Pourquoi Mélenchon vote Le Pen
Publié en avril 2017. Par Olivier Postel-Vinay.
J’ai plein d’amis bien informés. A vrai dire, ils sont mieux informés les uns que les autres. De quoi me brouiller un peu l’esprit. L’un d’eux, un cacique de la gauche, m’assure tenir de la bouche d’un proche de l’intéressé que Mélenchon, s’il ne se retrouve pas au deuxième tour, votera Marine Le Pen. Un canular, sans doute. Mais cette histoire me trotte dans la tête. Car même si elle est fausse, comme beaucoup d’histoires fausses, elle dit quelque chose.
Cela m’a rappelé une réalité bien réelle, celle-là : l’alliance entre Syriza et le parti d’extrême droite Anel. Ils se partagent le pouvoir à Athènes. Comme le constate le politologue grec Andreas Pantazopoulos « la gauche radicale et la droite dite nationaliste ont instrumentalisé le ressentiment populaire contre les élites dirigeantes ». Les deux seules véritables différences entre nos deux populismes concernent les immigrés et l’islamisme. Pas négligeable, certes, et il y aurait beaucoup à dire d’un côté comme de l’autre, mais sinon ils se rejoignent sur l’essentiel : le fétichisme d’un « peuple » fantasmatique, la croyance subséquente aux vertus du référendum, l’aversion pour l’Europe, l’euro et accessoirement l’OTAN, une curieuse indulgence, voire révérence à l’égard de Poutine, la préférence pour un protectionnisme frileux. Et un faible, c’est le moins qu’on puisse dire, pour les théories du complot. Ils témoignent l’un et l’autre d’une ignorance vérifiable du fonctionnement de l’économie, de l’histoire globale et de l’évolution récente des affaires du monde.
J’ai aussi d’excellentes amies. L’une d’elles, psychiatre et psychanalyste, me dit que des amis à elle s’apprêtent à voter Mélenchon au premier tour et à s’abstenir ensuite, s’il n’est pas au second tour. Ces intellectuels pratiquent un art qu’ils savent très bien observer chez autrui : le déni. Allons donc. Marine Le Pen ne sera battue que face à Macron ou Fillon. Si d’aventure les deux populismes se retrouvent face à face au second tour, il est clair pour tout le monde, sauf peut-être pour certains mélenchonistes, ou mélenchoniens, que Marine Le Pen l’emportera haut la main. Quelles que soient ses qualités de démagogue, avec ou sans hologramme, le nouvel avatar de la série « Demain on rase gratis » ne pèse pas lourd face au premier parti de France. Quant à s’abstenir au second tour, c’est bien sûr faire le jeu de Marine Le Pen.
Je ne sais pas si c’est un fait mais cela me paraît une évidence : puisque tout vote n’allant pas aux candidats capables d’arrêter Marine Le Pen la favorise, voter Mélenchon, c’est voter Marine Le Pen. Quant à savoir pourquoi, de fait, Mélenchon favorise Marine Le Pen, et donc vote pour elle, je donne ma langue au chat des psychanalystes.