrundfunk, le jeune Grönemeyer, grâce à sa très bonne technique vocale, « pouvait faire semblant de chanter en anglais » ou en français, sans rien comprendre aux paroles. Il dévoile aussi les secrets de fabrication du chanteur, qui ne met pas ses textes en musique, mais en texte une musique qui lui préexiste. « Les sons disent et racontent déjà quelque chose, souvent l’essentiel. Il en résulte une ambiance, une image, une atmosphère. Le texte explique ensuite, exécute, complète et s’adapte en étant lié à des contraintes formelles comme la mesure et le nombre de syllabes, le rythme et les unités de temps. »

Au bout du compte, Lentz propose une analyse en profondeur de l’œuvre de Grönemeyer, peut-être un peu trop, à en croire Ina Beyer dans une critique parue sur le site de la Südwestrundfunk. L’ouvrage suppose, d’après elle, « un lecteur hautement résistant à la théorie musicale ». Heureusement, note-t-elle, il existe une solution pour alléger cette lecture parfois un peu ardue : « l’entrecouper de temps à autre d’une chanson de Grönemeyer ».

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Lors d’un séjour en Argentine, l’écrivaine colombienne Laura Ortiz Gómez, locataire d’une maison délabrée et insalubre au loyer exorbitant, évoque dans son roman Indócil un événement peu connu : la grève des locataires à Buenos Aires en 1907, appelée « la grève des balais ». 

Laura Ortiz Gómez décrit une Argentine dont l’oligarchie revendique et finance l’anéantissement de milliers d’Indiens lors des fameuses « Campagnes du désert » à la fin du XIXe siècle. L’objectif : récupérer leur territoire pour le peupler avec l’immigration européenne. Mais contrairement à l’espoir de voir s’installer des Anglais et des Allemands pour « améliorer la race », les nouveaux arrivants étaient des Espagnols et des Italiens pauvres, installés dans des « conventillos », maisons collectives surpeuplées. Nombre d’entre eux étaient animés d’idées anarchistes, remettant en cause la propriété privée.

Indócil raconte l’histoire d’amour et l’étincelante rébellion de Vira et Olena. Armées de leurs balais, elles déclenchent une grève « transformant la poussière en poésie et les murs en témoins d’une révolution ». C’est une fable chorale qui donne voix à des personnages insolites. Chaque chapitre correspond à un personnage différent comme l’histoire de la jeune fille indienne Tehuelche, racontée avec la voix de ses os enfouis dans un mur de la maison.  

L’influence et le rôle de l’anarchisme dans les mouvements sociaux de l’époque sont un thème central. L’auteure explique dans un entretien à El País Colombia ses recherches approfondies sur la Federación Obrera Regional Argentina (FORA), une organisation anarchiste cruciale dans l’histoire de la classe ouvrière du pays. En récupérant ces récits, Ortiz Gómezoffre une vision plus complexe et nuancée des luttes sociales en Argentine, en mettant en lumière la manière dont les idées anarchistes ont imprégné et façonné les discours et les actions de résistance contre les injustices structurelles du pays.

Sur une note plus anecdotique et personnelle, Laura Ortiz Gómez raconte dans la même interview son expérience en tant que locataire dans le quartier de San Telmo, à Buenos Aires : « J’ai vécu récemment dans une maison du début du XXesiècle qui était vraiment délabrée, mais les conditions de location étaient usuraires. Il y avait des dégâts des eaux, les égouts bouchés et les propriétaires ne voulaient jamais s’occuper des réparations. De plus, les loyers augmentaient sans plafond légal et, en raison de l’inflation, une augmentation de 60 % tous les six mois était habituelle. La question des locataires et des loyers m’a obsédée. Je me suis demandé comment il était possible que, dans une ville où il y a tant de mobilisation, tant de protestations, il n’y ait pas d’espace pour la défense des locataires. »

Après Sofoco (« J’étouffe »), son premier recueil de nouvelles (Barrett, 2021), Indócil est son premier roman.

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Les chimpanzés mâles ne sont pas connus pour cultiver leurs sentiments paternels. En ont-ils, d’ailleurs ? Peu probable, car ils ne distinguent pas leurs propres enfants de ceux des autres. Il n’en va pas de même chez l’humaine espèce. Avec certes des hauts et des bas au fil de son histoire, elle se caractérise par un indéniable investissement paternel, qui semble aujourd’hui atteindre un sommet. Il ne faudrait pas pour autant en conclure que nous soyons seuls au monde ; chez diverses espèces animales, y compris chez les poissons, nous voyons les mâles s’occuper de leurs petits. Dans la gent mammifère, la proportion est de 5 %, nous apprend l’anthropologue Sarah Blaffer Hrdy dans son dernier ouvrage. Chez les singes même, il existe des espèces coopératives. Non forcément que les pères concentrent leurs attentions sur leurs propres enfants, mais ils contribuent à la nourriture et à la sécurité des enfants du groupe.

Ce qui fait notre spécificité, rappelle Sarah Hrdy, c’est qu’au fil des centaines de milliers d’années de notre ascendance, nous avons fabriqué les enfants qui de toutes les espèces animales mettent le plus de temps à acquérir l’autonomie. Il est peu à peu devenu impossible pour une mère de subvenir seule à leurs besoins. Les pères, mais aussi les autres adultes du groupe, ont été réquisitionnés.

Les progrès de l’endocrinologie apportent un éclairage supplémentaire : les pères qui pouponnent voient grimper leur production d’hormones maternantes, prolactine et ocytocine, et dégringoler leur testostérone. Idem pour les pères homosexuels.

Sarah Hrdy pense que la révolution néolithique (l’invention de l’agriculture) a fait régresser l’investissement paternel en vigueur chez les chasseurs-cueilleurs. Les transformations de la vie sociale que nous connaissons depuis des décennies sont en train de faire remonter le niveau d’investissement paternel au niveau des sociétés pré-néolithiques, peut-être même un cran au-dessus. 

[post_title] => Pourquoi les papas pouponnent [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => pourquoi-les-papas-pouponnent [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2024-10-09 14:08:23 [post_modified_gmt] => 2024-10-09 14:08:23 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=130438 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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De tous les grands cinéastes, Ingmar Bergman est celui dont il est le plus difficile de séparer la personnalité, la vie et l’œuvre. Ses films ont un caractère éminemment autobiographique : beaucoup de situations qu’il a mises en scène lui ont été inspirées par des souvenirs d’enfance ou des épisodes de sa vie d’adulte. Les thèmes récurrents de son cinéma (le désir, l’infidélité, la jalousie, la culpabilité, l’humiliation, la solitude, l’incommunication, la souffrance, la mort, le mal, l’au-delà) sont le produit direct de son âme tourmentée et de sa vision tragique du monde. Presque toujours, il se projetait dans ses personnages, souvent plusieurs à la fois dans une même histoire. Ses films ont été tournés avec une vingtaine de collaborateurs toujours les mêmes, qui étaient ses amis, au premier rang desquels les acteurs Gunnar Björnstrand, Max von Sydow et Erland Josephson, ainsi que les actrices Ingrid Thulin, Harriet Andersson, Bibi Andersson et Liv Ullmann – les trois dernières furent d’ailleurs ses compagnes. 

Des centaines de livres et d’articles ont été consacrés à son art. Beaucoup font référence à sa vie, souvent telle qu’il l’a lui-même racontée. Mais s’il s’est abondamment exprimé à son propre sujet, c’est en des termes d’une fiabilité très relative. Son beau livre de souvenirs Laterna Magica est une sorte d’autobiographie romancée. Les trois récits inspirés par l’histoire de ses parents qu’il a rédigés lorsqu’il a cessé de réaliser des films sont explicitement des fictions. Et ce qu’il a dit de son travail dans son second livre de souvenirs, Images, ainsi que dans les centaines d’entretiens qu’il a donnés tout au long de son existence, est à prendre avec précaution. L’historien britannique du cinéma Peter Cowie connaît très bien Bergman, qu’il a eu l’occasion de rencontrer à plusieurs reprises. En 1982, alors que le cinéaste vivait encore (il est mort en 2007 à l’âge de 89 ans), il lui a consacré une première biographie. Le nouvel ouvrage qu’il vient de faire paraître intègre les informations contenues dans ses carnets de travail, publiés depuis lors, et sa correspondance, devenue accessible. 

Ingmar Bergman, on le sait, est né et a grandi dans une famille suédoise protestante austère et rigoriste. Son père était un pasteur intransigeant sur les questions religieuses et sa mère, à laquelle il était très attaché, une femme autoritaire. Son enfance n’a pas été aussi douloureuse qu’il l’a souvent prétendu. Si son frère aîné était régulièrement battu, lui-même a moins souffert de châtiments physiques que de punitions vécues comme humiliantes. Ses premières années n’ont par ailleurs pas manqué de moments agréables avec ses parents, et même d’instants de grand bonheur auprès de sa grand-mère maternelle. À l’âge de 16 ans, il fut envoyé en Allemagne dans le cadre d’un échange d’élèves. Il eut l’occasion d’y assister à un meeting d’Adolf Hitler qui l’impressionna beaucoup et pour lequel il éprouva ensuite, comme beaucoup de ses compatriotes, une admiration dont il eut par après profondément honte. Son terrible sentiment de culpabilité rétrospective est à l’origine de la décision qu’il prit alors de tourner complètement le dos à la politique.     

Étudiant en lettres, Bergman se tourna très vite vers le théâtre. Il monta plusieurs pièces avec une compagnie universitaire, en écrivit lui-même un certain nombre et entama une carrière de directeur. Engagé dans une liaison tumultueuse avec une militante de gauche, il coupa les ponts pour un temps avec ses parents. L’ampleur de son travail pour le théâtre et l’importance qu’il avait pour lui sont un aspect souvent un peu négligé de son histoire. Tout au long de sa vie, il réalisa quelque 170 productions pour la scène, la radio et la télévision. Le théâtre, a-t-il dit un jour, était pour lui comme une femme loyale, le cinéma comme une maîtresse exigeante. Vingt ans après, il nuancera ce propos en déclarant à son biographe être devenu, à cet égard, bigame. Les auteurs qu’il a le plus régulièrement mis en scène sont les grands représentants du répertoire dramatique : August Strindberg, en premier lieu, un de ses maîtres, dont l’influence sur son cinéma – notamment sa peinture sombre des rapports de couple – est très forte ; Shakespeare et Ibsen, mais aussi Molière (Don Juan), Pirandello, Tchekhov et, parmi les contemporains, Edward Albee et Tennessee Williams. Ses mises en scène se distinguaient par leur invention et leur qualité d’exécution. Il les a réalisées aux théâtres municipaux d’Helsingborg, Göteborg et Malmö, ensuite surtout au Théâtre dramatique royal de Stockholm. En 1976, ulcéré suite à un contentieux avec le fisc suédois (l’affaire, née d’un excès de zèle de l’administration, se termina très rapidement par le retrait de la plainte pour fraude fiscale déposée contre lui), il quitta la Suède pour quelque temps. Établi à Munich, il y dirigea une dizaine de productions sur la scène du Nouveau Théâtre de la Résidence.  

C’est comme scénariste au sein d’un studio qu’il commença à travailler pour le cinéma. Il était alors marié avec une chorégraphe. En 1946, il réalisait son premier film. Une quinzaine suivront au rythme étourdissant d’un ou deux par an durant dix ans, marqués au début par l’influence du cinéma muet scandinave, du réalisme poétique de Marcel Carné et du néoréalisme italien, mais dans lesquels son style très personnel s’affirme de plus en plus. En 1955, Sourires d’une nuit d’été, une de ses rares comédies, le faisait remarquer au Festival de Cannes. La célébrité à laquelle il accéda alors n’eut aucun impact sur le rythme frénétique de son activité créatrice et le chaos chronique de sa vie sentimentale. Au cours des années 1956 et 1957, il réalisa ainsi coup sur coup deux de ses chefs-d’œuvre : la fable médiévale Le Septième Sceau, puissante méditation sur la mort, d’une esthétique expressionniste et gothique (les images du chevalier jouant aux échecs avec la mort – cape noire et visage de clown blanc – sont légendaires), et Les Fraises sauvages, réflexion sur le sens d’une vie gâchée par l’égoïsme prenant la forme d’un récit réaliste entrecoupé de séquences oniriques. Durant la même période, il mettait en scène cinq pièces au théâtre de Malmö. À ce moment, son troisième mariage était en train de se défaire, et, tout en ayant une liaison intense avec Bibi Andersson, il faisait la connaissance de sa future quatrième femme (une pianiste de concert), ainsi que de celle qui allait devenir plus tard sa cinquième et dernière épouse, avec qui il vécut durant vingt-quatre ans jusqu’à ce qu’elle décède, le laissant très affecté. De 1957 à 1982, date de sortie de Fanny et Alexandre, largement inspiré par son enfance, Bergman réalisa encore une vingtaine de films d’un caractère expérimental (Persona) ou intimiste (Scènes de la vie conjugale). Après cela, il ne travailla plus que pour la télévision. Les dernières années de sa vie, il ne quitta plus l’île de Farö, où il avait fait construire une maison. 

Bergman fait partie des réalisateurs qui introduisent des thèmes inédits à l’écran tout en inventant de nouvelles formes d’expression. La matrice de son cinéma, résume Peter Cowie, c’est « le conflit entre la vie et la mort, la foi et le doute, la lumière et les ténèbres, le sadisme et la souffrance, la vengeance et la magnanimité, l’espoir et le désespoir, et par-dessus tout Dieu et les démons qui s’opposent à lui ». On ajoutera : la difficulté du rapport entre les êtres : entre les hommes et les femmes, mais aussi entre les femmes. Au seuil de la vieLe Silence, PersonaCris et chuchotements, Sonate d’automne mettent en scène des femmes entre elles. Et les personnages de femmes des films de Bergman, on l’a souvent relevé, sont plus riches, plus intéressants, plus finement appréhendés et dépeints que les personnages masculins, souvent un peu caricaturaux – c’est largement du point de vue des femmes que l’histoire est racontée. Sans s’attarder parce que ce n’est pas son objet dans ce livre, Cowie évoque aussi les caractéristiques formelles de ses films, qui ont tellement impressionné les autres réalisateurs et sont à l’origine d’images inoubliables. Le recours systématique à des gros plans de visage, par exemple : le célèbre regard face caméra d’Harriet Andersson dans Monika, plein de défi et de tristesse, le visage rayonnant et apaisé du vieux Victor Sjöström dans l’avant-dernier plan des Fraises sauvages, lorsque le personnage qu’il incarne revoit en rêve ses parents au bord d’un lac. Ou l’usage souverain qu’il faisait de la lumière, avec l’aide de ses deux chefs opérateurs successifs : Gunnar Fischer, héritier de la tradition expressionniste, et Sven Nykvist, le maître de l’éclairage naturel. 

Lors d’un voyage à Rome, Bergman eut l’occasion de rencontrer Federico Fellini. Les deux hommes tombèrent dans les bras l’un de l’autre. Leur admiration mutuelle n’a rien d’étonnant. Si différents que soient leur cinéma et leur caractère, ils avaient plus d’un point commun. Ils partageaient la même fascination pour leur enfance, le rêve, le cirque, les clowns, le spectacle, la femme, le sexe et le rivage de la mer. Et tous deux émaillaient leurs films d’éléments fortement présents dans leurs souvenirs et leur imaginaire : chez Bergman les miroirs, les ours en peluche, les horloges et les pendules, le son de la corne de brume et une série de prénoms revenant constamment (Alma, Anna, Isak, Karin – c’était celui de sa mère). 

L’image d’Ingmar Bergman qui ressort du récit de sa vie n’est pas sans ombres. Le producteur Carl Anders Dymling, qui fut son mentor, le décrivait comme « un homme de tempérament nerveux vivant avec passion, extrêmement sensible, colérique, parfois impitoyable dans la poursuite de ses objectifs, soupçonneux, têtu, capricieux et imprévisible ». Ses explosions d’impatience sur les plateaux étaient légendaires. Victimes de ses mouvements d’humeur, les comédiens et les techniciens avec lesquels il aimait travailler lui sont cependant restés indéfectiblement fidèles. Enclin à tomber passionnément amoureux sans préavis, il a souvent rompu sans délicatesse avec ses femmes et ses compagnes. La plupart sont pourtant demeurées ses amies. De son propre aveu, il fut un père absent. S’il veilla à assurer la sécurité matérielle des neuf enfants nés de ses mariages et de sa liaison avec Liv Ullmann, il ne fut affectivement vraiment proche que de sa première fille. La cinéaste Margarethe von Trotta, qui a réalisé un film sur lui, attribue ceci à son attachement à sa propre enfance. Lui-même disait n’avoir quitté la puberté qu’à l’âge de 58 ans. Lucide sur les failles de sa personnalité, il n’a jamais cherché à les cacher. « [Bergman], observe la réalisatrice Jane Magnusson, n’est pas le premier père négligent, mari infidèle ou artiste mégalomane – il est simplement plus honnête. » Quatre ans avant sa mort, Ingmar Bergman accordait à la journaliste Marie Nyreröd une série d’entretiens dans lesquels il se livrait avec beaucoup de sincérité et de franchise. Tout en reconnaissant n’avoir jamais investi le moindre effort dans la vie de famille, il y fait l’éloge des femmes avec lesquelles il a été marié ou a vécu, personnes merveilleuses, dit-il, qui lui ont toutes beaucoup appris. Il procède aussi à l’inventaire des « démons » qui l’ont tourmenté toute sa vie et qu’il a peu à peu appris à dompter : l’irrépressible sentiment d’une catastrophe à venir, la terreur de l’échec, la peur sous toutes ses formes, la propension à se mettre dans des états de rage incontrôlable. Il mentionne également deux démons qui l’ont toujours épargné. L’un est l’ennui, l’autre le vide et le néant : jamais sa créativité et son imagination ne l’ont abandonné, il en remercie le sort et beaucoup le feront avec lui.

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C’est la « Regina Viarum », la reine des voies romaines, la plus longue, la plus droite, la plus stratégique, la plus chargée d'Histoire, la plus ourlée de monuments, la plus prestigieuse : la Via Appia, « mère de toutes les routes d’Europe ». Le journaliste-écrivain voyageur Paolo Rumiz, « une des plumes les plus acérées de la presse italienne mais aussi un de nos meilleurs auteurs », écrit Mauro Reali dans La Ricerca, a entrepris à 71 ans de la parcourir à pied sur toute sa longueur italienne, « 2 387 ans tout juste après le commencement des travaux de sa construction ».

Résultat : « 612 kilomètres en 29 jours de route et près d’un million de pas », le tout transposé en 458 pages tantôt élégiaques, tantôt furibardes. Construite à l’initiative (en 312 avant notre ère) du censeur Appius Claudius Caecus (« l’Aveugle »), l’Appia file tout droit vers le sud, d’abord vers Capoue, la rivale de Rome. Puis elle s’allonge vers Brindisi, que selon Caton on atteignait (à cheval) en cinq jours à peine, avant, en tant que Via Egnatia cette fois, de gagner l’Orient de l’Empire romain via le nord de la Grèce. Dallée de « basalti » indestructibles, balisée de bornes milliaires, de fontaines, de « tabernae » (les restoroutes de l’Antiquité), l’Appia escalade les montagnes sans s’embarrasser de détours pour permettre aux légions romaines d’aller à toute allure (un pas tous les 60 centimètres) conquérir les uns et mater les autres. Son tracé couvre la moitié sud de la géographie italienne mais aussi la quasi-totalité de son histoire antique et même récente, traversant les monts albains des Horaces et Curiaces (« ces fils à maman »), les marais pontins chers à Mussolini (qui les assécha), les montagnes où Hannibal a pendant 15 ans trouvé refuge, les 90 kilomètres au long desquels se dressèrent face à face tous les 30 mètres les 6 000 croix des compagnons de Spartacus, le défilé funeste où les Samnites rossèrent l’armée romaine... Plus tard la Via sera empruntée par les Croisés, les troupes venues de Lombardie, d’Allemagne, de France, d’Espagne, puis par la Wehrmacht et la 7e armée américaine.

Hélas, la majestueuse Via Appia, jadis ourlée de palais, de villas romaines opulentes, de temples, de statues et de tombeaux, n’est plus que l’ombre d’elle-même. Les artefacts antiques qui n’ont pas été pillés sont enfouis sous les décharges clandestines et les constructions illégales déjà décaties, et l’Appia elle-même se dissout en « un fil d’Ariane » que le marcheur s’épuise à retrouver, cartes anciennes en main, sous les trottoirs des conurbations, les voies ferrées, les autoroutes, et les ronds-points inutiles (mais pas pour tout le monde). Dès sa sortie de Rome, l’auteur-marcheur entame un lamento qui ira crescendo au fil des pages, car « plus la route s’enfonce dans la moelle de l’Italie, plus son contenu archéologique s’affaiblit ». L’Italie d’aujourd’hui, indifférente à son passé prestigieux, « n’est même plus capable de se gouverner elle-même » alors que « Rome jadis gouvernait le monde ». En avançant vers Brindisi, on voit, « mètre après mètre, les signes de la présence de l’État se raréfier ».

La Via Appia qui, dans l’Antiquité aidait à diffuser vers le sud l’orgueil de Rome en même temps que ses lois, sa langue et sa rigueur administrative, accueille aujourd’hui le flux inverse. Elle qui, « dans l’Italie unifiée aurait dû porter vers le sud la marque de Rome, porte au contraire vers le nord la marque des entreprises louches ». Rome, ou plutôt « la Dominante », comme l’appelle Paolo Rumiz, n’est plus bonne qu’à injecter avec désinvolture des sommes pharamineuses que terroni (ploucs) et mafieux du sud – auprès desquels « les fanatiques de l’État islamique qui ont pris Palmyre à coups de pioche » font figure « d’amateurs » – emploient à saccager l’Appia et ses abords, à leur profit. Voyez « ces routes construites aux frais du Trésor public pour acheter des votes » ou « ces 4 millions de mètres cubes d’habitations construites sans permis puis régularisées avec empressement sous les applaudissements des électeurs ». Mais tout n’est pas perdu car « le territoire, on le sauve en le racontant ».

Et cette descente vers le sud, Paolo Rumiz la raconte splendidement : les paysages qui se dessèchent, les populations qui deviennent de plus en plus pittoresques – l’obsession de la coiffure chez les hommes, qui pousse même les carabiniers à se mettre du gel sur les cheveux, « les femmes qui se font plus séductrices, autoritaires et jeteuses de sort » –, sans oublier la langue italienne qui s’altère et la nourriture qui explose de nouvelles saveurs. Son ouvrage a déclenché une réhabilitation de la Via Appia qui pourrait devenir « un pèlerinage laïque » pour « Italiens qui n’ont plus peur de leur histoire », et non plus l’apanage des seuls « sans pneus », marginaux ou réfugiés.

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Le roman se déroule dans le Chili du milieu du XIXe siècle. Juan Marín arrive à Valparaíso, une ville portuaire et cosmopolite, fuyant le sud suite à une trahison. Parler, c’est ce qu’il fait de mieux : il parle l’anglais, le français, l’allemand, l’espagnol et la langue des Indiens Mapuches. Mais pour échapper à son passé il fait vœu de mutisme. Son silence ne l’empêche pas d’être employé dans une banque en tant qu’agent de ménage.

Il est alors contacté par une société de passionnés de langues lorsqu’elle découvre que Marín est polyglotte. Ce sont des adeptes de la néographie, un mouvement dont l’objectif principal est l’orthographe : « Les mots doivent s’écrire comme ils se prononcent ». Derrière cette devise se cache l’idée que la langue est une prison et que traduire est une trahison. La doctrine de ces « passionnés du langage » qui prônent une simplification radicale de l’écriture, faisant correspondre à chaque son un graphème, dépasse largement le domaine purement linguistique. Le radicalisme sectaire menant à tout, Marín sera impliqué dans un attentat contre la banque où il travaille.

De son vrai nom Juan Curín, le protagoniste est le fils d’un chef Mapuche et de Stéphanie Lafforgue, une immigrée française qui, après le naufrage de son bateau sur la côte d’Arauco, au sud du pays, est faite prisonnière par les Indiens de la région. Enfant, son père Mapuche l’a offert à l’État chilien en guise d’offrande de paix puis confié à des moines capucins afin que, l’élevant en chrétien et lui apprenant la langue de la péninsule, « il soit araucanien par le sang et la couleur, mais chilien par ses goûts, ses opinions, sa morale et son intelligence », peut-on lire dans El País Chile.Il est devenu chilien, mais ne l’est pas vraiment. Il voulait être Mapuche, mais il a été considéré comme traître à son peuple lorsque celui-ci, voulant se rebeller contre l’envahisseur espagnol, Marín, craignant un massacre, décida de le trahir afin d’éviter l’effusion inutile du sang. Il fut contraint de s’enfuir à Valparaíso. Que lui restait-il alors si ce n’était devenir néographe ?

Selon Joaquín Castillo Vial dans El País Chile, « ce premier roman d’Ignacio Álvarez – auteur du brillant recueil d’essais El curso que hice al revés (« Le cours que j’ai fait à l’envers », Laurel, 2022) – montre un écrivain qui maîtrise brillamment le langage narratif, capable de construire une intrigue aux accents philosophiques et anthropologiques profonds, montrant que les malentendus sur la langue peuvent conduire aux pires catastrophes. Mais également qu’une histoire bien racontée peut tout sauver. »

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Quand on vieillit on peut continuer à se sentir jeune mais la physiologie fait son œuvre : l’ADN accumule les détériorations, l’extrémité des chromosomes raccourcit, des protéines s’agglutinent, divers organites, comme les mitochondries, cessent de fonctionner normalement, le nombre de cellules souches dégringole et les principaux organes sont affectés par une inflammation chronique. Tous les systèmes cellulaires sont impactés.

Dans « Pourquoi nous vieillissons », le prix Nobel de chimie Venki Ramakrishnan reprend à la base cette problématique complexe, en s’interrogeant sur les diverses recherches tendant à allonger la longévité moyenne voire la longévité tout court. L’une des pistes qui fait fureur est la découverte de « sénolytiques », des molécules de synthèse capables d’éliminer des cellules sénescentes. Mais « les chercheurs ne savent pas toujours discerner si les résultats d’une étude sont fiables ou contestables, prometteurs ou seulement préliminaires », écrit le généticien Jan H. J. Hoeijmakers dans la revue Nature. Une diète restrictive est censée freiner le vieillissement, mais tout le monde n’apprécie pas ; des chercheurs tentent de mettre au point des médicaments qui en simulent l’effet. Des études sur une possible reprogrammation des cellules sont en cours, mais elles ne sont pas applicables au cerveau. « Ce livre devrait permettre aux entreprises qui investissent dans le secteur et aux milliardaires en quête d’élixirs pour la vie éternelle d’économiser beaucoup d’argent », écrit Hoeijmakers.

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Pour la critique du Zeit Elisabeth von Thadden, c’est « le livre de l’été ». De fait, peu d’essais ont autant fait parler d’eux ces derniers mois en Allemagne. Et aucun ne s’est attiré davantage d’éloges. Dans un autre article du Zeit, Lukas Franke évoque « un livre important paru au bon moment », tandis que dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung, Sonja Asal estime que la thèse qu’il développe « est aussi vaste que sa réponse est nuancée ». Il est signé d’un jeune historien qui enseigne à l’université Humboldt de Berlin, Onur Erdur, né à Diyarbakir, dans la partie kurde de la Turquie.

Sa thèse, donc : on ne saurait comprendre la French Theory sans son arrière-fond colonial. « Le fait que les théories de la différence et de la déconstruction, les analyses du pouvoir et des ambivalences du moi ne soient pas nées dans les cafés et les salons parisiens, mais aient été inspirées par la vie à la périphérie de l’empire colonial français en décomposition, c’est-à-dire là où les fractures et les incohérences de l’Europe étaient directement visibles, n’est guère étonnant d’un point de vue actuel. Pourtant, les liens étroits des philosophes postmodernes avec les pays d’Afrique du Nord colonisés par la France n’avaient curieusement guère été abordés jusqu’à présent », note Franke

Que ce soient Pierre Bourdieu ou Jean-François Lyotard, Michel Foucault ou Roland Barthes, Jacques Derrida ou Hélène Cixous, Étienne Balibar ou Jacques Rancière, tous ont, d’une façon ou d’une autre, une histoire avec le Maghreb des années 1950-1960. Bourdieu fait son service militaire en Algérie, Lyotard y enseigne. Derrida et Cixous y sont nés. Rancière (lui aussi né en Algérie) et Balibar ont protesté contre la guerre d’Algérie. Quant à Barthes et Foucault, ils ont pratiqué en Afrique du Nord ce qu’on appellerait aujourd’hui du tourisme sexuel.

« Quel est le lien entre expérience et théorie ? Onur Erdur explique comment est née, sous le soleil d’Afrique du Nord, une pensée anti-hégémonique de la différence, qu’il comprend comme une sorte de “théorie de la vertu de l’esprit face à l’injustice coloniale” : parce que chacun de ces penseurs a tenté, à sa manière, de tirer du vécu face à la souffrance une attitude politique et une interprétation pour le public. Les récits d’Onur, structurés en biographies, permettent de comprendre que la philosophie a une origine », conclut von Thadden.

[post_title] => Aux origines coloniales de la French Theory [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => aux-origines-coloniales-de-la-french-theory [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2024-10-03 13:47:15 [post_modified_gmt] => 2024-10-03 13:47:15 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=130390 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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L’Empire romain ne fut pas le plus vaste de l’Histoire : les empires mongol, britannique et espagnol couvraient un territoire plus étendu. Il ne fut pas non plus celui qui dura le plus longtemps : à l’exception de quelques courtes périodes, la Chine vécut sous un régime impérial durant plus de deux millénaires, soit quatre fois davantage. Mais il occupe dans notre imagination une place très particulière, pour des raisons aisément compréhensibles. Plus qu’un ensemble de terres, l’Empire romain était un monde en soi. Nos institutions politiques et le droit tel que nous le connaissons sont nés sur les bords du Tibre. Si l’héritage intellectuel et artistique de la Grèce antique est parvenu jusqu’à nous, et si le christianisme, apparu au Moyen-Orient, s’est diffusé en Europe, c’est du fait de la conquête et de la colonisation par Rome de l’ensemble du bassin méditerranéen et d’une grande partie du Vieux Continent. L’étude du latin et des lettres latines a constitué durant des siècles une des deux principales composantes de l’enseignement des humanités. La littérature et le cinéma nous ont familiarisés avec quelques figures célèbres d’empereurs (Néron, Caligula, Hadrien) telles que les historiens latins (Tacite, Suétone, Dion Cassius) nous les ont fait connaître, ainsi qu’avec certains aspects de la vie romaine à cette époque, comme les jeux du cirque. Et l’effondrement, au bout de cinq siècles, d’une puissance qui dominait toute une région du monde n’a cessé de frapper les esprits au point de fournir, à tort ou à raison, une espèce de paradigme pour les phénomènes de fin de civilisation et de décadence.

L’Empire romain est né en 27 av. J.-C. avec l’accession à la fonction et au titre d’empereur, sous le nom d’Auguste, d’Octave, fils adoptif du dictateur Jules César, après l’assassinat de celui-ci et la guerre civile qui s’ensuivit. Il a formellement cessé d’exister, dit-on généralement, en 476 apr. J.-C., avec la déposition du dernier empereur romain d’Occident, Romulus Augustule, par Odoacre, général romain d’origine germanique. L’Empire survécut en Orient jusqu’en 1453, date de la prise de Constantinople par les Turcs, sous la forme réduite de ce qu’on appela par après l’Empire byzantin. Dans L’Impero romano, ouvrage initialement paru en 1956 et aujourd’hui réédité, Santo Mazzarino raconte l’histoire de l’Empire romain de sa naissance à la dissolution de sa partie occidentale. 

Santo Mazzarino, né en 1916 à Catane, en Sicile, fut un des grands historiens de l’Antiquité du XXe siècle. Son œuvre abondante et variée se situe dans le prolongement de la tradition des historiens et théoriciens de l’histoire allemands Jacob Burckhardt et Theodor Mommsen, dont il se voulait l’héritier. Burckhardt avait une vision romantique, tragique et pessimiste de l’Histoire, Mommsen une vision scientifique, positive et optimiste. Les deux se combinent et se compensent mutuellement chez Mazzarino.

L’Impero romano se veut un livre de synthèse à destination des étudiants et des chercheurs. Chacune des cinq parties est ainsi suivie d’une section de notes explicatives de plusieurs dizaines de pages intitulée « Bibliographie et problèmes ». L’ouvrage couvre de manière à peu près égale le « Haut-Empire » et le « Bas-Empire », période qu’on fait généralement commencer avec le début du règne de Dioclétien, à la fin du IIIsiècle apr. J.-C. Au moment où le livre est paru, l’intérêt pour les derniers siècles de l’histoire de l’Empire était beaucoup moins prononcé qu’aujourd’hui. Avec le Français Henri-Irénée Marrou, Mazzarino fut un des premiers historiens à considérer cette période complexe et assez confuse comme aussi riche et digne d’attention que la précédente. En la réhabilitant, il ouvrait la voie sans le vouloir à tout un courant historiographique contemporain, dont l’Irlandais Peter Brown est un des plus brillants représentants, qui ira beaucoup plus loin dans cette direction : en identifiant sous le nom d’« Antiquité tardive » une période homogène allant du IIIsiècle au VIe, voire au VIIe et au VIIIe siècle, les tenants de cette école tendent à escamoter la rupture représentée par la chute de l’Empire romain d’Occident et à placer le passage de la fin de l’Antiquité au début du Moyen Âge sous le signe de la continuité plutôt que de la discontinuité. 

Une autre particularité du livre est l’accent mis sur certains aspects de la vie de l’Empire. Le fil conducteur de l’exposé est fourni par la succession des grandes dynasties d’empereurs : les Julio-Claudiens, les Flaviens, les Antonins, les Sévères, les Constantiniens, etc. À côté des développements politiques et des péripéties politiciennes, Mazzarino met l’accent sur deux éléments auxquels sa formation catholique et sa proximité de jeunesse avec les idées marxistes et communistes le rendaient particulièrement sensible : d’une part la religion dans sa dimension à la fois spirituelle, sociale et culturelle, d’autre part l’économie, notamment l’économie monétaire. On trouvera ainsi dans les pages consacrées aux règnes de Caligula, Claude et Néron une analyse des effets corrosifs, sur l’esprit de la cité antique païenne, de ce qu’il appelle la « révolution spirituelle » du christianisme apportée à Rome par l’enseignement de saint Paul, qui conduisait à mettre en cause le culte des dieux et celui de l’empereur. Des réflexions, aussi, sur le choix fait par Constantin de fonder le système monétaire de Rome sur l’or, « révolution monétaire » aux conséquences aussi importantes pour l’avenir que celle qu’il opéra en convertissant l’Empire au christianisme, parce qu’elle se traduisit par un enrichissement de l’élite dirigeante et un appauvrissement des commerçants, qui utilisaient la monnaie de cuivre ou de bronze.

Ces deux aspects se retrouvent liés dans l’analyse qu’il fait de la chute de l’Empire au Ve siècle et de la fin du monde antique, événement ou processus sur la nature et les causes duquel on ne cesse de s’interroger depuis des siècles. À l’instar des Anciens eux-mêmes, Machiavel avançait une explication de nature morale, l’érosion de la force de caractère des Romains, la virtú, sous l’effet de l’abondance des richesses. Dans le même esprit, Montesquieu mettait en cause la perte du sens civique provoquée par les bénéfices matériels des conquêtes. Pétri de l’esprit des Lumières, Gibbon identifiait notoirement, au milieu d’autres causes, l’essor du christianisme comme le principal agent de la chute de Rome. Au total, plusieurs centaines d’explications ont été proposées qui mettent en avant des facteurs internes ou externes de caractère politique, démographique, économique, psychologique ou physique dont les effets se sont en réalité certainement combinés. Elles vont de la « barbarisation » des armées à la chute de la natalité en passant par le déclin des cités, la corruption de l’administration, les effets du saturnisme causé par l’utilisation de conduites d’eau en plomb ainsi que les épidémies de peste et les sécheresses liées à un changement du climat (thèse défendue récemment par Kyle Harper). Souvent, des idées anciennes réapparaissent sous des formes plus élaborées. Dans le schéma explicatif proposé par Peter Heather et d’autres, si les tribus germaniques se sont infiltrées et établies sur le territoire romain, c’est qu’elles étaient poussées par la migration vers l’Ouest des Huns d’Asie centrale.    

Parce que « l’histoire préfère le récit à la théorie, la reconstruction concrète à l’hypothèse métaphysique », Mazzarino ne prétend pas fournir l’ultime explication. Il suggère tout de même un scénario privilégiant les facteurs internes, fondé sur le jeu de ceux qu’il a mis en avant tout au long de son récit : « La crise de l’unité impériale est […] une crise culturelle (religieuse) et économique. Elle se caractérise par un double phénomène apparemment contradictoire mais en réalité très cohérent : d’un côté la création, par Constantin, d’une société pyramidale où les pauvres se trouvent écrasés ; de l’autre la pénétration [dans la culture Gréco-romaine] de cultures populaires et régionales appelées par la participation [des masses] à la vie spirituelle du christianisme. » S’y ajoutent les effets destructeurs de la tension entre une productivité déclinante et le maintien à coût élevé d’une forte centralisation administrative et militaire. L’Impero romano est un livre d’histoire savante. L’historiographie (l’exposé des sources, la discussion des travaux des autres historiens) y occupe une place considérable. Dans ce genre particulier, c’est un monument. Assis sur une érudition impressionnante (il semble avoir lu tout ce qui s’est écrit sur l’Antiquité), Santo Mazzarino brosse de son sujet un puissant tableau. L’ouvrage intéressera pourtant avant tout les spécialistes. Il contient très peu de ce qui fait le charme des meilleurs livres d’histoire populaire de haut niveau sur la Rome antique, comme ceux de Mary Beard : descriptions du cadre de vie et de l’existence quotidienne des Romains (l’habillement, la nourriture, les spectacles de combats de gladiateurs), anecdotes savoureuses sur les empereurs, rapprochements plus ou moins pertinents avec l’époque contemporaine. L’Impero romano est essentiellement un livre d’idées, et le plaisir qu’on tire de sa lecture est de nature intellectuelle. On n’oubliera par ailleurs pas que si des livres d’histoire destinés au grand public peuvent être rédigés, c’est grâce au travail de savants comme Mazzarino et à l’existence d’ouvrages comme les siens, témoins d’une époque où les résultats des recherches historiques se transmettaient, autant que par l’intermédiaire d’articles dans les revues spécialisées, sous la forme de livres qui sont aujourd’hui des classiques. 

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