Nouveau(x) Roman(s)
Publié en juin 2011. Par Jean-Louis de Montesquiou.
Si l’objet-livre est happé par le maelstrom numérique, ce dernier n’a pas encore tué le récit – notamment romanesque.
Philip Roth n’a pas le moral : « le roman est presque mort », se plaint-il à Tina Brown dans The Daily Beast. « Je ne lui donne pas 25 ans. Pour lire un roman, il faut une certaine concentration, une dévotion à la lecture. Mais de moins en moins de gens en sont capables. Non, le livre ne peut plus concurrencer l’écran. »
Heureusement, Roth nuance un peu son propos : « Le problème c’est le livre. L’objet lui-même. » De fait, l’objet-livre est happé à son tour par le maelstrom numérique. Mais celui-ci menace-t-il le contenu des livres – et notamment le roman ? Le net aurait-il donc tué la musique en même temps que le CD ?
Disparition, non ; mais transformation, à coup sûr. Et celle-ci est d’ailleurs largement entamée. Au Japon, où l’industrie du livre a décliné de 20 % depuis 2000, le roman est en pleine reviviscence, grâce au phénomène du « roman cellulaire », ou keitai shousetsu (1), « le premier genre littéraire engendré par cette technologie », selon Dana Goodyear du New Yorker. Mais cette littérature n’est pas restée confinée aux émois sentimentaux et biologiques de Japonaises pubescentes : elle s’est étendue à beaucoup de pays, jusqu’à l’Afrique du Sud (2), ainsi qu’à beaucoup de genres. On compte déjà au moins deux autres dérivations techno-littéraires du « roman cellulaire » : le roman collaboratif, et la « Twittérature ». Le premier n’est qu’un avatar postmoderne des ouvrages à plusieurs mains, un fantasme récurrent chez les littérateurs, depuis les « round-robin stories » américaines jusqu’aux « cadavres exquis » des surréalistes. La technologie mobile n’en change que le support, et le rythme ; rien de plus. Avec le second, en revanche, c’est la littérature elle même qui se transforme, pour venir se recroqueviller dans les 140 caractères du Tweet. On doit le concept de « Twitterature » à deux étudiants de Chicago, qui ont rétréci 81 chefs d’œuvre universels à la dimension d’un opuscule, réalisant, d’après le Guardian, un « prodigieux exploit de compression littéraire ». Le Huffington Post titre, mi- figue mi-raisin : « Un duo d’étudiants torpille sans le vouloir la civilisation occidentale. » Allons – le roman ne date pas d’hier, et, depuis Apulée, au IIe siècle de notre ère, il en a vu bien d’autres.
(1) voir Books n° 7.
(2) Voir le site Yoza, qui « publie » des M-Novels, des « romans qu’on lit d’une bouchée », en anglais, afrikaans, et isiXhosa.