WP_Post Object
(
[ID] => 133058
[post_author] => 48457
[post_date] => 2025-11-13 12:00:17
[post_date_gmt] => 2025-11-13 12:00:17
[post_content] =>
En Iran, une dizaine d’intellectuels, auteurs et traducteurs ont été arrêtés en quelques jours : parmi eux figurent les économistes Parviz Sedaghat et Mohammad Maljoo, la sociologue Mahsa Asadollanejad, ainsi que la traductrice Shirin Karimi. Leurs domiciles ont été fouillés, leurs biens saisis, et aucune charge officielle n’a été rendue publique. Des ONG qualifient ces opérations d’« intimidations inadmissibles », voire de « disparitions forcées », et mettent en garde : critiquer les politiques économiques ou sociales en Iran est désormais exposé à des poursuites pénales injustifiées. ActuaLitté.com
Le cinéaste oscarisé Guillermo del Toro a permis de réunir 100 000 $ pour la Library Foundation of Los Angeles lors d’une soirée caritative organisée le 3 octobre au Netflix Tudum Theater. Il a personnellement contribué à hauteur de 50 000 $, doublant les recettes de l’événement. Les fonds soutiendront notamment la reconstruction de la succursale de Los Angeles Public Library à Pacific Palisades, détruite par les incendies de janvier 2025, dans un contexte budgétaire difficile pour les bibliothèques californiennes. ActuaLitté.com
En Suisse, la chapelle Chapelle Saint‑Pierre de Lucerne expose depuis 2023 une « bible queer », conçue par Mentari Baumann et Meinrad Furrer. Cette édition revisite les textes bibliques sous un angle LGBTQIA+ en surimposant commentaires et récits via des calques, affirmant que la Bible recèle des « identités queer ». Elle suscite toutefois des réactions hostiles : vols, tags homophobes et dégradations ont été recensés. ActuaLitté.com
La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné la Turquie pour avoir interdit à des détenus l’accès à certains ouvrages — parmi eux une édition en espagnol de Don Quichotte — faute de justification motivée conforme à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme. Le pays a invoqué des motifs de « sécurité » et de « propagande terroriste », jugés trop vagues par la Cour. L’arrêt du 2 septembre 2025 marque un avertissement sur le contrôle d’accès à la lecture en milieu pénitentiaire. ActuaLitté.com
Les acteurs de la filière du livre en Belgique — éditeurs, libraires, auteurs et bibliothécaires — ont adressé une lettre ouverte à l’exécutif pour lui demander de renoncer à toute augmentation du taux réduit de TVA sur les livres, actuellement à 6 %. Ils estiment qu’une hausse à 9 % pourrait se traduire par une baisse de près de 9 % des ventes, la perte de centaines d’emplois, et menacerait la diversité éditoriale et l’égalité d’accès à la lecture. ActuaLitté.com
À Valence (Drôme), une nouvelle librairie entièrement dédiée au genre « romance » ouvrira entre mi-décembre et début janvier 2026 au 4 rue Saunière. Plans issus de Romance Librairie Café : environ 500 références au lancement, avec une diversification dans la romantasy, le sport, l’univers universitaire, la dimension psychologique ou dramatique. Le lieu de 87 m² inclura un espace café-pâtisserie, assuré par une artisane locale. Les deux associées, novices mais formées en librairie, souhaitent également organiser ateliers, club de lecture et séances d’écriture pour accompagner cette communauté fidèle à la romance. ActuaLitté.com
[post_title] => La revue de presse d'ActuaLitté
[post_excerpt] =>
[post_status] => publish
[comment_status] => open
[ping_status] => open
[post_password] =>
[post_name] => la-revue-de-presse-dactualitte-3
[to_ping] =>
[pinged] =>
[post_modified] => 2025-11-13 12:00:19
[post_modified_gmt] => 2025-11-13 12:00:19
[post_content_filtered] =>
[post_parent] => 0
[guid] => https://www.books.fr/?p=133058
[menu_order] => 0
[post_type] => post
[post_mime_type] =>
[comment_count] => 0
[filter] => raw
)
WP_Post Object
(
[ID] => 133055
[post_author] => 48457
[post_date] => 2025-11-13 11:55:32
[post_date_gmt] => 2025-11-13 11:55:32
[post_content] =>
Intelligence artificielle aidant, la tentation de la fraude a le vent en poupe dans le monde scientifique comme ailleurs. Antérieur aux opportunités offertes par l’IA, le cas évoqué ici est particulièrement éloquent. Il met en effet en cause deux chercheurs en éthique comportementale, Francesca Gino de Harvard et Dan Ariely de Duke, qui s’étaient spécialisés dans l’analyse des comportements malhonnêtes en matière de publication. En 2012 ils ont publié un article fondé sur des expériences censées avoir démontré qu’il existe un moyen simple (vraiment simple, à vrai dire) de réduire la propension à la malhonnêteté : mettre sa signature sur son texte avant de commencer à le rédiger. L’article a rencontré un énorme succès et assuré aux auteurs, déjà connus, une célébrité internationale : « Enthousiasmés, universitaires, hauts fonctionnaires et dirigeants d’entreprise se sont fébrilement emparés de cette idée simple », écrit dans Science Daniele Fanelli, chercheur en sciences sociales à l’université d’Édimbourg. Hélas, les expériences avaient été bidonnées. Il fallut l’obstination des limiers du blog Data Colada, spécialisés dans la détection de la fraude scientifique, pour dévoiler le pot aux roses. Démise de ses fonctions, Francesca Gino est en procès avec Harvard.
[post_title] => Tel est pris qui croyait prendre
[post_excerpt] =>
[post_status] => publish
[comment_status] => open
[ping_status] => open
[post_password] =>
[post_name] => tel-est-pris-qui-croyait-prendre
[to_ping] =>
[pinged] =>
[post_modified] => 2025-11-13 11:55:33
[post_modified_gmt] => 2025-11-13 11:55:33
[post_content_filtered] =>
[post_parent] => 0
[guid] => https://www.books.fr/?p=133055
[menu_order] => 0
[post_type] => post
[post_mime_type] =>
[comment_count] => 0
[filter] => raw
)
WP_Post Object
(
[ID] => 133052
[post_author] => 48457
[post_date] => 2025-11-13 11:53:58
[post_date_gmt] => 2025-11-13 11:53:58
[post_content] =>
Imaginons un tueur sans visage, formé à l’art de l’invisibilité, dont les meurtres en série ébranlent les fragiles équilibres géopolitiques. C’est « l’exécuteur » que traque une équipe d’agents espagnols dans une course effrénée de Madrid à Moscou, des ruelles d’Istanbul aux bunkers de Washington.
En octobre 2024, Mikhaïl Serkin, chef des services secrets russes, s’enfuit avec sa famille aux Maldives. Sa défection déclenche une opération secrète de représailles sans précédent. Il est exécuté ; mais il n’est que le premier de la liste… Les victimes tombent les unes après les autres. Comment l’expliquer ? Teresa Fuentes, agent du CNI (Centre national de renseignement espagnol), et Pablo Perkins, un vétéran de la CIA, mènent l'enquête. Leur mission initiale, traquer le tueur, se transforme. Car c’est une campagne de nettoyage mondial qui est orchestrée depuis Moscou. Quelle est la véritable mission du tueur ? Les victimes ont en commun d’en savoir trop sur un plan qui mettrait l’Europe au bord de la guerre.
Le suspense rappelle Le Carré ou Forsyth. Diario de Sevilla souligne la prose dépouillée de Vallés, dont le réalisme ibérique ancre la géopolitique dans des dilemmes éthiques intimes. Le roman évoque puissamment « les menaces invisibles qui caractérisent notre époque et invite à réfléchir sur la fragilité des démocraties dans un monde marqué par l’autoritarisme ».
[post_title] => Nul n’échappe au Kremlin
[post_excerpt] =>
[post_status] => publish
[comment_status] => open
[ping_status] => open
[post_password] =>
[post_name] => nul-nechappe-au-kremlin
[to_ping] =>
[pinged] =>
[post_modified] => 2025-11-13 11:54:00
[post_modified_gmt] => 2025-11-13 11:54:00
[post_content_filtered] =>
[post_parent] => 0
[guid] => https://www.books.fr/?p=133052
[menu_order] => 0
[post_type] => post
[post_mime_type] =>
[comment_count] => 0
[filter] => raw
)
WP_Post Object
(
[ID] => 133049
[post_author] => 48457
[post_date] => 2025-11-13 11:50:34
[post_date_gmt] => 2025-11-13 11:50:34
[post_content] =>
La pizza margherita devrait son nom au chef italien Raffaele Esposito, qui l’aurait servie à la reine Marguerite de Savoie en visite à Naples en 1889. À moins que le nom lui soit venu de la disposition en pétales du basilic… ou de la mozzarella fondue. On n’en sait rien, conclut le Bolognais Luca Cesari. On en sait plus sur les raisons pour lesquelles la pizza a conquis les États-Unis avant de devenir « la spécialité gastronomique la plus répandue dans le monde ». Ce n’est pas parce que les GIs auraient été emballés par ladite spécialité lors de l’occupation de Naples à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Mais parce que les pauvres émigrés italiens, arrivés en masse aux États-Unis dans l’entre-deux-guerres, en ont introduit l’usage à New York. Après la guerre, c’est la banalisation du four à gaz qui a déclenché l’ouverture en série de pizzerias.
Dans les rues de Naples au XVIIIe siècle, c’était à l’origine un petit pain aplati sur lequel des marchands ambulants ne mettaient souvent que de l’huile d’olive et de l’ail. Le grand paradoxe est que la pizza ne s’est vraiment répandue dans le reste de l’Italie qu’après le détour par les États-Unis.
Cesari s’était déjà fait connaître par sa Véritable histoire des pâtes, traduite en français. Son histoire de la pizza est prise au sérieux par les connaisseurs. Elle a été traduite en anglais par l’historien de Harvard Zachary Nowak. Dans la Literary Review la critique gastronomique britannique Felicity Cloake dit l’heureuse surprise que lui a procurée une lecture qui nous en apprend autant sur l’histoire populaire que sur celle de cet objet caméléon. Le blog DeBaser rappelle l’horreur des Italiens face à la hawaiian pizza, un monstre inventé dans les années 1950 par un Grec installé au Canada, à base d’ananas et de jambon cuit.
[post_title] => Mythes et réalités de la pizza
[post_excerpt] =>
[post_status] => publish
[comment_status] => open
[ping_status] => open
[post_password] =>
[post_name] => mythes-et-realites-de-la-pizza
[to_ping] =>
[pinged] =>
[post_modified] => 2025-11-13 11:50:36
[post_modified_gmt] => 2025-11-13 11:50:36
[post_content_filtered] =>
[post_parent] => 0
[guid] => https://www.books.fr/?p=133049
[menu_order] => 0
[post_type] => post
[post_mime_type] =>
[comment_count] => 0
[filter] => raw
)
WP_Post Object
(
[ID] => 133046
[post_author] => 48457
[post_date] => 2025-11-13 11:48:19
[post_date_gmt] => 2025-11-13 11:48:19
[post_content] =>
Trump n’est pas particulièrement bel homme. Sa rhétorique est hésitante et volontiers répétitive. Ses théories rudimentaires oscillent entre l’incohérence et l’inquiétant. Sa morale… Alors, quel est son secret ? Le charisme, explique Molly Worthen, qui est… historienne des religions. Ce qui lui permet d’expliciter (ou tenter de) « cette qualité propre à un individu qui le met à part du reste » et sur laquelle le sociologue Max Weber s’est penché avant elle. Le leader charismatique, proposait Weber, exerce une emprise fondée ni sur la raison ni sur la tradition mais sur l’émotion. Sa personnalité le situe en dehors du monde et lui permet, à certains moments clés de l’Histoire, de susciter chez ses admirateurs la croyance en « un futur radicalement nouveau », quitte à pulvériser les habitudes et les normes en vigueur. Molly Worthen quant à elle approche la question sous l’angle résolument religieux. Le charisme, qui dans la Grèce antique comme pour saint Paul est un don de Dieu, une grâce, permet à un être d’exception de répondre à « une urgence métaphysique » en proposant à ses concitoyens un « narratif », « une sorte de récit transcendantal qui invite les adeptes à découvrir le sens de leur vie ». Évidemment, voir Donald Trump figurer aux côtés de prophètes et de gourous révérés dans la taxonomie charismatique que propose Molly Worthen peut surprendre. Mais il arrive au « milliardaire du peuple » (comme en 2016 lors d’un meeting en Caroline du Nord) de tenir des propos quasi messianiques du genre : « Ce “big beautiful” projet, c’est tout ce que nous allons faire ensemble. Et vous allez être si fiers. Et vous allez être si heureux. Et vous allez gagner. » Voyez aussi comme Trump sacralise sa propre richesse (une bénédiction divine) ou encore l’échec de l’attentat contre lui (c’est le Tout-Puissant qui a fait dévier la balle mortelle vers son oreille, au grand bénéfice de l’Amérique). Le charisme – « à la fois un phénomène et un concept » – n’a rien pourtant de spécifiquement américain, « mais son histoire aux États-Unis est particulièrement intéressante… Le pays est un véritable champ d’expérience pour les entrepreneurs métaphysiques », résume Molly Worthen qui étaye sa théorie en évoquant une série d’exemples, depuis la prophétesse puritaine du XVIIe siècle Anne Hutchinson jusqu’aux télévangélistes d’aujourd’hui, en passant par le père des mormons, Joseph Smith, ou des prescripteurs culturels comme Oprah Winfrey. Tous ces gens ont en commun de refléter « la dialectique entre personnalité et contexte du moment ». (À vrai dire, pour que le message reçoive le meilleur accueil en nos jours de déclin religieux, il faut en parallèle maîtriser les « moyens de distribution » technologiques, TV ou réseaux sociaux.)
Cette idée que le charisme politique « repose fondamentalement sur une expérience religieuse » ne convainc pas forcément tout le monde. John G. Turner fait valoir dans la Los Angeles Review of Books que « des leaders comme Eisenhower ou Reagan débordaient de charisme sans qu’ils aient pour autant cherché à transmettre le moindre message transcendantal ». Les liens entre politique et religion demeurent mystérieux, même s’il faut se souvenir que dans « culte de la personnalité » il y a « culte » – et qu’en Corée du Nord, par exemple, la naissance des leaders vénérés est accompagnée de prodiges, qu’eux-mêmes font des miracles, qu’ils sont immortels, etc. Et puis Max Weber n’a-t-il pas postulé que lorsqu’une société se sécularise et se bureaucratise, les élans spirituels sont nécessairement redirigés vers d’autres domaines, notamment la politique ? Mais Molly Worthen n’en démord pas. Tout en reconnaissant « qu’il faut tolérer une certaine flexibilité dans la définition du charisme », elle affirme qu’en dépit du recul du religieux aux États-Unis, « les instincts spirituels des Américains d’aujourd’hui continuent à les orienter vers des leaders qui ont le don de proposer un projet transcendant ». Des leaders qui – sauf Kennedy et Reagan bien sûr – « sont par ailleurs dépourvus en général de charme physique et du moindre talent oratoire ». Ils sont hélas souvent dénués aussi de sens moral – moralité et transcendance ne marchant pas toujours de pair (voir le sulfureux gourou Maharaj Ji, fraudeur fiscal et prédateur sexuel). Cette regrettable déconnexion explique que le divin don du charisme amène au pouvoir aussi bien des libérateurs que de futurs tyrans. Voilà donc les Américains prévenus…
[post_title] => La transcendance de Donald Trump
[post_excerpt] =>
[post_status] => publish
[comment_status] => open
[ping_status] => open
[post_password] =>
[post_name] => la-transcendance-de-donald-trump
[to_ping] =>
[pinged] =>
[post_modified] => 2025-11-13 11:48:20
[post_modified_gmt] => 2025-11-13 11:48:20
[post_content_filtered] =>
[post_parent] => 0
[guid] => https://www.books.fr/?p=133046
[menu_order] => 0
[post_type] => post
[post_mime_type] =>
[comment_count] => 0
[filter] => raw
)
WP_Post Object
(
[ID] => 133043
[post_author] => 48457
[post_date] => 2025-11-13 11:42:44
[post_date_gmt] => 2025-11-13 11:42:44
[post_content] =>
Qu’aurait pensé Herberto Helder de la biographie que vient de lui consacrer João Pedro George ? Le poète portugais a passé la deuxième partie de son existence de plus en plus reclus, fuyant la publicité et laissant planer le mystère autour de sa personne. N’aurait-il pas été contrarié à l’idée qu’on raconte sa vie ? Ce n’est pas tout à fait sûr. S’il refusait les demandes d’entretien, répugnait à être photographié et déclinait les honneurs, notamment le prestigieux prix Pessoa qui lui avait été attribué, c’est parce qu’il craignait qu’une notoriété bon marché ne fasse oublier ce qui seul comptait à ses yeux : son œuvre. Souvent présenté comme le plus important poète portugais de la seconde moitié du XXe siècle, et très étudié, il n’aurait pas à s’inquiéter à cet égard. Il était de surcroît lui-même un grand lecteur de biographies. « Les plus véridiques, disait-il même, sont celles qui sont rédigées lorsque les amis de la personne sont encore vivants, parce qu’elles permettent d’offrir un portrait sans complaisance, avec tous les défauts et toutes les qualités. »
Le livre de João Pedro George satisfait pleinement ce critère. Pour l’écrire, son auteur a rencontré quelque 70 personnes qui ont connu le poète, dont sa veuve, qui l’a accompagné et soutenu durant ses quarante dernières années (il est mort à 84 ans), sa fille – son fils a refusé de collaborer à un projet qu’il aurait, selon lui, désavoué –, quelques-unes des très nombreuses femmes avec lesquelles il a eu des aventures et plusieurs de ses amis. Leurs témoignages sont cités quasiment in extenso, tout comme une grande quantité de lettres du poète, d’une remarquable qualité d’écriture et très éclairantes. Le procédé n’est pas sans inconvénient. L’ouvrage, très long (846 pages sans les notes – le texte initial en comptait le double), n’est pas exempt de répétitions et de contradictions, George se refusant à trancher entre les différentes interprétations de certains faits et préférant laisser les documents parler d’eux-mêmes.
Herberto Helder est né à Funchal, capitale de l’île de Madère, en 1930. Il a toujours revendiqué avec fierté des origines juives qu’aucun document n’atteste, mais qui pourraient être authentiques : le Portugal ne manque pas de descendants de « nouveaux chrétiens » (juifs convertis), et sa mère portait un prénom juif. Cette femme est de loin la personne la plus importante de son enfance et sans doute de sa vie. Sa mort, lorsqu’il était âgé de 8 ans, le laissa d’autant plus dévasté qu’il s’en estimait responsable. Après la naissance de sa deuxième sœur, les médecins avaient fortement déconseillé à sa mère d’avoir un troisième enfant. Mais elle voulait un garçon. Son décès est attribué à une anémie consécutive à cette ultime grossesse. La figure de la mère ne cessera de hanter sa poésie.
Il développa dès son enfance un amour profond de la nature et un intérêt pour les manifestations de l’irrationnel étrangères à la religion organisée, qu’il renia rapidement. À ses yeux, « les arbres, les plantes, les fleurs, les pierres, les collines, les montagnes, les abîmes, les ombres, les lumières cachaient une présence sacrée ». Il était très sensible « aux énigmes, aux mythes, aux légendes, aux prophéties, au discours biblique, à la religiosité populaire […], à la foi instinctive des paysans et des marins parlant de miracles, de fantômes et d’apparitions ».
Ses relations avec son père durant son enfance n’étaient guère cordiales et restèrent toujours mauvaises. Une fois ses études secondaires terminées, après une brève période à Lisbonne essentiellement passée dans les cafés et les maisons de passe, il entra à l’université de Coimbra, pour étudier le droit, dit-il à son père, ce qu’il ne fit en réalité jamais : inscrit à la faculté de pédagogie, il bifurqua vers les lettres, la matière qui l’intéressait le plus. À Coimbra, les étudiants menaient une vie bohème de « misère sympathique », disait-on, largement arrosée. Elle ne l’empêcha pas de donner libre cours à ses ambitions littéraires. Dès sa jeunesse commencèrent à se manifester les traits qui allaient s’exprimer dans son œuvre : « son intérêt […] pour les vagabonds, les mendiants, les illettrés, les fous, les ivrognes, les prostituées (dont beaucoup étaient l’objet de son amitié et de son affection), et sa fascination un peu romantique et mystifiée pour les perdants, les étrangers, les excentriques, les personnages insolites ». Toute sa vie, des poètes maudits comme Rimbaud et Baudelaire, ou des personnalités étranges comme Alfred Jarry, continuèrent à l’inspirer.
De retour à Madère, il fit son entrée sur la scène littéraire locale en publiant ses premiers poèmes. Il s’installa bientôt à Lisbonne, où il en publia de nombreux autres. Peu après la parution de son premier recueil, en 1959, bien que fraîchement marié, il quitta le Portugal en solitaire pour mener une vie itinérante et misérable à Paris, en Hollande et en Belgique, à Bruxelles et Anvers. Dans son ouvrage autobiographique en prose Les Pas en rond, il évoque cette existence nomade. Dormant n’importe où, il subsista grâce à une grande variété de petits métiers : ouvrier à l’usine des Forges de Clabecq, serveur dans une brasserie, chargé des polycopies dans une imprimerie, presseur de déchets de papier, coupeur de légumes dans un restaurant bon marché, rabatteur de marins auprès des prostituées du port d’Anvers. Les a-t-il vraiment tous exercés ? Ce qui est sûr est qu’après quelques mois, à bout de ressources et dans un état de grande détresse, il se fit rapatrier au Portugal aux frais de l’administration du consulat d’Anvers, qui lui réclama par la suite le remboursement des dépenses, qu’il dut acquitter.
À Lisbonne existait un milieu littéraire nombreux et actif : toute une communauté d’écrivains, d’intellectuels, de critiques et de journalistes, dont quelques-uns seulement étaient connus en dehors des frontières du Portugal, qui s’observaient attentivement, se jalousaient souvent, commentaient élogieusement les œuvres de leurs amis ou se critiquaient impitoyablement. Ils se rencontraient pour d’interminables « tertulias » (discussions littéraires) dans une série de cafés où Helder a passé une partie considérable de son existence : le Café Gelo, le Monte Carlo, le Café Expresso, Toni dos Bifes et de nombreux autres. Dans le premier cité, le plus fameux, on trouvait notamment des personnes opposées au régime autoritaire d’António Salazar. Helder ne fut jamais un militant. Cela ne l’empêcha pas de retenir l’attention de la PIDE, la redoutée police politique du régime. Bien qu’il fût décrit comme présentant des « caractéristiques communistes », c’est pour des raisons liées aux bonnes mœurs qu’il fut inquiété à deux reprises. En 1968, il fut condamné pour avoir contribué à la publication d’un roman du marquis de Sade. À cette occasion, il ne se distingua guère par son courage, en acceptant d’indiquer à la police, qui l’ignorait, le nom du traducteur. Quelques mois plus tard, son livre Apresentação do Rosto (« Présentation du visage ») fut interdit par la censure pour obscénité.
L’année suivante, il quittait à nouveau le pays pour s’installer en Angola, où il travailla durant quelque temps comme journaliste pour la revue Notícias. Au cours d’un reportage, il fut victime d’un très grave accident de voiture et faillit mourir. De retour à Lisbonne, il travailla successivement comme correcteur dans une maison d’édition et pour la radio nationale portugaise. À Luanda, il avait fait la connaissance de celle qui allait devenir sa deuxième femme après son divorce. Fille d’un blanc et d’une mulâtresse, sans prétentions intellectuelles mais dotée d’une forte personnalité, Olga fut sa compagne totalement dévouée durant ses quatre dernières décennies. Ils avaient opté pour un mariage ouvert, ce dont il profita doublement, étant porté sur le voyeurisme.
João Pedro George consacre de nombreuses pages à la vie sentimentale et sexuelle d’Herberto Helder, qui est exceptionnellement remplie et extraordinairement complexe. Entre les liaisons durables, les passions intermittentes et les aventures éphémères, souvent conduites simultanément, on s’y perd presque. George justifie l’attention accordée à cet aspect de sa vie par la place qu’occupent l’érotisme et le sexe dans sa poésie, un peu comme dans certaines œuvres produites par le surréalisme, un mouvement auquel ses textes font souvent penser. Helder était un homme séduisant et séducteur, qui aimait beaucoup ses amis, dit un témoin, mais encore plus les femmes de ses amis. Mentant abondamment par omission, il compartimentait sa vie. Longtemps, les compagnons de ses journées ignorèrent l’existence d’Olga. Ils s’étaient installés à Cascais, sur la côte à quelques kilomètres de Lisbonne, où il se rendait chaque matin et menait sa vie dans les cafés, pour ne revenir que le soir à son domicile, où sa femme l’attendait. Il n’avait aucun sens de la responsabilité paternelle. En quittant le Portugal pour ses vagabondages dans le nord de l’Europe, il avait abandonné sa femme enceinte de sa fille. Et en partant en Angola, il avait laissé à Lisbonne son fils Daniel, qu’il avait eu d’une de ses maîtresses.
Dans sa correspondance, il se présente régulièrement comme déprimé. Ce n’était sans doute pas toujours vrai au sens clinique, mais il était incontestablement de tempérament dépressif. Il était aussi hypocondriaque, convaincu qu’il mettait sa vie en danger s’il ne dormait pas huit heures par jour, fumeur compulsif, superstitieux, attaché à certains rituels, enclin à la phobie et hanté par l’idée de la mort. Son souci de la perfection littéraire tourna progressivement à l’obsession, l’encourageant à corriger ses poèmes à l’infini, y compris dans les ouvrages publiés : il existe aujourd’hui un marché pour les livres annotés de sa main, qui se vendent très cher. Les dernières années de sa vie, il ne quitta pratiquement plus sa maison de Cascais. Jamais, toutefois, il ne coupa complètement les ponts avec le reste du monde, comme J. D. Salinger ou Thomas Pynchon. Sa dévotion absolue envers son œuvre et son souci de la postérité le poussaient à garder des rapports avec ceux qui étudiaient ou critiquaient ses écrits, dont il cherchait à influencer le jugement lorsqu’il l’estimait erroné.
Il est tentant de rapprocher Herberto Helder de la figure dominante de la poésie portugaise moderne, Fernando Pessoa. Entre les deux écrivains, les points communs ne manquent pas. Tous deux, observe George, étaient « fascinés par l’occultisme […], l’hermétisme de l’Égypte ancienne, la magie, l’alchimie, la cabale, l’astrologie, l’ésotérisme, le mysticisme, la théosophie, le spiritisme et même la chiromancie ». On trouve dans leurs écrits un certain nombre de thèmes identiques, qui les obsédaient : l’enfance, la folie, la souffrance comme source de création artistique, le sens de l’activité poétique et la nature même de la poésie. De leurs poèmes émane le même mélange d’intimité et de distance qui contribue à créer une impression d’impersonnalité. La poésie de Pessoa est toutefois plus intellectuelle et éthérée, celle d’Helder à la fois plus charnelle et physique, et plus rhétorique et baroque : « Elle abuse des comparaisons et des métaphores, emploie un vocabulaire qui se distancie de l’usage quotidien du langage tel qu’on le trouve dans les livres et les journaux, son style est plus abrupt et décousu, use des adjectifs d’une manière étrange et exaltée, établit des rapports étroits entre des mots sans la moindre relation de parenté apparente ». Dans la vie d’Helder comme dans celle de la plupart des poètes portugais contemporains, suggère João Pedro George, Pessoa se présentait en vérité comme une sorte de Némésis, un rival ou un adversaire effrayant auquel il est impossible de se mesurer en espérant sortir vainqueur de la confrontation. Il lui préférait le grand Camões, sans doute en partie parce qu’il est plus éloigné de lui dans le temps, et qu’il est donc plus difficile de les comparer.
[post_title] => À la découverte d’Herberto Helder, poète obsédé
[post_excerpt] =>
[post_status] => publish
[comment_status] => open
[ping_status] => open
[post_password] =>
[post_name] => a-la-decouverte-dherberto-helder-poete-obsede
[to_ping] =>
[pinged] =>
[post_modified] => 2025-11-13 19:30:19
[post_modified_gmt] => 2025-11-13 19:30:19
[post_content_filtered] =>
[post_parent] => 0
[guid] => https://www.books.fr/?p=133043
[menu_order] => 0
[post_type] => post
[post_mime_type] =>
[comment_count] => 0
[filter] => raw
)
WP_Post Object
(
[ID] => 133008
[post_author] => 48457
[post_date] => 2025-11-06 18:48:13
[post_date_gmt] => 2025-11-06 18:48:13
[post_content] =>
TRUMPERIES – L’écrivain nigérian Wole Soyinka, premier Africain à recevoir le prix Nobel de littérature en 1986, a annoncé que le consulat américain à Lagos a annulé son visa de non-immigrant, lui demandant de remettre son passeport pour la procédure, au motif que « de nouvelles informations » avaient émergé après la délivrance. À 91 ans, Soyinka ironise sur cette mesure, se disant « très satisfait » et invitant les institutions à ne plus le convier aux États-Unis puisqu’il se considère « interdit d’entrée ». Il relie cette décision à ses critiques publiques de l’ex-président Donald Trump, qu’il avait comparé au dictateur ougandais Idi Amin Dada, et à un contexte plus large de durcissement des visas pour les Nigérians.
LIBRAIRIA – Une charte éthique vient d’être adoptée par la European and International Booksellers Federation (EIBF) afin d’encadrer l’usage de l’intelligence artificielle dans le secteur du livre. Elle pose 11 principes visant à préserver la créativité humaine, la transparence des algorithmes et la protection des droits d’auteur. L’organisation insiste sur le fait que l’innovation technologique ne doit pas se substituer aux métiers du livre, mais les accompagner, dans le respect de valeurs culturelles et humaines.
FRANCE-EGYPTE – Un accord inédit entre le Groupe Madrigall (via sa filiale des Éditions Gallimard) et l’égyptien Diwan Publishing permet l’impression locale au Caire d’une sélection de vingt-trente titres de la collection poche Folio. Grâce à ce dispositif, les importations coûteuses sont réduites et les ouvrages sont accessibles en Égypte à des prix compris entre 3 € et 10 €, rendant la littérature française plus abordable. Le catalogue composé de classiques et de textes contemporains vise à répondre à l’absence d’éditeur francophone local et à relancer un marché affecté par des dévaluations monétaires prolongées.
BEL PAESE – Une nouvelle initiative dans la région du Latium accorde à chaque résident de moins de trente ans — ainsi qu’aux élèves — un bon de 10 € à utiliser chez les libraires et exposants pour l’achat de livres. Ce dispositif vise à encourager la lecture, promouvoir la culture citoyenne et renforcer la cohésion sociale, en positionnant l’accès à l’écrit comme un levier d’émancipation.
LE BON DOCTEUR – Un manuscrit jusqu’ici inconnu de Dr. Seuss, intitulé Sing the 50 United States!, a été découvert dans les archives de la bibliothèque Geisel Library de l’université de Californie à San Diego. Cette œuvre complète — la première depuis What Pet Should I Get? en 2015 — invite les jeunes lecteurs à nommer les cinquante États en rime, dans le style ludique de l’auteur. Prévue pour le 2 juin 2026, sa sortie coïncide avec le 250e anniversaire des États-Unis, et s’accompagne d’un tirage initial de 500 000 exemplaires ainsi que d’un programme de distribution à destination des élèves américains.
LONDON CALLING – Basée à Londres, la librairie Dar al-Taqwa, ouverte en 1985 par l’éditeur Samir el-Atar, est aujourd’hui menacée de fermeture. Située face à la station Baker Street et fondée pour pallier le manque d’ouvrages islamiques accessibles au Royaume-Uni, elle demeure un repère pour chercheurs, étudiants et convertis. Toutefois, la diminution de clients en boutique et la montée des achats en ligne fragilisent son activité, et une campagne de dons a été lancée pour éviter sa disparition.
[post_title] => La revue de presse d'ActuaLitté
[post_excerpt] =>
[post_status] => publish
[comment_status] => open
[ping_status] => open
[post_password] =>
[post_name] => la-revue-de-presse-dactualitte-2
[to_ping] =>
[pinged] =>
[post_modified] => 2025-11-06 18:52:19
[post_modified_gmt] => 2025-11-06 18:52:19
[post_content_filtered] =>
[post_parent] => 0
[guid] => https://www.books.fr/?p=133008
[menu_order] => 0
[post_type] => post
[post_mime_type] =>
[comment_count] => 0
[filter] => raw
)
WP_Post Object
(
[ID] => 133005
[post_author] => 48457
[post_date] => 2025-11-06 18:04:24
[post_date_gmt] => 2025-11-06 18:04:24
[post_content] =>
Sur le marché du catastrophisme, la concurrence est vive, mais les acteurs sincères. Ainsi de l’Américain tourmenté Roy Scranton, né en 1976, déjà auteur d’un « Apprendre à mourir dans l’Anthropocène » (2015) et de « Nous sommes condamnés. Et maintenant ? » (2018). Son non moins ténébreux « Impasse » prolonge cette réflexion. Comme la plupart des catastrophistes, Scranton est obsédé par le changement climatique, passant sous silence ou minimisant d’autres motifs d’inquiétude légitime. La catastrophe est certaine, puisque même les moyens de la contrer vont contribuer à la précipiter, soutient-il. Le progrès est une illusion et l’optimisme un biais cognitif qui fausse les perspectives.
Mais si le monde est foutu, tout n’est pas perdu. Il existe peut-être une planche de salut, un ultime recours : le « pessimisme éthique ». Sans plus d’illusions sur notre sort, qui est scellé, acceptons notre lot d’êtres souffrants et donnons du sens à une vie qui reste possible en développant nos facultés de compassion et notre attachement à l’équité. Le pessimisme ainsi compris « consiste à embrasser un espoir radical et paradoxal : celui que la vie pourrait encore valoir d’être vécue après la fin du monde ».
« La prose de Scranton est érudite et dense, elle produit de longues phrases qui serpentent dans la philosophie, l’histoire et les études en sciences sociales », écrit la journaliste new-yorkaise Rhoda Feng dans le Times Literary Supplement. Elle est séduite par les idées de l’auteur, mais si « pour un lecteur patient, l’effet est immersif, cela risque de détourner ceux qui sont en quête d’une argumentation rationnelle ou de préconisations politiques claires ».
[post_title] => Optimiste ? Vade retro satana !
[post_excerpt] =>
[post_status] => publish
[comment_status] => open
[ping_status] => open
[post_password] =>
[post_name] => optimiste-vade-retro-satana
[to_ping] =>
[pinged] =>
[post_modified] => 2025-11-06 18:04:27
[post_modified_gmt] => 2025-11-06 18:04:27
[post_content_filtered] =>
[post_parent] => 0
[guid] => https://www.books.fr/?p=133005
[menu_order] => 0
[post_type] => post
[post_mime_type] =>
[comment_count] => 0
[filter] => raw
)
WP_Post Object
(
[ID] => 133002
[post_author] => 48457
[post_date] => 2025-11-06 17:59:28
[post_date_gmt] => 2025-11-06 17:59:28
[post_content] =>
Christophe Colomb était-il un navigateur de génie ou un truqueur, un saint ou un pervers polymorphe, un idéaliste ou un génocidaire ? Son image a tant été tirée à hue et à dia par la postérité, qui plus est entre des extrêmes particulièrement extrêmes… En effet, « tout ce qui concerne sa biographie ou sa réputation posthume a donné lieu pendant 500 ans à un foisonnement d’interprétations, de spéculations, d’affabulations » écrit Andrés Reséndez dans le New York Times. Autant de « vies » post mortem, de constructions étonnantes que l’historien Matthew Restall déconstruit méticuleusement, révélant au passage les arrière-pensées derrière tant de « mystères inventés afin de mieux les résoudre à coup de prétendues solutions, la plupart formidablement imaginatives et étonnamment déconnectées de la réalité historique ». Le premier de ces mystères, c’est le foisonnement des mystères eux-mêmes, car contrairement à la légende, la vie de Christophe Colomb est – hormis pour sa jeunesse – très bien documentée.
Au grand dam de bien d’autres lieux, c’est ainsi à Gênes que le futur navigateur est indubitablement né, en 1451, d’un père d’abord fromager puis tisserand. Mais sans doute pour occulter la modestie de ses origines, Christophe lui-même les a revêtues d’un brouillard qui favorisera les élucubrations ultérieures et dont plusieurs pays, depuis la Suisse ou la Norvège jusqu’à la Grèce, profiteront pour le revendiquer. Ensuite il a tôt navigué, c’est sûr – mais ni en tant que prince pirate grec au service des Turcs, ni jusqu’en Islande. Son visage même est un mystère – le fameux portrait par Piombo au Metropolitan Museum est en fait celui d’un ecclésiastique. Ce mystère-là permet toutefois de lui assigner au choix un nez aquilin (qui conforte les origines grecques !) ou bien juif (au bénéfice d’une autre légende, infondée). Ce n’est qu’en 1474 qu’on retrouve la trace certaine de Colomb, à Lisbonne. Pendant dix ans, il y a appris à naviguer et aussi à lire. Il s’est marié là (avantageusement) et y a entamé sa grande carrière d’explorateur de l’Atlantique en présentant au roi du Portugal João II un projet pour atteindre les Indes par l’ouest – mais le roi portugais a préféré miser sur le prometteur contournement de l’Afrique.
Alors Colomb, devenu veuf, est parti tenter sa chance en Espagne, où il a conçu un fils (hors mariage ou non, selon que l’on souhaite ou non voir en lui un bon catholique), et a soumis au couple royal espagnol un projet aussitôt déféré à un comité d’ecclésiastiques et d’experts réunis à Salamanque. Selon Matthew Restall, tout le monde dans ce comité savait bien que la Terre était ronde, même si les ecclésiastiques étaient contraints de soutenir le contraire. La contribution nouvelle de Colomb fut de démontrer, chiffres fallacieux à l’appui, que la planète sphérique était beaucoup plus petite qu’on ne le croyait depuis Ptolémée, et donc que le succès d’un voyage par l’ouest était plus assuré. Les experts resteront sceptiques, et les rois catholiques hésiteront pendant dix ans avant que, par crainte que les Portugais ne leur dament le pion, ils donnent enfin leur feu vert.
Mais la postérité va encore se diviser sur le traitement de cet épisode majeur. Les Espagnols, soucieux de légitimer leurs prétentions sur l’Amérique du Sud, vont faire le maximum pour s’attribuer rétrospectivement 100 % du succès de Colomb. Le très hispanique Don Cristóbal Colón sera fait amiral et célébré pour une découverte due à son talent mais aussi à son équipage 100 % espagnol – et bien sûr au soutien financier des souverains, de la souveraine Isabelle surtout, embobinée (sinon séduite) au point d’avoir mis ses bijoux au clou pour financer l’expédition ! Les nombreux rivaux de l’Espagne présenteront quant à eux Colomb tantôt comme un génie malmené à Salamanque par des obscurantistes, tantôt comme un tricheur se prévalant du savoir d’autrui et qui aurait même été accompagné dans son premier voyage par « un pilote mystère ». Puis, au quatrième voyage, en 1498, les choses vont se gâter – d’abord pour Colomb lui-même, accusé d’exactions et rapatrié de force, mais plus encore pour son image posthume. Les amis de l’Espagne (et de l’amiral) comme Las Casas vont bien chercher à faire de lui un champion du catholicisme, un croisé venu sauver les âmes des sauvages, qu’on tentera même au XIXe de faire canoniser !
L’effort est d’autant plus louable que dans l’autre camp on noircit Colomb tant qu’on peut : il n’était qu’un soudard avide de s’enrichir et surtout l’instigateur d’épouvantables massacres, pillages et viols ; pire encore, c’est lui qui aurait en personne apporté aux Antilles ou rapportée en Espagne la syphilis. On ira même jusqu’à lui prêter une sexualité bestiale aux confins de la zoophilie avec une prédilection pour les lamantins, ces pseudo-sirènes !
Ce qui n’empêchera pourtant pas une autre récupération, très surprenante : au XIXe les États-Unis feront du navigateur le véritable découvreur de l’Amérique du Nord (où il n’a jamais mis les pieds). Colomb, qui est en effet blanc, chrétien, esclavagiste et capitaliste, et surtout européen mais heureusement pas anglais, sera promu « non pas père de la nation (c’est Washington) mais grand-père ». D’où l’efflorescence du culte colombien aux États-Unis avec statues, ronds-points, célébrations diverses, et ces fresques grandioses qui couvrent les murs du Capitole. Hélas, cette vision-là est aujourd’hui battue en brèche par les dénonciateurs du « suprématisme blanc », et les étudiants détruisent ou décapitent les statues de l’ex-héros à qui mieux mieux.Mais l’image du navigateur, dispersée entre gloire et opprobre comme ses restes mortels le sont entre Saint-Domingue et l’Espagne, connaîtra sans doute encore d’autres mutations. Positives ou négatives ? Ce n’est pas la matière qui manque, et le passé est imprévisible…
[post_title] => Christophe Colomb, à hue et à dia
[post_excerpt] =>
[post_status] => publish
[comment_status] => open
[ping_status] => open
[post_password] =>
[post_name] => christophe-colomb-a-hue-et-a-dia
[to_ping] =>
[pinged] =>
[post_modified] => 2025-11-06 17:59:31
[post_modified_gmt] => 2025-11-06 17:59:31
[post_content_filtered] =>
[post_parent] => 0
[guid] => https://www.books.fr/?p=133002
[menu_order] => 0
[post_type] => post
[post_mime_type] =>
[comment_count] => 0
[filter] => raw
)
WP_Post Object
(
[ID] => 132999
[post_author] => 48457
[post_date] => 2025-11-06 17:56:30
[post_date_gmt] => 2025-11-06 17:56:30
[post_content] =>
Le film Cléopâtre avec Elizabeth Taylor a failli capoter car le staphylocoque doré avait fait de l’actrice un festin. Sans une trachéotomie et l’administration de méticilline elle aurait succombé. Cet antibiotique semi synthétique, qui venait d’être commercialisé, n’aurait pas sauvé Elizabeth Taylor aujourd’hui, car la bactérie lui résiste.
D’après les autorités de santé américaines, la résistance aux antibiotiques tue plus d’un million de personnes chaque année et est une cause indirecte de la mort de cinq millions d’autres. Or la recherche de nouveaux antibiotiques patine, car non rentable : les laboratoires se focalisent sur des médicaments à prendre sur la durée, si possible à vie, alors qu’un antibiotique doit agir en quelques jours. C’est « la marchandise anticapitaliste par excellence », écrit le biologiste britannique Liam Shaw dans son livre. Celui-ci est largement inspiré par son indignation face aux pratiques commerciales de l’industrie pharmaceutique, qui a contribué à favoriser la résistance aux antibiotiques en menant des campagnes commerciales offensives favorisant leur utilisation indiscriminée, tant chez l’homme que chez les animaux de ferme. L’un des paradoxes de la situation actuelle est que même les antibiotiques efficaces et qui ne coûtent rien ou presque manquent dans les pharmacies des hôpitaux des pays pauvres, où plus d’un million de personnes meurent chaque année de tuberculose.Liam Shaw fait un remarquable travail d’historien, estime Andrey R. Glynn dans la revue Science, mais n’engage pas la discussion dans un domaine de recherche essentiel, celui des substituts possibles aux antibiotiques, notamment les phages (virus qui tuent les bactéries). Porté par son indignation, l’auteur pousse le bouchon trop loin, estime le médecin Druin Burch dans la Literary Review. Maintes fois formulée, l’annonce de la mort des antibiotiques reste prématurée. Eux aussi font de la résistance.
[post_title] => Antibiotiques vs bactéries, en un combat douteux
[post_excerpt] =>
[post_status] => publish
[comment_status] => open
[ping_status] => open
[post_password] =>
[post_name] => antibiotiques-vs-bacteries-en-un-combat-douteux
[to_ping] =>
[pinged] =>
[post_modified] => 2025-11-06 17:56:33
[post_modified_gmt] => 2025-11-06 17:56:33
[post_content_filtered] =>
[post_parent] => 0
[guid] => https://www.books.fr/?p=132999
[menu_order] => 0
[post_type] => post
[post_mime_type] =>
[comment_count] => 0
[filter] => raw
)