L’endroit le plus dangereux de la planète : la Corée du Nord ?

Il faut s'intéresser de près à la Corée du Nord - « le pays le plus dangereux de la planète » d’après Bill Clinton. Probablement le plus étrange aussi, les plus inaccessible, et le plus mystérieux. Le régime nord-coréen est dangereux pour tous : ses malheureux nationaux, comme tous les citoyens du monde. Non seulement la dynastie socialiste au pouvoir depuis 60 ans a déclenché la guerre de 1950 (presque deux millions de morts) et suscité une récente famine (peut-être encore un autre million de morts), mais les deux Kim, Kim Il-sung et son fils Kim Jong-il, ont, dans le demi-siècle d'intervalle, provoqué toute une série d'incidents qui ont mis la péninsule coréenne, et par ricochet la planète entière, régulièrement à deux doigts de l'explosion.


On peut citer en vrac l'arraisonnement du navire espion américain Pueblo en 1968, les tentatives répétées d'assassinat du président sud coréen en titre, la destruction du vol KAL 858 en 1987, et d’innombrables incidents aériens avec les forces américaines. Sans oublier toute une série d'actes de hooliganisme économique allant du trafic de drogue ou de cigarettes à la fabrication de faux dollars, en passant par le kidnapping.


Désormais, la dangerosité du régime atteint l'échelon suprême : la Corée du Nord est devenue, en 2002, un État nucléaire, qui a de plus immédiatement dénoncé le traité de non-prolifération.


Le journaliste Mike Chinoy, l’un des rares praticiens de cette inquiétante nation explique par le menu comment on a bien pu en arriver là (1). Pour lui, George Bush, et les va-t-en-guerre de son entourage, Dick Cheney en tête, seraient en réalité coresponsables de la situation. L'agressivité constante des États-Unis envers le burlesque Kim Jong-il semble avoir poussé celui-ci dans ses retranchements, ne lui laissant plus que la carte nucléaire, dont il joue avec une habilité et un sang-froid qu’en général on ne lui connaît guère.


De fait, la gestion américaine du problème nord-coréen est presque depuis l'origine teintée d'incompétence et surtout d'aventurisme - de MacArthur qui voulait frénétiquement atomiser les troupes sino-coréennes en 1953, jusqu'à John McCain qui en 1998 recommandait une invasion ; sans oublier Kissinger qui disait « il faut faire couler du sang nord-coréen ». En arrivant au pouvoir, George W. Bush a d'ailleurs instantanément mis un terme aux efforts diplomatiques de Clinton et de Madeleine Albright, qui semblaient sur le point d'aboutir. En lieu et place, il a commencé à échanger des insultes avec son homologue de Pyongyang (« pygmée », « voyou », « menteur viscéralement haïssable », d'un côté, « malade mental », « idiot politique et déchet humain », de l'autre). Et les laborieux pourparlers multipartites ont systématiquement capoté.


Le paradoxe est que juste avant la victoire d'Obama, la diplomatie Républicaine était en train de revenir à son point de départ, c'est-à-dire là où Clinton avait lui-même laissé les choses en 2000. Mais dans l'intervalle, il s'est produit une forte accélération dans l'alternance des prises de bec, des incidents militaires, des tentatives d'embellie (généralement d'origine nord-coréenne) et des provocations nucléaires (également d'origine nord-coréenne).


L'analyse de George Bush s'était pourtant un peu affinée au fil des mois de son mandat : au début il déclarait « n'en avoir rien à faire, de la Corée du Nord » ; puis, dans son fameux discours au congrès sur l'« axe du mal », il s'inquiétait « de voir l'arme la plus dangereuse du monde dans les mains des régimes les plus dangereux ». Analyse exacte, mais fragmentaire : le régime nord-coréen est incontestablement fort dangereux, pour ses propres sujets comme pour l’ensemble de la planète ; mais l'arme nucléaire, pensent certains, serait un facteur de sécurité : par sa dangerosité même, elle force ses détenteurs à s'auto-discipliner. Et de fait, non seulement l'arme atomique n'a pas été utilisée une seule fois depuis Hiroshima, mais pendant 64 ans il n'y a pas eu non plus d'affrontement direct entre Etats nucléaires (des indirects, oui). La question est donc de savoir si ce raisonnement optimiste s'applique aussi à Kim Jong-il…


Pourvu qu’Obama parvienne rapidement à s'extraire de ce guêpier, dont le potentiel de catastrophe n'est plus à démontrer. En attendant, il faut garder l'œil sur Pyongyang. « Accrochez-vous ! La Corée du Nord nous réserve encore des surprises » dit Dan Oberdorfer, un autre rare spécialiste de cette énigmatique contrée.


(1) Meltdown: The Inside Story of the North Korean Nuclear Crisis (« Fusion, L’histoire de la crise nucléaire nord-coréenne vue de l’intérieur), Mike Chinoy, St. Martin’s Griffin, 2009.

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