Publié dans le magazine Books n° 95, mars 2019. Par Larry Rohter.
L’élection d’un président blanc, homophobe et raciste s’inscrit dans la continuité de l’histoire du Brésil. Profondément marqué par l’esclavage mais aussi par une culture de la réussite fondée sur la prédation, le pays ne cesse d’attendre son sauveur.
© Carl De Souza / AFP
« Bolsonaro appartient au peuple. » Le président brésilien a été élu par une classe moyenne urbaine écœurée par la corruption et le traitement de faveur réservé, selon elle, aux pauvres à la peau sombre.
Si le Brésil était une personne plutôt qu’un pays, ainsi que Lilia Schwarcz et Heloisa Starling nous invitent à le concevoir dans
leur passionnant ouvrage Brasil: uma biografia, on pourrait dire qu’il est dans une phase schizophrène. Prenons, par exemple, le second tour de l’élection présidentielle du 28 octobre 2018. L’un des candidats en lice était un ancien capitaine néofasciste de l’armée brésilienne qui insulte régulièrement les Afro-Brésiliens, les femmes, les peuples autochtones et les minorités sexuelles, affiche une sympathie pour la dictature militaire ayant gouverné de 1964 à 1985 et souhaite combattre la délinquance en permettant aux citoyens de s’armer ou aux policiers à la gâchette facile de se faire justice eux-mêmes. L’autre, Fernando Haddad, avait remplacé à la dernière minute le toujours populaire ex-président et dirigeant syndical Luiz Inácio Lula da Silva, qui purge une peine de douze ans de prison pour corruption, blanchiment d’argent et détournement de fonds publics. Durant ses deux mandats, de 2003 à 2010, des millions de Brésiliens pauvres se sont fragilement hissés dans la classe...