Publié dans le magazine Books n° 94, février 2019. Par Nicolas Pelham.
L’artiste irakien Rashad Salim en est convaincu : le bateau de Noé n’était pas le grand navire en bois de l’iconographie occidentale. Il s’agissait de l’assemblage de plusieurs embarcations en roseaux, comme on en construisait encore récemment dans le sud de son pays.
C’est l’enfer sur Terre, ou ce qui s’en approche le plus. À Bassora, la nuit, les flammes des torchères fusent vers le ciel, qu’elles colorent en orange ; le jour, elles ajoutent encore à la chaleur de cet endroit qui affiche les températures parmi les plus élevées de la planète. La terre est calcinée. Les vestiges des invasions et des guerres passées jonchent une étendue plate et aride. La plupart des palmiers ont dépéri ou ont été cisaillés par les obus. Les bidonvilles s‘étalent à la lisière de la deuxième ville d’Irak, complètement délabrée, et ajoutent la noirceur pestilentielle des eaux usées aux autres agressions sensorielles.
Non loin de ce paysage de désolation coulent les eaux purifiantes et douces des Ahwar, les marais irakiens. À une petite heure de voiture au nord de Bassora, sur une route que l’on quitte au niveau d’une usine à papier abandonnée, juste après un poste de contrôle de l’armée, des troupeaux de buffles pataugent dans l’eau fraîche et se baignent entre les roseaux. J’y étais en février...