Publié dans le magazine Books n° 72, janvier 2016. Par Robert Darnton.
La culture de la célébrité trouve son origine dans le Paris ou le Londres du XVIIIe siècle, avec des personnages aussi différents que Rousseau ou Marie-Antoinette. C’est à cette époque qu’émergent ces nouvelles figures, auxquelles les gens ordinaires se raccrochent pour donner du sens à leur quotidien. Une transformation de la conscience collective liée à l’expansion des médias, aujourd’hui démultipliée par la télévision et Internet.
Un des plus fameux incipit du roman moderne – « Le passé est un autre pays : là-bas, on y fait les choses différemment » (L. P. Hartley,
Le Messager, 1953) (1) – a migré de la littérature à l’histoire pour devenir un dogme chez les historiens, à savoir : pas d’anachronismes !
« Marie-Antoinette, c’est lady Di. » La première phrase de l’étude historique d’Antoine Lilti sur la célébrité contrevient directement à cette injonction. La remarque, formulée par Francis Ford Coppola sur le tournage de
Marie-Antoinette (2006), écrit et réalisé par sa fille, Sofia Coppola, est un splendide anachronisme. Tout comme le film, où la fraîcheur juvénile de la reine, interprétée par Kirsten Dunst en adolescente américaine, sert de contrepoint au protocole suffocant de la cour de Louis XVI, somptueusement saisi dans tous ses détails par des caméras filmant à Versailles même.
Mais au lieu de ne voir dans ce film qu’une tentative ratée de reconstitution, Antoine Lilti le vante comme l’expression de ce qu’il appelle la « culture de la célébrité », un phénomène bien établi sur les deux rives de l’Atlantique,...