« Crime de paix » en Méditerranée
Publié le 5 juillet 2019. Par La rédaction de Books.
La justice italienne a libéré Carola Rackete, capitaine du navire Sea Watch3, missionnée par une ONG pour secourir les migrants en Méditerranée. La jeune femme avait été arrêtée après avoir accosté dans le port de Lampedusa.
Ce qui se joue en Méditerranée est bien un crime, un « crime de paix », explique le professeur d’anthropologie Maurizio Abahari dans Crimes of Peace: Mediterranean Migration at the World’s Deadliest Border. Ce crime se matérialise près de frontières (notamment de l’Union européenne) où l’on trouve des fosses communes ou des stèles à la mémoire des migrants décédés. Et, selon Maurizio Abahari, ce sont les institutions européennes qui en sont responsable. Cette « frontière » méditerranéenne incarne une sorte de gouvernement européen des migrations. Son objectif est de protéger le statu quo social en anticipant les menaces potentielles, et ce faisant il génère des morts.
Abahari emprunte ce concept de « crime de paix » aux psychiatres italiens Franco Basaglia et Franco Ongaro. Ils l’ont développé dans les années 1970 pour dénoncer la pratique généralisée de l’enfermement psychiatrique.
Dans le cas de la Méditerranée, « les crimes de paix se produisent de façon routinière, dans la mesure où les asymétries de pouvoir, de richesse et d’autorité sont consubstantielles à la dynamique de la frontière », écrit Abahari. Il rappelle notamment que déjà dans les années 1990 l’Italie refusait d’accueillir les migrants venus d’Albanie dans un schéma tout à fait semblable. Les mêmes thèmes étaient mis en avant. Les passeurs étaient désignés comme les seuls responsables de toutes les souffrances des migrants. Et tout en refusant d’accueillir ces derniers, les institutions mettaient en place des opérations de sauvetage, ce qu’Abahari appelle « l’humanitarisme-militaire ».
La « crise » actuelle n’est donc pas vraiment une crise. « Une urgence ne dure pas deux décennies, écrit Abahari. Mais les priorités politiques, les décrets et la négligence structurelle les perpétuent ».
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