Avatars de la novlangue
Publié dans le magazine Books n° 118, mars-avril. Par Cécile Guilbert.
La parole des jeunes adultes est phagocytée par le vocabulaire de l’informatique. Une nouvelle étape dans la tournure apocalyptique de l’histoire humaine.
Il y a quelques années, quand j’ai entendu de plus en plus de jeunes adultes dire « je ne le calcule pas », « j’ai buggé », ou encore conjuguer l’expression « être en mode » à toutes les sauces, je me suis dit que, une fois encore, chaque nouveau symptôme de la mainmise de la technique sur les corps se manifestait dans le saccage de la parole. Certes, cette dernière est toujours l’exception au sein d’un océan langagier où domine essentiellement la langue comme instrument de communication, véhicule conventionnel permettant aux locuteurs de se faire comprendre les uns des autres. Et nous savons aussi comment, à grand renfort d’euphémismes et de noyades de poissons dans une novlangue de bois, les lexiques de l’économie, du management et du marketing ont contaminé le langage courant et contribué à modifier la perception des strates de réalité qui nous entourent.
Avec la numérisation intégrale de la vie quotidienne, une nouvelle étape de la tournure apocalyptique de l’histoire humaine est franchie. La fourniture incessante...