Publié dans le magazine Books n° 77, juin 2016. Par Edith Hall.
Nous avons perdu 97 % de l’œuvre de Sappho, longtemps mise à l’index pour avoir célébré l’homosexualité féminine. Celle que Platon surnommait « la dixième muse » a pourtant joui d’une postérité sans égale. Ses poèmes étonnent par leur sensualité et leur fabuleuse complexité métrique. Un bonheur à lire, mais un cauchemar pour les traducteurs !
Vers 300 avant J.-C., on appela un médecin pour diagnostiquer le mal dont souffrait Antiochos, prince héritier de l’Empire séleucide, en Syrie. Le jeune homme présentait les symptômes suivants : voix affaiblie, sensations de brûlure, rythme cardiaque accéléré, pâleur et évanouissements. Dans sa biographie du père d’Antiochos, Séleucos Ier, Plutarque raconte que ces signes n’étaient visibles que lorsque la jeune belle-mère d’Antiochos, Stratonice, se trouvait dans la pièce (1). Cela amena le médecin à conclure que le jeune homme était tout bêtement tombé amoureux. La cause de la maladie était à l’évidence de nature érotique, expliquait-il, car les symptômes correspondaient à « tous les accidents que Sapho décrit dans une de ses odes ». La solution était simple : le père d’Antiochos divorça et laissa son fils épouser Stratonice.
L’anecdote rapportée par Plutarque invite à s’interroger sur la nature de la relation entre Sappho et les manifestations physiques de l’amour. Antiochos et son médecin ont-ils puisé dans les poèmes d’amour de Sappho, déjà « classiques » à l’époque, les mots pour décrire les sensations du jeune homme ?...