« Il m’est venu l’impertinente et mauvaise idée d’un infarctus en fin d’année 1987 », raconte Michel Onfray dans son premier livre,
Le ventre des philosophes.
Tous furent étonnés, les statistiques ne m’avaient pas prévu, on trouvait l’insolence plutôt saugrenue. Un infarctus à vingt-huit ans…
Entre deux électrocardiogrammes, une piqûre de Calciparine et une prise de sang, le destin se manifesta sous la forme d’une diététicienne aux allures d’anorexique. Austère et d’une maigreur peu avenante – signe toutefois de conscience professionnelle –, elle me fit un cours ennuyeux sur le bon usage de la nourriture pour moine du désert. La veille de l’accident cardiaque, un repas à six ou sept m’avait permis de confectionner une épaule d’agneau aux pleurotes et céleri. Et il me fallait faire mon deuil de tout cela pour me lancer à corps perdu dans le régime hypocalorique, hypoglycémiant et hypocholestérolémiant. Autant d’invitations à troquer mes livres de cuisine contre un dictionnaire de médecine ou un Vidal. Pâle et chétive, la fonctionnaire des calories me fit une conférence sur les mérites des crèmes allégées, des laits écrémés et des cuissons à l’eau. Fi des sauces pétillantes et des liaisons farineuses ! Il fallait me convertir à l’herbe et aux légumes verts… Dans un sursaut d’héroïsme je déclarai, comme pour faire un mot avant le trépas, que le préférais mourir en mangeant du beurre qu’économiser mon existence à la margarine […]. Elle déclara m’abandonner à l’obésité – je venais de perdre sept kilos –, au cholestérol, à la mort prochaine ».
Vingt-huit ans plus tard, sans avoir cédé d’un pouce, notre homme a survécu, et se porte plutôt bien, à en juger par son énergie littéraire et médiatique. Ce qu’il ignorait, quand il opposa sa très saine résistance aux objurgations de la diététicienne, c’est que celle-ci était victime du plus impressionnant mythe médical de la seconde moitié du XXe siècle : que les graisses saturées sont dévastatrices pour le cœur. Haro sur le beurre, et
tutti quanti ! Tel était, tel est encore le mantra.
Notre philosophe national ignorait aussi ce qui fait l’essentiel du présent dossier. Le mythe a été promu par des études tronquées financées dès les années 1950 par l’industrie américaine du sucre. Ces études tronquées ont été suivies d’autres du même tonneau, et un véritable dogme s’est installé. Les études contraires firent l’objet d’une omerta, les scientifiques qui se hasardaient à émettre des doutes furent voués aux gémonies et entravés dans leur carrière. Aujourd’hui encore, le dogme tient le haut du pavé en France, comme en témoignent les sites des sociétés de cardiologie. Il a pourtant volé en éclats, sous les coups de boutoir d’une série d’analyses dûment publiées dans les meilleures revues ; et, aux États-Unis, les autorités de santé sont en train de virer de bord.
Il apparaît aussi que le lobby du sucre, non content de promouvoir cette théorie erronée, a financé tout au long de ces années des chercheurs de haut niveau, pour qu’ils apposent leur nom sur de nombreuses études prétendument scientifiques vantant les bienfaits des glucides. Le lobby s’est en réalité comporté exactement comme celui du tabac, corrompant les organismes de santé publique et abrutissant le public sous un flot de publicités mensongères. Ce faisant, il a directement contribué à l’impressionnante épidémie d’obésité et de diabète qui frappe aujourd’hui la planète tout entière.
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