Publié dans le magazine Books n° 66, juin 2015. Par Alex Ross.
Schubert a voulu entendre le quatorzième quatuor de Beethoven avant de mourir. C’est peut-être la plus grande œuvre jamais composée. Le musicien a marqué de son empreinte tous ceux qui lui ont succédé. Au point d’étouffer bien des compositeurs des générations suivantes – et de donner prise au kitsch le plus grotesque. Quantité de livres parus ces dernières années nous plongent dans les méandres d’une personnalité complexe, orageuse, habitée par les contradictions politiques de l’époque. Grandiose, mais aussi terre-à-terre, capable de cynisme et de méchanceté.
Beethoven est un cas unique dans l’histoire de l’art, un phénomène si puissant qu’il éblouit et déconcerte. Non seulement le compositeur a marqué de son empreinte tous ceux qui lui ont succédé, mais il a façonné des institutions entières. Si l’orchestre professionnel est né, c’est dans une large mesure pour servir de véhicule aux interprétations incessantes de ses symphonies. L’art de la direction d’orchestre a émergé dans son sillage. Le piano moderne porte la marque de son exigence d’un instrument plus flexible et plus sonore. Les techniques d’enregistrement ont elles aussi évolué en tenant compte de Beethoven : c’est la
Cinquième Symphonie qui fut gravée en 1931 sur le premier 33 tours destiné à la vente ; quant aux CD de première génération, leur durée fut fixée à soixante-quinze minutes pour permettre à la
Neuvième de se déployer sans coupure. Après Beethoven, la salle de concert a cessé d’être le cadre de divertissements variés et sans ordre pour devenir un monument austère consacré à l’art en majesté. L’attitude des auditeurs a...