Affaire DSK : la dignité n’a pas de prix
Publié en mai 2011. Par Antoine Danchin.
Kanŋe waawaa loodde hersa : « L’or ne peut laver la dignité souillée. » Ce proverbe de Kaïdara, l’épopée peule que nous a transmise Amadou-Hampâté Bâ, nous rappelle que Kant n’est pas le seul à définir la valeur de la dignité humaine. La dignité est ce qui n’a pas de prix.
Seuls les acteurs de l’événement qui a fait la Une toute la semaine du 16 mai savent ce qui s’est passé dans la suite d’un hôtel de Manhattan désormais célèbre par un séjour qu’y fit l’ex-directeur du Fonds Monétaire International. Mais on ne peut qu’être choqué par l’accent mis partout sur ce qui semble être la seule valeur de notre monde, la valeur vénale. A propos de ce qui pourrait avoir été un viol, la discussion s’engage en termes de coûts de séjour, de libération sous caution, de compensations financières, en oubliant l’origine de la personne qui a pu en être la victime. C’est la personnalité de la jeune femme mise en cause qui me conduit à retourner aux origines de la civilisation peule. S’il est vrai qu’elle est immigrée au Etats-Unis, de première génération, il est probable qu’elle est née dans la culture du pulaaku, la règle qui définit l’identité de tous ceux qui appartiennent à l’ensemble Foulbé, depuis la Guinée jusqu’au centre de l’Afrique. Et l’identité ne se marchande pas.
Par sa nature même le viol est toujours ignoble. Et ce mot ici revêt son sens étymologique fort. Or, au delà même de l’affreuse violence que cela suppose, cet acte a une importance particulière dans la civilisation peule, parce que la sexualité a un caractère sacré et qu’elle définit l’identité même. L’être humain doit être dépositaire de ce semtenndé qui exprime pour l’essentiel ce qu’on a traduit par un sentiment qui semble avoir déserté le monde occidental, la pudeur, et son symétrique, la honte. La transgression, même involontaire et quelle qu’en soit la forme, d’un interdit qui définit la noblesse de l’être humain, conduit à une honte telle qu’il devient impossible pour celle ou celui qui en est l’auteur ou la victime d’apparaître au jour. Mais nous avons bien oublié ce qu’est la honte (peut-être pas tout à fait aux Etats-Unis, au moins dans le système judiciaire) et nous ne comprenons pas. Même s’il s’agissait d’un piège, nous devrions avoir honte de notre façon de commenter cet événement.
Il est probable que l’argent va continuer à occuper la scène. Et s’il ne s’agit pas d’un improbable guet-apens, qui rendra sa dignité à la jeune femme impliquée dans cette affaire, quelle qu’ait été sa vie antérieure ? L’argent ne le pourra jamais. La solution pourtant existe, comme parfois encore en Afrique, par le recours à la tradition initiatique. Et les avocats qui se soucient de recourir aux services de détectives privés, pour gauchir et détruire son passé feraient bien, plutôt, d’aller implorer l’« oreille de la brousse », le silatigui qui, sans doute, vivait près de ses parents, et de lui demander ce qu’il convient de faire pour restaurer son honneur. Elle pourrait alors revivre.
Kaïdara, récit initiatique Peul rapporté par Amadou-Hampâté Bâ et édité par ce dernier avec Lilyan Kesteloot (http://www.webpulaaku.net/defte/kesteloot/index.html), Classiques Africains, Julliard 1969
Et en anglais : Kaydara, translated by Daniel Whitman with “Kings, Sages, Rogues: The Historical Writings of Amadou Hampâté Bâ” Washington, D.C. Three Continents Press, 1988.