Bienvenue en pentarchie
Publié en mars 2024. Par Books.
Si certains en doutaient encore, la guerre d’Ukraine leur a dessillé les yeux : la parenthèse ouverte au début des années 1990 par la désintégration de l’URSS est refermée. Fini le fantasme d’une planète se convertissant tout entière à la démocratie libérale sous le patronage bienveillant de l’Amérique. À quoi le nouvel ordre mondial va-t-il ressembler ? Le dernier ouvrage d’Herfried Münkler paru à l’automne dernier aide à s’en faire une idée.
Professeur de science politique à la retraite, Münkler jouit outre-Rhin d’une solide réputation de géopoliticien et d’historien des idées (on lui doit aussi une somme remarquable sur la guerre de Trente Ans, pour laquelle Books l’avait interviewé en 2018). Dans « Un monde en ébullition » (c’est le titre), il acte la fin de la toute-puissance américaine et annonce l’émergence d’un monde multipolaire. Jusque-là rien de bien original. Ce qui l’est davantage, c’est quand Münkler avance que ce monde multipolaire devrait être une « pentarchie ». Autrement dit, il y aura à l’avenir cinq puissances dominantes : outre les deux qui s’imposent d’emblée à l’esprit (les États-Unis et la Chine), la Russie, l’Inde et l’Union européenne. Concernant cette dernière, Münkler reprend une thèse qu’il développait déjà en 2015 dans un livre dont nous nous étions fait l’écho : pour lui, l’Europe doit devenir un acteur majeur et cela passe par une Allemagne qui ose assumer son rôle d’hegemon du Vieux Continent.
Ce monde à cinq ne court-il pas, cependant, le risque de l’instabilité ? Pas nécessairement. Münkler constate que, dans l’histoire européenne, la tendance à la pentarchie a été courante et loin d’être une mauvaise chose. De la même façon, à l’échelle du globe, cinq pourrait se révéler le chiffre d’or : comme le rapporte Oliver Weber dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung, « un plus petit nombre de grandes puissances serait trop rigide et trop coûteux par rapport aux coûts de production de l’ordre mondial, tandis qu’un nombre plus élevé induirait instabilité et parasitisme. En outre, le nombre de puissances doit être impair : c’est le seul moyen de faire pencher la balance et de garantir l’équilibre du système. »