Aux origines des origines
Publié dans le magazine Books n° 115, septembre-octobre 2021. Par Julian Bell.
Après un premier signal en Afrique du Sud il y a 75 000 ans, la pensée religieuse s’affirme dans les grottes ornées du sud de la France. Le message d’immanence de ces œuvres se retrouve quasiment à l’identique dans les peintures rupestres des Bushmen, au XIXe siècle. Pour expliquer la naissance du religieux, un anthropologue fait appel à la neurologie. Et s’engage dans le camp des militants de l’athéisme.
Il y a 75 000 ans, en gravant des motifs sur des morceaux d’argile, les occupants de la grotte de Blombos (Afrique du Sud) ont façonné ce qui peut être considéré comme le plus ancien indice de la pensée religieuse.
«Dieu créa l’homme. » On peut lire ces mots de plusieurs façons, même en restant dans le contexte des Écritures. Mais si on les place dans celui de l’archéologie, une tout autre lecture s’impose. Les primates deviennent distinctement humains lorsque des facteurs hors de portée des sens laissent des traces dans leur comportement. C’est l’intrusion de l’invisible qui donne à Homo sapiens une place à part. Cet animal-là a l’habitude singulière de signifier une chose en la représentant par une autre : partout où les témoignages préhistoriques de cette habitude apparaissent, on en conclut que les agents savaient – à notre manière et d’une manière que les autres créatures ne semblent pas connaître – ce qu’implique de conceptualiser et de mettre en relation les objets du monde physique à un niveau distinct des objets eux-mêmes. « Esprit » est le terme communément admis pour désigner cette zone qui se dérobe à la matérialité. Ce qui ne fait pas, en revanche, l’objet d’un consensus, c’est de savoir à partir d’où l’esprit se sépare...