Ontologie du marsupilami
Publié en mars 2012. Par Benoît Rittaud.
Sans doute va-t-il être difficile d’échapper au marsupilami ces prochaines semaines. Cette sorte de singe jaune tacheté de noir et pourvu d’une queue longue de plusieurs mètres, tout droit sortie de l’imagination fertile de Franquin, va en effet faire ses débuts au cinéma dans quelques semaines (Sur la piste du marsupilami, d’Alain Chabat).
À l’instar du père Noël, le marsupilami est un être purement imaginaire. Il fait donc, logiquement, partie du non-être. Et c’est précisément cette qualité de non-être sur laquelle les promoteurs du film ont choisi de mettre l’accent, en posant sur l’affiche cette question ontologique : « Qu’est-ce qu’on croyait qui n’existait pas, mais qui n’existe ? »
On prête aux penseurs de l’antiquité grecque les premières réflexions sur l’idée d’être, avec Parménide comme figure tutélaire. Pour certains, tels Gorgias, le non-être n’est pas, par définition même. D’autres, soutenus par Platon dans Le Sophiste, affirment que le non-être « est », au moins d’une certaine manière. Umberto Eco, revenant sur une rumeur portant sur la guerre des Malouines, a proposé l’idée que, dès lors que nous mettons un nom sur quelque chose, cette chose, même inexistante, dispose automatiquement d’un brevet d’existence, et que c’est là l’un des moyens qui permettent à une rumeur de survivre et de s’amplifier. Il est en effet difficile de contester l’existence de ce dont on arrive à parler. Si le marsupilami n’est pas, comment nous est-il possible de connaître son nom et de nous en faire une représentation ?
L’originalité des promoteurs du film tient à ce qu’ils ne se contentent pas d’un facile : « Qu’est-ce qu’on croyait qui n’existait pas, mais qui existe ? » Le mot final est bel et bien « n’existe ». Le slogan accepte ainsi que l’existence du marsupilami demeure partielle. Entre « ne pas exister » et « exister », il propose un intermédiaire inédit, « n’exister » (un néologisme sans doute difficile à traduire dans d’autres langues). Aux prises avec la question de l’existence de l’infini, Aristote avait lui aussi tranché en distinguant entre deux formes : pour le Stagirite, l’infini existe en puissance mais non en acte (par exemple, il y a de l’infini potentiel dans un segment, car il est toujours géométriquement possible de le couper en parties de plus en plus petites, mais cet infini n’est pas « actuel », car nous ne pouvons jamais effectivement réaliser une infinité de telles découpes).
En ne montrant pas l’animal lui-même mais seulement sa queue, l’image de l’affiche se montre en cohérence avec cette existence partielle, limitée, revendiquée pour l’animal de Franquin. À quand une philosophie de la n’existence ?
Benoît Rittaud