Avons-nous déshumanisé la filiation ?
Publié en septembre 2011. Par Antoine Danchin.
À propos d’un homme politique, nous apprenons qu’il est un enfant adopté. Ce genre de considération devrait-il apparaître dans une société d’hommes civilisés ? Oui, Jean-Vincent Placé est français, et plus encore, il est le vrai fils de ses parents, et il a raison de le revendiquer. L’originalité de l’homme est son aptitude au langage et à la création de cultures associées, même s’il existe quelque discussion à ce sujet. Cette humanité se marque en particulier dans la définition de la filiation, presque partout. Et la filiation n’est pas biologique, mais définie par la structure de la société. Curieusement l’avènement de techniques permettant de créer ou de définir une filiation biologique a gravement gauchi ce progrès qui marque l’humanité de l’homme, qui définit la filiation par le choix d’une structure sociale particulière, la famille. On l’oublie souvent, en Occident, mais le fait est si banal en Extrême-Orient qu’il ne semble pas même nécessaire de le rappeler, l’adoption est un choix extrêmement fréquent dans les cultures confucéennes. La raison en est simple. Dans un monde ou le concept de Dieu n’existe pas, ce qui fait l’humanité de l’homme est le lignage de la famille. Et l’objet central de la morale est de rendre pérenne ce lignage, seule façon d’assurer une immortalité qui n’existe dans aucun autre monde futur. Chez Confucius l’inceste est d’ailleurs défini par le mariage entre personnes portant le même nom de famille. Or les contraintes de la biologie et des probabilités font que le lignage tend toujours à s’interrompre, faute de descendants issus de la nature.
Retour du biologique
Au-delà du recours à la promotion d’une concubine à la situation d’épouse, la solution, culturelle et qui est l’une des marques de ces grandes et anciennes civilisations, est le recours systématique à l’adoption. Si, en effet, de nombreuses familles ne peuvent avoir de descendants (mâles en l’occurrence, en raison d’une discrimination, elle aussi culturelle, et qui a ici des conséquences négatives importantes), elles peuvent en trouver d’autres avec les enfants abandonnés, les orphelins, et, souvent, les familles trop nombreuses. La pratique de l’adoption est ainsi très banale en Chine. Et si quelqu’un aujourd’hui revendique le nom de Kong (ou Kung), avec les prénoms régulièrement choisis pour marquer la séquence des générations depuis Kong Fu Zi, personne ne le mettra en doute, et personne ne fera une analyse d’ADN pour valider cette filiation, si le prétendant à cette ascendance peut montrer les tablettes de ses ancêtres. Voilà donc un comportement qui rend à l’homme toute son originalité et sa valeur morale. Hélas depuis longtemps, mais particulièrement récemment en raison des techniques de « procréation assistée » le retour du biologique se fait insistant en Occident. On l’a connu naguère de façon extrême avec les harems nazis et on le revoit aujourd’hui dans l’usage systématique (vendu sur la Toile) de la réaction de polymérisation en chaîne qui permet d’interroger sa propre origine. On le sait pourtant depuis longtemps, la nature biologique du premier et du dernier né de bien des familles est différente de celle que donne l’État Civil. Cela ne devrait avoir aucune importance, et rester dans le secret de la difficile richesse des relations humaines. Il faut honorer ses parents, nous n’avons pas à retourner au stade animal, ni à honorer ses géniteurs.