Publié dans le magazine Books n° 45, juillet-août 2013.
Longtemps gardé sous clé dans les archives de Moscou, le journal-fleuve de Joseph Goebbels se termine quelques heures avant son suicide. Ce propagandiste hors pair y révèle plus crûment qu’aucun autre les rouages du régime nazi. En homme à la lucidité glaçante, qui se qualifie lui-même de « démagogue de la pire espèce », il dépeint les dirigeants du Reich en « bandits de haut vol » dont le cynisme a changé le monde à jamais.
« Le Führer est merveilleux : il voit les choses en grand, et il fait ce qu’il dit ; un vrai génie », écrit dans son journal le ministre de la Propagande du Reich, Joseph Goebbels, le 20 mars 1938, quelques jours après l’annexion de l’Autriche : « À présent, il reste assis des heures durant au-dessus de la carte du pays et rumine. »
Né dans la petite ville autrichienne de Braunau, Hitler était entré dans Vienne en triomphe, acclamé par ses anciens compatriotes comme un sauveur. Il élaborait désormais de nouveaux plans pour agrandir encore l’« empire des Germains ». « D’abord ce sera le tour de la Tchéquie », la décision était déjà prise : et ce, d’après Goebbels, « à la toute première occasion qui se présentera » ; le 15 mars 1939, c’est chose faite (1). Le « territoire de Memel », passé après la Première Guerre mondiale sous souveraineté lituanienne, aurait déjà dû être « récupéré » ; huit jours plus tard, il l’est. La Baltique dans son ensemble se trouvait à l’époque sur la liste noire de la horde brune, tout comme l’« Alsace-Lorraine » perdue en 1918-1919 : « La France doit plonger toujours plus profondément dans...