Barrière de séparation israélienne

Comment les wikipédistes ont-ils abordé un sujet aussi délicat et controversé que la barrière de séparation construite par Israël en Cisjordanie ? Avec un visible souci d’apparaitre neutres, impartiaux, qui n’a pas totalement réussi à dissimuler, au fil des 28 000 signes consacrés à cette gigantesque entreprise, une série de dérapages ou d’approximations dont on pourrait discuter longtemps la bonne ou la mauvaise foi.

Fâcheux présage : une erreur grossière surgit dès le 2ème paragraphe (article lu le 21 décembre 2009).  La Cour internationale de justice, indiquent les wikipédistes,  a jugé en 2005 cette construction contraire au droit international. La Cour internationale de justice de la Haye, organe judiciaire de l’ONU, a bien rendu un avis déclarant le mur illégal au regard du droit international et demandant à Israël son démantèlement, mais c’était le 9 juillet 2004…

A cette occasion, les wikipédistes font d’ailleurs une curieuse observation : ils notent en effet, comme au passage,  que « la Cour internationale de justice ne s’est jamais exprimée sur les autres barrières de séparation construites dans le reste du monde ». Cette remarque n’est en réalité ni aussi anodine ni aussi judicieuse qu’elle en a l’air. D’abord parce qu’elle fait écho, sans le mentionner, à un soupçon largement répandu dans l’opinion publique israélienne, selon lequel l’ONU et ses agences ou organes seraient a priori hostiles à l’Etat hébreux – c’est ce que l’on vient de le voir avec le rapport Goldstone sur les opérations militaires à Gaza en décembre 2008 et janvier 2009, ressenti comme une agression contre Israël.

Ensuite parce que les wikipédistes oublient ou font semblant d’oublier qu’il existe une différence majeure entre le mur/barrière construit par Israël et la plupart des autres murs. Certes, les Etats-Unis, le Pakistan, l’Inde et la Corée du Sud ont construit des murs ou des barrières le long de leurs frontières, mais ils les ont érigés à l’intérieur de leur territoire, alors que le mur construit par Israël est construit à l’extérieur du territoire israélien, tel qu’il est reconnu par le droit international, et à l’intérieur du territoire palestinien occupé depuis 1967 par l’armée israélienne. Ce qui fait, on l’admettra, une différence et explique l’intérêt et la saisine de la Cour internationale de justice.

Les wikipédistes n’ignorent pas qu’une ligne tracée lors des accords d’armistice signés en 1949 entre Israël et les armées arabes sépare l’Etat d’Israël de la Cisjordanie, conquise et occupée en 1967 par Israël. Cette ligne figurée sur le sol, ici et là, par des plots de ciment, a été baptisée la Ligne verte. Elle représente au regard du droit, la frontière occidentale du territoire palestinien occupé de Cisjordanie, appelé à devenir la majeure partie d’un futur Etat de Palestine.

Cette frontière –Israël et les Palestiniens en conviennent – pourra, dans le cadre de négociations de paix, faire l’objet de modification acceptées par les deux parties. Telle qu’elle est aujourd’hui, elle mesure environ 320 km. Ce chiffre – qui ne figure pas dans l’article consacré par Wikipédia à la barrière de séparation – est pourtant d’une importance capitale. C’est en le comparant à la longueur du tracé de la barrière (entre 709 et 730 km, selon les sources) qu’on mesure la caractéristique essentielle de cette construction : loin de suivre la frontière, pour la protéger, elle dessine à l’intérieur du territoire palestinien d’immenses méandres, dont certains ont plus de 20 km de profondeur.

Ce qui pose la question de la fonction exacte du mur. S’il avait été construit, comme l’affirme le gouvernement israélien pour protéger son territoire des incursions des terroristes venus de Cisjordanie, il aurait pu être érigé du côté israélien de la Ligne verte, et la suivre du nord au sud. Comme le font observer les officiers de réserve et anciens fonctionnaires des services de sécurité réunis au sein du Conseil pour la paix et la sécurité, un tel mur – une telle barrière – auraient été infiniment moins coûteux à construire, et plus facile à surveiller s’il avait été deux fois plus court

Pourquoi, dans ces conditions, avoir construit cet interminable dispositif de séparation de plus de 700 km ? Pour contourner et annexer de fait au territoire israélien, la majeure partie des blocs de colonies et plus de 80% des colons. Comme l’a admis en août 2007, lors d’une émission de radio un ancien ambassadeur d’Israël, face à l’auteur de ces lignes : pour remplacer « l’ancienne frontière » qu’est la Ligne verte.

Evoquant « la controverse sur les objectifs de la barrière », les wikipédistes rappellent les conditions historiques de sa création  et citent le discours officiel israélien : « le message des autorités israéliennes, écrivent-ils, est systématiquement que l’unique objectif de la barrière est la sécurité des Israéliens. Le nombre croissant d’attentats-suicides à la fin du mois de septembre 2000 et depuis le début de l’intifada al-Aqsa justifie ces mesures sécuritaires. Le gouvernement d’Israël recense alors plus de 1000 victimes tuées dans ces attentats. »

Que l’explosion de l’intifada al-Aqsa le 28 septembre 2000, puis la vague de terrorisme suicidaire qui a suivi ait joué un rôle clé dans la décision de construire la barrière, c’est un fait historiquement établi. Mais peut-être, s’agissant d’un sujet aussi délicat, faut-il consacrer un peu de temps à l’examen des chiffres. Entre le 28 septembre 2000 et le 1er janvier 2001, 40 Israéliens – selon les statistiques de l’organisation israélienne de défense des droits de l’homme B’Tselem– ont été tués. En 2001, le chiffre des victimes israéliennes a atteint 188 morts et 420 en 2002. En d’autres termes, lorsque la décision de construire le mur a été prise et la première pierre posée le 14 juin 2002, moins de 650 Israéliens avaient été tués. C’est beaucoup. C’est trop. Mais pourquoi avancer le chiffre de 1000  morts (civils et militaires) qui n’a été atteint qu’à la fin de 2008 ? Et pourquoi ne pas rappeler aussi que pendant la même période, les pertes de l’autre camp se sont élevées à 4850 morts ?

Le mur a-t-il sauvé des vies ? Selon une étude du ministère israélien des Affaires étrangères, indiquent les wikipédistes, 17 attaques suicides avaient été commises entre avril et décembre 2002. « En 2003, alors que la barrière était construite, 5 attaques suicides ont été commises par des terroristes infiltrés » poursuit le document. Une simple vérification aurait permis aux wikipédistes de constater qu’en 2003, la barrière était très loin d’être achevée - elle ne l’est toujours pas fin 2009. Sa longueur, dans le nord de la Cisjordanie était alors d’environ 200 km. Rien n’empêchait les terroristes de contourner la barrière par le sud.

Une chose est indiscutable
 : l’existence de la barrière  et/ou du mur sur une partie au moins du territoire de la Cisjordanie a compliqué la vie des terroristes en les contraignant à des parcours plus longs pour trouver un point d’entrée en Israël, donc en multipliant, pour eux, le risque d’être interceptés lors d’un contrôle volant ou au passage d’un check-point. Mais à ce jour aucun terroriste n’a été arrêté au pied du mur.

Ni le colonel Dany Tirza – l’architecte du mur – ni Avi Dichter, ancien ministre de la sécurité, interrogés par l’auteur de ces lignes en 2006, ne disposaient de statistiques permettant de faire le tri entre les différentes explications possibles de la réduction du nombre d’actes de terrorisme. Comment savoir, par exemple quelle était la part réelle de la présence de la barrière et celle des trêves successives négociées par le premier ministre puis président palestinien Mahmoud Abbas à partir de 2004, avec les organisations armées ? Enfin, et surtout, répétons-le, s’il s’agissait uniquement d’intercepter les terroristes, pourquoi ne pas avoir construit une barrière moins coûteuse et plus facile à surveiller le long de la Ligne verte, en territoire israélien ?

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