Publié dans le magazine Books n° 69, octobre 2015. Par Sara Lipton.
Jusque vers l’an 1000, on ne trouve aucun Juif identifiable dans l’iconographie chrétienne. Un premier signe distinctif apparaît vers 1100 : un chapeau pointu, sans rapport avec une réalité quelconque. C’est vers 1170 qu’est représenté pour la première fois un grand nez crochu, tout aussi imaginaire. Cet attribut a une fonction précise : attirer le regard du spectateur sur un personnage qui n’ose pas regarder en face le supplice de la Croix.
En 1940, les nazis ont diffusé un film de propagande intitulé
Le Juif éternel. (1) Il prétendait montrer les Juifs à l’état originel, « avant qu’ils ne se travestissent en Européens civilisés ». Des mises en scène du rituel religieux sont intercalées avec des scènes où des personnages en kippa et caftan se faufilent dans des ruelles surpeuplées. Le tout est censé évoquer l’arriération des Juifs au quotidien. Les réalisateurs se sont essentiellement focalisés sur les visages, braquant leur caméra, en gros plans prolongés, sur les yeux, le nez, la barbe et la bouche de leurs sujets, conscients qu’en insistant sur quelques stéréotypes physiques ils susciteraient des réactions de mépris et de haine. L’illustrateur qui a dessiné l’affiche du film était manifestement à l’unisson, car il a ignoré les marqueurs classiques de l’identité juive (la kippa, les papillotes, l’étoile de David) au profit d’un visage basané, charnu, au nez crochu. L’affiche aurait même pu faire l’économie du titre. Dans l’Europe de 1940, cette représentation de la judéité était omniprésente : les posters,...