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Le Troisième Homme contient quelques plans parmi les plus célèbres de l’histoire du cinéma. Plusieurs d’entre eux sont des plans d’Orson Welles. Bien qu’il n’apparaisse que dans trois scènes représentant au total une dizaine de minutes, son jeu extraordinaire et le fait que toute l’histoire tourne autour du personnage qu’il incarne font qu’il donne l’impression de dominer totalement le film. Longtemps, on a même affirmé qu’il en était le véritable auteur : un jugement injuste pour tous ceux qui contribuèrent à en faire en chef-d’œuvre, à commencer par son réalisateur, l’Anglais Carol Reed. 

De nombreuses inexactitudes ont été propagées par la critique à propos de ce film, avec la complicité des intéressés : Orson Welles et Graham Greene, qui écrivit le scénario, avaient tous deux une forte propension, pour reprendre l’expression employée par un des personnages, à « mélanger les faits et la fiction », et Carol Reed lui-même s’est quelquefois laissé aller à présenter une version arrangée de certains épisodes. En raison de l’aura du film, l’histoire des conditions dans lesquelles il a été conçu et tourné n’a pas manqué d’intéresser les historiens du cinéma. En 1999, à l’occasion du 50e anniversaire de la sortie du Troisième Homme sur les écrans, Charles Drazin lui consacrait un livre très fouillé. Pour célébrer le 75e anniversaire de l’événement, John Walsh vient de publier un nouvel ouvrage à son sujet, somptueusement illustré.  

L’intrigue, on s’en souvient, se déroule à Vienne immédiatement après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Jonchée de ruines et en proie à la misère, la ville, où sévissent le marché noir et toutes sortes de trafics, est divisée en secteurs administrés par les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Union soviétique et la France. Le centre est sous le contrôle d’une force quadripartite. Venu y retrouver son ami d’enfance Harry Lime, qui lui a fait miroiter des promesses de vie meilleure, Holly Martins, un écrivain américain sans envergure, auteur de romans populaires dans le genre western, apprend à son arrivée que son ami vient de mourir renversé dans la rue par un camion. Intrigué par la présence, lors de l’accident, d’un « troisième homme » aux côtés des deux connaissances de la victime seules mentionnées dans le rapport officiel, il suspecte quelque chose de louche et se met en quête de ce mystérieux personnage. Après être tombé amoureux de la petite amie de Lime, une réfugiée tchèque nommée Anna Schmidt, il découvre que son ami, qui est en réalité encore en vie, était à la tête d’un trafic de pénicilline et a simulé sa mort pour échapper à la police, qui le traque. Choqué par les conséquences tragiques de la mise sur le marché d’antibiotiques corrompus, qui a fait de nombreuses victimes, notamment des enfants, et désireux de s’acheter les faveurs des autorités anglaises, seules en mesure de protéger Anna, que les Soviétiques voudraient ramener en Europe communiste, Holly Martins trahit son ami et finit par le tuer au terme d’une poursuite dans le réseau des égouts de la ville. 

L’action se déroule en grande partie durant la nuit, dans les rues désertes de Vienne. L’esthétique du film, tourné en noir et blanc, est très inspirée par celle de l’expressionisme allemand de l’entre-deux-guerres. La bande sonore comprend uniquement la musique à la cithare d’Anton Karas, qui accompagne et soutient le récit de ses accents allègres, ironiques, dramatiques ou mélancoliques selon les scènes.   

Contrairement à Première Désillusion, fruit d’une collaboration précédente de Carol Reed et Graham Greene, Le Troisième Homme n’est pas l’adaptation d’une nouvelle de l’écrivain, mais un scénario original. Pour le rédiger, Greene a toutefois dû passer par un texte entièrement rédigé, qui fut publié par la suite. Le film s’écarte de l’histoire sur plusieurs points importants. Greene reconnaîtra qu’il est meilleur que l’histoire, « parce qu’il en représente le stade achevé ». 

Impressionné par leur premier travail en commun, le producteur anglais d’origine hongroise Alexander Korda souhaitait confier à Reed et Greene un film dont l’action se déroulerait à Vienne. Après avoir livré à Korda le premier paragraphe d’une histoire qu’il n’avait jamais poursuivie au-delà de ces quelques lignes, Greene se rendit dans la capitale autrichienne pour se pénétrer de l’atmosphère qui y régnait. L’histoire, dit-il, s’est mise en place dans son esprit après une conversation avec un agent des services secrets britanniques qui lui aurait livré des informations sur le trafic de pénicilline et le rôle joué par les égouts dans les activités illicites. 

En réalité, ces informations lui ont vraisemblablement été données par un certain Peter Smolka, devenu journaliste à Londres sous le nom de Peter Smollett, qui était à ce moment correspondant du Times dans la capitale autrichienne. Sa contribution à la confection du scénario fut apparemment jugée suffisamment importante pour que Korda lui fasse un contrat, dans lequel il s’engageait à ne réclamer aucun droit d’auteur. De fait, son nom n’apparaît pas au générique. 

Il se trouve que Smolka/Smollett était un espion soviétique qui avait été recruté par le fameux agent double Kim Philby. Graham Greene connaissait aussi ce dernier et était son ami, sans qu’on sache à partir de quel moment exactement il comprit qu’il travaillait pour les Russes. Philby faisait partie du fameux cercle d’espions connu sous le nom des « Cinq de Cambridge », dont deux membres, Donald Maclean et Guy Burgess, furent démasqués avant lui, et deux autres, Anthony Blunt et John Cairncross, après sa fuite en URSS. 

A-t-il inspiré à Graham Greene le personnage de Harry Lime ? Si oui, ce n’est que par quelques aspects de sa vie. Il était un idéaliste convaincu de la justesse de sa cause, quand Lime est présenté comme un cynique sans principes. Il y a toutefois quelques points communs : durant l’occupation nazie de Vienne, Philby, qui y fit un séjour, aida des opposants au régime à se cacher dans les égouts ; il était proche d’une activiste dont le père était d’origine hongroise (dans le scénario initial, Anna était hongroise), qu’il épousa pour lui assurer la protection de son passeport ; comme Lime, il travaillait sous couvert d’un emploi dans une organisation humanitaire et, à l’instar du personnage interprété par Welles, il exerçait un grand charme sur tous ceux qui l’approchaient.    

Pour la mise en œuvre du projet, Alexander Korda s’associa avec le légendaire producteur d’Autant en emporte le vent David Selznick. En échange des droits de distribution aux États-Unis, Selznick s’engageait à contribuer au financement et à fournir quelques stars d’Hollywood. Lorsque le film sortit, une âpre bataille juridique pour le partage des droits et les mentions au générique opposa les deux producteurs. Tout au long de sa préparation, Sleznick se révéla un partenaire très difficile. Constamment sous l’emprise des amphétamines, il bombardait Korda de longs mémos auxquels l’intéressé répondait avec diplomatie. Préoccupé par l’accueil que recevrait le film aux États-Unis, il était obsédé par l’image qu’il donnerait des Américains, qu’il estimait présentés moins favorablement que les Anglais : bien que les deux principaux personnages masculins (Martins et Lime), anglais chez Greene, fussent devenus américains, le premier était faible et alcoolique et le second un truand, face aux militaires anglais incarnant la décence et la probité. 

La plupart des suggestions qu’il fit étaient farfelues, Korda et Reed n’en tinrent pas compte. Sauf de certaines, dont l’une importante. Dans la première version du scénario, après la mort de Harry Lime, Holly Martins et Anna Schmidt se retrouvent. Mais Reed ne voulait pas d’une fin heureuse. Au dernier plan du film, dans le cimetière où l’on vient d’enterrer pour de bon Harry Lime, Anna passe sans un mot et sans un regard devant Holly, qui l’attend au bout d’une allée. Greene reconnut que c’était la bonne manière de terminer l’histoire et mettra cette idée au crédit de Reed. Il semble toutefois qu’elle lui ait été inspirée par une remarque de Selznick : comment imaginer qu’Anna, qui était passionnément amoureuse d’Harry Lime au point de continuer à l’aimer après avoir compris quel homme il était, pardonne à celui qui l’avait tué ?

Pour tenir le rôle de Martins, Selznick suggéra Cary Grant, mais il demandait un cachet trop élevé. C’est finalement Joseph Cotten qui obtint le rôle, aux côtés d’Alida Valli dans celui d’Anna. Pour incarner Lime, il proposa Robert Mitchum, qui s’avéra indisponible. Il ne voulait pas d’Orson Welles, dont l’étoile avait pâli depuis Citizen Kane. Carol Reed tenait à Welles et finit par avoir gain de cause. Mais il fallait mettre la main sur lui. Après l’avoir traqué de Rome à Capri en passant par Florence, Venise et Napes, Vincent Korda (frère d’Alexander) et son fils parvinrent à le coincer et à lui faire signer un contrat. Comme il avait besoin d’argent pour financer ses films, il opta pour un cachet de 100 000 dollars pour quelques jours de tournage, au lieu d’un pourcentage sur les recettes, ce qu’il regretta par la suite au vu du succès du film. 

Korda et Reed durent aussi affronter la censure américaine, qui donna son accord moyennant quelques mises en garde, en conformité avec le code de production : pas d’allusions à des relations sexuelles entre Holly et Anna, tenues décentes, y compris dans un bar où se produisaient des entraîneuses, pas de meurtre délibéré ou par compassion de Lime par Martins, qui ne pouvait agir que sur ordre de Calloway. Reed tint compte de ces demandes là où leur respect était sans conséquence. On s’étonnera du silence des censeurs au sujet d’un fait que ni Charles Drazin, ni John Walsh ne mentionnent, mais qui a été relevé par certains commentateurs : à l’évidence, ainsi que le montrent de façon caricaturale leur tenue vestimentaire, leurs manières et leur comportement l’un avec l’autre, deux des complices de Lime, le « Baron » Kurtz et le Dr Winkel, forment un couple homosexuel. Les censeurs ont-ils laissé passer cela parce qu’il s’agit de deux personnages peu recommandables ? 

Le film n’a pas été entièrement tourné à Vienne. Beaucoup de scènes l’ont été dans les studios de Shepperton, au sud-ouest de Londres. C’est le cas de la plupart des scènes d’intérieur, mais aussi de celle qui se déroule dans une cabine de la Grande Roue du Prater, où Martins et Lime ont leur seul échange verbal. Ainsi que Graham Greene l’a reconnu, la phrase célèbre au sujet des artistes de la Renaissance dans l’Italie des Borgia et de la Suisse, qui en cinq cent ans de démocratie n’a produit que la pendule à coucou, ne figurait pas dans le scénario et a été improvisée par Welles. Mais ce n’est pas totalement une invention : on a retrouvé les textes qui ont inspiré la formule. 

C’est aussi en Angleterre qu’a été tourné le fameux plan du visage d’Orson Welles/Harry Lime, dissimulé dans l’obscurité d’une porte près de chez Anna, brutalement illuminé par un rai de lumière – sans doute la plus mémorable entrée en scène d’un acteur dans un film. Une partie de la séquence a été filmée à Vienne, dans trois endroits différents éloignés les uns des autres, mais censés être voisins dans le film. Les images du petit chat d’Anna, qui joue avec Martins puis vient se blottir aux pieds de Lime, ont nécessité l’emploi de quatre chats différents, deux à Vienne et deux en Angleterre. 

Une grande partie de la séquence de poursuite dans les égouts a également été filmée en studio. Contrairement à ce qu’il a prétendu par la suite, Carol Reed n’a pas réussi à convaincre Welles de descendre dans ceux de Vienne. Comme pour les scènes de rue nocturne où l’ombre de Lime se profile sur les murs, appel a été fait, pour certains plans, à une doublure. L’image la plus frappante de cette séquence est, à nouveau, un gros plan de Welles, lorsque Lime, blessé et sur le point d’être abattu par Martins, tourne vers lui un visage où se mêlent la contrariété, la peur, la résignation, le soulagement et une sorte de tendresse.   

Il est difficile de sous-estimer l’importance de la contribution apportée au film par le travail du chef opérateur Robert Krasker. Par l’usage systématique de cadrages insolites, de plans obliques, de plongées et de contre-plongées, et le jeu savant des ombres et des lumières sur les palais baroques, les pavés mouillés des rues et les amoncellements de débris et de gravats, il a composé des images d’une beauté envoûtante qui donnent de Vienne une impression fantastique. La plupart des seconds rôles (Kurtz et Winkel, un troisième complice de Lime nommé Popescu, le concierge de l’immeuble où habite Lime, la propriétaire de l’appartement où réside Anna) sont interprétés de façon parfaite par des acteurs autrichiens ou allemands. Certains personnages sont le produit  de rencontres faites par Carol Reed sur le plateau ou dans les rues de Vienne. C’est le cas du petit garçon inquiétant à la face ronde qui accuse Martins d’avoir tué le concierge, et de l’étrange marchand ambulant de ballons qui accoste Calloway et le sergent qui l’accompagne lorsqu’ils sont en embuscade pour arrêter Lime. C’est également à Vienne que Reed a découvert Anton Karas, dans des circonstances dont il a donné plusieurs versions. Contre les usages du temps, qui préconisaient le recours à un orchestre symphonique, il a convaincu les studios de lui confier la musique du film, aussi inséparable de lui qu’il est impensable sans elle. 

Le Troisième Homme est le fruit des efforts d’une poignée de professionnels au sommet de leur talent combinant leur savoir-faire sous le contrôle d’un réalisateur tellement peu complaisant avec lui-même qu’il n’hésita pas à sacrifier sans pitié au montage quelques-uns des plus magnifiques plans de Vienne, d’une beauté magique mais qui n’aidaient pas à faire progresser le récit. Le film contient des images inoubliables et exprime avec force un certain nombre d’idées sur l’horreur de la guerre, la cupidité humaine et ce que c’est qu’être adulte (chacun à sa manière, Holly Martins et Harry Lime sont restés des enfants). Mais il ne tombe jamais dans l’esthétisme gratuit ou le didactisme à des fins d’édification. L’émotion et les réflexions qu’il suscite sont inséparables de l’histoire qu’il raconte, dans laquelle le spectateur se laisse emporter avec ravissement. 

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Même à l’aune du XXe siècle, peu de trajectoires dictatoriales sont aussi spectaculaires que celle du leader nord-coréen Kim Il-sung. Né en 1912 dans une famille plutôt aisée (et protestante), il a créé puis dirigé la Corée du Nord depuis 1948 avant de mourir dans son lit, en 1994, toujours au pouvoir (officiellement). Il aura d’abord lutté contre l’occupant japonais, trouvé refuge en Mandchourie, passé la guerre en Sibérie avant de revenir en 1945 dans les bagages de l’armée russe en tant que « dirigeant-marionnette » choisi pour transformer la moitié nord de la péninsule en « pays frère » communiste.

Mais Kim Il-sung n’est pas du genre marionnette. En 1952, il déclenche une guerre pour reconquérir la partie sud du pays, tentative qui se soldera par un match nul et 2,5 millions de morts. Puis, par ses malencontreuses initiatives politiques et agricoles, il provoquera une famine qui fera encore au moins 1 million de morts tandis que, aléas climatiques à l’appui, la malnutrition deviendra quasi institutionnelle et « les Nord-Coréens perdront plusieurs centimètres par rapport à leurs frères du sud, pourtant génétiquement identiques », écrit le Wall Street Journal. En plus de gérer son pays au plus près, intervenant en direct dans tous les domaines, le « Grand Leader » est également l’auteur (présumé) d’environ 4 000 livres, sur tous les sujets dont le cinéma.

Mais là où Kim Il-sung surpassera ses grands collègues-dictateurs, Hitler, Staline et même Mao, c’est avec l’instauration d’un culte de la personnalité appelé à devenir un culte tout court, héréditaire qui plus est. Peut-être parce qu’il est issu d’une famille chrétienne, il va fonder une quasi religion empruntant beaucoup de traits au christianisme : naissance assortie de prodiges, culte marial (Madame Kim mère), miracles, sanctification (de généraux), sacrement de confession (pas forcément spontanée) avec possibilité (rarissime) de rédemption, théologie ad hoc (l’acrobatique « juché », ou pensée du corps-maître) et même résurrection (ramené sur terre par un vol de grues émues par les clameurs affreuses montant du pays, Kim Il-sung deviendra en effet « président immortel »). Comme cette religion-là peut compter en interne sur la protection d’une Inquisition stupéfiante de brutalité (la Bowibu, une police secrète pas secrète du tout), et en externe sur un arsenal nucléaire en croissance continue, elle ne semble pas près d’être éradiquée. Sauf miracle.

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Arturo Fontaine s’inspire d’une histoire vraie. La très belle poétesse Teresa Wilms Montt, figure emblématique de l’aristocratie chilienne du début du XXe siècle, créa un scandale qui secoua la bonne société. Mariée et mère de deux filles, elle engagea une liaison passionnée avec le cousin de son mari, Vicente « Vicho » Balmaceda. Lorsque son mari Gustavo découvrit leurs lettres d’amour, il la fit enfermer dans un couvent, avec l’accord de la famille de son épouse. Elle s’échappa au bout de six mois et s’exila à Buenos Aires puis à Madrid et à Paris, où elle se suicida en 1921 à l’âge de 28 ans.  

Gustavo est banquier et pour son travail s’installe avec Teresa à Iquique, dans le nord du pays. Le port n’est chilien que depuis quelques décennies et connaît une période glorieuse d’exploitation du salpêtre, ce qui se traduit par des rues animées et une vie sociale et culturelle sophistiquée à laquelle le couple participe activement. Teresa fait partie d’un groupe littéraire qui l’introduit dans le monde de la bohème. Les conversations arrosées et les nuits tardives font que les disputes avec son mari Gustavo deviennent fréquentes, mettant le mariage à rude épreuve. Arrive Vicho, jeune, cultivé et plein d’humour, membre de l’équipe électorale d’un politicien.

Pour écrire son roman, Fontaine s’est fondé sur des documents historiques, des lettres de Teresa et des témoignages familiaux, notamment ceux de sa propre grand-mère, Valentina Balmaceda, cousine du mari et de l’amant de Teresa. Ce sont surtout les lettres de celle-ci, lues à l’époque non seulement par son mari, sa belle-famille et ses parents, qui ont provoqué le scandale, plus encore que l’adultère, confie Fontaine au journal El País, en raison de leur caractère érotique. « Teresa fut aussi punie en tant qu’écrivaine. » Le premier baiser entre Teresa et Vicho a eu lieu dans le cimetière d’Iquique. « Pour moi, c’était une métaphore, explique Fontaine, celle d’un amour qui naît au contact de la mort. Ma tâche de romancier a été de les emmener au cimetière et d’imaginer ce qui s’y est passé. »

Dans le Times Literary Supplement, David Gallagher, ancien ambassadeur du Chili et critique littéraire, salue le style de Fontaine, « la belle musique des phrases », et souligne la place que le rire tient dans le roman. « Les personnages rient beaucoup. » La complicité instantanée qui se crée entre Teresa et Vicho quand ils se rencontrent déclenche chez eux un rire incontrôlable. En avouant son adultère à une amie, elle la scandalise en éclatant de rire. Contrairement à Emma Bovary, Teresa est tout sauf une bourgeoise conformiste.

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L’ouvrage sentait le soufre, au point que l’éditeur qui devait le publier l’a finalement refusé. Qu’à cela ne tienne : son auteur, Ulf Poschardt, journaliste assez connu outre-Rhin, ancien rédacteur en chef à Die Welt, l’a autopublié en janvier dernier sur Amazon. Il y a connu un tel succès (40 000 exemplaires écoulés) qu’un nouvel éditeur, Westend, qui s’est fait une spécialité d’accueillir les exclus de l’establishment, n’a pas tardé à se mettre sur les rangs. Bien lui en a pris : le livre trône toujours en bonne place sur la liste des meilleures ventes outre-Rhin. 

Son titre donnera une idée de ce qui a pu susciter pareille polémique : ShitbürgertumBürgertum, c’est la « bourgeoisie », en allemand. Et shit un anglicisme que nous nous dispenserons de traduire. Cette bourgeoisie disons « fécale », à laquelle s’en prend Poschardt, correspond à l’intelligentsia de gauche, à nos « bobos » des grandes villes, plutôt écolos. Voici comment la quatrième de couverture du livre définit ce bourgeois qui, selon Poschardt, domine actuellement le discours médiatique et l’université : « Avec un mélange malsain de prétention et d’esprit de soumission, il se met en scène comme un sauveur du monde moralement supérieur – mais il défend surtout ses propres privilèges et intérêts. » Dans le Tageszeitung, Konstantin Nowotny développe : « Ceux qu’il insulte avec délectation sont souvent fonctionnaires, travaillent dans des fondations, en politique, dans la culture ou dans les sciences – toutes les mauvaises, bien entendu. » Poschardt, lui, se réclame plutôt des libertariens. Ses modèles : Trump, Musk, Milei. Faut-il préciser que Shitbürgertum ne s’est guère attiré les faveurs de la presse traditionnelle ? Dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung, par exemple, Philipp Krohn estime qu’il ne s’agit pas d’« un bon livre. Il fait du dénigrement anti-Verts indifférencié, en l’accompagnant d’une portion de Nietzsche, Gramsci et Deleuze/Guattari. Même les pensées justes sont écrasées par des généralisations. »

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Les performances de l’intelligence artificielle sont stupéfiantes et continuent d’avancer à pas de géant. Chercheur en neurosciences à l’université d’Oxford, Christopher Summerfield se demande si l’IA a accès au sens et à la connaissance, et répond oui. Melanie Mitchell, professeure au Santa Fe Institute, ne partage pas pleinement son point de vue mais fait un compte rendu aussi éclairant qu’élogieux de son livre dans le Times Literary Supplement.

Elle rappelle d’abord que si le deep learning des réseaux de neurones a bien enclenché la révolution actuelle, c’est une nouvelle invention, le « transformeur », réalisée en 2017, qui a permis aux « grands modèles de langage » (LLM) de générer les prouesses du genre ChatGPT. Prouesses telles que « leur complexité rend difficile de comprendre exactement comment ils produisent leur comportement sophistiqué, même pour les ingénieurs qui les ont conçus ». 

Les LLM ont clairement des capacités qui excèdent celles des humains. Comme l’écrit Summerfield, « chacun des LLM en sait (knows) beaucoup plus que chacun des 8 milliards d’humains, sans jamais avoir jeté le moindre coup d’œil sur le monde naturel dans lequel nous vivons ». C’est qu’ils accèdent au sens (meaning) en exploitant uniquement des données linguistiques, sans passer par le monde sensible. D’où sa conclusion que l’IA a un ou plutôt plusieurs esprits pensants (minds) bien à lui, « tout à fait différents de tout ce que nous avons pu jusqu’ici rencontrer ». Des Aliens, en quelque sorte. 

Mais attention, fait valoir Melanie Mitchell : l’IA « n’a pas le sens de son identité personnelle, pas de motivations, pas de mémoire de ses propres expériences (à supposer qu’on puisse dire qu’elle a des expériences), pas de sensations ni d’états émotionnels, pas d’impératifs de survie ». La question fondamentale est dès lors de savoir comment gérer l’émergence de ces nouveaux « esprits » et leurs progrès à venir.

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La parution, en 2022, de la correspondance de l’écrivain suisse Max Frisch et de la poétesse et romancière autrichienne Ingeborg Bachmann fit plus de bruit encore que la publication, quatorze ans plus tôt, des lettres de Bachmann et de l’autre homme de sa vie, le poète Paul Celan. Durant quelques années, Frisch et Bachmann eurent une liaison qui les a profondément marqués l’un et l’autre et a laissé une empreinte durable sur leur œuvre. Leurs lettres jettent une lumière nouvelle sur leur personnalité et leur histoire et démentent une série d’allégations répétées et de jugements hâtifs au sujet de leurs relations et de la façon dont ils les ont exploitées sur le plan littéraire. 

Lorsqu’ils se sont rencontrés, en 1958, ils étaient déjà des figures notoires du monde littéraire germanophone. Frisch, qui avait abandonné son métier d’architecte depuis longtemps pour se consacrer exclusivement à la littérature, était un romancier et essayiste apprécié et un dramaturge très applaudi. Bachmann avait été adoubée par le « Groupe 47 », un cénacle d’écrivains allemands comprenant notamment Günter Grass, Heinrich Böll, Martin Walser et le critique Marcel Reich-Ranicki : cinq ans auparavant, ils lui avaient attribué un prix pour quatre poèmes tirés de son premier recueil. 

Les deux écrivains étaient curieux l’un de l’autre. Après un premier échange de lettres, ils eurent l’occasion de se voir à Paris, où l’on représentait deux pièces de Frisch. Ce dernier, qui avait été marié et avait trois enfants, était en train de se séparer de sa compagne du moment. Peu de temps auparavant, Bachmann avait brièvement revécu avec Paul Celan, juif d’origine roumaine s’exprimant en allemand. Elle avait eu une aventure avec lui en 1950, ils se sentaient en communion poétique et restaient en relation épistolaire (ils demeureront amis jusqu’au suicide de Celan en 1970).

Elle et Frisch tombèrent immédiatement amoureux. Durant les quatre années qui suivirent, ils habitèrent à plusieurs reprises ensemble, notamment à Zurich et à Rome. Pour peu de temps chaque fois, cependant, ce qui explique l’abondance de leurs lettres. Max Frisch gardait celles qu’il recevait de Bachmann, mais elle ne conservait pas les siennes, raison pour laquelle le recueil contient davantage des premières que des secondes. Les lettres de Frisch qu’on peut y lire sont presque toutes des copies faites par lui. À partir d’un certain moment, il prit en effet l’habitude d’en établir, pour garder une trace exacte de ce qu’il lui avait écrit au cas où elle ferait référence à ses propos, ou, comme beaucoup d’écrivains le font, pour pouvoir réutiliser dans ses œuvres certaines formulations spontanées particulièrement heureuses.     

Leur correspondance mêle fiévreuses déclarations d’amour, expressions de passion violente, de doute, de suspicion et de jalousie, une constante autocritique des deux côtés et une continuelle entreprise de dissection de leurs sentiments. Incapables de se passer l’un de l’autre, ils ne pouvaient pas rester longtemps ensemble et leurs moments de bonheur paisible ne furent jamais nombreux. À un moment donné, Frisch proposa à Bachmann de l’épouser, mais elle déclina l’offre, le mariage lui semblant un engagement purement formel. S’admirant mutuellement, ils éprouvaient à l’égard l’un de l’autre un sentiment d’infériorité. Bachmann ne se sentait pas reconnue à sa juste valeur par Frisch, qui de son côté la jugeait intellectuellement supérieure à lui, dotée d’une imagination et d’un sens poétique qu’elle partageait avec Paul Celan, mais qu’il ne possédait pas. Il l’enviait aussi de se trouver au cœur de la scène littéraire allemande, quand il était à sa périphérie. 

Leurs lettres mettent bien en lumière le caractère fallacieux de beaucoup d’affirmations faites à leur sujet. Il a ainsi longtemps été courant de présenter Max Frisch comme un Don Juan égoïste qui aurait détruit Bachmann en l’abandonnant pour celle qui allait être sa seconde épouse, Marianne Oellers. Que leur rupture ait eu un effet dévastateur sur Bachmann est incontestable. Il apparaît toutefois qu’ils avaient conclu une sorte de pacte les autorisant à tenir secrètes leurs aventures éphémères, mais les obligeant à révéler à l’autre d’éventuelles véritables passions amoureuses. Or au moment où Frisch fit la connaissance de Marianne Oellers, Bachmann avait eu deux liaisons de ce type, avec un universitaire nommé Paolo Chiarini et Hans Magnus Enzensberger, un écrivain membre du Groupe 47. Contrairement, d’autre part, à ce que certains ont cru pouvoir inférer de son roman autobiographique Malina et de ses œuvres de fiction posthumes inachevées, si Ingeborg Bachmann fut hospitalisée au début de 1963, ce n’était pas parce qu’elle était enceinte de Frisch et pour se faire avorter. On découvre aussi que son alcoolisme et sa dépendance à l’égard des médicaments neuroleptiques que des médecins peu regardants lui prescrivaient en grande quantité se sont manifestés avant sa séparation avec Frisch et non après, et semblent être une des causes de celle-ci plutôt que leur conséquence. Enfin, en dépit de ce qu’elle a laissé entendre par la suite, si le roman de Frisch Le Désert des miroirs dépeint bien sous le nom de Lila un personnage clairement inspiré par elle, c’était avec son plein accord, puisqu’elle a été associée à sa composition et que Frisch en a remanié le texte à de nombreux endroits suite à ses observations.

S’il est relativement peu question de la littérature en général et des œuvres d’autres écrivains dans leur correspondance, leur travail à tous deux est un des sujets dont ils traitent souvent. C’est une des raisons pour lesquelles on peut dire que cette correspondance amoureuse est aussi éminemment une correspondance littéraire, une autre étant qu’on les y voit déployer tout leur talent et leur maîtrise de la langue pour se comprendre et s’expliquer, séduire ou convaincre l’autre, ou le faire se sentir coupable.  

Si brève qu’elle fut, leur liaison tourmentée et d’une intensité brûlante les marqua suffisamment pour influencer profondément leurs œuvres. On en trouve la trace dans les romans que Max Frisch écrivit par la suite, ainsi qu’à plusieurs endroits de son journal. Elle demeura aussi, avec sa passion pour Paul Celan, une des principales sources d’inspiration des écrits ultérieurs d’Ingeborg Bachmann, marqués par une vision de plus en plus sombre et pessimiste des rapports entre hommes et femmes. 

Leurs vies suivirent des trajectoires très différentes. Consacré comme un des grands auteurs de langue allemande de la seconde moitié du XXe siècle, Max Frisch, qui vécut par la suite avec plusieurs autres femmes, s’éteignit couvert d’honneurs à l’âge de 79 ans. Ingeborg Bachmann, psychologiquement de plus en plus fragile et physiquement abîmée par l’alcool et l’abus de médicaments, mourut à Rome à l’âge de 47 ans dans des circonstances jamais complètement élucidées. Une cigarette ayant mis le feu à ses vêtements de nuit, elle fut très gravement brûlée dans son lit et décéda quelques jours plus tard, sans doute également en raison d’une réaction de son organisme affaibli, brutalement sevré des barbituriques auxquels il était accoutumé.

« Pourquoi nous détruisons-nous l’un l’autre ? » écrivit un jour Max Frisch à Ingeborg Bachmann. Rétrospectivement, on se dit qu’ils étaient presque fatalement condamnés à ne vivre ensemble que très peu de temps, tant leurs personnalités paraissent incompatibles. Esprit analytique et critique, ambitieux et travailleur, Frisch était en même temps un homme possessif et porté à douter de lui-même. Passionnée et habitée par des sentiments paroxystiques, Ingeborg Bachmann combinait une grande force intérieure et une extrême vulnérabilité. Issue d’une région de la province autrichienne, propulsée à un âge assez précoce sur le devant de la scène littéraire, dans un monde d’écrivains très masculin, elle se retrouva rapidement entourée d’une cour d’admirateurs. Elle devint aussi une célébrité au centre de la vie mondaine. Dans quelle mesure sa timidité et sa maladresse, qui faisaient partie de son charme, étaient-elles le reflet de son caractère, un système de défense ou le produit d’une sorte de mise en scène ? 

Leurs œuvres reflètent cette grande différence de tempérament. Contrairement à l’autre grand auteur suisse contemporain, son ami Friedrich Dürrenmatt, qui était meilleur dramaturge que romancier, Max Frisch, bien qu’il fût de son vivant réputé pour son théâtre, restera surtout pour ses romans, ses essais et son journal, remplis de vues pénétrantes sur la question de l’individualité dans la société moderne, plus particulièrement dans le monde des intellectuels auquel il appartenait. Marquée dans sa jeunesse par l’invasion de l’Autriche par l’Allemagne, fascinée par la violence et les rapports de pouvoir, un peu comme Paul Celan, même si c’est de manière différente et moins immédiatement compréhensible (la famille de Celan a disparu dans les camps d’extermination), Ingeborg Bachmann fusionne dans ses romans la tragédie de l’Histoire et la tragédie personnelle, dans une vision assez noire et désespérée des rapports humains. D’un autre côté, au carrefour de la tradition romantique, tout empreinte de conscience cosmique et de révérence pour la nature, de l’influence de l’expressionisme de Trakl et de la poésie puissante, drue, tranchante et imagée de Bertolt Brecht, ses poèmes se caractérisent par une forme moderne et originale de lyrisme qui fait de certains d’entre eux, selon Marcel Reich-Ranicki, parmi les plus beaux de la langue allemande au XXe siècle.

Fallait-il publier leur correspondance ? Lorsqu’elle est parue, certains critiques ont soulevé la question. Ceux qui l’ont fait ont presque toujours répondu de manière positive, invoquant la qualité littéraire des lettres, le fait qu’elles nous aident à mieux connaître leurs auteurs et à nous rapprocher d’eux en donnant l’exemple de celles de Franz Kafka à Felice et Milena, qui étaient tout aussi peu destinées à être lues un jour par d’autres personnes que leurs destinataires. Il faut toutefois savoir qu’Ingeborg Bachmann ne souhaitait pas que ses lettres à Frisch fussent rendues publiques. Après qu’ils se furent quittés, elle lui demanda de les brûler ou de les lui rendre. Il s’y refusa, au motif que ses lettres lui appartenaient autant que les siennes étaient à elle. Mais il la rassura en lui indiquant qu’il avait interdit par testament la publication de sa correspondance. Il changea cependant d’avis plus tard, autorisant cette publication vingt ans après sa mort. Ingeborg Bachmann n’en fit jamais autant. Dans un premier temps, ses héritiers respectèrent son souhait. Puis ils se ravisèrent et décidèrent de contrevenir à ses volontés. Légalement, ils y étaient autorisés. Mais Bachmann n’était-elle pas moralement en droit de vouloir garder cachés certains aspects de sa vie privée ? Les lettres qu’elle adressa à Frisch après leur séparation, écrites dans un état de grande détresse psychologique et pleines de tristesse, de dépit et de rage, ne la montrent pas à son avantage et inspirent plus de pitié que d’admiration. On ne les lit donc pas sans un certain malaise et le sentiment de commettre une coupable indiscrétion.

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On raconte volontiers que l’acte de naissance de la culture underground en URSS fut la visite rendue en décembre 1962 par Nikita Khrouchtchev à l’exposition tenue à l’occasion du 30e anniversaire de l’Union des artistes de Moscou, un organisme officiel promouvant le réalisme socialiste. Six ans après le XXe Congrès, l’heure était à un relatif dégel et les organisateurs avaient inclus quelques œuvres abstraites. Indigné (« Ne savez-vous pas comment peindre ? »), le Premier secrétaire décida d’interdire toute exposition de ce genre et toute allusion à cet art dans les médias.

La culture underground n’avait pas attendu cette occasion pour se manifester. Les auteurs de ce compendium de plus de 1 000 pages en relatent les prémices sous Staline, mais c’était alors extrêmement risqué et il fallut attendre l’ère Khrouchtchev pour la voir prendre son essor. Le chapitre le plus intéressant, relève Bradley A. Gorski dans le Times Literary Supplement, est celui consacré à « cartographier sa diversité ». Le mouvement s’est développé comme des champignons, notamment dans les pourtours de l’empire, sans concertation apparente. Ce fut notamment le cas dans les pays baltes, en Biélorussie, en Ukraine et en Géorgie. La première du film de Sergueï Paradjanov Ombres des ancêtres oubliés (dont a été tirée la version courte Les Chevaux de feu) a eu lieu à Kiev en 1965. Le film avait été autorisé et avait fait l’objet de critiques positives dans la presse soviétique, mais il fut aussi loué par un dissident ukrainien, Ivan Dziouba, et le film acquit valeur de « talisman » de la culture underground, écrit Gorski.

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La entrega de l’écrivaine argentine Perla Suez est une œuvre poignante qui plonge le lecteur dans les ténèbres de la violence sociale et de l’impunité dont bénéficient des criminels. À Villaguay, une ville tranquille au centre de la province d’Entre Ríos, Juan Fabre prépare un repas familial en attendant le retour de sa femme Mirta et de ses deux filles, Evelin et Mara. Leur quotidien paisible est brutalement interrompu : Evelin, âgée de 14 ans, est happée sur le trottoir par des inconnus qui la forcent à monter dans un véhicule aux vitres teintées. 

Tandis que Mirta suit la piste des ravisseurs d’Evelin, on apprend que celle-ci a en réalité été livrée par son père à un groupe mafieux pour « rembourser » une dette contractée lors d’une tentative avortée de sauver l’entreprise familiale, victime de la crise de 2001. 

Le réseau de proxénètes qui s’est emparé d’Evelin s’étend de manière très organisée à l’ensemble du pays. À Rosario, des prostituées vont l’aider à s’échapper.

La entrega révèle les fils qui mènent de la vulnérabilité économique à la prostitution et dénonce le silence des institutions sur la violence exercée par les proxénètes. Dans un entretien donné au journal argentin Página 12, Perla Suez se demande : « Peut-on échanger sa fille contre une voiture, par exemple ? Jusqu’où peut aller la violence lorsqu’on est désespérément à court d’argent ? […] Le système corrompt, certains laissent faire. Nous sommes entourés de personnages sinistres qui cèdent aux pressions de leur environnement. En tant qu’auteure, je ne cherche pas à les juger moralement, mais à les dépeindre. »

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De Gutenberg, l’homme, on ne sait presque rien. Juste qu’il est né à Mayence vers 1400, a trépassé dans le même lieu 68 ans plus tard ; qu’entre-temps il a séjourné au moins dix ans à Strasbourg et un peu circulé dans le sud de l’Allemagne ; qu’il a pratiqué avec succès l’orfèvrerie (des objets pieux pour pèlerins) ; qu’il était porté sur l’évasion fiscale et plutôt procédurier (les rares documents le concernant sont des pièces judiciaires). Mais son invention, l’imprimerie à caractères mobiles, « est à l’origine même du monde d’aujourd’hui, en bien comme en mal », écrira Mark Twain. Est-ce d’ailleurs vraiment l’invention de Gutenberg ? Oui, démontre l’historien du livre Eric Marshall White, qui à défaut de pouvoir dire grand-chose sur l’homme explore avec force détails l’œuvre. En Arabie, en Chine ou en Corée on connaissait depuis deux ou trois siècles déjà l’imprimerie par blocs de bois gravés voire avec des caractères mobiles en bois, en fer ou en céramique. Mais à la différence de la fabrication du papier, l’Europe ne s’était pas emparée de ces techniques – du moins pas pour reproduire des textes, juste des images ; et Marco Polo lui-même n’en fait pas la moindre mention. Gutenberg au contraire va mettre au point des méthodes de fabrication de petites lettres et de signes typographiques individuels, en ciselant des poinçons pour creuser des moules ensuite remplis de plomb fondu.

En bon startupper, Gutenberg travaillait en équipe avec un riche apporteur de fonds, Johann Fust, et un très habile façonnier, le premier artiste de la typographie, Peter Schoeffer. Gutenberg, lui, présidait à la mise au point des techniques de fabrication, et les résultats qu’il obtient laissent pantois. Il se fait d’abord la main sur des formulaires de remise intégrale des péchés moyennant une contribution à la défense du bastion chrétien de Chypre contre les Turcs. Cette impression « d’indulgences » cypriotes est très lucrative : les commanditaires de l’opération se mettront l’essentiel des fonds levés dans la poche, et Gutenberg pourra se lancer dans sa grande entreprise : la production de magnifiques Bibles en latin, sur papier et parchemin. À raison de 2 600 lettres par page de deux colonnes (de 42 puis 48 lignes), six équipes travaillant de front sur six cahiers ont produit 180 Bibles en moins de temps qu’il n’en faut pour n’en recopier qu’une seule à la main – des ouvrages ensuite vendus à prix ultra compétitifs sous forme de cahiers non reliés, avec des blancs sur les pages pour pouvoir calligraphier et colorier à la main titres et lettrines, à l’instar des précieux manuscrits. Non seulement le message de la Bible se diffuse à toute vitesse dans une vaste zone autour de Mayence, mais le texte biblique se voit stabilisé une fois pour toutes, sans les coquilles ou ajouts, sources d’amères dissensions théologiques ! Gutenberg produit d’autres textes saints ainsi qu’un dictionnaire latin et peut-être une grammaire, et avec encore plus de célérité car il a aussi l’idée de réunir ensemble des lignes de lettres préassemblées. Hélas, le financier Fust veut encore plus de profit, le débat s’envenime, et le tribunal de Mayence doit décider de questions qui sont à l’origine même du capitalisme moderne : l’apport de fonds initial constituait-il un prêt garanti, avec intérêts (Fust), ou au contraire une injection de capital à risques partagés (Gutenberg) ? L’inventeur, « qui avait tout misé sur une technologie qui financièrement ne s’est pas imposée d’emblée, et dont il n’avait pas mesuré lui-même toutes les potentialités », écrit Joseph Hone dans la Literary Review, semble tout de même avoir gagné la manche. Non seulement les lecteurs mais tous les startuppers doivent lui en savoir gré.

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Dans le monde animal, c’est le plus souvent la femelle qui choisit le mâle avec lequel se reproduire. Il en va de même dans l’espèce humaine, la règle n’étant contrariée que par la contrainte sociale et l’usage de la force. Chez certaines espèces d’oiseaux, la compétition exercée par les mâles pour attirer les femelles conduit à des extravagances comportementales. Dans nos contrées, le cas le plus connu est celui du tétras lyre. Le Britannique Matt Ridley, journaliste scientifique, politicien libertarien, auteur du livre peu conformiste The Rational Optimist, revient ici à ses premières amours : une thèse sur le « système » d’accouplement du faisan. Il a passé de longues heures, avant l’aube, à observer les joutes que se livrent les mâles tétras lyre à même le sol, dans un endroit déterminé. Ce n’est qu’au terme de plusieurs semaines que les femelles viennent faire leur choix. Les vainqueurs le paient cher. Ils meurent d’épuisement au bout d’un an ou deux, écrit le zoologue Tim Coulson dans Nature. Matt Ridley a fait le tour du monde pour observer le comportement comparable d’autres oiseaux, comme le paradisier de Raggi, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, ou le jardinier satiné, en Australie, qui se livre à une compétition originale, consistant à construire et décorer une pyramide de brindilles pouvant atteindre le mètre. 

La compétition entre mâles se traduit le plus souvent par l’éclat des traits physiques, qui dans certains cas deviennent eux aussi extravagants, comme chez le paon ou le paradisier à rubans, dont la queue bien encombrante peut mesurer plus d’un mètre. Ridley relate aussi la dure compétition que se livrent depuis Darwin les biologistes de l’évolution pour tenter d’expliquer ces phénomènes. La sélection sexuelle est-elle soluble dans la sélection naturelle ?

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