Publié dans le magazine Books n° 86, novembre / décembre 2017. Par Sean Guillory.
Les Occidentaux, et surtout les Américains, préfèrent jouer à se faire peur avec la Russie plutôt que de chercher à comprendre ce qui l’anime. À moins que le monde multipolaire que Moscou défend depuis toujours ne soit pas à leur goût.
L’animosité et la suspicion qui existent de longue date entre la Russie et les États-Unis ont récemment atteint une telle intensité que l’idée même de bonnes relations commence à sembler impensable, presque antihistorique. On a du mal à imaginer que jusqu’à la fin du XIXe siècle les deux pays étaient plutôt, selon l’expression de l’historien Norman Saul, des « amis proches évoluant dans des sphères séparées ». Et que, grâce à un sentiment « d’intérêt réciproque et de destinée commune », « l’harmonie et l’amitié » finissaient la plupart du temps par avoir le dessus.
Au XIXe siècle, cette affinité était abondamment célébrée de part et d’autre. Le nationaliste slave Ivan Kireïevski écrit : « Dans ce vaste monde, seuls deux peuples ne participent pas à la somnolence générale ; deux peuples, jeunes et frais, sont porteurs d’espoir : les États-Unis d’Amérique et notre mère patrie. » Faisant écho à Alexis de Tocqueville, Charles B. Boynton avait l’espoir que la « république chrétienne américaine » et la monarchie chrétienne russe allaient ensemble « bénir, instruire et élever le peuple ». S’ils...