WP_Post Object ( [ID] => 132273 [post_author] => 48457 [post_date] => 2025-06-26 08:09:31 [post_date_gmt] => 2025-06-26 08:09:31 [post_content] =>On ne saurait comprendre la personnalité de Xi Jinping sans se pencher sur celle de son père et explorer l’histoire qu’ils ont partagée. C’est l’entreprise à laquelle s’est livré l’universitaire américain Joseph Torigian. Dix ans de recherches auprès de sources chinoises, anglaises et russes le conduisent à mettre en avant un caractère commun au père et au fils : la conviction, héritée du bolchevisme, que « souffrir renforce le pouvoir de la volonté et le dévouement à la cause », résume The Economist. La cause, c’est-à-dire celle du Parti, lequel est mû par le désir de rendre sa grandeur à la Chine sans risquer le chaos.
Xi Zhongxun était l’un des « huit immortels » du PCC. Né en 1913 dans une famille de paysans, fervent communiste dès sa jeunesse, emprisonné en 1928, fidèle compagnon de Mao et de Zhou Enlai, il fut victime de la Révolution culturelle, mis à l’isolement et torturé, pendant que 200 de ses supposés partisans étaient « battus à mort, rendus fous ou gravement handicapés », écrit Torigian. Une de ses sœurs s’est suicidée (deux autres étaient mortes de faim un peu plus tôt). Son jeune fils, Xi Jinping, forcé de porter une lourde casquette en acier, fut humilié publiquement, sa propre mère se joignant aux harceleurs, puis jeté dans une prison où il passa un hiver le corps couvert de poux, avant d’être exilé dans un trou perdu, où il vivait dans une grotte. Après la mort de Mao, Xi père fut l’un des responsables de la libéralisation économique initiée par Deng Xiaoping puis de la politique menée au Tibet et dans le Xinjiang ouïghour.
« Les analystes qui observent la Chine de l’extérieur considèrent volontiers le jeu politique au sommet comme reflétant une division entre les bons et les méchants, entre les réformateurs et les anti-réformateurs, dit Torigian dans un entretien à la NPR. Mais ce qui ressort de mon livre, c’est un Xi Zhongxun habité par une division intérieure, par des pulsions contradictoires, qui avait ses propres vues sur les choses. Il a lutté toute sa vie pour gérer ces deux parts de lui-même, mais ce sont les intérêts du Parti qui ont toujours primé. »
[post_title] => Tel père, tel fils – du moins en Chine [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => tel-pere-tel-fils-du-moins-en-chine [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2025-06-26 08:51:04 [post_modified_gmt] => 2025-06-26 08:51:04 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=132273 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
WP_Post Object ( [ID] => 132270 [post_author] => 48457 [post_date] => 2025-06-26 08:07:57 [post_date_gmt] => 2025-06-26 08:07:57 [post_content] =>« Si toi qui pisses accroupie est capable d’une telle arrogance, de quelle arrogance aurais-je droit, moi qui pisse debout ? » hurle un mari contre sa femme, qui n’a donné naissance qu’à deux filles. À sa sœur qui est revenue chez ses parents en pleurant parce que son mari l’a quittée pour une infirmière, un frère lui lance : « Si tu avais le moindre égard pour l’honneur de ta famille, tu te serais immolée par le feu ».
À 77 ans, Banu Mushtaq, musulmane du Karnataka, État relativement prospère du sud de l’Inde, se voit récompensée par l’International Booker Prize pour une sélection de douze nouvelles écrites en kannada et d’autres langues locales, désormais traduites en anglais. Elle s’était fait connaître pour ses engagements militants. Elle a échappé à un assassinat pour réclamer le droit des femmes à entrer dans une mosquée. Elle revendique aussi le droit des jeunes filles à porter le hijab à l’école. Elle a surtout publié des nouvelles, mais aussi un roman et un recueil de poèmes.
Heart Lamp décrit la condition détestable de beaucoup de femmes musulmanes au Karnataka, mais dresse aussi un portrait de femme abusive, que l’on qualifierait en Occident de perverse narcissique, et un autre d’une femme riche sans consistance mue par son égoïsme. Une écrivaine « puissante », juge Kate McLoughlin dans le Times Literary Supplement, professeure de littérature à Oxford.
[post_title] => Femmes du Karnataka [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => femmes-du-karnataka [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2025-06-26 08:07:58 [post_modified_gmt] => 2025-06-26 08:07:58 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=132270 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
WP_Post Object ( [ID] => 132265 [post_author] => 48457 [post_date] => 2025-06-26 08:05:18 [post_date_gmt] => 2025-06-26 08:05:18 [post_content] =>La postérité – pour les rares auteurs qui y ont accès – n’est pas forcément un long fleuve tranquille. Voyez Dante Alighieri : comme le montre Joseph Luzzi dans sa biographie de la vie posthume de La Divine Comédie, ce chef-d’œuvre désormais bien établi n’a pas juste connu des siècles de paisible « critique rongeuse des souris » (Karl Marx) mais a toujours été tiré à hue et à dia par des générations de lecteurs emplis d’indignation religieuse, politique, esthétique, linguistique même. C’est le sort des très grandes œuvres d’art, multidimensionnelles par essence. La Divine Comédie est du lot, ouvrage militant et complexe, à la fois exaltation du christianisme des origines, plaidoyer en faveur de Dante lui-même outrageusement éjecté de Florence sa patrie, hymne à l’amour (en l’occurrence à Béatrice, la « glorieuse » défunte) et audacieuse promotion de la langue toscane « vernaculaire », ici mélodieusement exprimée par le truchement d’un complexe instrument prosodique, la « terza rima ».
Boccace a crié au génie dès la publication manuscrite du poème vers 1320. Mais Pétrarque, l’autre grand poète italien de l’époque, s’est indigné – oser abandonner le pur latin des classiques pour une langue vulgaire, inélégante, changeante ! – et Boccace s’est rallié à lui. Pourtant, le méprisable dialecte « vernaculaire » (mot étymologiquement relié à l’idée de servage) est devenu, largement grâce à La Divine Comédie, le bel italien d’aujourd’hui. Mêmes avanies dans le domaine religieux. Tandis que Dante voulait illustrer la vision thomiste du salut en dispatchant entre enfer, purgatoire et paradis les grandes figures du passé selon leur degré de vertu, le poète a post mortem déclenché les foudres de l’Inquisition pour avoir assigné à l’enfer pléthore de prêtres corrompus et de papes « qui forniquent avec les rois », et son œuvre s’est retrouvée à l’index. Il faudra attendre la fin du XIXe siècle pour que La Comédie redevienne divine, et le début du XXe pour que le pape Benoît XV la célèbre comme le « poème qui a chanté l’idée chrétienne avec le plus d’éloquence ». Entretemps le succès posthume sera au rendez-vous, essor de l’imprimerie aidant, mais pas pour longtemps. À la Renaissance, la ferveur esthétique et l’émancipation détourneront le public d’un livre jugé « sobre, moralisateur et archi sérieux ». Le lectorat du siècle des Lumières ne sera pas plus indulgent, et Voltaire déclarera l’ouvrage « monstrueux ». C’est le romantisme qui réintégrera La Comédie dans le canon littéraire et fera de Dante « un héros culturel et politique » : « pas moins de 181 éditions paraîtront en Europe entre 1800 et 1850, et les artistes romantiques – depuis William Blake jusqu’à Gustave Doré ou Francisco de Goya – s’empresseront d’illustrer le poème », écrit Andrew Frisardi dans The Wall Street Journal. La Comédie inspirera aussi les poètes (notamment les modernistes, T. S. Eliot, Ezra Pound, Ossip Mandelstam), les romanciers (James Joyce, Primo Levi, Gramsci), les cinéastes même (Jean-Luc Godard, Francis Ford Coppola, Tim Burton, David Lynch). La résurrection de La Divine Comédie en objet culturel multimédia montre bien, comme Paul Valéry l’expliquait, que les grandes œuvres « sont à géométrie variable » et que chaque époque, chaque lecteur les comprend différemment. Quid alors du lecteur d’aujourd’hui ? Si bien des gens connaissent les premiers vers du poème (« Au milieu du chemin de notre vie… »), combien lisent les pages suivantes (environ 424, quoiqu’un micrographiste italien ait pu faire tenir les 14 233 vers sur une seule page !) ? Pire encore, voici que La Divine Comédie est désormais visée par la censure woke (pour islamophobie, racisme…) et menacée d’être retirée des programmes scolaires italiens. Ses tribulations sont donc loin d’être finies…
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WP_Post Object ( [ID] => 132262 [post_author] => 48457 [post_date] => 2025-06-26 08:02:01 [post_date_gmt] => 2025-06-26 08:02:01 [post_content] =>Ce serait, à en croire la quatrième de couverture, « la part refoulée de l’identité nationale [allemande] ». Dans un ouvrage paru en mai et qui s’est rapidement retrouvé parmi les meilleures ventes, le journaliste Jochen Buchsteiner évoque la Prusse orientale. Cette province du bord de la Baltique a été allemande pendant plus d’un demi-millénaire (les chevaliers teutoniques la conquièrent au XIIIe siècle). Depuis 1945, elle est russe (enclave de Kaliningrad). Il s’agit là, comme presque tout ce qui concerne les conséquences de la Seconde Guerre mondiale pour la coupable Allemagne, d’un sujet quasi tabou outre-Rhin. Buchsteiner entend y remédier. Il le fait en mêlant le personnel, l’histoire de sa grand-mère, qui a fui l’avancée des troupes soviétiques, et les considérations politiques ou historiques.
Le sous-titre du livre (« Une histoire de famille tout à fait ordinaire ») en suggère l’une des principales ambitions : montrer ce que l’expérience personnelle de sa grand-mère avait de typique. Il raconte, ainsi que le rapporte Frank Priess dans The European, « la préparation de la fuite longtemps interdite par les nazis à un moment où il était déjà presque trop tard pour beaucoup – l’arrière-grand-père de Buchsteiner, par exemple, ne parvient pas à quitter son domaine de Prusse orientale et il est abattu par les troupes soviétiques –, le trajet semé d’embûches à travers la lagune sous les tirs des avions volant à basse altitude, les nombreux morts au bord de la route, surtout des enfants, la traversée de la mer Baltique en direction du Danemark, qui se fait en songeant aux nombreux bateaux de réfugiés coulés, la recherche de parents survivants, les conditions de vie plus que précaires au centre et à l’ouest de leur propre patrie, où l’on se montre peu empressé de les accueillir ».
Il faut dire, et c’est en cela que cette histoire est exemplaire, que ces réfugiés allemands de 1945 furent très nombreux : 12 millions, venus non seulement de Prusse orientale, mais aussi de la région des Sudètes et, plus généralement, de ce quart de l’ancien Reich désormais perdu.
C’est l’ultime aspect de ce passé que Buchsteiner souhaite remettre en avant : « l'énorme succès qu’a représenté l’intégration de toutes ces personnes dans une nouvelle Allemagne, plus petite et plus occidentale, dans une communauté démocratique florissante », résume Priess.
[post_title] => Adieu à la Prusse orientale [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => adieu-a-la-prusse-orientale [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2025-06-26 08:02:03 [post_modified_gmt] => 2025-06-26 08:02:03 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=132262 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
WP_Post Object ( [ID] => 132259 [post_author] => 48457 [post_date] => 2025-06-26 07:59:08 [post_date_gmt] => 2025-06-26 07:59:08 [post_content] =>À douze ans d’intervalle, deux des plus grands physiciens italiens du XXe siècle qui se connaissaient disparurent mystérieusement dans des conditions très différentes. En 1938, Ettore Majorana, personnalité tourmentée qu’Enrico Fermi, avec lequel il avait travaillé à Rome, considérait comme un génie, se volatilisait après avoir acheté un billet de bateau pour une traversée de Palerme à Naples. On a dit qu’il s’était suicidé, qu’il s’était retiré dans un couvent, qu’il s’était exilé en Argentine ou au Venezuela. Aujourd’hui encore, on ignore ce qu’il est devenu et où il a fini ses jours.
En 1950, Bruno Pontecorvo, le plus brillant collaborateur de Fermi après Majorana, embarquait à Rome avec sa femme et ses trois enfants dans un vol pour Stockholm, puis un autre pour Helsinki, où l’on perdit leur trace. Durant cinq ans, personne n’entendit plus parler de lui. Mais en 1955, il refit surface en Union soviétique. Dans un entretien publié dans le quotidien les Izvestia, il annonça publiquement s’être mis au service de ce pays, qui l’avait accueilli. À partir de ce moment, il travailla ouvertement au centre de recherches nucléaires de Dubna, non loin de Moscou, où il avait été secrètement affecté dès son arrivée. Au bout de quelques années, il put voyager à l’étranger et fit plusieurs séjours en Italie. Mais c’est à Dubna qu’il mourut, en 1993, à l’âge de 80 ans.
Bruno Pontecorvo est l’auteur de contributions de premier plan à la physique nucléaire et à la physique des particules. Avant qu’il ne s’installe en Russie soviétique, sa brillante carrière l’avait conduit de Rome à Paris, puis aux États-Unis, au Canada et en Grande-Bretagne. Deux questions n’ont cessé d’être posées à son sujet. Pour quelle raison a-t-il décidé, apparemment en catastrophe, de quitter l’Occident pour s’établir en URSS ? Et a-t-il livré aux Soviétiques des informations scientifiques d’une nature pouvant conduire à le faire considérer comme un espion ? Après l’historien des sciences Simone Turchetti et le physicien Frank Close, Giuseppe Mussardo, qui exerce ces deux métiers, s’emploie à y répondre dans ce qui est à ce jour sa biographie la plus fouillée.
Bruno Pontecorvo est né dans une famille juive non pratiquante de Pise. Son père était un riche industriel du textile. Il était le quatrième de huit enfants. L’atmosphère de la maison était intensément intellectuelle et cultivée : les conversations tournaient autour des livres et des idées et on pratiquait la musique en famille. Lorsque Mussolini arriva au pouvoir, tous se montrèrent résolument antifascistes. L’adoption des lois antisémites incita plusieurs des enfants à poursuivre leurs études en Angleterre. Plus tard, une des sœurs de Bruno (Giuliana) et un de ses frères (Gillo, le cinéaste) seront communistes. Un de ses cousins, Emilio Sereni, qui fut son mentor et joua un rôle important tout au long de sa vie, accéda à une position importante au sein du Parti.
Bruno était un jeune homme sportif : aimant nager et skier, il rêva longtemps de devenir champion de tennis. Élégant, gai et sociable, il était séduisant et séducteur et le resta toute sa vie. Après avoir songé à devenir ingénieur, sur les conseils de son frère Guido, il partit étudier la physique à Rome. En 1932, il devint l’étudiant de Fermi et deux ans plus tard il intégrait sa brillante équipe de collaborateurs, où travaillaient notamment Emilio Segrè et Edoardo Amaldi. Il s’y distingua vite par un exceptionnel double talent de théoricien et d’expérimentateur.
Peu de temps auparavant, à Paris, les époux Joliot-Curie avaient réussi à produire pour la première fois de la radioactivité artificielle en bombardant un échantillon d’aluminium avec des particules alpha, manquant de peu la découverte d’un des composants de celles-ci, le neutron, identifié par la suite par l’Anglais James Chadwick. Fermi eut l’idée de répéter l’opération avec uniquement des neutrons, plus pénétrants s’ils étaient utilisés seuls. De manière fortuite, lui et son équipe réalisèrent que la radioactivité produite était, contre toute attente, plus forte avec des neutrons lents. Ils publièrent un article relatant le fait. Compte tenu des applications industrielles possibles, Fermi et ses collaborateurs, dont Pontecorvo, déposèrent aussi une demande de brevet pour la méthode utilisée. Leur découverte ouvrait la voie à celle de la fission nucléaire, effectuée quelques années plus tard par Lise Meitner, Otto Hahn et Fritz Strassmann.
En 1936, Bruno Pontecorvo partit travailler à Paris dans le laboratoire des Joliot-Curie. Sous l’influence de ceux-ci, très militants l’un et l’autre, ainsi que de son cousin Sereni, réfugié dans la capitale française, il se forgea une forte conscience politique communiste. Il y rencontra aussi celle qui allait devenir sa femme, une Suédoise nommée Marianne Nordblom,qui lui donnera trois garçons. En 1940, pour échapper à l’invasion des troupes allemandes, le couple et son premier enfant fuyaient aux États-Unis en passant par l’Espagne et le Portugal.
De 1940 à 1943, Pontecorvo travailla à Tulsa, dans l’Oklahoma, pour une société de prospection pétrolière. Il y mit ses connaissances à profit pour développer des méthodes originales d’identification de la nature des roches (schistes, grès ou calcaires) autour des puits de forage par émission de neutrons lents et induction de radioactivité. Au bout d’un certain temps, les isotopes radioactifs dont il avait besoin vinrent à manquer. Leur production était en effet préférentiellement dirigée vers les travaux liés au programme de recherche américain secret sur la bombe atomique. Reposant avant tout sur les recherches menées à Los Alamos sous la direction de Robert Oppenheimer, il impliquait aussi la contribution d’activités menées ailleurs, notamment à Montréal, puis dans un centre de recherche situé dans l’Ontario, dans le cadre du projet atomique anglo-canadien.
Suite à un contact avec Fermi, qui, établi à Chicago, y avait réalisé la première pile atomique, Pontecorvo fut recruté pour ce projet. Il mena au Canada jusque peu après la fin de la guerre des recherches sur les réacteurs, qui n’étaient pas directement liées à la technologie de la bombe atomique. En 1948, déclinant plusieurs offres pourtant attrayantes d’universités américaines, il choisit de poursuivre ses travaux au centre de recherche nucléaire de Harwell, en Grande-Bretagne. Deux ans plus tard, à l’occasion d’une plainte déposée par Fermi et ses anciens collaborateurs, qui réclamaient les royalties générées par l’exploitation civile et militaire, aux États-Unis, du procédé lié à leur brevet, le FBI lançait une enquête à leur sujet. Peu de temps après, à l’occasion de vacances en Italie, Pontecorvo s’évanouissait dans la nature.
L’enquête minutieuse à laquelle s’est livré Giuseppe Mussardo sur les circonstances de sa fuite en URSS prolonge et approfondit celles qu’ont menées avant lui Simone Turchetti et Frank Close. À ses yeux comme aux leurs, deux hommes ont joué un rôle décisif dans son départ précipité. Le premier est Kim Philby, le fameux agent double du service de contre-espionnage britannique, le plus célèbre des « Cinq de Cambridge ». Alors en poste à Washington, il coordonnait les échanges d’information entre les services secrets britanniques et américains. Plus que vraisemblablement, il a averti les autorités soviétiques que le FBI soupçonnait Pontecorvo d’espionnage, comme il les avait alertées lorsque furent démasqués Klaus Fuchs, qui avait travaillé à Los Alamos, et Alan Nunn May, ancien collègue de Pontecorvo au Canada, deux des plus efficaces espions atomiques soviétiques avec Ted Hall, également membre de l’équipe de Los Alamos. La seconde personne est Emilio Sereni. Mis au courant de la situation par les Soviétiques, il a probablement convaincu son cousin de se mettre à l’abri pour éviter l’emprisonnement et organisé sa fuite.
L’appartenance de Pontecorvo au Parti communiste était certainement de nature à lui valoir de sérieux ennuis aux États-Unis en pleine période du maccarthysme. Mais a-t-il livré des documents aux Soviétiques lorsqu’il était au Canada et en Angleterre, ce qui aurait compromis son avenir même en Europe ? Simone Turchetti ne le croit pas, Frank Close le pense, Giuseppe Mussardo laisse subsister un doute, arguant qu’à chaque étape de sa carrière, plusieurs explications de son comportement sont possibles, de la plus innocente à d’autres qui le sont moins. Si c’est le cas, le plus probable est que les informations qu’il a communiquées concernaient la technologie des réacteurs.
Dès son arrivée à Moscou, Pontecorvo comprit que le prix qu’il payait pour sa sécurité était d’être enfermé dans une prison dorée. On lui refusa le droit de faire la moindre déclaration. Durant les premiers mois, il fut logé avec les siens dans un appartement luxueux à proximité du Kremlin, mais aucun d’entre eux n’était autorisé à avoir de contact à l’extérieur. Lorsqu’ils furent transférés à Dubna, il demeura constamment sous haute surveillance. Il ne pouvait se déplacer qu’accompagné de deux agents du KGB. Son nom ne devait jamais être prononcé : on l’appelait « le professeur » et il finit par être surnommé Bruno Maximovitch, son père se prénommant Massimo. Ses notes de travail devaient être consignées dans un carnet aux feuilles datées, enfermé tous les soirs dans une armoire.
Ces conditions pesantes, même si elles s’améliorèrent avec le temps, et l’isolement dans un pays où elle se sentait une complète étrangère eurent un effet désastreux sur la santé mentale de Marianne, qui sombra dans la dépression et passa des périodes de temps de plus en plus longues en asile psychiatrique. Lorsqu’elle était absente pour longtemps, Pontecorvo voyait souvent Rodam Amiredzhibi, la femme géorgienne du poète Mikhail Svetlov, dont elle était séparée, avec qui il entretint une relation intense jusqu’à la fin de ses jours.
Pas plus qu’au Canada et en Angleterre, Pontecorvo ne fut directement impliqué à Dubna dans des recherches à caractère militaire. Mais les Soviétiques exploitèrent certainement autant qu’ils le purent ses connaissances et son savoir-faire dans le domaine des réacteurs nucléaires et en matière de détection des gisements d’uranium à l’aide de neutrons. Bien que souvent privé de la possibilité d’effectuer les expériences nécessaires pour les vérifier du fait de l’absence des équipements sophistiqués qu’il aurait trouvés en Occident, il continua par ailleurs à développer des idées théoriques très fécondes, plus particulièrement au sujet des neutrinos.
Ainsi baptisés par Edoardo Amaldi peu après que Wolfgang Pauli eut postulé leur existence en 1930, les neutrinos sont des particules extrêmement légères dont une caractéristique est d’interagir très faiblement avec le reste de la matière, ce qui les rend très difficiles à détecter. Ils ne cessèrent de fasciner Pontecorvo. En 1959, il postulait l’existence, à côté du neutrino associé à l’électron, d’une seconde variété associée au muon (nous savons à présent qu’il en existe une troisième sorte). En 1962, il démontra expérimentalement que l’interaction faible – une des quatre forces fondamentales de la physique, identifiée par Fermi en 1933 et dont lui-même avait suggéré l’universalité en 1947 – s’appliquait à ces deux espèces de neutrinos comme à leurs particules sœurs.
On lui doit aussi la mise au point de procédés permettant de détecter les neutrinos produits par les réacteurs nucléaires, ainsi que ceux qui sont naturellement émis par le Soleil ou présents dans le rayonnement cosmique d’origine lointaine. Il fut surtout le premier à imaginer le phénomène d’« oscillation des neutrinos », qui leur permet de changer de nature au cours de leur trajet. Son existence, aujourd’hui démontrée, apporte la solution au problème des neutrinos solaires, détectés en nombre inférieur à celui qu’on attendrait.
Pontecorvo n’obtint jamais le prix Nobel, vraisemblablement en raison de la mauvaise réputation que lui valut son installation en URSS. Mais ses idées, dont beaucoup représentaient autant d’étapes importantes sur le chemin du « modèle standard » de la physique, aidèrent d’autres savants à l’obtenir : sa place dans l’histoire de la science est assurée. Il conserva très longtemps ses fortes convictions communistes. La répression de l’insurrection de Budapest en 1956 par les troupes russes ne réussit pas à les ébranler. Ce n’est qu’avec celle du printemps de Prague de 1968 qu’elles commencèrent à vaciller, pour s’effondrer avec la chute du rideau de fer, puis la fin de l’Union soviétique, en 1991. La journaliste Miriam Mafai, qui l’a longuement interrogé, rapporte les propos étonnants qu’il lui tint au sujet de la foi quasiment religieuse dans le communisme qu’il eut presque toute sa vie : « Le Parti pouvait-il avoir tort ? Cela me semblait littéralement impossible, inconcevable. »
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WP_Post Object ( [ID] => 132220 [post_author] => 48457 [post_date] => 2025-06-19 17:01:27 [post_date_gmt] => 2025-06-19 17:01:27 [post_content] =>Un matin glauque de janvier 1947 dans un faubourg de Los Angeles est découvert le corps affreusement mutilé d’une jolie femme de 22 ans. Le corps vidé de son sang d’Elizabeth Short a été chirurgicalement coupé en deux à la taille. Elle a subi plusieurs profondes entailles au visage, aux seins et à la cuisse. Plusieurs morceaux de chair ont été enlevés. La partie basse du corps est placée à 30 centimètres de la partie haute, les intestins soigneusement noués derrière les fesses. C’est le « Dahlia noir », dont James Ellroy a tiré son bestseller, dont Brian De Palma a fait un film, une histoire qui a été vampirisée par des journalistes, des écrivains, des cinéastes, des musiciens, des peintres et même des voyagistes spécialisés dans le nécrotourisme.
La romancière catalane Beatriz García Guirado se penche à son tour sur ce sujet macabre, non pour en faire un nouveau roman mais un ouvrage mêlant plusieurs genres, dans lequel, au lieu de se concentrer sur le mystère d’un assassin jamais retrouvé (316 suspects et 28 faux aveux), elle explore le mythe créé autour de la victime, à laquelle elle tente de s’identifier. Les journaux à sensation de l’époque ont imaginé quantité d’histoires non vérifiables, d’après lesquelles elle aurait été torturée, se serait prostituée, et ainsi de suite. C’était en réalité une pauvre fille, qui rêvait d’être actrice, mais tirait le diable par la queue. « Elle avait travaillé comme serveuse, comme modèle pour chapeliers, explique l’auteure au journal Diario de Sevilla, elle allait de coloc en coloc, cherchant à s’en sortir sans savoir ce qu’elle pouvait trouver. Elle avait 22 ans et était perdue, c’était une personne ordinaire. » Sa célébrité post-mortem, largement fantasmée, peut être lue comme « une métaphore du Los Angeles d’après-guerre », dit encore Beatriz García Guirado. Son livre « autopsie la société patriarcale […] d’une époque enfiévrée par le true crime et les féminicides », lit-on dans le quotidien El País.
[post_title] => Autopsie d’une société patriarcale [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => autopsie-dune-societe-patriarcale [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2025-06-19 17:01:28 [post_modified_gmt] => 2025-06-19 17:01:28 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=132220 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
WP_Post Object ( [ID] => 132217 [post_author] => 48457 [post_date] => 2025-06-19 16:58:53 [post_date_gmt] => 2025-06-19 16:58:53 [post_content] =>Formidable nouvelle : il y avait au moins un(e) idéaliste chez Facebook. En l’occurrence, Sarah Wynn-Williams, une jeune diplomate néo-zélandaise qui avait pu observer de près les débuts du printemps arabe, donc mesurer l’extrême importance de Facebook dans son déclenchement. Elle avait ensuite réussi – laborieusement – à convaincre les sbires de Mark Zuckerberg « qu’une révolution est en cours, une révolution qui a pour nom Facebook » et donc de l’embaucher pour aider la firme à gérer ses responsabilités politiques. Mais elle découvrira vite que « Mark Zuckerberg ne percevait pas du tout Facebook comme une force explosive sur le point de bouleverser et de redéfinir la politique à travers le monde » – juste comme un moyen de faire du fric en « incitant les gens à perdre du temps sur Internet » ! Pire, il « se contrefiche de la politique » excepté dans ses deux grands marchés, les US et la Chine, où il cajole les pouvoirs en place. C’est ainsi qu’en Amérique, après avoir été démocrate il a presto viré trumpiste ; et qu’en Chine il n’a pas hésité, malgré ses dénégations au Congrès, à se plier aux exigences de la censure locale. Wynn-Williams est tout spécialement ulcérée par la « négligence » de Facebook en 2017 en Birmanie, quand les massacreurs de Rohingyas ont pu impunément utiliser le réseau pour rallier leurs troupes. Facebook n’avait alors qu'un seul « fact-checker » birmanophone, un sous-traitant qui plus est – aujourd’hui la fonction « fact-checking » a été carrément supprimée.
Sept ans durant, Wynn-Williams protestera (un peu) mais fera le dos rond avant de se retrouver sur la touche puis d’être éjectée en 2024. L’intrépide lanceuse d’alerte – qui avait déjà survécu, ado, à une attaque de requin – décide alors de publier un livre pour raconter (drôlement) ses multiples déconvenues, car Zuckerberg traite les chefs d’État « non stratégiques » par-dessus la jambe, et surtout pour dénoncer le système Facebook. Tout y passe : les mensonges de Zuckerberg, son utilisation cynique du pouvoir de Facebook lors des campagnes électorales, l’implacabilité du management « qui attend des troupes le sacrifice de leur vie entière »… Mais ce déballage de faits éventés ne suffit pas à expliquer le grand succès de l’ouvrage, qui doit beaucoup – sinon tout – à l’invraisemblable passion mise par Facebook à l’interdire. « Quand de furieux démentis ont été publiés, quand les employés de Facebook ont été incités à poster des commentaires négatifs sur les réseaux sociaux, quand l’autrice a été interdite de promotion, les gens ont commencé à acheter son livre », rigole James Ball dans The Spectator. Cette surréaction insensée s’expliquerait par les attaques ad hominem contre le top manager de Facebook : obsédé par sa propre image au point de booster frauduleusement ses propres chiffres d’audience sur… Facebook, vénal, complice de prédation sexuelle (y compris contre Wynn-Williams elle-même), cruel, manipulateur, d’une vanité puérile (il faut laisser Zuckerberg gagner aux jeux de société), indifférent à tout ce qui ne touche pas au compte d’exploitation, même aux grandes questions sociales ou de santé mentale… Bref, assène encore James Ball, « c’est le livre rêvé de tout employé revanchard : mesquin, venimeux, et par conséquent épatant ».
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WP_Post Object ( [ID] => 132214 [post_author] => 48457 [post_date] => 2025-06-19 16:57:03 [post_date_gmt] => 2025-06-19 16:57:03 [post_content] =>L’État de droit et le respect des lois et traités internationaux filent un mauvais coton, par les temps qui courent. Mais à cet égard, il y a le visible et le moins visible. La sociologue américaine Brooke Harrington s’est immergée dans le monde feutré des gérants de (très grandes) fortunes et en tire un « livre court (120 pages) mais puissant », écrit Brian Tanguay dans la California Review of Books. Pour mener à bien son enquête, elle a commencé par dépenser 50 000 dollars pour suivre une formation débouchant sur un certificat l’autorisant à devenir elle-même gestionnaire de fortune. Forte de ce statut, elle a consacré près de huit ans à interroger des professionnels, ses nouveaux collègues, et s’est rendue dans dix-huit des paradis fiscaux les plus prisés. Elle s’est fait tout expliquer par le menu : comment les paradis fiscaux permettent aux vraiment très riches de dissimuler l’essentiel de leur fortune de façon à la mettre à l’abri non seulement du fisc mais de leurs créanciers. Elle décrit un monde de gens qui se sentent habilités à naviguer à l’écart des lois qui s’imposent aux citoyens ordinaires. Qui se sentent habilités aussi, pour certains d’entre eux, à peser sur les échéances politiques et la gestion publique. D’aucuns n’hésitent d’ailleurs pas à revendiquer ce statut. Tel Peter Thiel, cité par Harrington, qui a publié en 1997 un livre intitulé « L’individu souverain ». Il se décrit lui-même ainsi : « À la tête de ressources considérables, hors d’atteinte de nombreuses formes d’obligation, l’individu souverain réorganisera l’administration des États et reconfigurera les économies. » La mission confiée fin 2024 par Donald Trump à Elon Musk reflétait cette philosophie, estime Brian Tanguay.
Pour autant, Harrington n’est pas anticapitaliste. « L’offshore est dommageable pour le capitalisme », déclare-t-elle dans un entretien publié sur le site de son université, Dartmouth College. Elle évalue à 700 trillons de dollars par an (entreprises + particuliers) le manque à gagner que crée l’offshore pour les finances publiques. Surtout, dit-elle, « si l’offshore est tellement dangereux, c’est qu’il délégitimise le respect du droit. En permettant aux ultra-riches de contourner les règles qui s’imposent à chacun de nous, il délégitimise le processus démocratique. »
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WP_Post Object ( [ID] => 132211 [post_author] => 48457 [post_date] => 2025-06-19 16:55:08 [post_date_gmt] => 2025-06-19 16:55:08 [post_content] =>La conquête progressive des plaines de Patagonie par les colons soutenus par l’armée argentine est l’un des épisodes les plus noirs de la colonisation. Aujourd’hui, les statues des « héros » de ladite conquête sont régulièrement maculées de peinture rouge. Faudrait-il aussi maculer ou déboulonner les statues de Darwin ? Témoin d’atrocités lors de ses expéditions de zoologue et de botaniste à partir du Beagle, le navire qui le transportait depuis l’Angleterre, le jeune biologiste était sans en être conscient imprégné des préjugés de son époque. Alors que le général Juan Manuel de Rosas promettait d’« exterminer les barbares » (les Mapuches), Darwin écrit que la guerre « produira certainement de grands bénéfices ; elle ouvrira d’un coup 400 à 500 milles de bonne terre pour la production du bétail ». Il évoque au passage, sans autre commentaire, « le spectacle, que mon guide contemplait avec une grande satisfaction, d’un squelette, dont pendaient des lambeaux de peau desséchée, d’un Indien suspendu à un arbre ». Arrivé en Terre de Feu, séparée de la Patagonie par le détroit de Magellan, il décrit ainsi les Haush : des gens « dont les signes et expressions sont moins intelligibles pour nous que ceux des animaux domestiques ; qui ne possèdent pas l’instinct de ces animaux, ni ne semblent en mesure de se vanter de la raison humaine ».
[post_title] => Faut-il déboulonner Darwin ? [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => faut-il-deboulonner-darwin [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2025-06-19 16:55:09 [post_modified_gmt] => 2025-06-19 16:55:09 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=132211 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
WP_Post Object ( [ID] => 132207 [post_author] => 48457 [post_date] => 2025-06-19 16:52:44 [post_date_gmt] => 2025-06-19 16:52:44 [post_content] =>Les économistes et journalistes américains rappellent volontiers la façon dont Valéry Giscard d’Estaing, lorsqu’il était ministre des Finances du général de Gaulle, dénonça un jour le « privilège exorbitant » que confère au dollar son statut singulier : monnaie nationale de la plus grande puissance économique mondiale, il est en même temps la principale monnaie de réserve dans le monde. Cette expression devenue célèbre a servi de titre en 2011 à un livre de l’historien de l’économie Barry Eichengreen sur l’histoire du dollar. Elle figure en bonne place dans deux ouvrages récents qui s’interrogent sur son avenir : King Dollar, par le chroniqueur économique Paul Blustein, et Our Dollar, Your Problem, de l’ancien économiste en chef du FMI et professeur à Harvard Kenneth Rogoff (voir la Booksletter du 9 mai 2025). S’ils diffèrent par leurs conclusions, ces deux livres couvrent le même terrain et les analyses qu’ils contiennent se recoupent largement.
Le dollar est de loin la principale monnaie utilisée pour le commerce international. Plus des trois quarts des transactions entre pays sont effectuées en dollars. Si les pays européens utilisent l’euro pour les échanges qu’ils ont entre eux, ils continuent à recourir essentiellement au dollar dans leur commerce avec le reste du monde. Quasiment 90 % des échanges financiers entre banques se font aussi en dollars. Les réserves des banques centrales dans le monde entier sont constituées à 60 % de dollars, et presque 70 % des obligations d’État détenues internationalement sont libellées en dollars.
Cette domination du dollar sur l’économie et la finance mondiale est un phénomène vieux d’un siècle. Elle a progressé de pair avec la puissance industrielle, économique et militaire des États-Unis. Au cours de l’Histoire, la monnaie de référence a toujours été celle d’un État puissant sur le plan commercial. Le peso espagnol, le florin hollandais et la livre sterling anglaise ont successivement joué ce rôle. En 1925, le dollar détrônait la livre comme première monnaie mondiale. Sa domination s’est consolidée avec les accords de Bretton Woods de 1944, qui établissaient un système de taux de change fixe entre les différentes monnaies et le dollar, dont la valeur était fixée par rapport à une certaine quantité d’or. L’érosion progressive du système de Bretton Woods au cours des années 1960 en raison de la forte inflation du dollar, puis son abandon définitif en 1971 suite à la décision du président Richard Nixon de mettre fin à sa convertibilité en or (c’est à cette occasion que son secrétaire au Trésor John Connally prononça les mots qui servent de titre au livre de Rogoff) auraient logiquement dû affaiblir son règne. Il n’en fut rien. Dans un monde de taux de change flottants, le dollar conserva sa suprématie. Il la renforça même avec la dérégulation des marchés boursiers et la financiarisation de l’économie au cours des années 1980 et 1990.
Aucun des développements présentés comme susceptibles de mettre fin à l’emprise du dollar (la crise pétrolière de 1973-1974, le développement industriel spectaculaire du Japon puis de la Chine, la création de l’euro, la crise financière de 2008) n’eut d’effet significatif sur lui. En 1960, les États-Unis représentaient 40 % du PIB mondial. Avec quelque 25 % aujourd’hui, ils demeurent la première puissance économique du monde mais sont talonnés par la Chine. Leurs échanges avec le reste du monde ne constituent plus que 8 % du commerce international. Autrefois excédentaire, leur balance commerciale est à présent fortement déficitaire. Jadis créditeurs du monde, ils en sont devenus le plus gros débiteur. Après être passé par plusieurs périodes de budgets publics à l’équilibre, l’État fédéral est lourdement endetté, une forte proportion des bons du Trésor américains étant détenue à l’étranger, plus particulièrement par le Japon et la Chine. Mais rien n’y fait : le dollar demeure la monnaie la plus appréciée du monde et la plus utilisée.
Pour quelles raisons ? Paul Blustein et Kenneth Rogoff en énumèrent quelques-unes : la puissance politique et militaire des États-Unis, la taille de leur économie, la sécurité qu’offre un système juridique très développé et fiable en cas de litige, une tradition de stabilité des prix, la profondeur et la forte liquidité, surtout, d’un marché financier sans équivalent dans le monde. Il faut aussi mentionner l’effet de réseau qui fait du dollar une sorte de lingua franca de l’économie, l’équivalent dans ce domaine de l’anglais en matière linguistique : plus des gens l’utilisent, plus il est avantageux de l’utiliser.
Une autre raison importante est l’absence de concurrent. Quelle monnaie pourrait exercer au niveau mondial les trois fonctions d’unité de compte, d’instrument de paiement et de réserve de valeur aujourd’hui efficacement assurées par le dollar ? L’euro, de plus en plus employé dans les transactions internationales, a souvent été mentionné. Mais la crise de 2010 a montré sa fragilité et, en l’absence d’un État garantissant pleinement sa valeur et d’une véritable politique budgétaire commune, on voit mal comment il pourrait aisément se substituer au dollar sur la scène mondiale. Davantage que le yen japonais, confiné dans un rôle marginal, on cite souvent au nombre des prétendants le renminbi (yuan) chinois. Depuis peu autorisée à fluctuer légèrement par rapport au dollar, la monnaie chinoise reste cependant pour l’instant arrimée à celui-ci, et c’est en dollars que sont largement constituées les réserves de devises étrangères de la Chine. Le renminbi continue par ailleurs à faire l’objet d’un contrôle des changes. Il est certes utilisé de manière croissante au niveau régional. Mais, même si sa politique sur ce point est en train de changer, la Chine s’est longtemps montrée assez réticente à internationaliser sa monnaie.
Régulièrement, des économistes idéalistes ressuscitent l’idée d’une véritable monnaie internationale, présentée pour la première fois par John Maynard Keynes à la conférence de Bretton Woods sous le nom de « bancor », sans succès puisqu’elle fut aussitôt rejetée par les Américains. Une version très affaiblie de ce concept existe aujourd’hui sous la forme des « droits de tirage spéciaux » du FMI. Il ne s’agit pas d’une véritable devise, mais d’un instrument monétaire pouvant être utilisé comme avoir de réserve, basé sur un panier de monnaies : le dollar et les quatre autres devises importantes au niveau mondial (euro, livre, yen et renminbi). Transformer cet instrument très lié en pratique au dollar en une monnaie à part entière ne serait guère facile.
Parmi les candidats au remplacement du dollar le plus souvent évoqués figurent les monnaies numériques. Il en existe de plusieurs sortes, qui se distinguent par des traits importants. La première à apparaître fut le bitcoin. Basé sur la technologie de la « blockchain » qui fait de chaque échange une ligne de calcul vérifiée de manière secrète, protégée et décentralisée, il est explicitement conçu pour effectuer des transactions de personne à personne en se passant de tout intermédiaire bancaire. Sur le même modèle, plusieurs centaines de cryptomonnaies ont vu le jour. Parce qu’elle n’est déterminée que par le marché, leur valeur peut varier de manière spectaculaire. Certaines de ces cryptomonnaies, dites « stables », sont par contre indexées sur des monnaies traditionnelles, comme le dollar, ou d’autres actifs. C’était notamment le cas de la libra dont le cas est longuement étudié par Paul Blustein. Elle fut rapidement abandonnée, parce que l’organisme émetteur (Facebook, aujourd’hui Meta) n’inspirait pas confiance. Enfin, en s’appuyant sur la même technologie, certaines banques centrales, par exemple celle de Chine, ont émis leur propre monnaie numérique, à la fois stable et garantie par une puissance publique étatique. Tout en prenant note du développement possible de ces monnaies d’un type nouveau, Blustein et Rogoff demeurent sceptiques quant à leur capacité de détrôner le dollar. La mise en circulation d’une grande quantité de monnaies numériques de banques centrales pourrait déstabiliser le système financier. Quant aux cryptomonnaies, on peut s’interroger sur leur usage. Dans l’état actuel, elles semblent essentiellement employées pour des transactions illégales, voire criminelles, et comme outils de spéculation.
Aux yeux des deux auteurs, le plus grand danger pour l’avenir du dollar est lié aux politiques mises en œuvre par les États-Unis. Au cours des dernières années, ceux-ci ont mis à profit de plus en plus régulièrement le contrôle sur les échanges mondiaux que leur assure la maîtrise du dollar pour appliquer de lourdes sanctions économiques à des pays dont ils désapprouvaient la conduite, à commencer par la Russie et ses partenaires commerciaux. Une telle « militarisation » de leur monnaie a certainement contribué à détourner du dollar certains des pays visés ou qui pourraient l’être. S’ils venaient à y recourir de manière systématique et inconsidérée, cette désaffection pourrait se renforcer. Les pays regroupés sous l’étiquette de « BRICS » ont d’ailleurs déjà commencé à se détacher du dollar en utilisant leur propre monnaie pour les transactions qu’ils effectuent entre eux.
On s’interrogera aussi sur certaines directions prises en matière de politique économique. Les bénéfices qu’apporte aux États-Unis le statut privilégié du dollar auxquels faisait référence Valéry Giscard d’Estaing sont très réels : il leur permet d’emprunter à des taux d’intérêt avantageux, de soutenir « sans larmes », comme le disait l’économiste français Jacques Rueff, des déficits importants, d’influencer les marchés financiers internationaux et même de surveiller attentivement toutes les transactions qui s’opèrent sur les marchés du monde entier. Ainsi que le fait remarquer Kenneth Rogoff, l’omniprésence du dollar a aussi parfois des avantages pour les pays qui s’en déclarent victimes. On se souviendra par exemple des puissantes « lignes de crédit » en dollars mises en place par la banque fédérale américaine durant la crise de 2008, sans lesquelles les banques centrales européennes auraient été incapables de sauver de la faillite les banques privées du vieux continent.
Le statut enviable du dollar ne va cependant pas sans inconvénients pour les États-Unis eux-mêmes. Un de ceux-ci est connu sous l’appellation de « dilemme de Triffin », d’après le nom de l’économiste belge qui l’a identifié : un pays dont la monnaie nationale sert de monnaie de réserve internationale est condamné à se trouver en situation de déficit commercial, ce qui, à terme, en érodant la confiance dans sa monnaie, ne peut que contribuer à ruiner le statut de celle-ci. Robert Triffin a formulé cette proposition à l’époque où le régime de Bretton Woods était en vigueur. Mais la situation de l’économie américaine aujourd’hui n’est pas sans analogie avec celle qu’il avait sous les yeux. Expliquer le déficit de la balance commerciale uniquement par le statut du dollar, observe cependant Rogoff, est insuffisant. D’autres facteurs entrent en ligne de compte, notamment l’équilibre entre épargne et investissement et ce qui l’affecte, à commencer par l’importance du déficit budgétaire.
Parmi ceux que lient étroitement le déficit commercial des États-Unis et la situation du dollar figurent les membres de l’administration actuelle. La demande internationale de dollars, affirment-ils, a pour effet, en le surévaluant, de faciliter les importations et de rendre les exportations plus difficiles, ainsi que d’encourager la délocalisation des activités de production. « Le statut de devise de réserve [du dollar], résumait en une formule frappante le vice-président J. D. Vance, est une forme de subside massif aux consommateurs américains et de taxe massive sur les producteurs américains. » C’est sur la base de cette hypothèse que l’économiste Stephen Miran a conçu le programme de taxes douanières très élevées aux conséquences imprévisibles mis en œuvre par Donald Trump dans les semaines qui ont suivi son retour à la présidence. On sait à présent qu’il n’est qu’un volet d’un plan plus vaste visant à dévaluer le dollar tout en maintenant sa suprématie, en forçant, par l’intermédiaire des tarifs douaniers, les pays partenaires commerciaux des États-Unis à réévaluer leur monnaie et ceux qui détiennent de la dette publique américaine à l’échanger contre des obligations à 100 ans sans la moindre valeur. Scott Bessent, de son côté, secrétaire au Trésor, appelle de ses vœux le développement de l’usage privé des cryptomonnaies. Et Donald Trump a donné instruction pour que soit constituée une réserve de cryptomonnaies privées à la banque fédérale. Le déficit des dépenses publiques ne cesse par ailleurs de croître, et les dernières propositions de budget présentées au Congrès sont de nature à le creuser encore. Aux yeux des deux auteurs, l’explosion de la dette des États-Unis est l’élément qui menace le plus sérieusement la monnaie du pays.
Kenneth Rogoff est d’avis que le dollar a atteint le pic de sa domination il y a quelques années et perdra progressivement sa prééminence. Paul Blustein ne voit pas son règne cesser avant longtemps, « sauf dans le cas où le gouvernement des États-Unis prendrait des décisions catastrophiques ». Mais c’est une perspective qu’il est loin d’exclure. Le dollar conservera-t-il son statut privilégié ? Va-t-il perdre sa suprématie « non dans un bruit assourdissant mais avec un gémissement », pour reprendre un vers célèbre de T. S. Eliot ? Ou comme on fait faillite selon la tout aussi célèbre formule d’Ernest Hemingway, « graduellement et puis soudainement » ? L’avenir est ouvert à plus d’un scénario et il n’est pas impossible (mais pas certain non plus) que nous sachions bientôt lequel se réalisera.
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