Publié dans le magazine Books n° 71, décembre 2015. Par Jonas Helbig.
De l’Antiquité grecque à Gambetta, l’opportunisme ne fut que l’autre nom du pragmatisme, condition d’une politique efficace. Aujourd’hui, le sens du moment opportun et du compromis est synonyme d’hypocrisie et d’idéal trahi. Il faut en finir avec cet opprobre. L’homme qui ne change jamais d’avis n’est-il pas plus redoutable ?
Berlin Alexanderplatz, le 4 novembre 1989. D’innombrables citoyens de la RDA exigent un changement dans leur pays. La grande romancière Christa Wolf monte sur l’estrade et s’adresse à la foule compacte des manifestants. Elle parle du « tournant » et des problèmes que lui pose ce concept (1). Il lui évoque un bateau sur lequel l’équipage courbe l’échine quand le vent souffle et que la voile balance brusquement de gauche à droite. Elle préférerait donc parler d’un temps de « rénovation révolutionnaire », où le haut et le bas échangent leurs places et où la société socialiste, qui marchait sur la tête, est remise sur ses pieds (2).
Plus encore que le mot lui-même, Christa Wolf supporte mal un certain type d’acteurs que le « tournant » a produit : « Nous observons avec stupéfaction les tourne-casaque que la langue populaire appelle des girouettes », déclare-t-elle aux manifestants. Les girouettes, poursuit-elle en citant le dictionnaire, peuvent « s’adapter vite et facilement à une nouvelle situation, s’y mouvoir avec habileté et en tirer profit ». « Ce sont elles, plus que n’importe quels autres, à mon avis, qui nous empêchent de croire en une nouvelle politique. »
La critique de...