Publié dans le magazine Books n° 91, septembre/octobre 2018. Par Verlyn Klinkenborg.
Travaux agricoles, transports urbains, champs de bataille : il y a encore un siècle, nous vivions entourés d’équidés. Mais le lien millénaire qui nous unissait au cheval a été rompu le jour où nous avons voulu le réduire à un rôle de machine avant de l’éjecter au profit des machines elles-mêmes.
En 1937, la voiture transportant la romancière et journaliste Rebecca West s’enfonce dans une congère au sommet d’une colline en Croatie. « Des paysans sortent en courant d’une maison voisine, écrit-elle, en hurlant de rire parce que la mécanique s’est couverte de ridicule, et ils dégagent notre voiture avec une incroyable rapidité. Ils étaient sans doute pressés de rentrer chez eux pour aller raconter notre mésaventure à l’un de leurs chevaux. » (1) C’est presque comme si on voyait la voiture rougir de honte et qu’on entendait les paysans et le cheval ricaner dans la lumière blafarde de l’hiver. Et, dans ce passage, West met incidemment le doigt sur une ligne de partage historique. Du haut de cette colline enneigée, on peut apparemment regarder dans deux directions : vers le passé et sa multitude de paysans et de chevaux ; vers le futur immédiat et sa multitude de machines. C’est un panorama que l’on pouvait contempler un peu partout en 1937.
La guerre qui éclate deux ans plus tard est pourtant, comme la précédente, une guerre de chevaux. On pense souvent à la Seconde Guerre mondiale comme à un...