Le sucre au prix du sang des esclaves
Publié en août 2010.
Elizabeth Abbott qualifie d’« aigre-douce » son histoire du sucre. C’est qu’elle y retrace sur plus de cinq siècles le développement d’un commerce pas tout à fait comme les autres.
Elizabeth Abbott qualifie d’« aigre-douce » son histoire du sucre. C’est qu’elle y retrace sur plus de cinq siècles le développement d’un commerce pas tout à fait comme les autres. A partir de la démocratisation du thé, du café et du chocolat au XVIIe siècle qui fit grimper en flèche la demande de sucre, la culture de ce dernier devint indissociable de la traite des noirs.
Avant d’en arriver là, l’ouvrage d’Abbott rappelle que les Grecs et les Romains ne connaissaient pas le sucre : ils adoucissaient leurs mets avec du miel. Cultivé au départ en Nouvelle Guinée, le sucre a ensuite voyagé jusqu’en Inde puis au Moyen Orient, où les Européens l’ont découvert lors des Croisades. À la Renaissance, on le retrouve dans les demeures aisées ; il y sert de médicament, d’épice, de décoration. Il est très prisé car il relève la saveur des plats et des boissons sans en altérer le goût..
Dans le Wall Street Journal Bordewich s’attarde sur la relation entre sucre et esclavage : la traite atlantique, « source fabuleuse de richesse » pour planteurs blancs et investisseurs, transformait les esclaves africains en « machines à sucre ». Abbott affirme que les esclaves survivaient en moyenne sept ans au travail dans les plantations, ce qui implique, selon elle, que le sucre était « littéralement pollué avec le sang des esclaves ».
Ces atrocités firent naître des mouvements abolitionnistes dans l’Angleterre du XVIIIe siècle. On calcula que si chaque famille consommant cinq livres de sucre par semaine boycottait la production esclavagiste, un Africain échapperait à la mort tous les 21 mois... Dans les années 1790, ces mouvements avaient convaincu plus de 300 000 Anglais de ne plus s’approvisionner en produits issus des Caraïbes.
Cependant, si l’esclavage est aboli par le Parlement en 1807, l’appétit britannique pour la douceur continue à se développer. Une des forces de l’essai d’Abbott, selon Bee Wilson dans The Times Literary Supplement, est qu’elle décrit les inégalités qui perdurent après l’abolition. Dans les Antilles britanniques, un système de salariat contraint se met en place, soi-disant émancipation qui ne laisse en fait aux travailleurs aucune liberté réelle. La situation des travailleurs chinois à Cuba et au Pérou au XIXe siècle n’était guère plus enviable. Bee Wilson note que plus de la moitié des ouvriers mourait la première année et le taux de suicide, par pendaison ou saut dans les chaudrons de sucre bouillant, était très élevé.
Aujourd’hui encore, comme le montre Abbott, la vie des coupeurs de cannes reste « incroyablement sinistre ». Wilson évoque l’exemple des Haïtiens noirs, certains encore adolescents, en majorité des immigrés en situation irrégulière, qui travaillent dans les champs de République Dominicaine pour 1,20 dollar par tonne de sucre.