Protester à l’ère d’Internet
Publié le 30 novembre 2018. Par La rédaction de Books.
Facebook a permis au mouvement des « gilets jaunes » d’éclore en quelques jours à peine. Mais cela ne présage en rien de la suite du mouvement.
Internet a profondément transformé les mouvements sociaux, relève la sociologue turque Zeynep Tufekci dans Twitter and Tear Gas. Il a permis aux contestataires de se rassembler rapidement et d’être très visibles. Mais, paradoxalement, il peut aussi les empêcher de développer les capacités nécessaires à la poursuite d’objectifs de long terme.
Tufekci les compare à une initiative efficace de l’ère pré-Internet : le mouvement pour les droits civiques aux Etats-Unis. S’il a pu paraître spontané, le boycott des bus de Montgomery, à la suite de l’arrestation de Rosa Parks, a demandé planification, coordination et mobilisation. Cette phase préparatoire a permis au mouvement de mettre au point et de tester ses structures décisionnelles. Grâce à elles, il a pu résister aux pressions extérieures et aux querelles internes qui n’ont pas manqué d’émerger.
En 2013, en Turquie, quelques jours ont suffi à la création d’un mouvement contre la destruction du parc Gezi à Istanbul. Mais, si les manifestants ont réussi à préserver le parc, leurs revendications à plus long terme (plus de démocratie représentative, moins de censure des médias…) ont vite été oubliées. La faute, selon Tufecki, au manque de structure des protestataires, qui n’ont pas su adapter leur tactique, leur narration, remobiliser au bon moment.
La faute, aussi, à l’absence de chef ou d’instances décisionnelles. Beaucoup de mouvements nés des réseaux sociaux le revendiquent, d’autant que sur ces plateformes chacun peut facilement s’exprimer. Cela ne garantit cependant ni l’égalité des membres dans la prise de parole ni la fluidité des débats. Des porte-parole plus ou moins informels finissent toujours par émerger sans qu’ils aient la même légitimité qu’un représentant choisi selon un processus validé par tous. Selon Tufecki, la technologie accroît la tension qui a toujours existé entre la volonté collective et l’expression individuelle, et entre les moments de rébellion et les stratégies de long terme. Les mouvements sociaux modernes ne sont pas moins efficaces, affirme-t-elle, mais ils doivent apprendre à jouer de leurs forces et de leurs faiblesses.
À lire aussi dans Books : Les succès ambigus de la non-violence, septembre 2011.