Eloge de la mauvaise musique
Céline Dion, à elle seule, incarne l’ambivalence des sentiments provoqués par le concours Eurovision de la chanson, qui se tient cette semaine. Tous deux sont à la fois populaires et largement moqués. La chanteuse québécoise (ancienne gagnante de la compétition) a vendu un nombre de disques record dans le monde et pourtant les critiques musicaux la détestent. Le canadien Carl Wilson est du nombre. Mais dans Let’s Talk About Love : Pourquoi les autres ont-ils si mauvais goût, il essaie de démonter les ressorts de cette contradiction et d’explorer la construction des goûts culturels. « Vous ne savez pas à quel point votre goût peut-être psychorigide et égocentrique tant que vous n’avez pas essayé de le trahir », écrit-il.
Pour lui, la musique de Céline Dion est « d’une fadeur monotone mâtinée d’une grandiloquence atroce ». Son sentimentalisme l’insupporte. Et cette réaction n’est pas nouvelle, explique-t-il. L’artiste sentimental est décrié depuis le XIXe siècle. Il est à la fois traité de péquenaud et de mauvais acteur. « Etre sentimental c’est être kitsch, faux, grandiloquent, manipulateur, hypocrite, bon marché et cliché », décrit Wilson.
Mais il note aussi à quel point aujourd’hui critiquer ce sentimentalisme est dépassé. La facilité offerte par Internet d’accéder à toutes sortes de genres musicaux fait que pour être cool, il ne suffit plus de railler la musique populaire et encenser les artistes les plus underground. Il faut savoir naviguer entre les univers, y compris les plus opposées, tout en échappant à l’écueil d’un relativisme qui mettrait sur le même plan les apports de Céline Dion et Bob Dylan à l’histoire de la musique. Et le goût musical n’est pas qu’affaire de statut. Wilson célèbre les différentes raisons d’aimer une chanson: pour son à-propos, son étrangeté, sa capacité à évoquer des souvenirs et sa popularité même, puisqu’un tube est autant une musique à écouter qu’un événement à partager.
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