WP_Post Object ( [ID] => 86390 [post_author] => 8 [post_date] => 2020-07-02 07:00:00 [post_date_gmt] => 2020-07-02 07:00:00 [post_content] =>En octobre 2000, le dernier spécimen d’ara de Spix (Cyanopsitta spixii), un mâle solitaire, disparaissait de la nature au Brésil. L’espèce n’est pas à strictement parler éteinte : quelques dizaines d’individus survivent dans des zoos et des volières de collectionneurs, mais elle se trouve désormais au royaume des morts-vivants, où elle restera jusqu’à ce que le dernier individu meure ou, ce qui est moins probable, que l’espèce soit ressuscitée dans le cadre d’une réintroduction réussie dans la nature 1.
D’ici la fin du siècle, elle figurera à coup sûr dans une édition augmentée du livre d’Errol Fuller Extinct Birds. L’auteur y retrace l’histoire des quelque 80 espèces d’oiseaux qui se sont éteintes à cause des êtres humains ou de leurs commensaux – rats, chats, chiens, cochons et autres animaux, plantes et microbes. Si le rythme actuel se poursuit, l’édition 2100 comptera 15 volumes – et ce qui est arrivé aux oiseaux constitue un bon élément d’appréciation pour évaluer les chances d’autres organismes vivants. Parce qu’ils sont facilement observables, leur extinction est mieux documentée. Nous pouvons être à peu près sûrs que toutes les espèces d’oiseaux ou presque qui sont parvenues jusqu’au XXIe siècle ont été décrites et classées, ce que l’on ne peut dire d’aucun autre groupe d’animaux (à l’exception, peut-être, des mammifères) 2.
Les perroquets tels que l’ara de Spix sont particulièrement menacés d’extinction. Au moins 12 espèces ont disparu et 50 autres sont officiellement en danger ; elles risquent de s’éteindre dans les prochaines années ou décennies si aucun effort de conservation n’est entrepris, et même dans ce cas. Ces oiseaux ont été victimes de leur beau plumage ou de leur loquacité, qui les ont condamnés à finir en ornement de chapeaux ou dans des volières. Comme les orchidées (qui sont un peu les perroquets du monde végétal), de nombreuses espèces de psittacidés ont des populations réduites, très circonscrites géographiquement, et présentent un cycle reproductif particulièrement lent – un cocktail mortel.
Parce qu’ils vivaient sur des îles océaniques tropicales ou subtropicales, la plupart des oiseaux évoqués par Fuller n’ont pas été exposés à des prédateurs dangereux au cours du temps long de l’évolution. C’est cela qui a causé leur perte et met bien d’autres espèces en danger : faute de prédateurs, ils n’ont pu acquérir un instinct de fuite. Certains étaient même incapables de voler, une aptitude que l’évolution fait disparaître en l’absence de concurrents terrestres (les rongeurs, par exemple, ne font généralement pas partie de la faune endémique des îles du Pacifique). D’autres traits de comportement deviennent également des faiblesses lorsque la population est réduite et menacent certaines espèces de disparition.
Le kakapo (Strigops habroptila) est un gros perroquet terrestre originaire de Nouvelle-Zélande. Les mâles émettent lors de la parade nuptiale un son caverneux que l’écrivain britannique Douglas Adams a comparé aux premières mesures d’un morceau de Pink Floyd. Son système d’accouplement le rend unique chez les perroquets : les femelles choisissent parmi des mâles qui s’exhibent ensemble dans une arène. Mais, maintenant qu’il ne reste plus en Nouvelle-Zélande que 50 individus sauvages dispersés, les mâles sont souvent solitaires et les femelles ne parviennent pas à se trouver un partenaire 3.La crécerelle de Maurice (Falco punctatus) était probablement l’oiseau de proie le plus rare du monde dans les années 1970. C’était dû à son régime alimentaire : elle se nourrissait exclusivement de geckos, qui se raréfiaient en raison de la destruction de leur habitat insulaire. Les parents oiseaux apprenaient à leurs petits à ne chasser que les geckos, malgré la présence d’autres proies. Les écologues menant des programmes de reproduction en captivité ont constaté que les petits n’étaient pas difficiles et qu’on pouvait les entraîner à attraper d’autres proies. En cessant d’être monophages, ces oiseaux ont obtenu une sorte de sursis. La crécerelle de Maurice est-elle toujours une crécerelle de Maurice si elle ne s’alimente pas que de geckos – ou est-elle en un sens une espèce éteinte ? L’extinction n’admet pas une définition claire et précise.
Le grèbe de l’Atitlán (Podilymbus gigas), éteint depuis 1990, est un cas d’extinction taxonomique mais pas génétique : les derniers individus se sont hybridés avec une autre espèce de grèbe, préservant ainsi une certaine cohérence dans leur évolution grâce à un nouvel avatar. La séquence des événements qui ont conduit à cette semi-extinction est implacable. Le grèbe de l’Atitlán a été décrit pour la première fois dans les années 1920, époque où il a été découvert sur les rives couvertes de roseaux et dans les eaux du lac Atitlán, au Guatemala. Comme d’autres oiseaux menacés, il avait perdu l’aptitude au vol. Dans les années 1960, sa population était tombée à quelque 80 individus : son habitat avait été considérablement réduit, d’abord par la coupe des roseaux destinés à la fabrication de nattes, puis par la Pan Am (laquelle a fini par disparaître à son tour). La compagnie aérienne américaine avait transformé le lac en station de pêche de loisir et introduit le black-bass, ou perche d’Amérique, qui mangeait les crabes et les petits poissons constituant l’alimentation des grèbes. L’écologue Anne LaBastille avait aménagé un petit refuge pour eux sur la rive, et la population était parvenue à se maintenir à 200 individus avant de succomber, victime d’une nouvelle opération de défrichement des roselières – cette fois pour bâtir des résidences de vacances. Puis un tremblement de terre assécha à moitié le lac, ce qui abaissa le niveau de l’eau de 6 mètres et isola le refuge. Finalement, les rives furent envahies par des grèbes à bec bigarré (Podilymbus podiceps), une espèce plus petite et capable de voler, qui s’hybridèrent avec les quelques grands grèbes restants, produisant une progéniture qui – à la grande surprise des écologues – s’envola. Les gènes du grèbe à bec bigarré géant sont probablement encore dans la nature au Guatemala, mais l’espèce elle-même a disparu.
L’extinction d’un autre oiseau a également été accélérée par un événement géologique : la dernière grande colonie de reproduction du grand pingouin (Pinguinus impennis) se trouvait sur Geirfuglasker, une île au large des côtes islandaises engloutie lors de l’éruption d’un volcan sous-marin en 1830. Les deux derniers individus dont on avait connaissance furent étranglés, et leur seul et unique œuf fut cassé quatorze ans plus tard par des pêcheurs chargés par un marchand de collecter des spécimens sur l’île voisine d’Eldey.
Pour chaque oiseau du livre, Fuller a tenté de trouver au moins un dessin, une peinture ou une gravure : beaucoup sont l’œuvre du grand illustrateur du XIXe siècle J. G. Keulemans. Il agrémente aussi autant que possible son récit historique de portraits et de petites biographies des marins, explorateurs et naturalistes qui ont décrit une espèce (et parfois contribué à leur extinction). Bien sûr, la plupart de ces espèces ont disparu avant que nous ne disposions de pellicules suffisamment sensibles pour photographier la nature. Il existe toutefois une série de trois photos de nettes à cou rose (Rhodonessa caryophyllacea), une espèce apparentée au canard que l’on a pu observer pour la dernière fois dans la nature dans les années 1920 : sur le premier cliché, on voit un couple de nettes en captivité dans un parc du Surrey, sur le suivant, il n’y a plus qu’un seul oiseau, et le troisième montre un spécimen empaillé sans socle gisant sur le dos au Musée national d’Écosse. La photo la plus célèbre d’un oiseau disparu est aussi reproduite dans le livre : il s’agit de Martha, le dernier pigeon migrateur américain, mort au zoo de Cincinnati le 1er septembre 1914 à 13 heures – sans doute, remarque Fuller, l’extinction la plus précisément datée de l’histoire naturelle.
Les recherches menées par Fuller pour trouver des récits d’époque n’ont pas toujours été fructueuses. Dans certains cas, il n’a rien trouvé d’intéressant, la vie et la mort de nombreuses espèces étant passées quasiment inaperçues (ce qui rend d’autant plus remarquable le fait que Fuller ait pu dénicher autant d’images). Cela n’est pas surprenant quand on sait que les premiers inventaires naturalistes ne remontent guère qu’au XVIIIe siècle. L’objectif premier à l’époque était la collecte de merveilles inconnues, ce qui s’accompagnait souvent de massacres inutiles.
Aujourd’hui, nous disposons d’une masse d’informations sur la biologie des populations, les habitudes de reproduction et l’écologie comportementale des espèces d’oiseaux ou de mammifères en voie d’extinction ; dans de nombreux cas, nous avons des données génétiques et, pour ce qui est des populations reproductrices dans les zoos, des registres généalogiques établis selon les normes internationales en vigueur. Désormais, nous en savons davantage sur les espèces éteintes que sur nombre de celles qui existent toujours. Mais sur beaucoup des oiseaux qu’évoque Fuller, il n’y a à peu près rien. Le nicobar ponctué (Caloenas maculata), dont on ne connaît que le spécimen empaillé légué au musée de Liverpool par le naturaliste Edward Smith-Stanley, 13e comte de Derby, est une espèce « originaire d’une île indéterminée du Pacifique Sud ». La perruche de Tahiti (Cyanoramphus zealandicus), originaire de Polynésie, « était et reste un oiseau des plus mystérieux ». Plus terrible encore, « on ne dispose d’aucun élément sur le ptilope de Dupetit-Thouars (Ptilinopus dupetithouarsii), endémique des îles Marquises ». Et voici comment on a aperçu pour la première et la dernière fois la gallicolombe de Tanna (Alopecoenas ferrugineus) : ce colombidé fut collecté en 1774 sur l’île de Tanna, dans les Nouvelles-Hébrides, par le naturaliste Johann Reinhold Forster, qui accompagnait le navigateur James Cook à bord du Resolution (« Je suis allé à terre, nous avons abattu une nouvelle sorte de pigeon ») ; son fils George le peignit, et on n’en revit plus jamais.
Tout comme les perroquets, les colombes et les pigeons semblent avoir subi un nombre disproportionné d’extinctions par rapport aux autres oiseaux, sans que rien dans leurs caractéristiques biologiques ne permette de l’expliquer. Deux des espèces éteintes de pigeons les plus connues – le dodo et le pigeon migrateur américain – avaient très peu en commun.
Le dodo (Raphus cucullatus) était condamné pour les raisons habituelles : insulaire, incapable de voler, il constituait une proie facile pour les marins, les colons et les espèces invasives qui les accompagnaient (cochons, chats, chiens, rats). Il s’agit, pourrait-on dire, d’une extinction banale, comme il s’en est produit tant au cours de l’expansion coloniale et de la migration humaine vers les îles océaniques. Le dernier dodo a probablement été aperçu à la fin du XVIIe siècle, et tout ce qu’il en reste, à part de nombreuses illustrations et descriptions d’une précision douteuse, ce sont quelques fragments de peau et d’os et une tête au muséum d’histoire naturelle d’Oxford.
Le pigeon migrateur américain ou ectopiste voyageur (Ectopistes migratorius), en revanche, semble avoir été l’une des espèces d’oiseaux les plus abondantes qui aient jamais existé : il se déplaçait en vastes volées au-dessus de l’Amérique du Nord et nichait en colonies sur des dizaines de kilomètres. Ses habitudes et ses caractéristiques ont été décrites, comme celles de la plupart des autres oiseaux d’Amérique du Nord, dans les années 1830 par l’ornithologue Jean-Jacques Audubon, et on en sait beaucoup plus sur lui que sur la plupart de ses congénères disparus. Des parties de chasse organisées sur le passage des pigeons les faisaient exploser en vol à leur arrivée sur leurs lieux de nidification. La ressource semblait inépuisable, mais, à un moment donné dans les années 1870, leur nombre chuta en dessous d’un point critique que les biologistes de la conservation d’aujourd’hui appellent le seuil de viabilité démographique. Les chasseurs avaient cessé à ce stade de s’y intéresser (tirer sur des oiseaux isolés était nettement moins palpitant que de les abattre en masse), mais l’ectopiste voyageur ne parvint pas à se rétablir et s’éteignit vers 1900 (le dernier spécimen observé dans la nature fut abattu en mars de cette année-là). Bien que les pigeons migrateurs aient été plus nombreux dans leurs dernières décennies d’existence que ne l’ont jamais été les dodos, quelque chose dans l’histoire de leur évolution semblait exiger qu’ils vivent en grands groupes ou pas du tout.
Le livre de Fuller ne fait pas un inventaire exhaustif de tous les espèces d’oiseaux éteintes. Elles sont sans doute beaucoup plus nombreuses à avoir disparu au cours des quatre derniers siècles, en particulier dans les îles océaniques, sans laisser de trace probante de leur existence. Pour les seuls perroquets, Fuller énumère 14 « espèces hypothétiques » pour lesquelles il n’existe aucun élément fiable, si ce n’est des récits succincts ou ambigus de voyageurs (selon le code international de nomenclature, une espèce n’en est une que si un spécimen de référence a été déposé dans un muséum), et il existe de nombreuses autres espèces mystérieuses, comme le supposé dodo blanc de la Réunion. Et d’autres oiseaux ont sans aucun doute succombé à une chasse intensive avant 1600. Il y avait par exemple en Nouvelle-Zélande de 12 à 20 espèces de moas ou dinornithiformes – des parents géants de l’autruche et de l’émeu – qui ont toutes disparu à une rapidité étonnante après l’arrivée des ancêtres des Maoris, au XIIIe siècle. Les archéologues ont retrouvé quantité d’ossements de moas datés de périodes relativement rapprochées, ce qui laisse supposer que la ressource s’est rapidement épuisée. Ces oiseaux de grande taille mettaient de nombreuses années à devenir adultes et pondaient en petite quantité ; il semble qu’ils soient vite tombés en deçà du seuil de viabilité démographique. Deux ou trois espèces de moas étaient encore en vie lorsque les premiers Européens sont arrivés en Nouvelle-Zélande, en 1642, mais elles n’ont pas tardé à s’éteindre.
Comme le montre le sort des moas, une population humaine n’excédant pas quelques centaines ou milliers d’individus peut rapidement anéantir, sans même disposer d’armes à feu, toute une série d’espèces vivant sur des terrains accidentés, boisés et généralement inhospitaliers. Cette guerre éclair a des parallèles bien plus anciens dans l’histoire des migrations humaines, notamment en Australie et dans les Amériques. Si le changement climatique a pu jouer un rôle, tout porte à croire aujourd’hui que beaucoup d’espèces d’oiseaux et de mammifères de grande taille (ce qu’on appelle la mégafaune du pléistocène) ont disparu peu après l’arrivée des humains – il y a environ 46 000 ans en Australie et 14 000 ans dans les Amériques. Parmi les autres espèces australiennes éteintes figure un parent du moa, Genyornis, l’un des plus grands oiseaux ayant jamais vécu.
Ces extinctions préhistoriques laissent leurs fantômes : les étranges arbustes divariqués de Nouvelle-Zélande, dont les feuilles se cachent derrière un couvert de rameaux – apparemment pour éviter de se faire brouter par les moas –, ou les grosses graines de certaines espèces d’arbres des forêts d’Amérique centrale, autrefois transportées vers de nouveaux sites dans la panse des mégaherbivores et aujourd’hui trop lourdes pour être dispersées. Les fantômes écologiques abondent également à Hawaii, d’où 40 espèces endémiques d’oiseaux ont disparu et où beaucoup d’autres sont en danger d’extinction. Ce petit archipel représente à lui seul près de la moitié des extinctions recensées dans le livre de Fuller. Une famille d’oiseaux, les drépanidinés de Hawaii, comptait à l’origine au moins 41 espèces ; aujourd’hui, treize d’entre elles, peut-être plus, sont éteintes, et, parmi les autres, seules trois ne sont pas en danger. Avec de telles disparitions, des écosystèmes entiers perdent leur cohérence et sont encore plus exposés à l’invasion d’espèces exotiques.
En milieu terrestre, l’extinction provoquée par l’homme s’est déroulée en trois phases. Il y a eu d’abord les extinctions de la mégafaune consécutives aux migrations humaines vers des continents auparavant inhabités ; puis les extinctions insulaires et les extinctions par surexploitation (qui constituent le gros de celles que décrit l’ouvrage) ; et, enfin, les extinctions à l’échelle des continents et de la planète que nous sommes en passe d’infliger du fait de la destruction et de la fragmentation des habitats, de l’introduction d’espèces et du changement climatique, faisant subir au monde entier ce qu’a connu Hawaii.
En milieu marin, de nouveaux éléments indiquent que la surexploitation remanie profondément le vivant depuis des siècles, voire des millénaires, de sorte que nulle part dans le monde les eaux côtières ne ressemblent à ce qu’elles étaient avant l’arrivée des humains. Peu de biologistes doutent aujourd’hui qu’une nouvelle extinction massive soit en cours, qui entraînera la disparition d’une grande partie des espèces de l’écosystème mondial. Le taux d’extinction est estimé à plus de cent fois le taux naturel d’extinction, calculé à partir des données paléontologiques, lesquelles montrent, de façon grossière, que la durée d’existence moyenne d’une espèce est comprise entre cinq et dix millions d’années.
Des extinctions massives se sont déjà produites par le passé et constituent certains des principaux jalons de l’histoire géologique et évolutive de la Terre. Ce qui distingue l’extinction massive d’aujourd’hui, c’est qu’elle est clairement provoquée par une seule espèce. Les cinq précédentes, pour autant qu’on puisse en juger, ont toutes été causées par des événements physiques, le plus célèbre étant l’impact d’une énorme météorite au Mexique il y a 65 millions d’années, qui a induit un changement climatique immédiat, scellant le sort des dinosaures et de bien d’autres organismes vivants. Les écologues, qui se soucient de plus en plus de maintenir la faune et la flore dans des paysages aménagés par l’homme, doivent à présent faire face aux effets réels et prévus du changement climatique, qui pourrait déplacer les zones de préférence écologique d’espèces et d’écosystèmes entiers de plusieurs centaines de kilomètres ou les faire tout bonnement disparaître. Dans ces conditions, leurs efforts de préservation ne donneront guère de résultats.
— Andrew Sugden est rédacteur en chef adjoint de la revue Science.
— Cet article est paru dans la London Review of Books le 23 août 2001. Il a été traduit par Catherine Mantoux.
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WP_Post Object ( [ID] => 86396 [post_author] => 8 [post_date] => 2020-07-02 07:00:00 [post_date_gmt] => 2020-07-02 07:00:00 [post_content] =>Il y a 500 millions d’années, après que l’explosion cambrienne eut créé une quantité impressionnante de nouvelles espèces, il n’y avait toujours pas de vie sur la terre ferme. Pas de vie complexe en tout cas. Pas de plantes, pas d’animaux, rien de comparable à la grande diversité de la vie dans les océans, qui grouillaient de trilobites, de crustacés, de vers velus et de mollusques dans le genre du calmar. La plupart des grands groupes d’espèces animales qui existent aujourd’hui ont pris naissance dans la mer à cette époque.
C’est à présent le milieu terrestre qui compte un nombre étourdissant d’espèces. En particulier des plantes à fleurs, des champignons et des insectes, tant de satanés insectes. Selon une estimation, on recense aujourd’hui cinq fois plus d’espèces terrestres que d’espèces marines. Mais comment se fait-il que la biodiversité des mers et les océans – qui avaient une longueur d’avance et représentent la majeure partie de la surface de la planète – ait été reléguée si loin derrière celle de la terre ? La question intrigue depuis longtemps les biologistes. Robert May, écologue à l’université d’Oxford, est le premier à avoir couché cette énigme par écrit dans un article de 1994 intitulé « Biodiversité : différences entre terre et mer » 1.
Vingt-cinq ans plus tard, la question reste entière, alors même que nous avons progressé dans l’exploration des grands fonds océaniques. Les chercheurs estiment aujourd’hui que 80 % des espèces évoluent sur la terre ferme, 15 % en milieu marin et les 5 % restants dans l’eau douce. De leur point de vue, cet écart n’est pas entièrement dû au fait que le milieu terrestre a été plus amplement étudié.
« Il y a certes des tas et des tas d’espèces dans les océans, mais il en faudrait un sacré paquet pour combler la différence », estime Geerat Vermeij, un chercheur en écologie et paléoécologie marine qui s’est penché sur le sujet avec Rick Grosberg, un de ses collègues de l’Université de Californie à Davis. Ce manque apparent de biodiversité dans les océans ne dérive donc pas seulement, affirment Vermeij et Grosberg, de notre tendance à privilégier le milieu terrestre dans lequel nous évoluons – une déformation dont ils ne sont que trop conscients en tant qu’océanologues.
Alors quelle est donc cette spécificité des écosystèmes terrestres qui fait qu’ils favorisent la biodiversité ? Robert May et d’autres chercheurs avancent comme raison possible l’agencement physique des habitats terrestres, qui sont à la fois plus fragmentés et plus diversifiés. Par exemple, comme Charles Darwin l’a bien montré pour les Galápagos, les îles sont des foyers de diversification. Au fil du temps, du fait de la sélection naturelle ou même du hasard, deux populations différentes d’une même espèce présentes sur deux îles peuvent devenir deux espèces.
Les océans, en revanche, sont des grandes masses d’eau communicantes, dotées de moins de barrières physiques susceptibles d’isoler les populations. Et ils enregistrent moins de ces températures extrêmes qui favorisent la diversification en milieu terrestre.
La terre ferme possède aussi une « architecture complexe », pour reprendre l’expression de May. Les forêts, par exemple, ont recouvert une grande partie de la surface terrestre, et les feuilles et les pousses des arbres créent de nouvelles niches écologiques que les différentes espèces peuvent exploiter. Les coraux font de même dans les océans, bien sûr, mais ils ne recouvrent pas une aussi grande partie des fonds marins.
Les plantes jouent de toute évidence un rôle primordial. Le point de bascule, ce moment où la vie a cessé d’être essentiellement marine pour devenir terrestre, s’est produit il y a environ 125 millions d’années, pendant le crétacé, période où les premières plantes à fleurs ont évolué pour connaître un succès extraordinaire sur terre. Les végétaux ont besoin de la lumière du soleil pour la photosynthèse ; or il y en a peu dans les océans, en dehors des zones côtières peu profondes : la terre est de ce fait plus prolifique que les profondeurs froides et sombres de la mer. « Les grands fonds sont comme un immense réfrigérateur dont la porte est restée longtemps fermée », explique Mark Costello, professeur de biologie marine à l’Université du Nord, en Norvège, qui a récemment publié un inventaire de la biodiversité marine.
Fait intéressant, souligne Mark Costello, l’accroissement de la biodiversité sur la terre ferme après la diversification des plantes à fleurs semble également avoir contribué à accroître celle des écosystèmes marins. Le pollen, par exemple, peut être une source importante de nourriture sur le plancher océanique. Des chercheurs ont récemment décelé dans le Pacifique, à 10 000 mètres de profondeur, du pollen provenant probablement de plantations de pins en Nouvelle-Zélande.
La diversification des plantes à fleurs tient aussi au fait qu’elles ont évolué avec les insectes. Certaines plantes ont développé au fil du temps des fleurs à longs tubes que seules pouvaient atteindre les abeilles à longue langue qui les butinent. « Entre les plantes et les insectes, ça a été la grande course », résume Costello. Cette coévolution a contribué à créer un nombre stupéfiant d’espèces. La grande majorité des plantes sont des plantes à fleurs, et la grande majorité des animaux sont des insectes. On estime que ces derniers représentent 80 % des espèces de la planète.
Mais les insectes, à qui le milieu terrestre réussit si bien, sont quasi absents des océans. Geerat Vermeij et Rick Grosberg attribuent cela aux différences de propriétés entre l’air et l’eau. Les petits organismes comme les insectes ont plus de mal à se déplacer dans l’eau parce qu’elle est beaucoup plus dense que l’air. Les phéromones et les informations visuelles ne voyagent pas aussi bien dans l’eau, ce qui limite le rôle de la sélection sexuelle comme moteur de la diversification. La sélection sexuelle développe des caractères qui peuvent ne pas sembler avantageux mais sont appréciés des partenaires potentiels ; la queue du paon en est un exemple classique.
En s’appuyant sur les travaux du biologiste marin Richard Strathmann, Geerat Vermeij et Rick Grosberg tentent également de comprendre pourquoi une relation comme celle qui unit plantes à fleurs et insectes ne pourrait pas exister en milieu marin. L’eau de mer regorge de sources d’alimentation possibles, comme le zooplancton. En allant d’une hypothétique fleur de mer à une autre, un organisme marin trouverait en chemin largement de quoi se nourrir dans l’eau. Alors pourquoi se donner le mal de nager jusqu’à une autre fleur ? En revanche, quand un insecte vole d’une fleur à l’autre pour s’alimenter de nectar, il ne fait que passer, car il n’y a pas de nourriture en suspension dans l’air. Et cela a des conséquences sur l’évolution : une hypothétique fleur de mer devrait offrir beaucoup plus de nectar pour attirer les pollinisateurs qui se nourrissent paresseusement de nourriture flottante ; cela n’en vaut donc pas la peine.
Comme tout ce qui a trait à l’histoire de la vie sur notre planète, il n’est matériellement pas possible de mener une expérience qui prouverait l’une ou l’autre de ces hypothèses. On ne peut qu’échafauder des théories. Lorsque May se demandait dans son article de 1994 pourquoi la biodiversité était tellement plus terrestre que marine, il avançait certaines de ces explications, tout en admettant : « Il s’agit moins de réponses que d’une liste de questions. » Nous en sommes toujours là.
— Sarah Zhang est journaliste au magazine américain The Atlantic, où elle couvre les sujets science et santé.
— Cet article est paru dans The Atlantic le 12 juillet 2017. Il a été traduit par Nicolas Saintonge.
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WP_Post Object ( [ID] => 86420 [post_author] => 8 [post_date] => 2020-07-02 07:00:00 [post_date_gmt] => 2020-07-02 07:00:00 [post_content] =>Dans son nouveau livre Never Home Alone, l’écologue américain Rob Dunn nous ouvre les yeux sur la vie foisonnante avec laquelle nous cohabitons. Avec ses collègues, il a recensé quelque 200 000 espèces, dont les trois quarts sont des bactéries, présentes sur notre corps, dans la poussière, l’eau et la nourriture. « Les mammifères sont recouverts d’une couche épaisse de bactéries, il n’y a rien de plus normal. Nous ne sommes jamais vraiment nus, et il en va de même pour toutes les surfaces de la maison », écrit Dunn. Parmi les autres espèces, on trouve surtout des champignons, mais aussi des arthropodes (insectes, etc.), des plantes et autres organismes. Et encore, les virus ne sont pas comptabilisés.
Dunn décrit l’incroyable diversité que peut receler le « biofilm » d’un pommeau de douche : « En ce moment même, dans votre pommeau de douche […], de minuscules “piques” [des bactéries prédatrices] s’accrochent à d’autres bactéries, percent un orifice dans leurs flancs et libèrent des produits chimiques qui les digèrent. Le biofilm d’un pommeau de douche contient également des protistes qui dévorent les “piques” et même des nématodes qui mangent les protistes, ainsi que les champignons qui font leur popote fongique. Voilà tout ce qui se jette sur vous lorsque vous prenez un bain ou une douche. » Dans le moindre recoin de la maison, Dunn et son équipe ont trouvé une vie foisonnante. Même les carreaux de plâtre tout juste sortis de l’usine sont truffés de champignons.
Pourquoi avons-nous occulté toute cette vie ? Entre autres parce qu’il s’agit en grande partie d’organismes microscopiques et qu’il a fallu les progrès de l’analyse de l’ADN pour prendre conscience de leur diversité. Mais il y a une raison plus profonde, c’est que les biologistes ne s’intéressent pas beaucoup à ce qui se trouve sous leur nez chez eux – ou alors ils supposent que quelqu’un s’y est déjà intéressé et préfèrent des terrains plus exotiques.
Passant à l’échelle macroscopique, Dunn consacre un chapitre au grillon des cavernes, un habitant des grottes déjà représenté sur les gravures rupestres et qui se plaît aujourd’hui dans les maisons d’Amérique du Nord. La blatte germanique, qui prospère, a droit à un chapitre entier, de même que les chiens et les chats, ces derniers étant visiblement les plus problématiques. Ils sont en effet porteurs de Toxoplasma gondii, l’espèce de parasite qui fait adopter aux souris un comportement suicidaire en présence d’un félin et qui pourrait bien agir également sur le comportement humain 1.Vous serez peut-être tenté d’aller chercher de l’eau de Javel, des pesticides et des antibactériens censés tuer « 99 % des germes ». N’en faites rien, surtout. D’abord, si cela peut vous rassurer, parmi ces milliers d’espèces, seule une cinquantaine de bactéries représente un danger pour la santé humaine. Même en comptant les virus, le nombre reste inférieur à cent. Le propos de Dunn est que la biodiversité de nos foyers nous est en réalité extrêmement bénéfique – c’est l’absence de biodiversité qui est néfaste. En devenant des Homo interiorus (selon l’expression de Dunn) qui vivent dans des intérieurs immaculés à l’abri du monde extérieur, nous avons développé toute une série de troubles tels que l’asthme et les allergies, qui étaient autrefois rares et sont aujourd’hui courants, probablement à cause du milieu relativement stérile dans lequel nous vivons.
Certaines espèces qui grouillent autour de nous peuvent servir à produire de nouveaux médicaments et de nouvelles enzymes ou nous aider à éliminer une partie de nos déchets. Mais la fonction la plus importante de cette biodiversité est peut-être de combattre naturellement les agents pathogènes et les parasites. Quand nous cherchons à stériliser notre environnement, cette neutralisation ne se fait plus. En l’absence de concurrence, les agents pathogènes les plus résistants ont le champ libre. Tenter de les exterminer a pour effet de favoriser les mutations, ce qui crée des espèces de plus en plus robustes – comme le montre l’apparition de bactéries résistantes aux antibiotiques –, et la bataille devient impossible à gagner. Si nous persistons dans cette voie, nous courons à la catastrophe. Les effets de notre guerre malavisée contre la biodiversité domestique se font déjà sentir.
— Nigel Andrew est professeur d’entomologie à l’Université de Nouvelle-Angleterre, en Australie.
— Cet article est paru dans le numéro d’août 2019 de la Literary Review. Il a été traduit par Nicolas Saintonge.
[post_title] => Nous vivons entourés de microbes et de bactéries [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => vivons-entoures-microbes-bacteries [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2020-07-20 20:09:22 [post_modified_gmt] => 2020-07-20 20:09:22 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=86420 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
WP_Post Object ( [ID] => 86430 [post_author] => 8 [post_date] => 2020-07-02 07:00:00 [post_date_gmt] => 2020-07-02 07:00:00 [post_content] =>Un matin du printemps 2014, en consultant mes courriels, je suis tombé sur une photo du paléontologue Diego Pol. Il faisait semblant de dormir allongé sur un fémur de dinosaure de la taille d’un canapé. Ce scientifique argentin charismatique et facétieux venait de faire une découverte spectaculaire.
Au cours de fouilles en Patagonie, son équipe avait mis au jour un mastodonte : un sauropode herbivore dont on a estimé la longueur à 40 mètres, la hauteur à 20 mètres et le poids à 85 tonnes, soit l’équivalent de 14 éléphants d’Afrique adultes. Il surpassait le célèbre Argentinosaurus, un autre sauropode de Patagonie qui détenait jusque-là le titre du plus grand dinosaure du monde.
Quelques mois plus tard est venu s’ajouter un fossile du même acabit. En septembre, une équipe internationale dirigée par des chercheurs de l’université Drexel, à Philadelphie, annonçait la découverte en Patagonie d’un nouveau titanosaure baptisé Dreadnoughtus [en référence au dreadnought, un type de cuirassé], d’une longueur estimée à 25 mètres pour un poids de 65 tonnes.
Ce même mois de septembre, une équipe travaillant au Maroc décrivait la découverte des restes d’un Spinosaurus, un grand dinosaure carnivore vieux d’environ 100 millions d’années. Décrit pour la première fois en 1915, Spinosaurus a un squelette et un crâne qui suggèrent une adaptation très inhabituelle à un mode de vie semi-aquatique, un peu comme un crocodile mais en beaucoup plus grand. Il mesurait 15 mètres, soit 3 de plus que ce célèbre prédateur géant qu’est Tyrannosaurus rex.
Les nouvelles découvertes s’accumulent comme des records olympiques. Nous sommes à l’ère des microprocesseurs et de l’exploration de la planète Mars, et pourtant certaines de nos découvertes scientifiques les plus passionnantes et les plus extraordinaires sont des espèces disparues dans les archives fossiles de la Terre. Ces espèces livrent des informations précieuses sur l’histoire de l’évolution que l’on ne pourrait tirer de l’étude d’organismes vivants. Des fossiles récemment mis au jour de poissons de 385 millions d’années qui avaient conservé leurs membres souples apportent la preuve du passage du milieu marin au milieu terrestre. De multiples fossiles d’animaux et de plantes montrent que, il y a environ 100 millions d’années, l’Antarctique était une serre, avec des forêts luxuriantes baignant dans la chaleur.
Ces preuves qui s’accumulent rapidement nous donnent également une idée beaucoup plus précise de ce qui s’est produit lors des grandes extinctions massives du passé, qui ont chacune anéanti de 50 à 90 % des espèces. Sans les fossiles, nous ne pourrions pas comprendre que l’extinction fait partie intégrante de l’évolution du vivant et qu’elle est en même temps une réalité matérielle – à ce stade de l’histoire de l’humanité, à mille lieues des préoccupations scientifiques.
Les 1,8 million d’espèces d’organismes vivants décrites à ce jour ne représentent qu’une part infime de la vie sur Terre. Grâce aux données livrées par les fossiles, si incomplètes soient-elles, nous pouvons estimer que plus de 99 % des espèces ayant un jour existé ont disparu. Au fond, notre vision de l’avenir de l’évolution est inscrite dans le passé.
Quand j’ai fait part à des camarades de fac, il y a des années, de mon intention de m’orienter vers la paléontologie, ils se sont demandé pourquoi j’avais envie de me consacrer à une discipline aussi ennuyeuse qu’hermétique. Il est vrai que le travail de terrain n’est pas forcément glamour. La recherche de sauropodes et d’autres grands dinosaures conduit les paléontologues sur les terres arides de la Patagonie, de l’ouest de l’Amérique du Nord, de la Chine, de la Mongolie et de l’Afrique du Sud. En été, les températures dépassent facilement les 38 °C. Il n’y a pratiquement pas d’ombre ; le vent hurle sans relâche. Même avec une équipe, la prospection est souvent un travail solitaire, qui implique de zigzaguer pendant des kilomètres dans des lits de cours d’eau asséchés et dans des canyons balayés par le vent.
Une grande découverte est excitante, mais la paléontologie n’est pas une aventure à la Indiana Jones, c’est une activité scientifique, une affaire sérieuse. Ces découvertes, bien sûr, font progresser notre discipline, mais les grandes extinctions massives sont aussi riches d’enseignements et d’informations sur la décimation des espèces et des habitats à laquelle nous assistons aujourd’hui. Les chercheurs estiment que la destruction actuelle des milieux naturels et les perturbations induites par le changement climatique pourraient provoquer la disparition de 20 à 50 % des espèces vivantes d’ici la fin du siècle.
Les données livrées par les fossiles nous apprennent que les extinctions massives ont été si dévastatrices qu’il a fallu des centaines de milliers, voire des millions d’années pour que les quelques espèces rescapées se diversifient et prospèrent à nouveau et que les écosystèmes se rétablissent. Autrement dit, le passé nous enseigne que nous sommes dans une phase véritablement dramatique de l’histoire de la planète qui pourrait avoir des répercussions sur une bonne partie du vivant, y compris notre espèce.
Les sauropodes constituaient un groupe dominant de l’un de ces anciens règnes biologiques qui ont prospéré pendant le mésozoïque, une ère lointaine qui a commencé il y a 250 millions d’années et s’est terminée il y a 65 millions d’années par un cataclysme dû à un astéroïde. Ils sont les seuls animaux sur Terre, avec les plus grandes baleines, à avoir jamais dépassé la barre des 50 tonnes.
Mais le gabarit n’est pas tout. Parmi les dinosaures les plus importants d’un point de vue scientifique figurent des fossiles moins imposants, de la taille d’une autruche, qui indiquent que les oiseaux actuels sont une branche évolutive des dinosaures. Ces théropodes – un groupe diversifié qui comprend le vélociraptor, le sinistre prédateur du film Jurassic Park – nous montrent que le geai bleu des jardins des banlieues américaines est un descendant de l’énorme Tyrannosaurus et de ses cousins.
L’accumulation des preuves de cette transition est l’une des grandes réussites de la paléontologie, et une bonne part de ces éléments n’a été découverte que récemment. Les lits de lacs fossiles du nord de la Chine conservent de magnifiques échantillons de ces dinosaures de transition, dont beaucoup sont dotés de fines empreintes de plumes. Grâce à des techniques d’imagerie modernes comme la tomodensitométrie, la reconstruction et l’animation 3D ainsi que la microphotographie de tissus osseux, les paléontologues sont désormais en mesure d’extraire des informations qui nous permettent de mieux appréhender les dinosaures en tant qu’animaux vivants : leurs modes de déplacement, le rythme de croissance et parfois même leur couleur.
Nous ne devons certainement pas cette série de découvertes paléontologiques à un afflux de financements ; les postes de chercheur sont rares dans ce domaine. Mais la discipline s’internationalise, et de plus en plus de personnes sont formées et travaillent dans leur pays. En outre, les changements de régime ouvrent parfois des perspectives : ainsi, l’effondrement imminent de l’Union soviétique nous a ouvert, en 1990, le pays des merveilles fossiles du désert de Gobi, en Mongolie, un terrain qui était resté inaccessible aux chercheurs occidentaux pendant plus de soixante ans.
C'est là, dans le cadre de l’expédition scientifique conjointe du Muséum américain d’histoire naturelle et de l’Académie des sciences de Mongolie, que j’ai dirigée avec Mark A. Norell, que nous avons découvert en 1993 un site extraordinairement riche. L’un de nos véhicules s’était enlisé dans le sable. Pendant que les chauffeurs le dégageaient, nous avons décidé d’explorer brièvement des falaises toutes proches que nous avions laissées de côté lors de nos deux saisons de fouilles précédentes.
En l’espace d’une matinée, nous avons compris que nous étions tombés sur un trésor : des dizaines de squelettes de dinosaures, une multitude de squelettes fragiles de mammifères et de lézards, des nids avec des œufs contenant des embryons et des dinosaures en train de faire leur nid étaient éparpillés sur le sol d’un amphithéâtre rocheux pas beaucoup plus grand qu’un terrain de base-ball. Les oviraptors que nous avons trouvés blottis sur une couvée d’œufs ont été les premières preuves tangibles de ce qui n’était jusqu’alors qu’une hypothèse : les soins parentaux existaient chez les dinosaures.
Les fossiles du désert de Gobi ainsi que des couches de terrain du nord de la Chine recèlent également d’extraordinaires échantillons de minuscules mammifères ressemblant à des musaraignes qui donnent des pistes sur les origines du groupe moderne de mammifères auquel nous appartenons. Les découvertes se poursuivent, notamment celle, à Madagascar, d’un crâne remarquablement préservé d’un mammifère ressemblant à une marmotte, âgé de 70 millions d’années.
Depuis 2000, nous avons identifié cinq types d’hominidés primitifs, nos proches parents préhistoriques. Et si vous pensez que les fossiles ne livrent que des informations sur des évolutions survenues il y a plusieurs millions d’années, détrompez-vous. Pas plus tard qu’il y a 50 000 ans – une fraction de seconde à l’échelle du temps long de la paléontologie –, au moins trois et peut-être quatre espèces de la lignée humaine cohabitaient sur notre planète. Pourtant, dans ce court intervalle de temps, il n’y a que la nôtre qui ait passé avec succès le crible de l’évolution.
Comme toujours lorsqu’on repousse les frontières du savoir, des problèmes se posent et des perspectives s’ouvrent. Certaines régions du monde comme l’Afrique du Nord détiennent peut-être la clé pour comprendre l’évolution des principaux groupes d’animaux, mais elles sont encore insuffisamment explorées. Si certaines zones deviennent accessibles à la faveur des évolutions politiques, d’autres cessent de l’être quand y éclatent des conflits. Le pillage de fossiles est monnaie courante dans de nombreuses régions, et il faut y mettre fin avant que cela n’empêche l’avancée des connaissances.
Il est d’autant plus important de résoudre ces problèmes que l’on sait ce que la science paléontologique apporte au savoir humain. L’étude des seules espèces vivantes n’aurait pas permis de deviner l’existence de libellules grosses comme des mouettes ou de dinosaures de la taille de grandes baleines capables de vivre sur la terre ferme. De telles découvertes fournissent des indications précieuses sur la capacité des organismes à évoluer, à s’adapter et à survivre. Après tout, les sauropodes se sont maintenus pendant environ 150 millions d’années. Ce n’est pas ce qu’on appelle une expérience d’évolution ratée.
— Michael J. Novacek est un paléontologue américain.
— Cet article est paru dans The New York Times le 8 novembre 2014. Il a été traduit par Catherine Mantoux.
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WP_Post Object ( [ID] => 87131 [post_author] => 7 [post_date] => 2020-06-30 16:13:09 [post_date_gmt] => 2020-06-30 16:13:09 [post_content] =>« La critique littéraire est une activité à risque », estime la sociologue Phillipa Chong. Elle parle en connaissance de cause, puisqu’elle a enquêté auprès de quarante critiques qui publient dans de grands quotidiens américains comme The New York Times ou The Washington Post. Elle les a interrogés sur l’origine de leur vocation, leur vision du rôle de la critique et leur éthique professionnelle.
Dans Inside the Critics’ Circle, Chong met en évidence la spécificité de la critique en littérature : s’il est rare que les critiques de cinéma soient aussi metteurs en scène ou que les critiques gastronomiques soient de grands chefs étoilés, les critiques littéraires sont, pour la plupart, également écrivains. Autrement dit, ils jouent dans la même catégorie que ceux qu’ils évaluent, et cela influe sur leur travail : « Ils s’inquiètent des répercussions que pourraient avoir leurs recensions sur leur position au sein du milieu littéraire et sur la façon dont leurs livres seront à leur tour chroniqués. Selon Chong, cela les incite à jouer la prudence », note David Gelber dans The Literary Review. Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse, voilà, semble-t-il, l’une des règles d’or de la profession.
Une autre est de « ne cogner que dans la catégorie supérieure » – être clément envers les primo-romanciers, mais ne pas hésiter à tirer à boulets rouges sur Stephen King ou Ian McEwan. La réception critique d’Inside the Critics’ Circle, toutefois, contredit quelque peu les thèses de son auteure. Bien qu’il s’agisse d’un premier livre, certains commentateurs ne mâchent pas leurs mots. À l’instar de Peter Conrad, qui reproche à la sociologue de céder au jargonnage universitaire : « Je n’avais pas réalisé que j’étais censé servir d’“intermédiaire de marché” ou – avec un peu de chance – de “consécrateur culturel” », ironise-t-il dans le quotidien britannique The Guardian. Sam Leith, lui, est même plus sévère : « Chong est juste une écrivaine maladroite », lâche-t-il dans The Times Literary Supplement. Visiblement, la critique de la critique littéraire est, elle aussi, une activité à risque.
À lire aussi dans Books : Les pures raisons de la critique, novembre 2015.
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WP_Post Object ( [ID] => 86187 [post_author] => 7 [post_date] => 2020-06-23 20:40:57 [post_date_gmt] => 2020-06-23 20:40:57 [post_content] =>En nommant et en classifiant la faune et la flore, Carl Von Linné a jeté les bases de la taxonomie mais aussi de la « préférence nationale ». Les travaux du naturaliste suédois du XVIIIe siècle représentent un tournant dans l’histoire du concept de migration. En associant chaque espèce à un lieu, sa classification rend toute relocalisation synonyme d’invasion, assure la journaliste scientifique Sonia Shah.
Pourquoi les humains migrent-ils ?
Dans The Next Great Migration, elle examine « ces questions qui façonnent notre géopolitique : pourquoi les êtres humains migrent-ils ? Et ces mouvements de population sont-ils bénéfiques pour les communautés et nations établies ? », précise Tim Adams dans l’hebdomadaire britannique The Observer. « Elle n’y apporte pas de réponse toute faite, mais elle explique que notre biologie et notre histoire esquissent un scénario bien différent de celui que véhiculent les responsables politiques. »
L’espèce humaine se déplace depuis l’« Ève mitochondriale », l’ancêtre matrilinéaire commun à toute l’humanité, précise Shah. L’idée que la migration est une force déstabilisatrice, elle, est récente. Et si la science, avec Linné notamment, a corroboré ce point de vue, elle a aussi emprunté un chemin parallèle. De Buffon (qui n’était pas non plus tout à fait imperméable aux préjugés racistes) à Darwin, de nombreux savants ont donné une vision plus positive et naturelle des déplacements de population.
Migration n'est pas synonyme d'invasion
Shah ouvre ainsi son livre sur une série d’observations de la nature, suivant notamment une espèce de papillons qui sur la côte ouest des États-Unis progresse vers le nord au rythme de 20 kilomètres par décennie à la recherche d’un habitat plus tempéré. « Comme le rappelle l’autrice, seule une infime proportion d'espèces migrantes en délogent d’autres, ce qui n’a rien d’incongru si l’on en croit les théories de la sélection naturelle de Darwin », souligne la Kirkus Review.
Le professeur d’ornithologie Richard O. Prum regrette cependant dans The New York Times que Shah « fasse des raccourcis, dont certains fragilisent son raisonnement ». Elle mélange ainsi divers types de migrations de la faune et de la flore, déplacements liés au cycle de reproduction annuel, expansion historique, relocalisation sous la pression du changement climatique…
À lire aussi dans Books : Nous sommes tous façonnés par les migrations, octobre 2019.
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WP_Post Object ( [ID] => 85615 [post_author] => 7 [post_date] => 2020-06-16 15:31:57 [post_date_gmt] => 2020-06-16 15:31:57 [post_content] =>Au Chili, la poésie est en quelque sorte le sport national. « Nous sommes double champions du monde de poésie », s’enorgueillit d’ailleurs l’un des personnages de Poeta chileno, le nouveau roman d’Alejandro Zambra. L’écrivain chilien fait par là allusion à Gabriela Mistral et Pablo Neruda, grands noms de la poésie chilienne, tous deux lauréats du prix Nobel de littérature. Poeta chileno retrace le parcours initiatique de Gonzalo, un jeune homme qui aspire avec plus ou moins de bonheur à devenir poète. Tout en interrogeant les ressorts de la vocation littéraire, Alejandro Zambra, comme dans Bonsaï (Rivages, 2015) ou Mes documents (Rivages, 2015), « décortique au fil des pages ce que cela signifie, d’appartenir à la classe moyenne », pointe Joyce Ventura dans le quotidien chilien La Tercera.
Le Chili, double champion du monde de poésie
Alors qu’il s’efforce de se faire une place au sein de l’avant-garde littéraire chilienne, Gonzalo renoue avec Carla, son amour de jeunesse, désormais mère d’un petit garçon de six ans. Et que ce soit en tant que beau-père ou en tant que poète, le jeune homme a bien du mal à se sentir légitime. « Poeta chileno traite du besoin d’appartenance et de ses paradoxes : appartenir à une famille, à un groupe, à une corporation ou à un pays. Toutes ces formes de communautés que nous recherchons et détestons en même temps », analyse Antonia Torres Agüero dans le quotidien chilien en ligne El Mostrador.
Les prétentions du poète
Si Gonzalo abandonnera finalement ses prétentions littéraires (son seul et unique recueil de poèmes, ironiquement titré « Le parc du souvenir », n’a pas marqué les mémoires), l’enfant qu’il a élevé, Vicente, deviendra, lui, un poète reconnu. Zambra dépeint non sans malice le cercle intellectuel dans lequel évolue son protagoniste, mêlant aux personnages de fiction certaines sommités de la poésie chilienne, comme Nicanor Parra ou Raúl Zurita. Le romancier entend ainsi démystifier la figure du poète : « Je voulais écrire un roman sur la poésie qui ne soit absolument pas poétique, confie-t-il au quotidien espagnol La Vanguardia. J’ai cherché à mettre par écrit la langue parlée, ce que font beaucoup les Argentins mais que nous, Chiliens, n’osons pas faire ».
À lire aussi dans Books : Nico Bleutge, ou comment être un poète allemand au XXIe siècle, avril 2020.
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L'homme n'aime rien tant que de gesticuler
Notre époque marque l’avènement d’une nouvelle espèce, Homo Agitatus, qui n’aime rien tant que de gesticuler, satisfaire au plus vite ses moindres envies et se repaître de divertissements, explique l’auteur. Pourtant, « la civilisation, c’est l’écart entre un désir et son assouvissement. […] Apprendre à renoncer à la satisfaction immédiate des pulsions est au fondement de la culture », rappelle Jorge Freire dans le magazine El Cultural. Notre frénésie n’est qu’une stratégie d’évitement qui nous permet de nier notre contingence, souligne le philosophe. La récente période de confinement l’a bien montré, nous sommes prêts à tout – suivre des cours de zumba sur YouTube, apprendre à faire nos propres produits cosmétiques, binge-watcher des séries – pour ne pas avoir à réfléchir à notre condition, peu reluisante, de mortels.
L'ennui, antidote à l'agitation
« Le livre ne se contente pas de disséquer la culture de notre époque : après avoir posé le diagnostic, il prescrit des remèdes à nos maux », signale Gonzalo Gragera dans Diario de Sevilla. Et le principal antidote avancé par l’auteur, c’est l’ennui. Plutôt que de le fuir, nous devrions apprendre à l’apprivoiser, seule solution pour être « à l’aise dans nos baskets », explique Freire en interview. « Au lieu de faire une foule de choses, faisons celles qui en valent vraiment la peine », résume Rubén Caravaca Fernández dans le magazine en ligne El Asombrario, saluant un livre qui « montre l’importance de la philosophie à l’heure où l’agitation et la jouissance dominent nos vies ».
À lire aussi dans Books : Comment s’ennuyer intelligemment, mai 2020.
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Dans The Age of Islands, Alastair Bonnett, professeur de géographie sociale à l’Université de Newcastle, recense ces morceaux de terre qui apparaissent ou disparaissent en mer du fait de l’action des éléments ou de l’homme, assurant que leur signification politique, économique, culturelle et militaire n’a peut-être jamais été plus grande qu’aujourd’hui.
Tour du monde des îles artificielles
Son ouvrage ressemble « tour à tour à un atlas et à une excursion », remarque l’écrivain James McConnachie dans l’hebdomadaire britannique The Sunday Times. Bonnett raconte comment des îles de glace sont créées pour accueillir les plateformes pétrolières en Alaska en vaporisant de l’eau de mer, comment en 1794, Leopold III d’Anhalt-Dessau fit construire dans ses jardins en Saxe une île artificielle avec un faux volcan intégré, comment Hulhumalé, une petite île de l’archipel des Maldives, a été agrandie pour accueillir la population de ce minuscule pays surpeuplé et menacé par l’océan.
Mais malgré tout l’enthousiasme de Bonnett pour « l’audace et la créativité » des îles artificielles, malgré toutes les séduisantes petites cartes dessinées à la main pour chacune d’entre elles, la réalité sur le terrain est déprimante, regrette McConnachie. Au Panama, le géographe visite l’archipel de Sans Blas, extrêmement pauvre et voué à disparaître sous l’effet de la montée des eaux, et parcourt aussi de l’autre côté de l’isthme, les îlots Ocean Reef construits dans la baie de la capitale pour héberger de luxueuses résidences privées.
Le béton contre la montée des eaux
Il « passe rapidement sur les problèmes légaux » soulevés par l’artificialisation de la mer de Chine par Pékin aux dépens de ses voisins, regrette le romancier James Hamilton-Patterson dans la Literary Review. Mais il insiste sur la dimension écologique de son sujet relevant cette statistique : en trois ans, entre 2011 et 2013, la Chine a utilisé plus de béton que les États-Unis au cours du XXe siècle tout entier, de nombreuses îles et bancs de sable étant littéralement dévorés pour assouvir cet appétit.
À lire aussi dans Books : Îles fantômes et terres fictives, septembre-octobre 2017.
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WP_Post Object ( [ID] => 84505 [post_author] => 7 [post_date] => 2020-06-04 17:07:44 [post_date_gmt] => 2020-06-04 17:07:44 [post_content] =>Difficile de séparer l’image de Blanche-Neige de la pâle jeune fille présentée dans le film de Disney en 1937. Le dessin-animé a fixé dans l’imaginaire mondial ce personnage et son histoire largement inspirée du texte des frères Grimm, lui-même un composite de contes populaires. « Disney a fabriqué une version standard, ce qu’aucun conte de fée ne devrait jamais avoir, car ces histoires mouvantes, malicieuses, modulables sont faites pour être élaborées et brodées sans fin devenant ainsi différentes à chaque récitation », estime l’auteure jeunesse Lucy Lethbridge dans la Literary Review.
Renverser le standard
Face à ce « standard », Maria Tatar, professeure de littérature spécialiste du folklore et de la mythologie, rassemble 21 variantes de Blanche-Neige, dans The Fairest of them all. « Elle recherche les versions qui ont circulé à travers le globe pendant des siècles, celles où les rois sont remplacés par des sultans, les pommes par des grenades, et les demoiselles au teint blanc par des filles à la peau halée. Elle balaie au passage l’idée qu’il existe une seule façon dont l’histoire de Blanche-Neige devrait se dérouler », précise la critique Kathryn Hughes dans The Guardian.
Toutes les significations du conte
Si ces histoires partagent une trame minimale (la méchante parente jalouse de la beauté de la jeune fille), elles puisent aussi dans différents contes, de « La Belle au bois dormant » à « Boucle d’or », pour renforcer leur puissance dramatique. Mais elles reflètent surtout la société dans laquelle elles sont contées. En Grèce, Maroula est ainsi haïe par Vénus et tirée du coma par ses frères ; au Maroc, les sept goules qui ont recueilli Lalla refusent de la laisser partir quand elle se réveille de son sommeil maléfique : « Maintenant tu n’ouvres la porte à personne. Nous ne pouvons pas nous permettre de te perdre », ordonnent-ils en substance à la jeune fille dès lors destinée à rester leur aide domestique.
Ce décentrement de la perspective permet à Blanche-Neige « d’échapper aux perspectives bourgeoises des psychanalystes freudiens du début du XXe siècle », note Hughes. Quand Blanche-Neige migre vers d’autres cultures, un nouvel ensemble de significations possibles émerge, plus matérielles et temporelles.
À lire aussi dans Books : Les contes cruels des frères Grimm, décembre 2013.
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