Publié dans le magazine Books n° 16, octobre 2010. Par William Deresiewicz.
Facebook et les autres réseaux sociaux accélèrent le processus d’affadissement du concept d’amitié, engagé depuis longtemps. Parents et enfants, employeurs et employés, tout le monde est l’ami de tout le monde. Et quand nous avons 768 « amis » en ligne, en avons-nous un seul ? Retour sur les métamorphoses de l’amitié en Occident, de l’Antiquité à nos jours, en passant par Montaigne.
Nous vivons une époque où l’amitié est devenue tout et rien à la fois. De relation caractéristique de la modernité, elle a acquis ces dernières décennies le statut de relation universelle : le type de lien à travers lequel tous les autres sont compris, à l’aune duquel tous sont évalués, dans lequel tous se sont dissous. Les partenaires amoureux se désignent respectivement sous le terme de copain ou copine. Chacun des époux se flatte d’être le meilleur ami de l’autre. Les parents demandent à leurs jeunes enfants et implorent leurs ados de les considérer comme des amis. Les frères et sœurs devenus adultes, libérés de la compétition pour les ressources parentales qui, dans la société traditionnelle, en faisait tout sauf des amis (songeons à Jacob et Ésaü), se traitent aujourd’hui exactement en ces termes. Les enseignants, les prêtres, et même les patrons cherchent à alléger et légitimer leur autorité en demandant à ceux qu’ils supervisent de les considérer comme des amis. Nous nous appelons tous par notre prénom, et quand nous élisons notre président, nous nous demandons avec lequel des candidats nous pré...