Publié dans le magazine Books n° 103, décembre 2019 / janvier 2020. Par Judith Shulevitz.
Née en Pologne dans une famille juive pieuse, Ernestine Rose manifeste très tôt son indépendance d’esprit. À 16 ans, elle s’installe seule à Berlin, avant de traverser l’Atlantique. Libre-penseuse et socialiste utopique, elle milite pour l’égalité des sexes. Son apport commence tout juste à être reconnu.
Si vous dites « Ernestine Rose » à la première féministe venue, il y a fort à parier que ce nom ne lui dira rien. À part ses fans dans les départements de
gender studies des universités, personne ou presque n’en a entendu parler. C’est une grande lacune dans notre mémoire collective.
Ernestine Rose commença à militer pour les droits des femmes une décennie avant Elizabeth Cady Stanton et Susan B. Anthony
1, qu’elle a toutes deux inspirées. Elle drainait un public plus vaste à ses conférences, à sa grande époque du moins. Elle « parvient à captiver un auditoire aussi bien que nos meilleurs orateurs masculins » écrivait l’
Albany Transcript en 1854 (ce qui se voulait un compliment). « Une excellente élocution, une voix puissante, du bon sens à en revendre, un style merveilleusement concis et un rare sens de l’humour », constatait une journaliste en 1860. Rose avait aussi pour elle son physique. Selon la description qu’en fit l’écrivaine française Jenny d’Héricourt, c’était une femme « svelte et menue avec un front magnifique, des yeux pétillants d’une douceur extraordinaire, des dents blanches et parfaites...