Pourquoi Shakespeare met-il en scène le Juif Shylock, alors qu’il n’y avait pratiquement pas de Juifs en Angleterre à son époque et qu’il n’en avait sûrement rencontré aucun ? Pourquoi l’imagerie chrétienne du Moyen Âge présente-t-elle le Juif avec un chapeau pointu ou un nez crochu, alors qu’ils n’avaient ni l’un ni l’autre ? Pourquoi Luther se déchaîne-t-il contre les Juifs alors qu’il visait les catholiques ? Pourquoi le philosophe britannique Edmund Burke présente-t-il les révolutionnaires français comme des « courtiers juifs », sachant pertinemment qu’ils étaient formés dans la religion chrétienne ? Pourquoi Marx assimile-t-il le capitalisme au judaïsme, alors que la plupart des nouveaux riches de son temps étaient catholiques ou protestants ? Pourquoi les bolcheviks furent-ils considérés comme incarnant une rébellion juive ?
Selon l’historien américain David Nirenberg les stéréotypes d’ailleurs souvent contradictoires entretenus sur la figure du Juif sont un produit de l’imaginaire collectif, remontant au Nouveau Testament et même à des temps plus anciens. Les Juifs, une caste opprimée et impuissante mais au matérialisme exacerbé et entretenant des liens troubles avec le pouvoir temporel et les tyrans, hyperintellectuelle et subversive mais repliée sur elle-même… Cet imaginaire servait une fonction précise : donner du sens au monde social, politique et théologique, renforcer ses positions en désignant des ennemis, fussent-ils fictifs. Il en va de même de l’antijudaïsme musulman actuel, dont les racines sont largement chrétiennes et qui exploite les mêmes stéréotypes.
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