Publié dans le magazine Books n° 108, juin 2020. Par John Lanchester.
Nos aïeux préhistoriques ne se demandaient sans doute pas s’ils étaient heureux ou non. Ils étaient déjà assez occupés à assurer leur survie. Mais être dégagé des soucis matériels ne suffit pas à faire le bonheur. Tout tient, à en croire les tenants de la psychologie positive, à notre « point d’équilibre ».
Nous sommes en l’an 100 000 avant notre ère : deux chasseurs-cueilleurs sont partis se ravitailler. Appelons-les Ig et Og. Ig tombe sur un buisson inconnu, aux baies rouge vif. Il a faim, comme la plupart des chasseurs-cueilleurs de l’époque, et les baies ont l’air appétissantes. Il en porte une poignée à sa bouche. Og se contente d’en mettre quelques-unes dans sa besace en peau de chèvre. Peu après, ils arrivent devant une grotte. Son aspect sinistre dissuade Og d’entrer, mais Ig y pénètre et jette un coup d’œil à l’intérieur. Il n’y a rien d’autre que quelques os. Sur le chemin du retour, un bruissement étrange dans les broussailles effraie Og, qui se fige ; Ig se dit que le bruit n’émane sans doute pas d’une créature plus imposante et plus affreuse que lui : il continue d’avancer, et la chose file entre les broussailles. Le lendemain matin, Og goûte enfin aux baies, qui sont en effet plutôt bonnes. Il décide de retourner en chercher.
À l’évidence, Ig est...